Eglises d'Asie

LE POINT SUR LA SITUATION POLITIQUE ET SOCIALE

Publié le 18/03/2010




Le Cambodge, pays de contrastes: Phnom Penh, l’opulente, à la circulation de plus en plus intense, avec un nombre impressionant de Mercedes et de grosses voitures (achetées honnêtement avec un salaire mensuel de 15 à 25 dollars?), ville des pratiques mafieuses du petit gang des privilégiés du régime. Au loin, la campagne de la misère, de la faim, de la guerre, où le petit peuple courbe l’échine devant les exactions des petits chefs locaux.

La guerre continue

L’arrivée de la saison des pluies n’a pas permis aux forces armées royales cambodgiennes (FARC) de reprendre l’avantage militaire, après leurs revers devant les bases khmères rouges d’Anlong Veng ou du Phnom Malai du mois d’avril.

Le 1er mai 1995, près d’un millier de Khmers rouges appuyés par cinq tanks, ont pris la bourgade de Treng, situé à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Battambang, dernier verrou commandant la route de Païlin, « capitale » des Khmers rouges. Le 11 mai, 3 000 soldats des FARC, appuyés par 13 tanks et 4 bombardiers, ont repris le village. Avant leur retrait, les Khmers rouges ont emporté 350 000 cartouches de fusils, 300 armes diverses, détruit 4 bâtiments administratifs, et 90 baraquements militaires. 50 Khmers rouges auraient été tués, les FARC auraient perdu 8 hommes et eu 8 blessés.

* De sources gouvernementales, on annonce que du 16 au 23 avril, 36 accrochages ont eu lieu entre les Khmers rouges et les FARC dans les provinces de Battambang, Préah Vihéar, Bantéay Méan Chhey; 43 rebelles auraient été tués, 72 armes saisies.

Durant l’attaque de Treng, 200 Khmers rouges appuyés par deux tanks, font diversion en tentant de reprendre Kdol Tahen, dans la région de Bavel, et bombardent la petite ville de Poipet, marché situé à quelques kilomètres de la frontière thaïlandaise, ainsi que ses environs : Dong Aranh, Sala Kraom, Nimith.

* Le 1er mai on signale des pièces d’artillerie khmère rouge installées à 7 km de Poipet. 6 civils sont blessés, 9 sont tués par un bombardement, sur le marché. Le 10 mai, 2 enfants sont tués, 15 autres blessés par un tir de roquette. Le 28 mai, plus de 10 civils sont tués par des échanges de tirs entre les deux armées..

* Le 27 mai, selon un rapport des Nations Unies, un groupe de plus de trente Khmers rouges, venant de Thaïlande à bord de camions militaires thaïlandais, attaquent Poipet, tuent 6 personnes, dont un enfant de 5 ans. Le rapport de l’ONU apporte des preuves évidentes du soutien de militaires et de civils thaïlandais aux Khmers rouges.

* Dans une manoeuvre parfaitement coordonnée, les Khmers rouges font sauter la route reliant Poipet à Svay Sisophon (51 km), au moins en huit endroits, pour interdire l’arrivée de renforts. La route avait été très bien réparée par les unités du génie thaïlandais en 1993. Le trafic avec la Thaïlande continue par cette route, bien qu’à un rythme plus lent. Chaque jour transitent des denrées pour une valeur d’environ 8 millions de dollars.

* Le 17 juin, au moins 14 civils et militaires ont été tués, 22 blessés, 2 000 familles, soit environ vingt-mille personnes ont fui les attaques pour se réfugier à Svay Sisophon. Les Khmers rouges ont lancé une attaque à 15 km de Sisophon. Durant les combats, plusieurs obus sont tombés en territoire thaïlandais, causant une réplique immédiate de l’artillerie thaïlandaise. Les autorités militaires gouvernementales estiment qu’environ 500 Khmers rouges sont massés pour attaquer la ville.

* Apparement, le 28 juin, environ 150 Khmers rouges se sont retirés dans la région de Poipet pour regagner leurs bases près de Bavel.

Le 13 juin, les Khmers rouges font leur ré-apparition sur la nationale 4 reliant Phnom Penh et son port de mer, à Srè Ambel et à Kompong Seila. Selon le ministre de la police, ces combattants appartiendraient aux minorités ethniques.

Le 18 juin, un groupe de 40 à 50 Khmers rouges venant de la région de Pean Chi Kang, ont attaqué un chantier de l’entreprise Maeda, reconstruisant la route nationale 6A, située à Phnom Del, à une trentaine de kilomètre de Phnom Penh, tuant deux travailleurs. Le 22 juin, ils lançaient une nouvelle attaque, tuant deux travailleurs, détruisant six véhicules et cinq engins de terrassement.

