Eglises d'Asie

LES CHRETIENS AU PAKISTAN : DEFIS ET ESPOIRS

Publié le 18/03/2010




[NDLR. Raymond Deldique, journaliste et photographe, est un collaborateur régulier de Peuples du Monde et de Témoignage chrétien. Il vient d’effectuer deux séjours au Pakistan d’où il revient avec ce reportage pour Eglises d’Asie.]

Peu nombreux, les chrétiens du Pakistan vivent c’est le moins qu’on puisse dire, une situation plus que délicate, dans ce pays formé par des musulmans pour des musulmans au moment de l’indépendance en 1947. Après avoir dressé l' »état des lieux » afin de mieux connaître l’environnement dans lequel évoluent les chrétiens, ce dossier

tentera d’analyser les obstacles se dressant sur le chemin de la véritable citoyenneté à laquelle aspirent les membres des minorités religieuses, dont les chrétiens, et il essaiera enfin de se pencher sur les perspectives qui s’offrent à ces derniers.

UN PAYS AU BORD DU GOUFFRE

125 millions d’habitants, la croissance démographique la plus forte d’Asie avec 3,3% par an (11 300 bébés par jour), 70% d’analphabètes. Un habitant sur deux est privé d’eau potable et de soins médicaux. Le système éducatif est lui aussi à l’abandon. Une vingtaine de grandes familles « tiennent » le pays, et la part réservée aux militaires est évaluée entre 40 et 60% du budget de l’Etat : tels sont quelques-uns des « atouts » d’un pays à la dérive.

Comment ne pas être révolté face à un tel tableau? Le Fonds monéraire international, bonne fée, s’est évidemment penché sur le sort de ce malheureux pays, mais on peut s’interroger sur le traitement infligé. La potion est amère, confirme un missionnaire irlandais. « La situation s’est améliorée pour les plus riches, une infime minorité. Evidemment, l’augmentation même légère du prix de certaines denrées de base comme le riz ou les lentilles a par contre des conséquences dramatiques pour le reste de la population qui souffre. Le peu d’argent normalement dévolu au développement s’en va en pots-de-vin pour acheter les votes, et les lois, quand il y en a, ne sont pas appliquées. N’oubliez pas qu’ici, c’est le Moyen-âge, avec ses puissants propriétaires terriens tyrannisant une masse de paysans analphabètes, que le servage existe encore, et qu’un mince vernis démocratique a bien du mal à dissimuler tout cela. En fait, le pays est assez riche, plein de ressources, mais l’argent va directement ou indirectement à l’armée. Véritable état dans l’état, l’armée a des intérêts dans de nombreux secteurs: santé, éducation, transports, etc… Pendant des années, pour nous rendre dans un village, nous avons dû faire un important détour pour franchir un canal. Un beau jour, le pont tant nécessaire et si longtemps attendu, fut construit. Tout simplement, parce qu’un quelconque colonel avait acheté un terrain au-delà du village ».

Le Pakistan, comme de nombreux pays du tiers-monde est miné par la corruption, le népotisme, une violence multiforme, auxquels il faut ajouter le trafic et les ravages de la drogue.

La drogue était avant la guerre d’Afghanistan (1980-89)1 un problème mineur. Elle est devenue désormais un fléau national dans une région – le Croissant d’Or – qui dépasse aujourd’hui en production d’opium et d’héroïne le célèbre Triangle d’Or du sud-est asiatique. L’argent de la drogue alimente la corruption généralisée, la guerre civile en cours en Afghanistan, les caisses des très nombreux groupes armés, voire une partie du budget d’un pays en voie de « colombianisation ». Cet important trafic s’étendant jusqu’aux pays occidentaux, met également en évidence le manque cruel d’autorité de l’Etat dans de vastes zones tribales le long de la frontière afghane où règnent barons de la drogue, trafiquants d’armes et seigneurs de la guerre. Une autre séquelle de la guerre d’Afghanistan, est l’incroyable nombre d’armes, de la kalashnikov au bazooka en passant par le lance-grenades, circulant dans le pays, et qui évidemment n’arrangent en rien la situation d’un pays toujours prêt à s’enflammer. Des régions entières sont pratiquement inaccessibles du fait de groupes armés qui enlèvent, pillent et tuent.

Soeur Luciane (FMM), arrivée au Pakistan en 1954, témoigne de cette violence croissante : « Tous les jours, en allant rendre visite et donner à manger à des handicapés dans un centre voisin, je passe par de nombreux endroits où sont tombés des gens victimes des balles. Je suis affolée de voir l’incroyable violence régnant à Karachi. Parfois, il faut se jeter à plat ventre dans l’autobus quand vous êtes pris dans une fusillade. Ici, tout n’est que violence! »

1994 fut pour cela une triste année, aurtout à Karachi où l’on a dénombré officiellement 1 113 personnes assassinées, peut-être le record de la ville depuis l’indépendance en 1947. En février 1995 seul, on compte déjà 170 morts (et plus de 330 entre le 1er janvier et la mi-mars). Même les mosquées deviennent les cibles de fanatiques qui n’hésitent pas à lancer des cocktails molotov. On trouve dans les journaux des cartes de la ville où les crimes sont répertoriés, et les forces en présence symbolisées par de petits soldats aux couleurs différentes selon leur appartenance politique, religieuse ou ethnique. Pas étonnant que tout le monde veuille être armé, ou avoir un garde du corps, alimentant du coup le marché des armes. Mais que fait la police? Evidemment corrompue jusqu’à la moelle, trop occupée à racketter, à torturer, voire à participer aux exactions des différentes mafias locales, elle ne fait pas grand chose 2. Rien n’est simple au Pakistan, et encore moins à Karachi, creuset bouillant de haines, de complots, mais dans lequel les différentes cultures qui l’ont faite ne se fondent pas. Ce n’est pas une guerre civile qui répand la terreur, qui mutile la ville, non, le manichéisme a disparu depuis longtemps, mais une succession de mini-guerres dans la guerre qui oppose Mohajirs, Sindhis, Baloutches, Punjabis et Pashtouns 3, sans oublier celle qui concerne les sunnites et les chiites (20% au Pakistan), et que Saoudiens et Iraniens attisent avec plaisir. Comme tout est complexe, les Mohajirs eux-mêmes se sont divisés en différentes factions qui aujourd’hui s’entredéchirent. Un imbroglio chaotique qui commence à faire fuir les investisseurs de Karachi, seul port du pays, et qui avec 10% de la population (12 millions contre 250 000 en 1947), assure 55% du produit national. Par ailleurs des Mohajirs poussent au séparatisme, au détachement de la région de Karachi de la province du Sind, afin de créer une zone franche style Hongkong. Simple rumeur?

