Eglises d'Asie

L’ECHANGE THEOLOGIQUE CHINE-EUROPE à la veille de l’an 2000

Publié le 18/03/2010




En 1994 et 1995, une quarantaine d’étudiants en théologie sont arrivés de Chine populaire en Europe. Ce sont pour la plupart des séminaristes et des jeunes prêtres envoyés par leurs évêques. Ils sont généralement accueillis par des Instituts missionnaires autrefois actifs en Chine: Missions étrangères de Paris (MEP) et Lazaristes (CM) en France, Pères du Verbe Divin (SVD) en Allemagne, Institut Pontifical des Missions étrangères de Milan (PIME) en Italie, Missionnaires du Coeur Immaculé de Marie (CICM) ou “Scheutistes” en Belgique. Leur venue est significative à plusieurs titres. Ils témoignent de la volonté qu’ont les évêques chinois de préparer un personnel qualifié pour assurer la formation doctrinale de leurs prêtres, des religieuses et des laïcs. Ils laissent entendre que les divisions de l’Eglise en Chine entre “officiels” et “clandestins” sont une affaire interne et temporaire dont les étrangers n’ont pas à se mêler: leurs prêtres et séminaristes à l’étranger participent normalement à la vie de l’Eglise en pleine communion avec Rome.

Ces étudiants de théologie en Europe renouent enfin avec une tradition interrompue il y a 45 ans: ils étaient alors plus d’une centaine dans les universités catholiques d’Europe. Le nouveau régime établi le 1er octobre 1949, soucieux d’affirmer son indépendance, les empêcha de rentrer en Chine. Aujourd’hui, la Chine moderne occupe dans le monde la place qui lui revient et ne craint plus les empiétements étrangers. Bien au contraire, elle entend bénéficier d’apports

étrangers susceptibles de faire progresser la société chinoise. Les étudiants chinois à l’étranger ouvriront des canaux d’échanges fructueux.

En ce qui concerne les échanges dans l’Eglise catholique, les autorités chinoises laissent même renouer des liens autrefois brutalement rompus entre les diocèses de Chine et les Instituts missionnaires qui les animaient dans le passé. Un évêque chinois suggérait d’ailleurs en juillet 1995 que ces Instituts missionnaires devraient préparer quelques uns de leurs membres à servir en Chine dans les régions qui leur étaient familières. Ils ne seraient plus responsables de “missions” comme autrefois, mais ils pourraient exercer un ministère sous l’autorité des évêques chinois. C’est donc bien d’un échange qu’il s’agit, les communautés catholiques de Chine traitant d’égal à égal avec celles d’Europe.

Etant donné l’importance de ces développements récents pour l’avenir de l’Eglise, il importe d’en faire le point, de préciser les exigences concrètes de l’accueil en Europe et de mesurer toute la portée de ces échanges pour la pensée chrétienne. Ce dossier porte l’attention tout spécialement sur les séminaristes et les prêtres venus de République populaire de Chine. Il faudra sans doute y apporter plus tard des compléments concernant les religieuses et les laïcs. Très peu, il est vrai, sont envoyés officiellement par leurs diocèses de Chine.

1. ETUDES THEOLOGIQUES A L’ETRANGER

Elargissons d’abord les perspectives.

Quel est leur monde?

Les jeunes chinois destinés aux études “ecclésiastiques” à l’étranger ne représentent qu’une infime minorité de l’ensemble des étudiants chinois outre-mer. Si notre attention se centre sur les prêtres et séminaristes envoyés par leurs évêques, il nous faut de suite dessiner autour d’eux une série de cercles concentriques:

– Un premier cercle de prêtres, religieuses et laïcs de Chine qui vont aussi à l’étranger pour des études religieuses par des voies plus ou moins officielles, grâce à des amis complaisants qui leur assurent un point de chute. Pour obtenir plus facilement leur passeport, ils évitent de mentionner les études religieuses et déclarent aller faire des études de langue et civilisation, de pédagogie ou de sciences humaines. Il est d’ailleurs exact qu’ils doivent tous faire d’abord des études de langue. Ceux qui sont envoyés par l’Eglise officielle sont de plus en plus contrôlés par l’autorité centrale de l’Association patriotique à Pékin. Les évêques sont loin de pouvoir envoyer qui ils veulent.

– Un deuxième cercle très proche du premier est formé par les prêtres, séminaristes et religieuses d’origine et de formation chinoise, également à l’étranger pour études religieuses, mais qui viennent de Taïwan, de Hongkong, de Singapour ou de Malaisie. Parlant et écrivant la même langue, ils sont un peu de la même famille. Ils fraternisent rapidement.

– Un troisième cercle concentrique pourrait être réservé aux étudiants chinois catholiques soutenus par des instituts religieux ou des amis chrétiens pour des études autres que directement religieuses: art, littérature, sciences. C’est leur offrir un horizon qui leur demeure souvent fermé en Chine même, à cause de leur appartenance religieuse. C’est également préparer pour la Chine un laïcat chrétien compétent, dans la mesure bien sûr où ces étudiants ne poursuivent pas strictement leur intérêt privé. Les bénéficiaires de cette filière sont souvent des parents de prêtres, religieuses et chrétiens chinois déjà installés à l’étranger. Ces derniers sont souvent sollicités par leur famille en Chine en faveur d’un neveu ou d’une nièce. Dans la mesure où ils le peuvent, ils se font un devoir de répondre à ces requêtes de solidarité familiale. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à faire appel au soutien de la grande famille catholique à laquelle ils appartiennent.

– Un quatrième cercle est occupé par les étudiants qui se lancent dans des études du christianisme alors qu’ils ne sont pas eux-mêmes chrétiens ou qu’ils n’ont que des affinités lointaines avec des amis chrétiens. Telle étudiante choisit pour sujet de thèse un “philosophe des lumières” plutôt hostile à l’Eglise au XVIIIe siècle. Elle doit comprendre à quoi s’attaquait cet auteur. Son enquête la mène à étudier les jésuites qui avaient été les maîtres de son philosophe. Les écrits des jésuites lui font découvrir les liens passés entre l’Eglise et la Chine ainsi que les débats autour des rites chinois et les positions théologiques sous-jacentes… Telle autre étudiante à la Sorbonne travaille une thèse intitulée “La réception de l’oeuvre de Teilhard de Chardin, l’accueil fait au Milieu Divin “. Le groupe d’études auquel elle est associée lui apporte, dit-elle, “un éclairage unifiant sur des problèmes qui étaient jusque là sans relation entre eux: les religions, le sens de la vie, la portée des exercices taoïstes que je pratiquaisTeilhard lui permet d’étudier “les problématiques du christianisme dans le monde moderne”. “Ce travail, dit-elle, m’a permis de découvrir et d’entrer dans le monde riche et vivant de la pensée chrétienne qui constitue une partie fondamentale de la civilisation occidentale

Les séminaristes et prêtres chinois arrivés récemment en Europe sont loin d’avoir atteint ce niveau de recherche. Mais il est souhaitable qu’ils sachent communiquer tôt ou tard avec des compatriotes aussi motivés.