La radio khmère rouge annonce son objectif : déstabiliser le pays pour rendre moins attractifs les investissements au Cambodge. En s’attaquant à trois voies de communications importantes (Thaïlande, Sihanoukville, Kompong Cham), les Khmers rouges donnent du poids à leurs affirmations.

* Chhuon Méan, l’un des cinq Khmers rouges soupçonnés d’avoir exécuté 3 étrangers en avril 1994 (deux Anglais et une Australienne) a été appréhendé et a avoué avoir agi sous les ordres de son chef, nommé Sambo.

Dérive autoritaire du gouvernement de Phnom Penh

* Suppression de l’opposition parlementaire

Sam Raingsy est exclu du parlement cambodgien.

On se souvient que Sam Raingsy, ancien premier ministre de Finances du gouvernement royal, avait été démis de ses fonctions en octobre 1994. Il s’était lancé dans une campagne contre la corruption, dénonçant les contrats véreux passés par le gouvernement, notamment avec des compagnies malaisiennes, puis contre l’octroi d’aides inconditionnelles par les pays donateurs. Il avait émis l’idée de lancer une « nouvelle alliance politique » regroupant les parlementaires opposés à la politique gouvernementale (1).

A l’instigation du prince Ranariddh, président du FUNCINPEC et premier-Premier ministre, le FUNCINPEC, parti royaliste dont est membre Sam Raingsy, écrit une lettre à Chéa Sim, président de l’Assemblée nationale, au début mai, disant qu’il ne considère plus Sam Raingsy comme l’un de ses membres puisqu’il veut créer un autre parti, et donc, qu’il ne devrait plus être député. Le 13 mai, le comité directeur du FUNCINPEC exclut Raingsy du parti, et écrit une seconde lettre à Chéa Sim, datée du 22 mai, demandant son remplacement comme député de Siemréap par Nou Saing Khan. Selon la loi électorale issue des accords de Paris de 1991, dans un vote à la proportionnelle, ce sont en effet les partis qui sont représentés au parlement, non les personnes. Le Comité directeur composé de 20 membres, n’en comprenait, de fait, que 10. Seuls cinq d’entre eux, dont Ranariddh, ont voté l’expulsion. Le prince Sirivuddh, secrétaire du Parti, et défenseur de Raingsy, était à l’étranger. La cour de Phnom Penh a rejeté la demande de Raingsy d’examiner son cas, estimant que c’est au Parti à résoudre ses problèmes internes. Ranariddh demande à Raingsy d’écrire une lettre d’excuses pour être pardonné et réintégré au parti. Ce dernier s’exécute, en écrivant, le 20 juin, une lettre jugée insuffisamment humble.

Le 19 juin, 9 des 12 membres du comité permanent de l’Assemblée nationale, présidée par Chéa Sim, votent l’exclusion de Sam Raingsy du parlement. Une pétition signée par 60 parlementaires du FUNCINPEC, non datée, circulait le 20 juin, pour demander l’expulsion de Raingsy, mais plusieurs députés, dont le prince Sirivuddh, secrétaire général du Parti, affirment n’avoir jamais signé un tel document. C’est de fait une liste de présence lors d’une réunion tenue au début du mois chez Ranariddh.

Cette expulsion est avant tout l’oeuvre personnelle de Ranariddh qui tient à supprimer toute opposition sérieuse et fondée à ses trafics, que dénonce la presse locale. Tous les mauvais procédés ont été employés: délation, faux, mensonges, intimidation, etc. Ranariddh triomphe, se déclarant même « fier que l’Assemblée nationale ait résisté aux pressions étrangères. Elle a agi comme un organisme indépendant, avec un pouvoir souverain, dans le contexte d’un Cambodge indépendant et souverain… »

« Cette expulsion va provoquer un climat de crainte. Personne n’osera désormais se révolter », dit un député du Prachéachon. Son Chhay, Amhad Yahya et Kem Sokha, opposés à l’expulsion, seraient les prochains sur la liste noire. « C’est un très mauvais signe pour l’avenir du pays. C’est le pire des messages que pouvait donner le gouvernement khmerconstate un fonctionnaire de l’ONU. Des bruits circulent disant que Sâr Kheng, du Prachéachon, pourrait être limogé.

* Outre les parlementaires, certains gouverneurs craignent de faire partie de la prochaine charrette: Toan Chhay, gouverneur de la province de Siemréap et Tham Bun Sron, gouverneur de Kompong Som.