Autre rumeur, celle qui voit la main de l’Inde voisine, l’ennemie héréditaire, dans cette tourmente violente. Ce serait la réponse du berger à la bergère quand l’Inde accuse le Pakistan d’organiser la résistance au Cachemire, l’éternelle pomme de discorde entre les deux pays4, et qui risque à tout moment de dégénérer en un conflit dévastateur où les armes nucléaires pourraient ne pas être absentes. Des armes provenant de la Chine voisine, et dont « l’amitié transcende le puissant Himalaya » comme l’affirme Benazir Bhutto…

Finalement Karachi est un bon révélateur, le reflet d’une situation quasi-désespérée, et d’un pays au bord du gouffre. Comme le souligne Mgr Pereira, archevêque de Karachi, « Les Mohajirs et les Sindhis devraient apprendre à vivre ensemble, et se dire qu’ils sont avant toute chose Pakistanais ». Menacé par un néo-tribalisme dévastateur, le Pakistan n’a pas réussi encore à se forger une réelle identité. Né sous le signe du Croissant, lors d’un accouchement sanglant qui fit des millions de morts et de déracinés lors de la partition avec l’Inde, le « Pays des purs » devait être le premier et véritable état islamique depuis Mahomet. L’islam se révéla être un ciment insuffisant lorsqu’en 1971, le Pakistan oriental se sépara, là aussi dans de terribles souffrances, de la partie occidentale, le Pakistan actuel, pour former le Bangladesh. Et aujourd’hui, il y a pratiquement autant de musulmans en Inde qu’au Pakistan.

Les divisions ethniques et religieuses, ont sans cesse miné ce pays né du rêve d’un poète. Aujourd’hui, le rêve a volé en éclats, le pays se contemple dans le miroir brisé de ses espérances, et pris de vertiges, se demande s’il ne lui reste pas à inventer tout simplement une nation, une république nouvelle qui transcenderait les anciennes structures féodales, les provinces, et bien sûr la religion qui divise non seulement les musulmans entre eux, mais rejette les minorités dans les poubelles sans fond du mépris. La flamme de la bougie encore couramment utilisée dans ce pays aux si nombreuses coupures de courant, pourrait symboliser un vacillant espoir, mais on se prend à trembler en pensant à ce qui se produirait si quelqu’un venait à éternuer trop fort.

LES CHRETIENS ENTRE LA VALISE ET LE CERCUEIL

Les symboles sont importants. Le drapeau pakistanais représente un logique croissant blanc sur un non moins logique fond vert. Mais la petite bande blanche sur le côté symbolise les minorités du pays qui officiellement représentent 3% de la population5, dont près de la moitié de chrétiens. Ce qui est très important, car lorsque le pays fut créé, une place était réservée aux non-musulmans et l’égalité de tous les citoyens était un principe sacré dans le cadre d’un Etat laïque.

Voici ce que disait Muhammad Ali Jinnah, le père vénéré de la « nation », dans un discours lors de la première assemblée constituante le 11 août 1947: « Vous êtes libres, libres d’aller dans vos temples, vous êtes libres d’aller à la mosquée, ou dans n’importe quel lieu de prière ici au Pakistan. Que vous apparteniez à n’importe quelle religion, caste, ou croyance, cela ne regarde pas l’Etat. Ceci est un principe fondamental, nous sommes des citoyens et des citoyens égaux devant l’Etat… »

Qu’en est-il aujourd’hui? Autant le dire tout de suite, les chrétiens et autres minorités ne vivent pas dans les catacombes mais sont des citoyens de seconde zone, et les problèmes rencontrés sont multiples. Après la mort trop précoce de Jinnah en septembre 1948, on a malheureusement jeté aux orties ses recommandations, comme on s’est empressé d’oublier qu’il ne refusait pas un bon scotch de temps à autre, qu’ismaélien il n’était pas marié à une musulmane, tout comme on a orientalisé son « look » sur les nombreuses images d’Epinal que l’on voit souvent.

Inégalités politiques, juridiques et économiques forment le sombre triptyque contre lequel se heurtent les chrétiens. Désespérément. Politiquement, comme au bon vieux temps de l’apartheid en Afrique du Sud, les chrétiens vivent à l’ère du vote séparé. Instauré en 1985 sous le règne du général Zia, pour qui l’islam était un bon moyen de consolider un pouvoir total, les électeurs chrétiens ne peuvent donc voter que pour des candidats chrétiens. Dix sièges sur les 217 que compte l’Assemblée nationale sont réservés aux minorités, dont quatre aux chrétiens. Sur les 483 sièges des assemblées provinciales, 23 reviennent aux minorités. Le pire, c’est que ce système fut réclamé et approuvé par certains évêques, non pas pour aider leurs coreligionnaires, mais comme l’affirme Mariam Francis qui enseigne à l’Institut pastoral de Multan, « pour récolter les miettes de prestige, d’honneur, et de pouvoir tombées de la table des bureaucrates ». Même s’il se trouve qu’un chrétien soit actuellement ministre du gouvernement Bhutto, un chrétien ne peut, selon la constitution, prétendre à la présidence.