– Un cinquième cercle se dessine encore autour d’eux. Ils s’agit des prêtres, séminaristes, religieuses et laïcs d’origine asiatique, en particulier ceux-là qui viennent du “monde sinisé”, surtout de la Corée et du Vietnam. Ces derniers sont relativement plus nombreux que les Chinois. Les Coréens viennent de communautés dynamiques qui ont pleinement bénéficié des orientations du Deuxième Concile du Vatican. Les Vietnamiens ont souvent vécu les mêmes pressions politiques qu’en Chine. Ils se comprennent et sympathisent très vite. Ces échanges entre Asiatiques constituent pour les Chinois une expérience précieuse. Partageant le même dépaysement que leurs voisins d’Asie, ils prennent mieux conscience des valeurs qui leur sont communes.

Quels pays choisissent-ils? Priorité à l’Amérique

Avant de se diriger vers l’Europe, les étudiants chinois de théologie sont d’abord partis en Amérique où ils sont actuellement une cinquantaine. Depuis une dizaine d’années, des bourses d’étude ont été offertes par divers instituts tels que les missionnaires de Saint Colomban et les missionnaires de Maryknoll. Américains et Canadiens, catholiques et protestants, ont été plus entreprenants que les Européens dans leurs relations avec la Chine. Les Chinois, de leur côté, ayant choisi l’étude de l’anglais comme deuxième langue, pensaient faire l’économie de l’apprentissage d’autres langues occidentales toutes difficiles pour eux.

Le projet de formation coordonné par Maryknoll s’est développé à partir de 1991. 4 séminaristes ont d’abord été accueillis dans les séminaires diocésains de Boston et New York. En été 1993, 12 autres séminaristes, 4 prêtres et 3 soeurs arrivaient aux Etats-Unis. Après deux mois d’étude intensive de l’anglais, ils étaient placés dans les séminaires de Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Chicago, Detroit et Minnesota ainsi qu’au théologat des pères de St Colomban à Chicago et chez les Soeurs de Saint Paul à Boston. Deux prêtres de Wuhan, considérés comme Franciscains, étaient transférés au théologat franciscain de Washington au printemps 1994. Bien que les ordres religieux internationaux ne soient pas admis officiellement en Chine, la tradition franciscaine s’est en effet maintenue solidement dans le diocèse de Hankou autrefois confié aux Franciscains. En été 1994, trois des premiers arrivés de 91 retournaient en Chine. Ordonnés prêtres, ils enseignent dans les grands séminaires, l’un comme doyen des études, l’autre en christologie et le troisième en spiritualité. Fin 1994, un nouveau groupe important de 6 prêtres et 17 séminaristes arrivait en Amérique.

L’afflux des séminaristes de Chine en Amérique est largement dû à l’initiative du père Laurence Flynn MM, qui a enseigné l’anglais en Chine pendant près de dix ans, à Suzhou, Shanghai puis Pékin.

L’accueil de ces étudiants peu familiers de la langue n’a pas été sans difficulté pour eux aussi bien que pour les organisateurs. Depuis 1993, quatre rencontres de dix jours chacune ont été organisées sous le titre ‘Integration Seminars’ pour permettre aux étudiants chinois de se retrouver entre eux, d’échanger leur expérience, d’être conseillés dans leur langue et de mieux faire face au choc culturel de la vie américaine. L’évêque de Shanghai Mgr Jin Luxian leur a rendu visite au cours de l’été 1994. Les coordinateurs américains se sont réunis à cette occasion pour préciser nombre de problèmes concrets touchant à la durée des études, aux responsabilités respectives des formateurs en Amérique et des évêques en Chine, à la spécialisation dans les études, à la vie spirituelle des étudiants, à leur financement. Il a été suggéré de limiter à quelques religieuses l’accueil de nouveaux étudiants en 1995 de façon à mieux mettre au point le programme. Une évaluation esquissée en mars 1995 fait allusion à certaines des difficultés rencontrées:

“Ces jeunes doivent faire face à d’incroyable défis. En plus des difficultés naturelles rencontrées par tout étudiant étranger, ils ont à faire à toutes les ambiguïtés dans leur propre Eglise aussi bien que parmi les Catholiques d’Amérique si peu compréhensifs de la situation de l’Eglise chinoise.”

Ces derniers mots laissent penser que la présence des étudiants chinois représente un défi peu ordinaire pour les chrétiens d’Amérique eux-mêmes. L’effort généreux qu’ils fournissent pour répondre à ce défi ne peut qu’être profitable à l’Eglise en Amérique.

Les centres de formation en Asie

Les Chinois ne pourraient-ils donner priorité à des centres de formation plus proches de chez eux? Ils ont en fait répondu à quelques offres en Asie orientale.

Plusieurs stages ont été organisés à Hongkong et deux ou trois étudiants de théologie sont placés au séminaire du Saint-Esprit. Le milieu chinois leur est familier. La langue cantonaise, par contre, est un obstacle à surmonter pour ceux qui viennent du nord de la Chine. Quant à l’anglais, Hongkong offre des facilités pour l’apprendre, mais l’environnement n’est pas idéal. Hongkong fournit un service beaucoup plus efficace en envoyant des professeurs enseigner quelques mois chaque année dans au moins cinq grands séminaires de Chine. En juillet 1997, Hongkong sera une ville du sud de la Chine.

Taïwan avec son Université catholique Fujen, serait un lieu de choix pour des études religieuses supérieures en mandarin. Cette filière est encore fermée pour des raisons politiques. Quelques professeurs de Taïwan, par contre, vont enseigner dans les séminaires de Chine, dans la mesure où ils sont persona grata. Le cours de théologie sur les ondes, élaboré en cinq ans à la faculté de théologie de Fujen, a été imprimé à Shanghai avec quelques modifications mineures et diffusé sous le nom de Collection théologique.

Quelques bourses d’étude ont été offertes à Manille avec le soutien du Cardinal Sin. Deux ou trois prêtres de Chine en bénéficient. Ils doivent y faire leurs études en anglais, mais ils trouvent aux Philippines un milieu asiatique à forte minorité chinoise, une vie d’Eglise très animée et des centres d’études universitaires de qualité.