Parallèlement à cette expulsion du député Sam Raingsy, on assiste à des déchirements au sein du petit Parti bouddhiste libéral démocratique; le 13 mai, Son Sann, son président, assisté du comité directeur du parti, en exclut Ieng Mouly, ministre de l’Information du gouvernement royal. Le même jour, Ieng Mouly invite les 14 membres du comité directeur à une réunion le 18 mai, qui déclare nulles toutes les décisions prises dans le passé, le présent et le futur par Son Sann. Un comité directeur provisoire est mis en place, avec un changement d’adresse officielle du parti.

* Cette querelle entre les deux hommes date d’avant les élections de 1993; Son Sann était opposé à la participation aux élections, Ieng Mouly y était favorable. Par la suite, Son Sann et Ieng Mouly ont présenté deux listes différentes de candidats aux postes ministériels : c’est celle de Mouly qui a été acceptée.

* Le seul intérêt de cette pitoyable rivalité est de constater la différence de traitement par l’Assemblée nationale à l’égard de Ieng Mouly et de Sam Raingsy, exclus tous deux de leur parti. Le premier conserve son poste ministériel et sa députation, l’autre a tout perdu. S’opposer à Ranariddh et aux autres corrompus du régime est plus dangereux que de s’opposer à Son Sann!

* Ces querelles de personnes minent le crédit déjà fort mince des deux partis libéraux, au profit du Prachéachon (ex-communiste) qui détient la quasi-totalité du pouvoir. Certains observateurs étrangers pensent que les principaux gagnants de l’expulsion de Sam Raingsy sont les Khmers rouges: ils deviennent la seule opposition à un régime de plus en plus autoritaire et détesté.

Après l’humiliation de l’ONU en Somalie, son humiliation actuelle en Bosnie, beaucoup de gouvernements tiennent à présenter le Cambodge comme un succès onusien et ferment les yeux sur la dérive autoritaire du régime. Kem Sokha, président de la commission parlementaire cambodgienne pour la défense des droits de l’homme, s’inquiète du peu de soutien étranger dans ce domaine. Les pays qui aident le Cambodge sont plus soucieux de stabilité politique que de développement démocratique. L’attitude des Etats-Unis est significative: le 17 mai, le sous-secrétaire d’État américain, Winston Lord, présentait le Cambodge comme « un succès historique significatif », et déclarait que « le gouvernement avait accompli un excellent travail ». Des fonctionnaires américains ont invité Kem Sokha à ne pas aller trop vite dans la mise en place de la démocratie, expliquant qu’il a fallu 200 ans à l’Amérique pour y parvenir. Kem Sokha était au Canada au moment où André Ouellet, ministre canadien des affaires étrangères s’opposait à l’embargo contre les pays non démocratiques: « Le meilleur moyen de promouvoir la démocratie est de développer le commerce avec ces pays », disait-il. Or, pour Sokha, le pays ne sera pas stable tant que les droits de l’homme ne seront pas respectés. Donner le pouvoir au peuple est le meilleur moyen de voir un pays se développer, et de voir ses revenus répartis équitablement; l’embargo ne rend pas le peuple plus pauvre! Ali Alatas, ministre indonésien des affaires étrangères en visite à Phnom Penh le 29 juin, exprime ses félicitations au gouvernement khmer et soutient indirectement l’expulsion de Raingsy, affirmant, que « la forme démocratique n’est pas la seule forme de gouvernement… C’est au peuple d’en décider

* Une presse muselée

Après l’assassinat d’au moins trois journaliste l’an dernier, plusieurs directeurs de journaux cambodgiens ont paru en justice. Une loi concernant la presse est en discussion devant l’Assemblée nationale à la fin du mois de juin. Tout va dans le même sens: museler la presse.

* Nguon Nonn, directeur du journal cambodgien « Nouvelles du matindemande une protection au ministère de l’Intérieur: il a reçu plus de 30 menaces de morts pour avoir écrit que « si quelqu’un s’oppose à la famille de Hun Sen, il disparaît

* Le 19 mai, Thun Bun Ly, directeur du journal cambodgien « Odamkate Khmer » (« Idéal Khmer »), est condamné à payer une amende de 5 millions de riels (plus de 2 000 dollars), et son journal est fermé, pour avoir publié la lettre d’un cyclopousse demandant aux deux Premiers ministres de « cesser de glapir ».