Autre mesure, juridique cette fois, favorisant l’inégalité des citoyens, l’adoption en 1991 de la loi sur la charia régissant tous les aspects de la vie, et divisant encore un peu plus la population entre musulmans et non-musulmans. Heureusement, pour l’instant, cette loi n’est toujours pas entrée en vigueur, au grand dam de certains extrémistes, qui armes à la main, réclament son application intégrale. Dans la province du nord-ouest qui a décidé d’appliquer la charia, un homme a récemment été bastonné en public pour tentative de viol. Les minorités et les femmes, souvent cloîtrées, retiennent leur souffle, même si leur sort était déjà peu enviable avant le passage de la loi. Toutefois, la discussion de cette loi qui veut faire du Coran et de la Sunna la loi suprême du pays a créé depuis des années un tel climat d’intolérance, une telle radicalisation, que le fossé séparant les communautés n’a cessé de s’élargir. Cassure psychologique et sentiment de persécution que l’amendement de 1988 à la loi sur le blasphème, instituant la peine de mort pour manque de respect envers Mahomet, n’a fait que renforcer. Cette loi, absolument contraire à toutes les déclarations et conventions internationales, a simplement permis à quelques mollahs revivant le temps des croisades, d’appeler des foules fanatisées au meurtre d’infidèles. Devenue purement et simplement un permis de tuer, cette loi floue est souvent l’alibi derrière lequel se dissimulent rancoeurs et différends n’ayant rien à voir avec le prophète ou la religion. En 1994, le gouvernement a réagi en encadrant quelque peu la loi, en demandant à ce que les témoignages soient vérifiés, afin d’éviter des abus.

En novembre de cette même année, Gul Masih qui croupissait en prison depuis trois ans pour soi-disant blasphème (en fait une simple querelle de voisinage), a été libéré. Ce fut une grande victoire pour tous ceux qui s’étaient battus pour lui : évêques (mentionnons Mgr John Joseph de Faisalabad), militants des droits de l’homme regroupant chrétiens et musulmans, et des avocats célèbres, au premier rang desquels, Mme Asma Jahangir, de la Commission des droits de l’homme. Mais le climat est si délétère que Gul Masih a préféré se réfugier en Allemagne, et sa famille et ses amis ont choisi la semi-clandestinité. Pour de nombreux chrétiens, il faut maintenant transformer l’essai au moment où de nouveaux cas sont signalés, et d’autres personnes jetées en prison pour blasphème et condamnées à mort, comme s’en émeut James Channan, dominicain, conseiller pontifical et secrétaire général de la commission nationale pour les relations entre musulmans et chrétiens: « Tous ceux qui se sont battus afin d’obtenir la libération de Gul Masih sont évidement satisfaits. Mais ce n’est qu’un premier pas, la loi contre le blasphème est toujours inscrite dans le Code pénal, et quatre chrétiens en sont morts (deux chrétiens condamnés à la peine capitale ont été acquittés en février, avant de s’enfuir pour l’Allemagne, ce qui a entraîné des émeutes dans le pays, ndlr.) Cette loi menace non seulement les chrétiens, mais aussi les Ahmedis6 et les hindous ». La chasse aux sorcières continue, comme les lynchages qui frappent aussi des musulmans modérés, sans parler des appels au meurtre distribués dans certaines villes comme Lahore, et visant les avocats impliqués.

Heureusement, le premier ministre, Benazir Bhutto, a publiquement dénoncé ces condamnations à mort en se déclarant récemment « choquée et attristée » par ces verdicts. Comme l’écrit Le Monde: « Sa réaction, pourtant modérée, lui a valu la réprobation de religieux qui ont déposé plainte pour ‘outrage à magistrat’ contre le chef du gouvernementNéanmoins ses prises de position ont certainement influencé les dernières décisions des tribunaux acquittant les chrétiens condamnés.

Première femme premier ministre d’un pays musulman, Benazir Bhutto bénéficie d’une assez bonne image chez les catholiques qui ne manquent jamais de rappeler qu’elle fut éduquée chez les soeurs irlandaises: « Elle est très ouverteselon l’archevêque de Karachi. Pour James Channan: « Comme de nombreux Pakistanais, nous avons beaucoup souffert sous le régime du président Zia qui, pour se maintenir au pouvoir, favorisa un islam plus radical, et qui fut le principal instigateur de l’islamisation de la société. Nawaz Sharif et la Ligue musulmane qui succédèrent en 1990 à Benazir Bhutto poursuivirent cette même politique. Maintenant, depuis le retour au pouvoir de Benazir, la situation s’améliore lentement. Son parti, le PPP, revendique des droits égaux pour tous, et il est attentif aux problèmes que rencontrent les minorités. Malheureusement, ils ne font pas grand chose de peur de heurter l’opposition et de perdre une nouvelle fois le pouvoir. Mais au moins, c’est dans leur manifeste, et ils sont quand même plus libérateurs et progressistes ».

Constamment sur un siège éjectable, Benazir Bhutto est accusée par certains de multiplier les gages à l’armée voire aux religieux, de jouer un double jeu dont seul l’immobilisme sort grand vainqueur, bref de régner, mais de ne pas gouverner. Son intention par exemple en janvier 1995 d’interdire le financement étranger des nombreuses écoles coraniques et autres institutions religieuses abritant parfois armes et munitions, a été globalement bien accueillie par une population, lasse des violences et pratiquant un islam assez modéré teinté de soufisme. Mais d’aucuns attendent de voir son application tant l’opposition des partis religieux et des oulémas semble résolue. Que fera-t-elle alors?