Deux séminaristes de la Congrégation des “Discipuli Domini” ont pu se faire admettre au grand séminaire de Singapour après un temps d’étude de l’anglais. Tout en suivant les cours de théologie en anglais, ces deux jeunes peuvent découvrir dans les paroisses toute une gamme d’activités en langue mandarine et acquérir ainsi une expérience pastorale directement utilisable en Chine.

Les Chinois n’ont d’ailleurs pas épuisé toute les possibilités qui leur sont offertes pour une formation théologique en Asie. le séminaire Saint-Pierre de Bangalore en Inde du Sud serait prêt à prendre quelques candidats pour des études scripturaires ou missiologiques de niveau universitaire.

Les pays d’Europe

Comme pour l’Amérique et l’Asie du Sud-Est, l’envoi d’étudiants de théologie en Europe est d’abord une réponse pratique à des offres concrètes. Les groupes catholiques italiens, français, allemands ou belges en visite en Chine ont souvent exprimé le désir de développer les échanges. Divers instituts ont fait des offres de bourses d’études. Dans le même temps, le personnel des séminaires de Chine vieillissait encore et s’amenuisait. De très jeunes professeurs prenaient la relève dès la fin de leurs propres études sans avoir les qualifications, l’assurance et l’expérience requises. Les autorités communistes n’ont que faire bien sûr de la formation doctrinale des prêtres et visent surtout à leur discipline politique et sociale. Elles sont pourtant sensibles aux requêtes des évêques qui font valoir le besoin de crédibilité des prêtres auprès des fidèles: les travailleurs religieux doivent avoir une compétence suffisante dans leur profession, autrement ils sont inefficaces car ils n’obtiennent pas l’écoute des chrétiens. Ces mêmes évêques ont en même temps derrière la tête tout un non-dit de fidélité à l’Eglise et à sa doctrine. Les plus hardis ont donc pu obtenir les permis voulus pour faire partir leurs candidats en Europe.

Les liens anciens de l’Eglise chinoise avec l’Europe sont bien entendu beaucoup plus forts qu’avec l’Amérique. Les quelques missions américaines catholiques en Chine datent de la première guerre mondiale et n’ont duré qu’une trentaine d’années alors que les missions européennes s’étaient étendues à toute la Chine depuis 400 ans. La collusion des missions avec le “colonialisme” du XIXe siècle a été vigoureusement condamnée par le gouvernement communiste. Mais le régime actuel reconnaît les mérites d’un Matteo Ricci et n’est pas hostile à des échanges amicaux et respectueux dans les domaines éthique et culturel. Sans compter que l’effort soutenu de modernisation mène à apprécier l’apport de certains missionnaires du XIXe et XXe siècles. En 1994, une plaque commémorative en l’honneur du “missionnaire français Armand David” a été apposée sur le mur d’une église du Sichuan. Ce lazariste a eu le mérite de désigner le panda comme nouvelle espèce encore inconnue du monde scientifique. Il contribuait ainsi à faire connaître cet animal sympathique qui allait devenir un symbole de l’amitié entre la Chine et les peuples du monde. Les missions protestantes et catholiques d’Europe ont en fait largement contribué aux réformes sociales et au développement du pays par leurs services éducatifs et médicaux.

Certaines lettres d’évêques de Chine accompagnant l’envoi de prêtres et séminaristes mentionnent avec joie cette reprise de relations interrompues vers 1950 avec le départ des derniers missionnaires de leur diocèse.

Il est difficile d’établir une liste exhaustive des étudiants de théologie envoyés en Europe depuis deux ans. Certains sont arrivés très récemment et leur accueil en Europe n’est pas systématiquement coordonné. La répartition est la suivante pour ceux qui viennent de République populaire:

en Italie:3 prêtres des provinces de Jilin et Shaanxi ,

7 séminaristes du Hebei, du Shaanxi et de Beijing

en France:2 prêtres du Liaoning et du Xinjiang

5 séminaristes dont 2 de Shanghai, 2 de Wuhan et 1 du Hebei

1 laïc de Shanghai

en Allemagne:1 prêtre de Jilin

5 séminaristes dont 1 du Shaanxi, 1 de Mongolie, 1 du Shandong, 1 du Jiangsu, 1 de Beijing.

2 religieuses de la province de Jilin.

en Belgique à partir de septembre 95 après études de langue en Angleterre: 2 prêtres de Beijing

en Suisse:2 prêtres du Hebei (Xingtai, Handan)

1 séminariste du Hebei (Hengshui)

Au total, 10 prêtres et 18 séminaristes et 2 religieuses enregistrés sur cette liste nominative. Le laïc de Shanghai retourne en Chine en août 95 après quatre ans d’étude à Lyon. Les autres étudiants chinois mentionnés sur les listes viennent de Taïwan et Hongkong, Malaisie et Singapour. Deux étudiants du continent mentionnés comme séminaristes sont en recherche de vocation. Suivant des nouvelles parvenues récemment, il faudrait compter 4 nouveaux séminaristes en Allemagne et deux nouveaux prêtres en Belgique, ce qui porte le total à une quarantaine.

2. LEUR EQUIPEMENT DE BASE

La plupart des étudiants arrivés en Europe depuis deux ans font l’effet d’être parachutés dans un autre monde où tout leur est étranger sauf leur appartenance à l’Eglise. Il importe de prendre conscience de leur dépaysement, de saisir ce qui peut les préparer à soutenir le choc et de prendre en compte leurs aspirations.

Le décalage psychologique et culturel

“Ici, je suis un muetrépète un prêtre récemment arrivé à Paris sans avoir étudié le français et ne connaissant que quelques mots d’anglais. Sentiment d’autant plus douloureux que ce prêtre est très loquace en chinois et qu’il a déjà quatre ans d’expérience pastorale comme curé d’une grosse paroisse du Liaoning. Dès son arrivée, il s’inscrit dans une classe de débutants qui sont pour la plupart des Européens. Aucune explication n’est donnée dans sa propre langue. Les Espagnols, Italiens et Allemands sont évidemment capables de saisir beaucoup plus rapidement ce que dit le professeur. Quelques mots français sont de même racine que dans leur langue et la construction des phrases est analogue. Ce n’est pas le cas pour les Chinois. Pour eux, la lecture même fait difficulté, car ils sont bien plus familiers des idéogrammes que de l’alphabet. Il leur faut en fait au moins 6 mois de travail ardu pour qu’ils arrivent à formuler quelques expressions élémentaires. Au bout d’un an, ils peuvent participer à une conversation et peuvent peut-être commencer à suivre un cours, mais non sans d’immenses difficultés et à condition qu’on leur explique le contenu du cours en leur fournissant un résumé écrit.