* Le 20 mai, Hen Viphéak, directeur du journal cambodgien « Séreiphéad Thmey » (« Nouvelle liberté ») est condamné à un an de prison, une amende de cinq millions de Riels, et son journal est fermé, pour avoir publié un article intitulé « Cambodge, pays de voleurs

Le 31 mai, une centaine d’étudiants ont manifesté devant le siège du journal « Monoséka Khmère » (« Conscience khmère »), en protestation contre un article qui accusait Hun Sen d’acheter les étudiants en proposant à plusieurs d’entre eux des séjours à Kompong Som. Lors d’une deuxième manifestation, ils sont entrés dans les locaux du journal qu’ils ont saccagés. Le directeur s’en est sorti en acceptant d’écrire un article d’excuses. « Il semble qu’il y ait des motifs politiques derrière cet événement, car lors de la manifestation, quelques hommes non identifiés soufflaient aux manifestants ce qu’ils devaient faire », dit le directeur du journal.

Le 4 juin, 13 directeurs de journaux pro-gouvernementaux se sont constitués en association (« League of Cambodian journalists »), pour contrer l' »Association des journalistes khmers » (KJA), jugée anti-gouvernementale pour avoir soutenu les journalistes dans leurs procès!

Le 26 juin, 92 députés ont commencé l’examen de la loi sur la presse. Sur pression des associations de défense des droits de l’homme, les peines d’emprisonnement ont été supprimées, mais des amendes pouvant atteindre 4 000 dollars sont prévues pour les journalistes qui « publient une fausse information, humiliant un organisme officiel ou pouvant affecter la sécurité publique ». Termes suffisamment vagues pour permettre tous les abus.

La justice

L’Assemblée nationale a voté un code du barreau qui réduit sérieusement la possiblité des avocats étrangers d’exercer au Cambodge, afin de favoriser les citoyens cambodgiens, tant les rapatriés que les futurs avocats. Il n’y a au Cambodge actuellement qu’une vingtaine d’avocats, dont 6 de formation ancienne qui ont survécu au régime khmer rouge. Les avocats étrangers ne pourront pratiquer que s’ils s’adjoignent un avocat cambodgien inscrit à l’association des avocats. La première promotion d’avocats sortira en 1997. Des avocats étrangers sont invités comme conseillers pour cette formation. Trente avocats sont en cours de formation accélérée financés par la France et les Etats-Unis. En dépit de cette loi restrictive pour les étrangers, plusieurs observateurs pensent que le Cambodge devra s’aligner sur les autres pays de la région, et reconnaître la nécessité d’avocats étrangers comme « un mal nécessairenotamment dans les conflits qui surgiront avec des entreprises internationales.

Sur pression des ONG, les députés ont autorisé les avocats formés et payés par les ONG à exercer leurs fonctions jusqu’en 1997.

* Sat Soeun, colonel des FARC, accusé d’avoir assassiné le journaliste Chan Dara, à Kompong Cham, le 8 décembre 1994, a été acquitté « faute de preuves », le 20 mai. Pour You Hockry, co-ministre de l’Intérieur, il n’y a aucun doute sur la culpablité de Sat Soeun, qui serait, par ailleurs, accusé d’une vingtaine d’autres meurtres. Selon le vice-directeur de la police, Soeun fait partie d’un gang dirigé par Hun Chanto, neveu de Hun Sen. En 1993, un colonel américain de l’APRONUC avait déjà cherché à faire arrêter Soeun, mais avait été muté.

* Dans la province de Kompong Cham, écumée par son gouverneur Hung Neng, frère de Hun Sen, le régime communiste reste bien en place, avec ses réunions de critique et d’autocritique pour les membres du parti. Une peur latente règne parmi la population. « Les plus hautes autorités de Kompong Cham, non seulement n’enquêtent pas sur les plaintes déposées, mais travaillent avec des gangs pour piller la population civile… Juges et avocats sont menacés… Le principal problème est celui du partage des terres que municipalités et militaires tentent d’accaparer

ECONOMIE

* Le trafic du bois

Depuis le 30 avril 1995 à minuit, l’exportation des grumes de bois ainsi que du bois scié est interdite. Un décret autorisait l’exportation des grumes coupées avant le 1er janvier. Une force de 600 policiers armés est chargée de contrôler les frontières.

* La province de Koh Kong, proche de la Thaïlande, avec ses nombreuses petites îles et ses bras de mer, est la région idéale pour le trafic du bois. Kéat Chhon, ministre cambodgien des Finances qualifie cette province de « désastreuseIl y a conflit avec Phnom Penh pour savoir qui est responsable de la répression des exportation illicites: il y a presqu’aussi gros à gagner dans la répression que dans le trafic lui-même!