Cependant, d’autres dispositions juridiques adoptées sous Zia menacent cruellement les femmes et les chrétiens. Comme celles affirmant que le témoigage d’un homme ne peut être contredit que par celui de deux femmes; ou bien qu’en cas de viol, il faut réunir quatre témoins masculins, ce qui est évidemment très courant dans pareil cas et autorise ainsi l’accusation d’adultère, faute passible de lapidation. Une autre loi ne reconnaît pas dans certains cas le témoigage de chrétiens lorsqu’un musulman est impliqué. Ainsi un viol commis dans un village chrétien, où les témoins risquent fort d’être chrétiens, restera impuni. Il est arrivé que des chrétiennes soient enlevées, hâtivement converties à l’islam, et mariées sur le champ, annulant de cette manière le premier mariage chrétien. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de l’islam, qui n’en a pas besoin, mais d’essayer de comprendre une situation, où la tradition et l’honneur sont parfois plus importants que la vie, un pays, ravagé par l’ignorance qu’exploitent certains fanatiques. Pour soeur Daniela, fille de Saint Paul à Lahore, les problèmes sont d’abord et avant tout d’ordre culturel: « Lorsqu’on aborde la question de la condition de la femme au Pakistan et de ses difficultés, je pense qu’il faut également prendre en compte l’enracinement profond et très ancien dans la culture populaire de la tradition hindoue qui a profondément hiérarchisé la société, même lorsque celle-ci est musulmane. Les chrétiennes ne sont pas non plus beaucoup mieux traitées chez elles. Ici, la mentalité est si étroite, marquée par une si grande ignorance, que le combat est très difficile à mener. Certaines femmes ne veulent pas être libres, car elles ne savent pas ce qu’est la liberté, et c’est à nous dans les villages d’essayer de leur en faire prendre conscience, progressivement ».

Une autre différence de traitement qui handicape les chrétiens, concerne l’éducation religieuse, et les ingérences de l’Etat dans un système éducatif nationalisé sous Zulfikar Ali Bhutto en 1973. En effet, pour James Channan, « l’impossibilité pour nos étudiants de présenter l’étude du christianisme aux examens, à l’inverse des étudiants musulmans, est également une forme de discrimination ».

D’humiliations en discrimination diverses, les chrétiens, du fait même de leur religion, ne brillent pas non plus par leur réussite économique. Même si la tentative de mentionner la religion sur la carte d’identité a avorté, grâce à la mobilisation de nombreux groupes, il existe certainement une discrimination à l’embauche, qui rend la vie des chrétiens et d’autres minorités encore plus difficile que celle, déjà peu enviable, menée par la majorité musulmane. Certains domaines, comme l’armée par exemple, demeurent la chasse gardée des musulmans. Le secteur de pointe des balayeurs par contre recrute beaucoup chez les chrétiens. Bien sûr, il y a toujours un médecin, un avocat, qui vous diront le contraire, mais ce sont des exceptions – surtout chez les catholiques – qui confirment la règle.

Selon Mariam Francis, « lorsqu’on remplit des fiches pour obtenir un emploi, on doit inscrire sa religion, et évidemment la préférence va aux musulmans qui obtiennent ainsi le travail; c’est un énorme problème pour les chrétiens, qui peuvent aussi être trahis par leurs prénoms ». Pour soeur Mary (FMM) qui, avec d’autres, fait un travail admirable à l’hospice St Joseph de Rawalpindi auprès des handicapés et des enfants, « il est clair qu’il est moins facile pour un chrétien d’aller à l’université que pour un musulman, et donc de trouver un emploi ». Cycle infernal donc pour les chrétiens qui n’auront de toute façon pas les moyens de corrompre un quelconque directeur, ni d’avoir les relations nécessaires pour se faire pistonner, car les chrétiens demeurent très pauvres. Pour Charles Amjad-Ali, brillant intellectuel réputé jusqu’à l’université de Princeton, protestant, et directeur du Centre d’études chrétiennes de Rawalpindi, « les chrétiens viennent de la périphérie de la société hindoue, des parias en quelque sorte. Moins de 1% d’entre eux proviennent des quatre castes dominantes7, et les protestants ont été favorisés par les Britanniques durant la période coloniale, à l’inverse des catholiques qui eux, globalement, connaissent une misère plus grande ». Larry Seldanah, secrétaire de la Commission épiscopale pour la communication, et responsable du service en urdu de Radio Veritas à Lahore, regrettte que « les gens instruits s’en aillent à cause des enfants et d’un avenir plus qu’incertain. Ne restent donc que les chrétiens les moins instruitsClassique.

L’émigration touche tous les pans de la société et rapporte au pays une part très importante de ses recettes. Raza, un jeune chrétien de Multan, n’est pas à priori à plaindre. Il a un travail, une maison, et une petite moto sur laquelle il m’invite à monter pour aller prendre le thé chez lui. « Je travaille sur un ordinateur 48 heures par semaine, six jours sur sept, et je gagne 3 000 roupies par mois (600 F, ce qui est largement supérieur au salaire minimum). Ma femme gagne 2 000 roupies. Mais nous ne nous en sortons pas. Je paie 1 400 roupies de loyer (2 pièces pour les parents, les 3 enfants, et le cousin), et encore, souvent les gens ont 7 ou 8 enfants. Je paie 450 roupies de frais de scolarité, mes enfants vont à l’école catholique, tant les écoles gouvernementales dispensent un enseignement de mauvaise qualité. Nous ne pouvons pas nous habiller correctement, nous nourrir convenablement. Je suis donc obligé d’emprunter 1 000 roupies chaque mois, j’emprunte pour rembourser, et je ne m’en sors pas. La meilleure solution c’est d’émigrer; je pense aux Emirats. La vie est trop dure ici ».

Il faut voir ces cohortes de paysans perdus dans le très moderne aéroport de Karachi, ne comprenant pas un mot d’anglais, ni peut-être d’urdu, ces pauvres hères qui iront faire le coolie chez les princes du pétrole, pour encore mieux réaliser que la sécheresse, des inondations, et l’incurie générale ont pris en otage un des berceaux de l’humanité qui, tel un radeau de la Méduse, est à la dérive.