Ce n’est qu’en poursuivant sérieusement l’étude de la langue pendant encore un an qu’ils pourront profiter vraiment des cours universitaires, à condition bien sûr que leur base de connaissances soit suffisante. Les séminaristes de Shanghai qui ont bénéficié d’une première initiation à la langue française en Chine même ont pu par contre faire des progrès plus rapides et se sont trouvés moins désemparés dans les relations humaines. Il est fortement souhaitable que cette première approche d’une langue européenne soit offerte aux candidats préparés par les évêques de Chine. Des professeurs européens enseignant en Chine pourraient être invités à donner des cours dans les séminaires. Les jeunes prêtres devraient être libérés de tout travail pastoral trop absorbant pendant deux ou trois ans et inscrits dans un institut de langue quel qu’en soit le coût, ce qui implique un effort de coopération entre diocèses de Chine. Dans le domaine civil, la plupart des étudiants chinois qui viennent faire des études en Europe ont déjà acquis une connaissance suffisante de la langue. Pourquoi l’Eglise se montrerait-elle moins raisonnable? Il lui serait d’ailleurs profitable de réduire les années de séjour à l’étranger en les consacrant aux études théologiques proprement dites.

La méconnaissance de la langue ne fait d’ailleurs qu’accentuer les difficultés d’adaptation à un style de vie et à une mentalité très différentes. Dans certaines maisons d’accueil, les étudiants peuvent se trouver confrontés à un régime alimentaire sans riz. Bien que soucieux de s’initier au rituel local et aux formules de politesse, ils peuvent se comporter sans le vouloir d’une manière assez rude. Les habitués des maisons où ils sont accueillis peuvent d’ailleurs rester indifférents à leurs problèmes et ne faire aucun effort pour entrer en relation avec eux. Chacun ayant son travail et ses habitudes, il n’est pas toujours facile de faire une place réelle aux nouveaux arrivés. Il est essentiel que des prêtres européens parlant chinois veillent à leur accueil et les mettent en relation avec des amis chinois qui peuvent les mettre au courant des habitudes du pays.

Le style de vie d’Eglise en Europe est lui-même source de difficultés. Les séminaristes sont habitués à un règlement strict et à une série de dévotions qui n’ont plus cours en Europe. Même s’ils sont placés dans un séminaire, ils doivent organiser eux-mêmes leur programme et leur règle de vie en faisant preuve d’une initiative personnelle dont ils ne perçoivent pas toujours la nécessité. La coutume en Chine est de bien s’adapter aux requêtes du milieu. Que faire quand le milieu ne fait aucune requête? Est-il de bon ton d’adopter un débraillement libéral sans aucune contrainte? Certains pourraient céder à cette tentation par souci d’être à la page. Pour tenir le coup, il leur faut apprendre à s’organiser sur la base d’une conviction personnelle, principe de vie peu commun en Chine où l’individu n’existe que dans le cadre d’une collectivité. En Chine, tout effort de perfection consiste à se conformer le mieux possible au rituel de la communauté : famille, école, unité de travail, séminaire, paroisse, etc. Dans une Europe démocratique et libérale, les valeurs transmises par la famille, l’école et l’Eglise ne sont pas méconnues, mais la tendance générale favorise un libre choix du mode de vie.

Les Chinois heureusement ne sont pas guidés que par le souci des convenances et de l’adaptation au groupe. Ils ont un sens moral profond fait de respect de soi, de fidélité à leurs maîtres spirituels et de quête des valeurs du Bien, du Vrai et du Beau. Il revient aux prêtres qui les accueillent de les mettre en relation avec les personnes et les groupes qui vivent sincèrement ces valeurs.

La base de connaissances

Prêtres et séminaristes qui arrivent en Europe ont généralement entre 25 et 30 ans. Ils ne sont pas du même niveau intellectuel et n’ont pas forcément les mêmes capacité d’études. Certains n’ont que des connaissances générales du niveau fin de secondaire et n’ont fait qu’un séminaire préparatoire de deux ou trois ans. D’autres sont en deuxième ou troisième année de théologie. Les prêtres qui ont fait toutes leurs études théologiques ont généralement suivi un programme très classique: quelques notions de philosophie scolastique puis la série des traités inscrits au programme des séminaires il y a 50 ans, les manuels de référence étant Tanquerey, Ott et autres classiques. Quelques cahiers de référence en chinois ont été préparés à Pékin sur la base des manuels latin. En histoire de l’Eglise, on a du concocter une présentation anti-impérialiste des missions en Chine et dans le monde, version peu éloignée il est vrai de certains ouvrages de missiologie occidentaux. Les études scripturaires ont été plus favorisées du moins à partir du moment où les séminaristes ont pu disposer d’une Bible. Le dictionnaire de théologie biblique de Xavier Léon-Dufour, traduit en chinois, a été assez largement répandu. Des éléments de mise à jour post-conciliaire ont pu être diffusés ici et là grâce à la publication d’une Documentation catholique par la Société Guangqi du diocèse de Shanghai. Les Documents du Concile Vatican II, publiés en chinois à Taïwan ont été offerts dans tous les séminaires, mais ne sont pas forcément à la disposition des séminaristes. Seule la réforme liturgique a été bien étudiée et mise en oeuvre depuis septembre 1992 grâce en particulier à l’activité inlassable du père Thomas Lau de Hongkong. Les plus favorisés sont sans doute les séminaristes et prêtres de Shanghai qui ont bénéficié des cours d’une vingtaine de professeurs venus de Hongkong, Taïwan et autres lieux. Depuis deux ans, certains de ces professeurs sont également invités à enseigner dans quatre ou cinq autres séminaires régionaux. Les livres diffusés sur le continent depuis Taïwan, Hongkong et Singapour sont entre les mains de nombreux jeunes prêtres. Mais ceux-ci sont trop pris par les tâches administratives et pastorales pour avoir le goût d’y mettre le nez. Seuls les professeurs de séminaire sont vraiment demandeurs.