* Selon Keat Chhon, ministre des Finances, 4 millions de mètres cubes de bois ont été exportés illégalement chaque année, correspondant à la moitié du produit national brut du pays. Pour la seule province du Koh Kong, en 1994, 113 000 mètres cubes de bois ont été exportés illégalement, 83 000 durant les premiers mois de 1995. Jusqu’au 30 avril, de nombreux camions ont effectué des rotations 24 heures sur 24. A Sihanoukville, les officiers des douanes ont ordre de ne compter que les 3 premiers mètres de grumes dans le calcul des taxes à verser à l’Etat, le reste étant pour le profit personnel des ministres.

* Le gouvernement perçoit 95 dollars de taxes par mètres cube exporté, qui peut se vendre jusqu’à 1 000 dollars, selon la qualité du bois.

* Un rapport de « Global Witness » apporte des preuves permettant d’affirmer que des hommes d’affaires thaïlandais continuent à faire du commerce avec les Khmers rouges. Selon ce rapport, la trésorerie khmère rouge toucherait chaque mois des dizaines de millions de dollars provenant du trafic de bois. Au minimum, les militaires thaïlandais ferment les yeux sur ce trafic. L’association a en mains le permis signé par le ministre de l’Intérieur thaïlandais autorisant la société thaïlandaise Chao Praya Akana à importer 30 000 m3 de bois en provenance du Cambodge, en contradiction flagrante avec l’interdiction du gouvernement cambodgien et les déclarations officielles thaïlandaises.

Depuis le 30 avril, 42 bateaux, barges ou radeaux, exportant illégalement du bois ont été saisis par les autorités cambodgiennes dans la province de Koh Kong. Un comité interministériel créé le 11 juin, comprenant des représentants du ministère de l’agriculture, des finances, de l’intérieur et des travaux publics, ainsi que les gouverneurs de Koh Kong et de Sihanoukville, a lancé de véritables raids, appuyés par la marine et l’aviation, contre les contrebandiers. « Les bateaux qui ont résisté ont été coulés par bombardement », dit le communiqué de presse. 1 058 hommes de troupes participaient à l’opération. Les bateaux saisis seront autorisés à repartir si leurs documents sont en règle, mais le bois sera saisi. Le matériel d’au moins une société thaïlandaise a été également saisi. 732 380 m3 de grumes et 1 734 759 m3 de bois ouvragé ont été saisis.

* Cependant, en dépit de l’interdiction de l’exportation de bois, 11 entreprises étrangères devraient continuer à exploiter 2 millions d’hectares de forêts, dont 800 000 pour la seule société malaisienne « Samling ». Un plan directeur doit être préparé par chaque propriétaire de concession pour assurer une gestion cohérente de sa concession.

* 377 scieries sont autorisées, produisant 920 000 m3 de bois par an.

Le système bancaire

* « Le Cambodge est le paradis du blanchiment d’argent saledéclare Saumura Tioulong, directrice-adjointe de la Banque nationale. Sur une liste de 21 critères établie par un groupe d’action contre le blanchiment de l’argent sale, le pays en remplit 16 ou 17 : entre autres, les comptes anonymes, le paiement en argent liquide, l’absence de contrôle des changes. Selon un rapport de Sâr Kheng, ministre de l’Intérieur, sur 29 banques (pour 100 000 clients!), 19 sont suspectées d’implication dans des affaires de blanchiment d’argent. Il est proposé au Conseil des ministres d’établir un appareil judiciaire pour permettre la lutte contre le blanchiment d’argent, et notamment l’interdiction des versement en liquide de plus de 10 000 dollars.

* Les avoirs de la « Credit Bank of Cambodia » (CBC) ont été gelés le 6 mai sur ordre de Thor Peng Léath, gouverneur de la Banque nationale du Cambodge (BNC).

* Le capital de cette banque était passé sous le minimum légal de 5 millions de dollars. Elle n’avait pas fourni le nom de ses actionnaires, ses rapports étaient irréguliers, elle n’a pas pris de contrôleur fiscal pour l’année 1994. La CBC n’étant pas en mesure de fournir les pièces demandées, et devant verser 1,5 millions de dollars à une société de courtiers canadiens pour pertes, la Banque nationale a ordonné sa fermeture et le gel de ses avoirs. L’un de ses principaux actionnaires, Leng Ly Pech, est, de plus, sous le coup d’une inculpation à Montréal pour huit affaires de blanchiment d’argent au Canada.