Tristes réalités pourtant auxquelles sont confrontés tous ces religieux, ces missionnaires qui s’impliquent de manière extrêmement courageuse dans ce long combat de l’espoir et de la dignité. De Peshawar où vivent encore de nombreux réfugiés afghans, à Karachi avec les lépreux, en passant par Pindi, les missionnaires catholiques et protestants sont présents, que ce soit dans les domaines de l’éducation et de la santé, ou dans des actions de développement. Pour soeur Rehana et soeur Martina, petites soeurs de Jésus, qui s’occupent d’un centre pour handicapés près de Multan, « il n’y a pas assez de prêtres locaux, car l’Eglise est encore jeune. Elle se développe bien, mais la présence missionnaire est très importante pour se mettre au service de celle-ci ».

Dans un pays où la majorité de la population vit à la campagne, la Mission n’est évidemment pas absente des villages. Mgr Patras, l’évêque de Multan, qui s’est entouré d’une solide équipe, décrit avec enthousiasme l’action des chrétiens de son diocèse: « Avec Caritas, dont je suis le directeur national, nous avons de gros projets au Punjab. Nous travaillons pour le développement à long terme, en éduquant les gens, en les organisant, avant de leur donner de l’argent. Nous sommes parvenus à un large maillage de la société grâce à des volontaires, aux communautés de base, et aux missionnaires. Les laïcs s’investissent beaucoup, ce qui est très bien. Nous travaillons beaucoup à l’amélioration de la condition de la femme et de son éducation, ce qui est un facteur essentiel pour l’avenir. Nous avons cinq animatrices, et nous sommes en train d’en former quatre autres qui vont sur le terrain aider les villageoises. Nous organisons également des cours de formation pour adultes. Nous gérons 37 coopératives dans tout le diocèse, et afin d’aider les chrétiens qui quittent les zones rurales pour venir tenter leur chance en ville, nous achetons des terrains que l’on distribue, et nous leur prêtons également de l’argent qu’ils nous remboursent ensuite. Nous avons déjà ainsi 8 ‘colonies’, où vivent des chrétiens qui en général préfèrent vivre ensemble afin déviter les ennuis. Nous avons toujours besoin de missionnaires, mais je dirais que nos besoins sont très spécifiques et concernent des postes de haute responsabilité et très spécialisés dans la santé et l’éducation. Mais tout ce travail social que nous réalisons ne peut être fait sans la spiritualité chrétienne. Nous faisons les deux, ce qui représente un véritable défi quand vous ne représentez qu’une infime partie de la population ».

Dans un pays où règne l’analphabétisme, soeur Daniela a décidé depuis quelques années de se rendre dans les villages autour de Lahore avec des cassettes audio et vidéo. « Avec une dizaine de jeunes filles nous allons promouvoir la foi chrétienne dans les villages, et je dois dire que cette expérience est magnifique et très positive. Nous tenons également un petit centre de communication sociale ici à Lahore pour les éducateurs et les assistantes sociales. Nous travaillons beaucoup avec les musulmans et les protestants, et ensemble nous trouvons les moyens d’aider les gens ».

Il y a également des missionnaires qui en milieu tribal s’occupent de populations souvent rejetées de toute part. Ces tribus, que ce soit les Bheels, les Kholis, ou les Marwaris, vivent le plus souvent dans le désert près de la frontière indienne. Elles sont animistes ou de tradition hindoue, et à ce titre victimes de discriminations, car non musulmanes. Taillables et corvéables à merci, ces minorités ethniques sont pour certaines d’entres elles encore nomades, même si elles se

sédentarisent de plus en plus. Les religieux qui se battent pour qu’on reconnaisse à ces hommes et ces femmes leurs droits et leur égalité en tant qu’êtres humains, ne tiennent absolument pas à ce qu’on fasse la publicité de leur action… Nous pouvons cependant dire que l’éducation, mais aussi d’importants programmes de santé et de développement sont au menu depuis plusieurs années grâce à la ténacité de ces religieux du désert. « Nous commençons tout à la base, explique une soeur. Nous passons d’abord un ou deux ans à établir des relations de confiance, puis nous les aidons à acquérir quelques règles d’hygiène. Au dispensaire, nous essayons de lutter contre les maladies hélas assez courantes dans ces pays, tuberculose, typhoïde, dysenterie, malaria, malnutrition etc… A l’aide de photos et d’images, nous formons des femmes qui deviennent responsables de cinquante familles. Nous leur inculquons des méthodes de planning familial pour retarder autant que faire se peut les naissances. Ici les mariages sont très précoces, les épouses n’ont parfois que onze ans. Nous avons déjà formé cinquante travailleurs médico-sociaux, et six professeurs. Nous avons également instauré un système de coopératives agricoles, et des cours du soir. Nous misons beaucoup sur les femmes qui sont souvent à l’avant-garde des combats en vue d’une plus grande justice et d’un plus grand respect des droits de l’homme. C’est une oeuvre de très longue haleine. Aujourd’hui nous plantons et un jour nous verrons les fruits ».

Par leur exemple, leur vie et le respect que les soeurs portent à ces populations tribales, parfois quelques familles demandent à être baptisées. Cela se fait discrètement, sans tambour ni trompette; le profil bas est de rigueur mais l’espoir est immense.

TRANSPARENCE, OECUMENISME, DIALOGUE INTERRELIGIEUX

les étapes nécessaires vers un « avenir radieux »

Alors, les chrétiens dans leur grande majorité n’ont-ils le choix qu’entre le balai, la valise et le cercueil? Certainement pas, mais les importants défis auxquels ils sont confrontés exigent non seulement de très larges réformes institutionnelles, un vent nouveau qui dissiperait le climat intolérant et obscurantiste qui étouffe le pays, mais aussi un effort d’introspection de la part des chrétiens et de leur hiérarchie afin de sortir de l’ornière, dans laquelle ils se sont parfois fourvoyés.