Aspirations des étudiants

Conscients des lacunes de leur formation dues à la situation précaire des séminaires de Chine, les étudiants souhaitent compléter ce qu’ils n’ont pas encore travaillé. Les séminaristes qui peuvent s’intégrer à un grand séminaire sont plus en mesure de vérifier leur niveau d’études et d’acquérir une base théologique suffisamment complète. Ne réalisant pas toujours l’écart qui les sépare des étudiants d’Europe, certains souhaitent accéder rapidement aux études théologiques universitaires qui leur permettront d’obtenir un diplôme. Se sachant destinés à enseigner, ils auraient peut-être tendance à dédaigner la formation pastorale. En ce domaine, ils s’intéressent pourtant aux questions de morale familiale et sociale, car leurs jeunes confrères de Chine font face à de multiples questions posées par les fidèles et il leur est bien difficile de les conseiller de manière satisfaisante.

Il appartient encore au prêtre qui les accueille en liaison avec les professeurs de séminaire de leur faire connaître les quelques communautés ou paroisses où ils peuvent être associés à des activités pastorales, en particulier avec des groupes de jeunes. Bien des jeunes prêtres en Chine se trouvent isolés, incapables qu’ils sont de grouper des jeunes autour d’eux et souvent désemparés lorsqu’il s’agit d’initier les jeunes à l’Evangile. Destinés à enseigner dans des grands séminaires, ils sont appelés à former des prêtres qui doivent être de bons pasteurs. Il serait déplorable que leurs connaissances théologiques soient purement abstraites sans aucun lien avec la vie pratique de l’Eglise. Leur souci de formation spirituelle peut les aider. Ils aiment entrer en contact avec des communautés évangéliques d’esprit missionnaire qui témoignent d’une foi rayonnante. Il leur faut peut-être percevoir davantage comment la vie spirituelle se développe dans la relation aux autres et n’est pas seulement effort de perfectionnement individuel. Nourris de dévotions et d’exercices de piété traditionnels dans leur famille catholique et au séminaire, ils savent pourtant que les jeunes de Chine ne sont plus preneurs. Ils notent à l’occasion que dans dix ou vingt ans, la vie d’Eglise en Chine ressemblera à celle d’Europe aujourd’hui. Leur objectif de fond est peut-être de découvrir comment les Chrétiens d’Europe parviennent à vivre leur foi et à en témoigner dans une société matérialiste moderne. Leur séjour en Europe, de ce point de vue, peut être une expérience d’avant-garde.

Requêtes de l’Eglise en Chine

Les évêques de Chine donnent relativement peu d’indications sur ce qu’ils attendent de leurs étudiants en Europe. Ils veulent qu’ils acquièrent la compétence voulue pour enseigner dans leurs grands séminaires. Ils veulent également que leurs séminaristes soignent tout particulièrement leur vie spirituelle. Quant à leur ordination au diaconat et au sacerdoce, il est bien entendu qu’ils en sont responsables et que les célébrations devront prendre place en Chine, une fois terminées les études en Europe. Pour ce qui est des prêtres, certains peuvent préciser leur projet d’étude: Droit Canonique, philosophie, etc. Pour d’autres, l’évêque leur demande de rester en Europe le temps voulu pour revenir avec un doctorat.

Quant à la durée des études, on parle de trois ans ou à la rigueur de 5 ans compte tenu de deux années nécessaires pour la maîtrise de la langue. C’est un temps déjà bien court pour obtenir une licence de théologie, surtout s’il s’agit de séminaristes qui n’ont pas terminé leurs études de théologie en Chine. Il est pourtant souhaitable que ces étudiants obtiennent un diplôme canonique confirmant leur capacité d’enseigner dans un grand séminaire: c’est leur permettre d’avoir l’assurance voulue dans leur tâche de professeur et c’est leur laisser une porte ouverte pour des études ultérieures en vue d’un doctorat.

Les directives des évêques étant très générales, il faut faire appel à d’autres indications: d’une part les goûts et aptitudes de chaque étudiant, d’autre part les besoins les plus urgents de l’Eglise en Chine. Vus de l’étranger, ces besoins sont difficiles à préciser. Il serait trop tentant de définir ces besoins par référence à notre propre vie d’Eglise, comme si nous avions atteint un niveau supérieur pouvant servir de norme. Nous n’avons pas à leur faire absorber ce que nous croyons être “super” du point de vue européen. La vie de l’Eglise en Chine comme d’ailleurs celle de notre Eglise d’Europe ne peut être vraiment évaluée que par référence à Jésus-Christ et au message de l’Evangile. Sur cette base, nous pouvons nous aider mutuellement. Notre regard sur leur Eglise doit être à la fois bienveillant et critique. Leur regard sur notre Eglise doit être également bienveillant et critique.

Que voyons-nous de leur Eglise? : de petits îlots minoritaires chrétiens au sein d’un vaste océan de morale humaniste mêlée de craintes superstitieuses; des témoins de la foi fidèles jusqu’au martyre au catholicisme hérité de leur ancêtres. Une vie de foi ritualisée en une série de prières traditionnelles et réglementée par les commandements de Dieu et de l’Eglise. Un petit troupeau qui risque de se replier frileusement sur lui-même face à la montée d’une nouvelle société

cyniquement matérialiste. Mais aussi une nouvelle vague dynamique de jeunes prêtres et de jeunes religieuses soucieux de partager leur foi avec les jeunes; une véritable marée porteuse de chrétiens évangéliques protestants; un grand souci apologétique face à l’idéologie officielle qui dénonce le christianisme comme individualiste, superstitieux et désuet, une grande ouverture aux courants de pensée de la société moderne.

Que voient-ils de notre Eglise, et que peuvent-ils y chercher? En Europe ils font d’abord un pèlerinage aux sources de leur vie chrétienne: dans l’immédiat, les sanctuaires de leurs dévotions les plus chères, en particulier N.D. de Lourdes et Ste Thérèse de Lisieux, le Sacré-coeur à Paray-le-monial et à Paris, le Saint Père et les basiliques romaines; puis, avec plus de recul historique, les cathédrales du Moyen-âge, les abbayes, Saint Augustin et les Pères de l’Eglise. Leur séjour même en Europe est une leçon de choses d’une richesse exceptionnelle en histoire de l’Eglise.