* Cependant beaucoup de personnalités semblent compromises dans l’affaire de la CBC. Le 31 mai 1994, la CBC a obtenu un prêt de 3 millions de dollars de la BNC afin d’établir son capital de départ et son autorisation de fonctionnement! Prêt parfaitement illégal. La société des courtiers canadiens a demandé à la BNC de geler les actifs de la CBC depuis le 4 avril, mais la BNC a attendu un mois avant de prendre des mesures. Après le gel des avoirs de la CBC, la BNC a, illégalement, autorisé des retraits. Le 4 mai 1995, Var Huot, ancien ministre du commerce et actuel ambassadeur du Cambodge aux Etats-Unis a déposé 145 000 dollars en liquide (!) sur un compte personnel (!) à la CBC. Le 8, soit deux jours après le gel des avoirs de la CBC, la BNC autorise Van Huot à retirer ces 145 000 dollars. On flaire la magouille, quelles ques soient les explications fournies. Le 9 mai, on apprend que 380 380 dollars ont été versés à une société pharmaceutique de France dont le propriétaire n’est autre que Hay Ly Eang, neveu de Thor Penh Léath, gouverneur de la BNC.

* La CBC a récupéré par la force ses avoirs. Le 7 juin, un inspecteur indépendant nommé comme liquidateur de la CBC, a été accueilli par des gardes privés, en uniformes de la police et armés d’AK47! « Quand des gardes armés, employés par une entreprise privée, peuvent empêcher des fonctionnaires, envoyés par le gouvernement, de pénétrer à l’intérieur d’une banque saisie par le gouvernement, on peut vraiment se poser la question de la sincérité de ce gouvernement, ou de son autorité ».

* On annonce que Thor Peng Léath, gouverneur de la BNC, pourrait être démis de ses fonctions pour éviter le scandale, ainsi que Saumura Tioulong, vice-gouverneur de la BNC, et femme de Sam Raingsy, pour des raisons politiques. Hun Sen dément tout changement. Il est vrai que Saumura pourrait révéler des secrets intéressants! Chantol Sum, secrétaire d’Etat pour le ministère des finances, qui préside la nouvelle commission d’audit, promet de faire toute la lumière.

* L' »Emperor International Bank » devrait connaître un contrôle après un rapport paru dans le Far Eastern Economic Review. Cette banque a déjà des problèmes à Hongkong et en Chine. Hun Sen, second-Premier ministre, s’est cru obligé d’aller apporter lui-même la licence de la banque à Hongkong.

Ces deux exemples montrent à l’évidence, la corruption de tout le système d’Etat, aux mains d’un véritable gang mafieux.

Investissements

* Pendant les cinq premiers mois de l’année 1995, le Bureau cambodgien des investissements (CIB) a approuvé 30 nouveaux projets pour un total de 374 millions de dollars. Ces investissements devraient créer 8 525 emplois. Les plus importants investissements sont 2 hôtels et une usine de ciment pour une valeur de 148 millions.

* Le 19 mai, Ariston a signé un accord avec les société malaisiennes Faver Group et Tenega National. L’un des contrat porte sur la construction d’un hôtel de luxe à Sihanoukville, l’autre sur la construction de l’hôtel international de l’Indépendance à Sihanoukville. Cet hôtel 5 étoiles comprendra 80 à 100 chambres, et fournira du travail à 300 personnes.

* Le Japon accorde un supplément de 30 millions de dollars pour l’agrandissement du port de Phnom Penh qui sera allongé de 200 mètres et élargi de 20. Six grues pouvant lever 40 tonnes chacune font également parti du don.

* Les ministères des finances et du plan vont recevoir 3,9 millions de dollars de la Banque asiatique pour le développement dans le cadre d’un plan de cinq ans visant à améliorer la vie des Cambodgiens. Un « memorandum of understanding » a également été signé, d’un montant de 525 000 dollars, pour la mise en place d’un Départment des achats publics. Cet organisme, remplaçant celui mis en place par Sam Raingsy, est chargé de superviser tous les achats du gouvernement. Ce système devrait aider à combattre la corruption et à diminuer le nombre de paiements illégaux.

AFFAIRES SOCIALES

Les autorités gouvernementales ont demandé aux ONG de supprimer les compléments de salaire qu’elles accordaient aux professeurs de l’enseignement supérieur, ou du moins que ce salaire ne dépasse pas 180 dollars, car les projets de l’enseignement et les salaires doivent être repris par le ministère de l’Education nationale. Certains craigent que cette diminution de salaire ne fasse fuir les professeurs vers d’autres secteurs.

* Environ 200 employés de la Royal Air Cambodge, soit 40% du personnel sont transférés à l’armée de l’air. Sur ces 200 personnes, seulement 30 ont effectivement retrouvé un emploi, ce qui a suscité des manifestations violentes de la part des autres. Il faut savoir qu’au Cambodge, les emplois sont accordés en fonction des relations personnelles et avec promesse de versement du premier salaire à celui qui a fait l’entremetteur ou au patron.