Certains se disent qu’unis, les chrétiens auraient plus de poids dans leurs revendications. Or, à part certains endroits comme Multan où de nombreux séminaires oecuméniques sont organisés à l’Institut pastoral, et Rawalpindi, les catholiques ne se mêlent pas trop de ce que fait l’Eglise du Pakistan (rassemblant les anglicans, les méthodistes, les luthériens, et quelques presbytériens), qui rassemble la majeure partie des protestants, et vice-versa. Rares sont les actions menées en commun. John Arnold, pasteur australien de l’Eglise protestante Saint Thomas d’Islamabad, est pourtant assez satisfait des projets sociaux qu’il a entrepris de mener avec les catholiques de la capitale: « Nous travaillons ensemble dans différents secteurs, en essayant par exemple de lutter contre l’analphabétisme, en aidant les enfants handicapés, mais surtout nous tentons à notre niveau de lutter contre le chômage implacable qui frappe les Pakistanais et principalement les chrétiens qui souffrent dans la réalité d’importantes discriminations ».

Méfiance réciproque, et ignorance caractérisent plutôt dans l’ensemble l’état des relations entre les Eglises. Charles Amjad-Ali insiste beaucoup sur le caractère oecuménique du Centre d’études chrétiennes: « A l’origine ce centre était protestant, mais c’est désormais le seul centre oecuménique du Pindi, et même du Pakistan. Depuis plusieurs années malheureusement l’oecuménisme est en train de mourir, et ne dépend plus que de quelques bonnes volontés individuelles. Un des problèmes principaux que rencontrent les Eglises, et surtout les catholiques, ce sont les différends d’ordre ethnique, entre Goanais et Punjabis par exemple. L’Eglise est aussi le reflet de cette société corrompue et inégalitaire. Il faut d’abord balayer devant notre porte avant de critiquer les musulmans. Nous devons être parfaits. Il y a un manque évident de transparence dans l’utilisation de l’argent envoyé de l’étranger, il y a des coteries, et même des prêtres qui dilapident l’argent de la communauté ». Ce ne sont pas des critiques isolées, mais des interrogations, des récriminations assez répandues dans tout le pays. Pour Chris Mac Vey, dominicain américain, depuis 33 ans au Pakistan, qui dirige l’Institut pastoral de Multan, « le plus grand danger qui nous menace, c’est l’argent assez facile à obtenir, mal utilisé, et qui divise les chrétiens. Beaucoup de projets sont purement et simplement abandonnés car ce ne sont que des excuses pour obtenir des fonds, c’est tout. Cela nous fait du tort.

Un autre grave problème, poursuit Charles Amjad-Ali, est le fossé qui se creuse entre la hiérarchie et les masses; l’Eglise a préservé ses structures et la mentalité issues de la colonisation, et elle a perdu le contact avec les gens ordinaires. L’avenir de l’Eglise passe par les laïcs, et aussi par les femmes qui sont la clé de l’éducation. Il faut inventer une Eglise de base qui soit au service des plus pauvres, et bien sûr dépasser ce complexe de minorité, en affirmant notre droit d’être de vrais citoyens du Pakistan, car il n’y a pas de demie ou de sous-citoyenneté. Ma religion, ça ne concerne que moi! » La confusion courante, et qu’entretiennent certains, entre citoyenneté (ou ethnie) et religion pose d’énormes problèmes d’identité aux chrétiens souvent considérés comme de mauvais Pakistanais, voire des traîtres ou des espions. Même un ministre des Affaires religieuses prétend affirmer que les minorités ne devraient pas réclamer des droits égaux à ceux consentis aux musulmans, dans la mesure où ils se seraient opposés activement à la création du pays. Ce qui est faux et signifierait que certains chefs religieux et leur descendance soient privés de quelques droits si on se souvient qu’ils luttèrent contre la partition.

La situation internationale est également peu propice à une meilleure compréhension mutuelle. Les conflits en Bosnie, en Tchétchénie ou en Palestine sont, pour de nombreux Pakistanais, autant de preuves du grand complot ourdi par les puissances chrétiennes (et/ou juive) pour affaiblir le monde musulman. Le moindre événement touchant des musulmans à travers le monde peut avoir de graves conséquences pour les chrétiens qui adoptent alors un profil bas et passent pour une cinquième colonne, quand bien même certains d’entre eux dénoncent la politique dite des « deux poids deux mesures » menée par les grandes puissances.

Heureusement, loin des canons et de la diplomatie, des initiatives ça et là réchauffent des relations parfois tendues entre les communautés, et il n’est que de voir soeur Daniela travailler avec des musulmans, ou Larry Seldanah, qui est aussi l’ancien directeur du séminaire de Karachi, faire des enregistrements dans son studio de Lahore pour de grandes vedettes musulmanes, et travailler avec autant de bonheur avec elles et pour elles, pour se rendre compte que la cohabitation est non seulement réalisable, mais que l’amour de l’autre, de l’homme en général permet de dépasser des clivages qui pouvaient sembler insurmontables.