Mais ils découvrent en même temps que les Européens ont pour la plupart abandonné leur religion ou du moins se soucient peu de pratique religieuse. Ce phénomène de déchristianisation les touche peut-être moins que nous. Ils sont en effet beaucoup plus sensibles que nous à tous les signes extérieurs de christianisme qui demeurent dans notre société: des églises dans tous les villages, des jours de congé pour les fêtes chrétiennes, la place importante encore consacrée à la religion dans les émissions télévisées et les médias. Habitués à la situation minoritaire des communautés chrétiennes dans leur pays, ils se familiarisent facilement avec les communautés évangéliques et les paroisses plus dynamiques où ils sont accueillis. La présence des chrétiens d’Europe dans la vie sociale et politique, leur ouverture aux grandes religions peuvent être pour eux source d’inspiration. Leurs communautés catholiques de Chine avaient tendance à se replier sur elles-mêmes sous l’effet de persécutions récurrentes depuis plus de trois cents ans. Dans la Chine nouvelle, les catholiques et les protestants sont invités à participer davantage au développement du pays en coopération avec les croyants des autres religions et les non-croyants. Une réflexion théologique oecuménique ouverte aux grandes traditions religieuses peut leur être extrêmement utile. Ils peuvent tirer aussi le plus grand bénéfice d’une étude approfondie de la doctrine sociale de l’Eglise, d’un humanisme chrétien ouvrant une voie médiane entre les excès du libéralisme et du collectivisme.

3. LES ETAPES DE LA FORMATION

Arrivés depuis peu en Europe, les théologiens chinois en herbe en sont encore pour la plupart à l’étude de la langue. Il importe pourtant de réfléchir avec eux sur l’orientation de leurs études et les choix qu’ils doivent faire pour mette au point leur programme de façon à tirer le meilleur parti de leur séjour en Europe.

Le temps d’apprentissage de la langue (années 1 et 2)

Dans les circonstances actuelles, les étudiants chinois de théologie, même s’ils ont fait un peu d’anglais, arrivent en Europe avec une connaissance minime ou nulle des langues européennes. Leur première année doit être entièrement consacrée à l’étude de la langue à raison d’environ 20 heures de cours par semaine: conversation, langue parlée, langue écrite, dictées, rédactions, traductions, etc. Cette tâche aride est équilibrée par une initiation à la civilisation, au mode de vie et à la culture du pays. La présence à leur côté d’un ami européen parlant chinois est sans doute indispensable dans les premiers mois, pour les aider à résoudre des problèmes pratiques, pour les mettre en relation avec un cercle d’amis accueillants, pour les aider à organiser leur vie spirituelle et leur règle de vie dans un contexte tout nouveau pour eux. Une retraite annuelle en chinois pour les étudiants d’Europe leur offre un temps de réconfort psychologique et spirituel. Des temps de détente sont indispensables pour éviter une tension excessive, voire des dépressions nerveuses. Week-end et vacances offrent l’occasion de sorties et séjours en province, dans des familles ou des communautés accueillantes.

Les étudiants doivent également profiter de leurs quelques temps libres pour faire quelques lectures d’ouvrages en chinois qu’ils n’ont pas pu avoir entre les main pendant leur temps de séminaire en Chine. Journaux et revues catholiques en chinois doivent être mis à leur disposition.

On devrait également s’assurer qu’ils puissent se procurer quelques équipement favorisant leurs études: machine à écrire, ordinateur, magnétophone et livres de référence. Grâce à leur travail assidu, ils peuvent arriver à parler et à dialoguer au bout d’un an. Les prêtres peuvent peut-être déjà présider une célébration dans la langue du pays, voire même dire un petit mot. Mais leur langage est encore incorrect, en particulier dans l’usage des temps et des conjugaisons. Ils doivent poursuivre l’étude de la langue très sérieusement pendant la deuxième année et s’initier à la littérature. Car pour saisir les nuances d’un cours universitaire, ils doivent être familiers des expressions et des nuances de la langue.

Stage propédeutique (années 2 et 3)

Tout en poursuivant l’étude de la langue, les étudiants devraient pouvoir s’exercer à suivre au moins un cours de Bible ou d’histoire au cours de leur deuxième année. La troisième année devrait leur permettre de combler les lacunes de leur formation théologique antérieure.

Plusieurs filières d’étude sont possibles. S’ils sont une petite équipe de même niveau, un programme spécial pourrait être aménagé pour eux. C’est le cas, semble-t-il à Sankt Augustin en Allemagne.

A l’Institut Catholique de Paris, l’I.E.R (Institut d’enseignement religieux) propose un programme d’ensemble dans toutes les sciences religieuse à destination surtout des religieuses et des laïcs exerçant un ministère.Le programme est condensé en deux ans à raison de deux jours par semaine. La première année de ce programme est probablement très difficile à suivre pour qui n’a fait qu’un an de français. En deuxième année par contre, il devrait être possible non seulement de bien profiter du cours, mais encore d’y ajouter quelques cours universitaires de théologie. Outre l’avantage de couvrir un cycle d’études complet, les étudiants chinois pourraient s’accoutumer à dialoguer avec les religieuses et les laïcs, ce qui n’est pas commun dans leur pays.

Les séminaristes chinois enfin peuvent également être placés dans un grand séminaire où les directeurs, comprenant leur situation, peuvent leur réserver un programme d’études spécial. Ils bénéficient alors de leur insertion dans une communauté de formation. Ils se font des amis parmi les jeunes séminaristes du pays et les accompagnent dans les paroisses où ceux-ci font des stages d’insertion pastorale. En France, les deux séminaristes de Shanghai ont ainsi été placés au séminaire sulpicien d’Issy-les-Moulineaux. Ils s’y trouvent à l’aise et bien entourés.

Le diplôme canonique (années 3, 4 et 5)

Quel que soit le cycle d’études poursuivi, les étudiants chinois devront pouvoir obtenir un diplôme universitaire témoignant de leurs études en Europe. Comme ils sont destinés à enseigner dans des grands séminaires, il est souhaitable qu’ils obtiennent un diplôme canonique, c’est-à-dire suivant les désignations romaines le bac et la licence de théologie. Certains Instituts comme celui de Paris exigent trois ans pour la préparation d’une licence (maîtrise). Si le séjour des étudiants chinois en Europe doit être limité à 5 ans, ils ne disposeraient que de deux années pleines après avoir couvert le cycle complet menant au bac de théologie ou à son équivalent. Pour satisfaire les requêtes de la faculté de théologie, les étudiants auraient donc à commencer certains cours de licence dès la troisième année de leur séjour. L’expérience montrera si ces arrangements sont possibles.

Est-il souhaitable de prolonger leur séjour d’un an? Les études seraient moins précipitées. Mais la

Chine attend leur retour de façon urgente. Les séminaristes, pour leur part, voient leur ordination retardée de plusieurs années, alors que leurs condisciples en Chine sont déjà prêtres. Plus le séjour en Europe se prolonge, plus le décalage risque de se creuser avec une Eglise chinoise en évolution rapide. Il semble donc préférable de s’en tenir à un séjour d’une durée de 5 ans, les autorités chinoises s’étant d’ailleurs faites à cette idée. Mais il paraît important de réserver aux étudiants qui se distinguent la possibilité d’un deuxième séjour au bout de quelques années d’expérience en Chine, de façon qu’ils puissent travailler à une thèse de doctorat.