* La famine: Selon le Programme alimentaire mondial, environ 20% des paysans cambodgiens, soit 1,8 millions de personnes, manqueront de nourriture en 1995. Le cycle de la pauvreté s’accélère: on vend son champ pour manger, on mange les semences de riz, ou l’on ne mange que de la bouillie de riz. Généralement, dans les régions périphériques du pays, la disette n’arrivait qu’en août. On signale déjà en juin des cas de décès pour cause de famine. En 1994, 1 400 projets de « Nourriture contre travail » ont été approuvés, en 1995, on en compte 1 500, permettant de distribuer 34 000 tonnes de riz. Un travailleur qui creuse 1m3 reçoit 1 kilo de riz; il creuse environ 2m3 par jour. Ainsi 100 km de canaux ont été creusés, 40 km de routes ou pistes nouvelles ont été aménagées, et 215 km réparées. Ces programmes ont empêché les paysans de mourir de faim. Généreux dans leur conception, ils se heurtent cependant, aux aussi, à la rapacité des chefs locaux sans scrupules qui ponctionnent une partie du riz distribué. Des camions transportant du riz pour le programme « Nourriture contre travail » ont été pillés deux jours de suite dans la région de Kompong Thom, l’une des plus éprouvées par la disette.

* Le 3 juin, l’Inde a fait un cadeau de 2 000 tonnes de riz.

* Le 8 juin, la Banque mondiale a approuvé la première étape de son projet de fonds social dont l’objectif est de développer les infrastructures du pays. 20 millions de dollars sont destinés aux écoles, aux dispensaires, aux routes et à la distribution d’eau potable.

* Faits de société

* Le gouvernement doit 4 millions de dollars à la compagnie d’Etat « Electricité du Cambodge » (EDC) pour sa consommation d’électricité de 1994 et 1995. EDC est dans l’impossibilité de se faire payer, et donc de moderniser ses installations. Le gouvernement et la municipalité de Phnom Penh utilisent à eux seuls 30% de l’électricité fournie.

* Les jeux: Le 1er mai a été ouvert officiellement le casino flottant NAGA, devant l’hôtel Cambodiana. Le gouvernement espère en tirer un bénéfice annuel de 12 millions de taxes. Ce casino fait partie du contrat de 1,3 million de dollars signé avec la société malaisienne Ariston, contrat dont le flou justifie amplement les critiques de Sam Raingsy. Le gouvernement a, par contre, réduit le nombre des maisons de jeux. Dans les pays occidentaux, les loteries et autres jeux sont un impôt sur les pauvres. Dans les pays du tiers monde, on justifie les jeux comme un moyen pour l’Etat de percevoir des fonds pour la construction de routes et d’écoles. Au Cambodge, les jeux ne servent qu’à faire évader les fonds vers la Malaisie, après avoir engraissé quelques fonctionnaires.

* Lors d’un séminaire sur les programmes de crédit rural, Hun Sen, second-Premier ministre, a fustigé les critiques concernant le manque de femmes dans l’appareil de l’Etat: « Si la Banque asiatique de développement a un budget pour aider le Cambodge, qu’elle aide les femmes à rester chez elles; leur accorder des crédits pour qu’elles puissent élever des animaux, est mieux que d’aider les femmes à obtenir des postes gouvernementaux ». Le Cambodge a l’un des plus hauts taux de mortalité maternelle au monde. Les femmes sont très frappées par l’analphabétisme, la pauvreté, le manque de compétences en tous domaines.

* Un bureau cambodgien pour la suppression de la prostitution enfantine pour les touristes en Asie (ECPAT) a lancé une action contre la pédophilie au Cambodge. Joseph Schlik, Autrichien, convaincu de pédophilie, a été condamné à un an de prison avec sursis, condamnation dont la légéreté a provoqué la colère des ONG travaillant auprès des enfants. Gavin Scott, médecin anglais, a été incarcéré dans la prison T3 de Phnom Penh, en attente de jugement. Des diplomates australiens seraient également impliqués dans des abus du même ordre. Cependant le bureau signale qu’il n’y a pas que les étrangers qui s’adonnent à de telles activités.

* Les Etats-Unis s’inquiètent de ce que 70% de l’héroïne vendue dans leur pays provient des pays du sud-est asiatique. A la demande du gouvernement cambodgien, plusieurs agents américains sont en poste au Cambodge pour faire cesser ce trafic. Les agents thaïlandais ont saisi 3 lance-missiles sam 7, de fabrication soviétique, sans doute provenant des stocks de l’armée royale cambodgienne, vendues aux Khmers rouges, qui les ont eux-mêmes vendu au Birman Khun Sa, seigneur de la drogue du triangle d’or, contre 3,5 kilos d’héroïne! Au début du mois de juin, 3 personnes ont été arrêtées au marché d’O Russey (Phnom Penh) avec un demi-kilo d’héroïne. C’était un coup d’essai pour en faire passer 4 kilos par la suite.