James Channan, ardent défenseur du dialogue interreligieux, estime qu’une plus grande collaboration entre chrétiens et musulmans est absolument fondamentale, et permettra aux premiers d’échapper au ghetto, en devenant avec le temps pleinement citoyens d’un Pakistan moderne. « Bien sûr, c’est un travail difficile, presque un défi, surtout ici au Pakistan où nous ne représentons que 2% de la population. Il faut que ce dialogue soit honnête, sincère et ouvert, et que ce ne soit pas seulement l’occasion de parler entre nous sans que cela aille au-delà. Les musulmans sont aussi très intéressés par ce dialogue, et ce sont eux d’ailleurs qui en sont à l’origine. Ils sont également très actifs dans le domaine de l’homme et nous travaillons ensemble en parfaite intelligence. A ce niveau-là, je suis assez optimiste. Il faut développer ce dialogue, et en arriver à des propositions concrètes qui pourront déboucher sur des actions. On juge un pays à la manière dont il traite ses minorités, il est temps que les choses commencent à changer. En tant que chrétiens, nous sommes fiers d’être Pakistanais, et nous voulons rester ici, fidèles au Pakistan. Nous voulons travailler pour le pays. Mais nous souhaitons désormais faire entendre notre voix, informer le monde de la situation difficile dans laquelle nous évoluons, et ne plus nous taire. Défendre les droits de l’homme en Bosnie, au Cachemire, en Palestine, mais aussi chez nous, et en collaboration avec nos frères musulmans. En ce qui concerne les chrétiens et les autres minorités, on pourrait s’inspirer de pays qui ont réussi à améliorer les relations entre les différentes communautés, comme par exemple l’Indonésie. J’ai voyagé dans de nombreux pays musulmans, et le système indonésien me semble intéressant, voire un modèle que l’on pourrait essayer de transposer au Pakistan. Ce n’est ni un Etat islamique, ni un Etat laïque, mais les cinq principes de base affirmés dans le préambule de la Constitution de 19458 garantissent à tous les Indonésiens l’égalité et la liberté de croyance dans la dignité et le respect d’autrui ».

Finalement pour certains, cette situation difficile dans laquelle se trouvent les chrétiens du Pakistan est un véritable défi, une épreuve dont l’issue, qu’ils espèrent positive, pourra influencer l’Eglise partout où elle se trouve en situation minoritaire dans le monde. Un don en quelque sorte de

l’Eglise du Pakistan à tous les chrétiens du monde qui ont parfois eu la faiblesse d’oublier l’existence, et le combat mené par ces courageux témoins de Dieu en République islamique.

On le voit, l’amélioration éventuelle de cette situation passera certainement par un renforcement et une accélération du dialogue entre chrétiens et musulmans, mais aussi entre les chrétiens eux-mêmes. Du dialogue naîtront des actions communes, et surtout un espoir dont le pays et les chrétiens ont bien besoin. Rompre avec les années Zia qui ont entraîné un processus d’islamisation qui colle à la semelle, et donné une audience démesurée aux oulémas, démontrer au Pakistanais de base plutôt modérés, le vide et le danger que représente l’islam politique, inventer une nouvelle citoyenneté en affirmant leurs revendications démocratiques, tels sont les nouveaux horizons qu’ensemble, musulmans, chrétiens et hindous, tentent d’atteindre, et dépasseront peut-être un jour. Inch’Alla.

A N N E X E

Deuxième pays musulman du monde par le nombre de fidèles derrière l’Indonésie, le Pakistan est selon l’expression consacrée une vaste mosaïque de peuples, dont les relations entre eux ne sont pas des meilleures, et menacent l’intégrité du pays.

Quatre provinces composent la République islamique du Pakistan: le Sind (Karachi), le Punjab (Lahore), le Balouchistan (Quetta), et la province de la frontière nord-ouest (en anglais, NWFP), avec pour capitale Peshawar. La région de l’Azad Jammu et Cachemire, et les territoires du nord (Gilgit, Skardu…), ne sont pas des provinces, mais sont actuellement administrés de manière fédérale dans l’attente d’un règlement éventuel de la question du Cachemire coupé en deux depuis 1949.

Les aires tribales de la province du nord-ouest sont quasiment autonomes, et leur situation aux confins de l’Afghanistan en fait des repaires de trafiquants de tout poil. Les Punjabis sont les plus nombreux avec plus de la moitié de la population et sont, selon les autres groupes ethniques, sur-représentés à tous les échelons de l’administration. Ensuite viennent les Pashtouns (ou Pathans) de la NWFP qu’on retrouve également en grand nombre au Balouchsta, où les Baloutchis, minoritaires chez eux, vivent encore selon un mode quasi féodal de clans et de tribus. Le troisième groupe selon l’importance numérique, est celui des Sindhis, suivi par celui des Mohajirs (immigrants venus d’Inde, et majoritaires à Karachi), et enfin, le dernier grand groupe est celui des Baloutchis. N’oublions pas les Brahuis (essentiellement au Balouchistan), les Chitralis et autres groupes vivant dans le nord du pays près des frontières chinoise et tadjike. Mais aussi les réfugiés afghans qui ont été jusqu’à 3,5 millions, et qui peu à peu regagnent leur pays déchiré et ruiné.

Le plus gênant pour le pays, au-delà des rivalités ethniques et religieuses, et de la question du Cachemire, est que l’on retrouve des Punjabis en Inde, des Pashtouns en Afghanistan, et des Baloutches en Iran, et que l’idée ancienne qu’agitent certains en ces temps de renouveau nationaliste, d’un grand Pashtounistan, ou d’un grand Balouthchistan, donne des sueurs froides à des gouvernants traumatisés par la partition de 1947 et la perte du Bengale oriental (le Bangladesh actuel) en 1971. Reste l’islam.

Mais même l’islam est un facteur de division, et n’est pas le ciment suffisant que d’aucuns espéraient. Pourtant, l’islam est la raison d’être du Pakistan. Il imprègne et rythme la vie de la quasi-totalité de ses habitants, mais il faudrait plutôt parler d’islams, au pluriel, tant la diversité est grande. Les drapeaux verts, les drapeaux noirs qui flottent au-dessus des toits rappellent bien sûr la grande division entre les sunnites (eux-mêmes divisés en plusieurs écoles), et les chiites (20%)1, mais il y aussi les ismaéliens, membres d’une secte chiite, rangés derrière la bannière de l’Aga Khan, sans oublier les Ahmedis, déclarés hétérodoxes en 1975. Mais surtout ce qui distingue le Pakistan d’autres pays musulmans, c’est la très forte influence du soufisme que l’on retrouve dans de nombreuses écoles et dans le culte des saints guérisseurs que voient d’un mauvais oeil les musulmans dits orthodoxes, pour qui le rituel soufi, les chants, les danses, l’extase, et le mysticisme sont autant de déviations proches de l’ésotérisme et de l’idolâtrie. Toujours prêts à s’enflammer – comme lors de l’affaire Rushdie – le Pakistan connaît également un vaste mouvement de réislamisation par le biais du Tabligh, organisation créée dans les années 1920 à Delhi. Mouvement religieux et missionnaire, son but est de retrouver la pureté originelle des compagnons du prophète. Ses grands rassemblements attirent des centaines de milliers de personnes.