4. L’ECHANGE THEOLOGIQUE AU NIVEAU DU DOCTORAT

Pour qu’un étudiant ayant atteint le niveau de la licence poursuive ensuite jusqu’à un doctorat, il lui faudrait compter trois années supplémentaires de séjour en Europe, soit une année d’habilitation au doctorat et deux ans pour réunir sa documentation et rédiger sa thèse. La durée totale du séjour s’élèverait ainsi à huit ans. Il y aurait sans doute continuité dans les études, mais la rupture avec les réalités chinoises serait trop longue et le travail risquerait d’être trop abstrait, sans apport significatif et sans fruit pour la pensée de l’Eglise en Chine. Il semble bien préférable de ménager un retour en Chine d’au moins trois à cinq ans avant de revenir en Europe pour un travail de recherche.

Retour en Chine pour un temps d’enseignement

Pour les séminaristes encore plus que pour les prêtres, le retour en Chine après cinq ans d’études en Europe est peut-être une nécessité. Parvenus à l’âge de 30 ans, il est important qu’ils répondent à leur vocation par un engagement définitif. Ils doivent se retremper dans leur milieu familial paroissial et diocésain, recevoir le diaconat puis célébrer leur ordination sacerdotale. Leur évêque peut alors leur confier des responsabilités comme enseignants au grand séminaire et peut-être aussi dans des activités de formation biblique, catéchétique, spirituelle, etc. Ce temps de service actif devrait leur permettre de porter l’attention sur les cinq points suivants:

1) Usage pratique des connaissances acquises en Europe, non pas en les déballant telles quelles, mais en les repensant dans le contexte chinois. Ils n’ont pas à faire miroiter un savoir occidental mal digéré auprès de leurs élèves, mais ils doivent communiquer ce qui convient à la formation intellectuelle et pastorale des séminaristes.

2) Lecture et, si nécessaire, traduction en chinois de textes allemands, français ou italiens pouvant enrichir leur enseignement. Avant de quitter l’Europe, ils peuvent d’ailleurs acquérir quelques livres de référence utiles et abonner leur institut à des revues de sciences religieuses. En fréquentant cette documentation venue d’Europe, ils veilleront à maintenir et à améliorer leur connaissance de la langue.

3) Etre attentif aux besoins de l’Eglise en Chine, noter les problèmes difficiles à résoudre, dialoguer avec les jeunes prêtres engagés dans la pastorale en participant si possible à des réunions de formation permanente. Entrer en relation avec les intellectuels chinois qui s’intéressent au christianisme et identifier les voies de leur quête spirituelle.

4) Approfondir personnellement un secteur d’études particulier, soit parce que leur enseignement les y intéresse davantage, soit pour répondre à une demande de leur évêque et des prêtres ou des religieuses et laïques de leur diocèse, soit parce qu’ils y voient une requête fondamentale de l’évangélisation en Chine.

5) Réfléchir au sujet sur lequel ils pourront entreprendre un travail de thèse, écrire aux professeurs qu’ils ont connu en Europe pour leur faire part de leur projet d’études et demander leurs suggestions, réunir enfin les documents qui pourront alimenter leur travail si le sujet choisi est lié au contexte chinois.

Deuxième séjour en Europe

La perspective d’un deuxième séjour en Europe n’est probablement pas envisageable pour tous. Ceux qui auront mis en oeuvre les cinq points mentionnés ci-dessus seront sans doute les plus qualifiés pour travailler à un doctorat. Il est souhaitable pour l’Eglise en Chine que certains professeurs puissent atteindre ce niveau, soit pour occuper des postes de direction d’étude dans des séminaires régionaux, soit pour oeuvrer à des publications, soit pour animer des séminaires de recherche. Les études de doctorat pourraient être orientées suivant deux voies principales:

1) Spécialisation inter-culturelle dans quelques domaines privilégiés

Le travail de recherche ferait appel à la fois à la tradition culturelle chinoise et aux expressions de la foi dans la tradition occidentale. Des sujets pourraient être déterminés dans les domaines suivants:

– Histoire chrétienne en Chine

– Philosophie de l’homme. Humanisme sino-chrétien.

– Liturgie, art sacré; symboles et expression poétique chinoise.

– Catholicisme populaire dans les villages chinois

– Parcours catéchétique pour les enfants et les jeunes chinois

– Pneumatologie judéo-chrétienne et courants spirituels chinois

– Exégèse biblique et traditions d’interprétation chinoises.

– Conceptions chrétienne et chinoise du droit, etc.

L’étude de ces sujets suppose une méthode théologique inter-disciplinaire. La pensée chrétienne s’exprime souvent avec plus de vigueur et d’originalité dans des oeuvres littéraires et philosophique qui débordent largement le cadre de la théologie d’école. Pour mettre en valeur une expression chinoise de la foi chrétienne, les théologiens doivent puiser dans les écrits spirituels, littéraires et poétiques des grands convertis de l’histoire chinoise, de Paul Xu Guangqi et Yang Tingyun à John Wu Jingxiong et Dom Lu Zhenxiang. Certains auteurs chinois se sont d’ailleurs exprimé dans les langues d’Europe. C’est le cas en français pour Dom Lou, François Houang, Louis Wei Tsing-sing. Leurs travaux ont déjà enrichi la spiritualité chrétienne de traditions chinoises confucéenne, bouddhiste ou taoïste.