* Une loi faciliterait l’adoption d’enfants khmers par des étrangers. Après le régime des Khmers rouges, le Cambodge comptait environ 5 000 orphelins. Il y a actuellement 2 000 enfants dans des orphelinats d’Etat, dont environ 800 de plus de 18 ans. 108 enfants ont été adoptés entre 1989 et 1991. Suite à plusieurs abus, les adoptions ont été suspendues, puis à nouveau autorisées en 1992. 6 enfants ont été adoptés par des étrangers en 1992, 5 en 1993. 16 depuis le début de l’année 1995. Touch Samon, directeur-adjoint du Ministère des Affaires sociales, du travail et des anciens combattants, précise la ligne gouvernementale: « Nous préférons des adoptions à l’intérieur du pays, car nous pouvons assurer le suivi des enfantsEnviron 2 100 orphelins de 18 ans et plus, n’ont plus droit à l’aide de l’Etat.

* Selon un rapport de Médecins pour les droits de l’homme (PHR), dont le siège est à Boston, les prisons cambodgiennes sont surpeuplées: 2 299 personnes incarcérées en janvier 1995, contre 1 779 en 1994, soit une augmentation de 29%. 40% sont condamnées, 60% attendent leur verdict, 5% sont des femmes. 51 personnes se sont enfuies de la prison de Siemréap, 25 de celle de Kompong Cham en 1994. Le rapport signale des sévices corporels fréquents. Les personnes condamnées à vie sous le régime de l’Etat du Cambodge cotoyent celles qui sont condamnées à 10 ou 20 ans par l’APRONUC. Actuellement le roi accorde 3 réductions de peine par an.

Religion

* Le 20 juin, le groupe bouddhiste japonais « Sotoshu Relief Commitee » a fait cadeau de 1 200 exemplaires de la Tripitaka (« Les trois corbeilles ») à la communauté bouddhique cambodgienne. Ces 132 000 volumes ont coûté plus de 1,7 milion de dollars et demandé un travail de 18 mois. La traduction a été effectuée par une commission cambodgienne qui a travaillé de 1929 à 1968. La collection complète des « Trois corbeilles » comprend 120 volumes: 13 pour les commandements (Vinaya), 63 pour les prières (Suttana), 34 pour les réflexions profondes (Abhidhamma). Le ministère des cultes propose l’achat de chaque collection pour la modique somme de 4 500 dollars. Selon le ministère des cultes, en 1969, il y avait 3 369 pagodes et 65 062 moines. Actuellement, il y a 3 196 pagodes et 32 449 moines.

Divers

* Le gouverneur général Australien Bill Hayden a été reçu le 4 mai, avec tous les honneurs d’un chef d’Etat, pour inaugurer le musée national rénové par l’Australie.

* Le 1er juin, le roi Sihanouk a inauguré le parc national Prah Suramarit Kossomak, à Kirirom. Ce parc a une superficie de 35 000 hectares, abrite 105 sortes de plantes et 196 espèces d’oiseaux.

* L’AUPELF-UREF, agence pour la promotion de la langue française dans le monde a participé pour une valeur de 50 000 dollars au lancement d’un quotidien en langue française « Cambodge soirC’est un nouvel essai de presse française, aux côtés du mensuel « Le Mékongdu bi-hebdomadaire « Cambodge Nouveauet de l’éphémère « Quotidien du Cambodgelancé par des Khmers. L’agence finance également l’Institut de technologie pour 7 millions de dollars étalés sur 3 ans. Suite aux manifestations contre l’usage de la langue française, de la part des étudiants des dernières années qui ont suivi un programme en khmer et qui sont incapables de suivre un cours en français, 2 à 3 heures d’anglais seront dispensées chaque semaine.

* Les Etats-Unis ont accordé 275 000 dollars pour le fonctionnement de la CMAC, organisme déminant le Cambodge. Le 4 juin, une conférence sur les mines s’est terminée par un appel au gouvernement cambodgien pour qu’il cesse d’utiliser des mines. Le gouvernement accepte, à condition que les Khmers rouges en fassent autant! Le gouvernement cambodgien salue avec joie la décision des Etats-Unis et de l’Angleterre de cesser la production des mines anti-personnel indécelables. « C’est un geste positif, mais qui montre que ces gouvernements ne sont pas prêts à aller jusqu’à l’interdiction totale des mines