Un monde musulman divisé donc, et en proie à toutes les convoitises. Car n’oublions pas que ce pays, considéré comme une bombe démographique, pourrait devenir en 2 050 la troisième population du monde.

Champion de la cause musulmane à travers le monde, le Pakistan aimerait représenter à l’avenir un pôle important de l’islam, mais il lui faudra mettre au pas les extrémistes et certains pays qui entretiennent actuellement les braises de la haine sectaire et confessionnelle.

Pour un des conseillers politiques de l’ambassade de France à Islamabad, « Benazir, qui proclame souvent sa foi, veut présenter au monde le visage d’un pays musulman modéré. Elle voudrait montrer à l’Occident les préoccupations du monde musulman, et vice-versa. Elle voyage beaucoup, ce qui lui est reproché, mais elle a essayé avec plus ou moins de succès de populariser le drame du Cachemire. Cette volonté d’offrir le doux visage d’un pays raisonnable, se retrouve également dans la récente extradition vers les USA de Ramzi Youssef, considéré comme un des instigateurs de l’attentat contre le World Trade Center2, mais aussi dans le nombre important de casques bleus pakistanais envoyés à travers le monde. D’ailleurs certains affirment qu’elle quitterait bientôt la politique pakistanaise pour briguer le poste de secrétaire général de l’ONU, ce qu’elle dément bien sûr ».

L’instabilité politique, le fanatisme d’une minorité agissante qui n’a jamais digéré l’accession au pouvoir de Benazir Bhutto, une marge de

manoeuvre plus que restreinte du fait du poids exorbitant de l’armée, ont sûrement eu raison des velléités réformistes de la passionaria formée en Occident, qui a dû mettre de l’eau dans son vin, et tirer les leçons de l’échec d’un premier passage assez brouillon aux affaires. Très vite remerciée par l’ancien président soutenu par les militaires en 1990, revenue à la tête du pays en octobre 93, elle sait maintenant que pour durer, il ne faut pas faire de vagues. Et qu’avoir un de ses proches comme président, ce qui est le cas désormais, aide beaucoup.

NOTES DE L’ANNEXE

1/Les sunnites comme les chiites ont leurs extrémistes, qui hors-jeu politiquement du fait de leur faible représentation au parlement, n’en constituent pas moins une menace réelle et violente pour le pays. Quelques partis fondamentalistes surarmés et entraînés à la guérilla ont récemment fait parler d’eux lors d’attentats sanglants. Le Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), regroupe des fondamentalistes sunnites en guerre contre les chiites extrémistes du Tehrik-e-Jafria Pakistan (TJP) à Karachi et dans les autres provinces, multipliant les attentats, massacres et explosions dans les mosquées. Ces deux partis sont financés respectivement par l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le leader du SSP, Maulana Azam Tariq, déclarait récemment que les chiites n’étaient pas musulmans, mais de simples infidèles. Alimentant un peu plus les batailles rangées et à l’arme automatique qui font quelquefois des centaines de morts dans certains districts!

A côté de ces deux principaux partis extrémistes, et des fondamentalistes « historiques » qui obtiennent parfois quelques sièges comme ceux du Jamaat I Islami (JAI), ou du Jamiat Ulema-e-Islami (JUI), on trouve le Tehrik-e-Nifaz-e-Fiqa Jafria (TNJF), un autre parti chiite très actif dans la NWFP, où les réfugiés afghans, avec leurs kalachnikovs, ont

également ramené leurs querelles religieuses. Sans parler des groupuscules et des militants formés dans les milliers d’écoles coraniques.

En dehors des partis religieux, les principaux partis politiques pakistanais sont le PPP (Pakistan People’s Party) de Benazir Bhutto, et le PML(N) (Pakistan Muslim League, Nawaz) de Nawaz Sharif, chef de l’opposition et ancien premier ministre. Sans oublier le MQM (Mohajir Qaumi Movement), divisé entre le MQM(A) du nom de son leader Altaf Hussein, l’homme fort de Karachi et le MQM(H) (pour Haqiqi « authentique »), plus ou moins créé, armé, et financé par les services secrets qui aiment jouer avec le feu, et espéraient détruire le MQM en le divisant. Les deux factions se battent de plus belle, et sont à l’origine de nombreuses violences actuellement à Karachi.

2/Les Pakistanais veulent aussi obtenir d’importants investissements des USA dans leurs pays, récupérer 38 avions F16 bloqués par suite des sanctions américaines contre le programme nucléaire, et renouer avec une amitié qui a perdu beaucoup de son éclat depuis la fin de la guerre d’Afghanistan, car ils sont inquiets des récents rapprochements opérés entre les diplomaties américaine et indienne.

Bibliographie

Une autobiographie. B.Bhutto. Stock.1989

Le Pakistan: les turbulences de l’Etat des Purs. La Documentation Française. JC Boillot, A. Krieger-Krynicki. n°4918. 1990

Waiting for Allah. Christina Lamb. Viking. 1991. 315 pages.

Breaking the Curfew. Emma Duncan. Arrows Books 1989. 310 pages.

Among the Belivers. An islamic journey. V.S Naipaul. Penguin Books. 1981.

Eglises d’Asie, The Human Rights Commission of Pakistan (HRCP) Newsletter, ainsi que certains excellents journaux et magazines pakistanais comme The News, Newsline, Herald