2) Approfondissement du fonds chrétien européen

Les travaux de chercheurs chinois peuvent enrichir la théologie d’un nouveau regard sur la tradition théologique occidentale. Il est à noter que des professeurs chinois non chrétiens ont ici devancé les intellectuels catholiques. Les professeurs de culture comparée groupés autour de Lu Xiaofeng, professeur à Shenzhen et à Bâle, ont publié de nombreux articles sur les théologiens occidentaux les plus connus. Leurs études paraissent dans la revue chinoise Christian Culture Review publiée à Guiyang. Une série de monographies de théologiens occidentaux parues en 1988 et 1989 dans la revue chinoise Dushu (“Lire”) ont été réunies en un seul ouvrage sous le titre Zoushang shizijia shang de zhenli “Monter vers la Vérité en Croix” . Cette anthologie a été publiée en 1990 par la Librairie Sanlian (Joint Publishing Co) de Hongkong. On y trouve des chapitres plus ou moins longs sur Kierkegaard, Rosanof, Karl Barth, E.Brunner, Scheler, Husserl, Bultmann, Ebeling, Bonhoeffer, Harnack, Martin Luther, Robinson, Pascal, Simone Weil, Dorothee Sölle, Ratzinger, Jüngel, Heidegger, R.Niebuhr, Habermas, Heinrich Ott, Hans Küng, Jürgen Moltmann, Karl Rahner, Solovief, Tillich, Urs von Balthasar, R. Guardini, De Lubac, L.Wittgenstein et même Emmanuel Kant. Il s’agit d’une enquête philosophique qui privilégie les penseurs allemands contemporains, mais sans exclure des remontées aux sources de la pensée chrétienne moderne. Depuis cette revue d’ensemble, une nouvelle collection également publiée par la Librairie Sanlian de Hongkong paraît sous le titre Dangdai Oulu Zongjiao sixiang xilie (“Série Penseurs religieux d’Europe continentale”). C’est une série de traductions d’ouvrages marquants de K. Rahner, Ott, Jüngel, Sheler, Simone Weil (Attente de Dieu), etc.

La Revue Zhongguo tianzhujiao (L’Eglise catholique en Chine) publie parfois des articles sur des théologiens et ou des traductions d’auteurs spirituels occidentaux: François Varillon, Yves Congar, etc. De même à Shanghai, quelques professeurs âgés, comme le père Yao Jinxing, traduisent et diffusent des textes spirituels. Le père Chen Yuntang oeuvre à la traduction des écrits de Ste Thérèse de Lisieux. De nombreuses traductions ont d’ailleurs été réalisées et publiées à Taïwan ou Hongkong et peuvent être utilisées sur le Continent. Une Collection “Religion et Culture” publiée à Pékin réserve une dizaine d’ouvrages pour le christianisme. Cette entreprise est purement civile et académique et n’est donc pas soumise aux restrictions et contrôles imposés aux religions. Elle répond à un intérêt général du public en quête d’une vision de l’existence et d’un fondement éthique.

Le regard chinois sur la tradition chrétienne d’Occident peut se manifester dans le choix des auteurs et dans la sélection de leurs écrits en vue de traductions ou d’analyses plus poussées. Un Liu Xiaofeng qui a fait ses études en Allemagne est naturellement plus attentif aux courants de la pensée allemande. Un piste intéressante pour les théologiens chinois pourrait être de rechercher les courants philosophiques et théologiques sous-jacents aux documents de Vatican II et aux encycliques pontificales depuis un siècle.

Quels sont les philosophes et écrivains qui ont le plus inspiré la pensée chrétienne moderne? Quel est le rôle joué par Jacques Maritain et ses “Grandes Amitiés”? Quelle est l’influence de H. Bergson, G. Marcel, Emmanuel Mounier, etc.

Quelles sont les sources du renouveau biblique et liturgique en Occident? Qui sont les théologiens derrière le 2ème concile du Vatican?

5. LE DEFI DE L’ASIE AUX INSTITUTS CATHOLIQUES EUROPEENS

Nos centres d’études européens sont-ils prêts à faire aux Chinois et aux Asiatiques en général la place qui leur revient? Plus profondément, sommes-nous prêts à modifier nos schémas de pensée pour que d’autres voies puissent être ouvertes dans la quête humaine de vérité?

Structure mentale différente

Les langues européennes placent le sujet en tête, puis le verbe indiquant son action et enfin les circonstances dans lesquelles l’action prend place. La langue chinoise place les circonstances en premier puis le verbe, avec ou sans sujet. La structure de la phrase reflète une vision du monde suivant laquelle l’homme doit être bien situé dans le tout, microcosme en harmonie ave le macrocosme. En Chine, l’individu ne prend corps qu’en étant situé au centre de cercles concentriques, comme on peut en juger à la manière dont les adresses sont écrites: Chine, province (sheng) du Hebei, municipalité (shi) de Langfang, canton (xian) de Dacheng , commune (xiang) de Fucao, village (cun) de Fuzhuang, rue de la libération , n°1, nom du destinataire.

On imagine le renversement pénible que doit effectuer tout chinois pour se mettre à penser dans l’ordre européen.

Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question de langue. La langue ne fait qu’exprimer tout un ordre rituel qui se traduit dans le comportement. Les étudiants chinois comme d’ailleurs les Japonais, les Coréens et les Vietnamiens qui appartiennent au “monde sinisé” ont le même sens des bienséances. Il est tout à fait déplacé qu’un sujet se mette en avant. Dans un groupe d’étude, l’étudiant se tient à sa place. Sa relation au professeur est une relation de disciple à maître. L’animateur du groupe est le président qui doit inviter les membres du groupe à parler. Contrairement à ce qu’attendent certains professeurs européens, l’étudiant d’Asie orientale ne prendra pas la parole de lui-même, d’abord parce qu’il pense que c’est impoli et ensuite parce qu’il ne veut pas perdre la face en disant une erreur ou en s’exprimant de façon incorrecte. Ce n’est pas qu’il soit passif. Il peut suivre le débat avec beaucoup d’intérêt et avoir quelque chose à dire. Il n’a malheureusement aucune chance de le dire dans un groupe où les élèves européens prennent la parole et la gardent sans même qu’on leur demande. Les Indiens, par contre, qui appartiennent à une autre civilisation d’Asie réussissent à s’imposer dans un débat.

Il est indispensable que les professeurs réalisent que les Chinois ne pensent pas comme nous et qu’ils n’ont pas la même logique. Nous aimons dégager des lignes générales de pensée et nous manipulons les abstractions avec une aisance qui nous donne l’impression d’expliquer les réalités de façon satisfaisante. La pensée chinoise est beaucoup plus concrète et procède par juxtaposition de faits plutôt que par ordonnance logique. Là où nous voyons une contradiction insurmontable, les Chinois voient deux termes complémentaires dans leur opposition. Dans la Chine de Deng Xiaoping, personne n’aurait l’idée de sourire du slogan: “Enrichissez-vous, construisez le socialismeNous somme persuadés que la course à l’argent et l’accumulation du capital est en contradiction avec les principes égalitaires du socialisme et qu’une telle politique ne peut que hâter la fin du communisme en Chine.

Les citoyens chinois ne le pensent pas. Leur usage de l’idéologie marxiste est avant tout pragmatique. Ils harmonisent cette opposition en parlant de “socialisme aux couleurs chinoises”. Nous croyons que la lumière vient du conflit des opinions. Ils s’efforcent pour leur part d’harmoniser les contraires. Bref, puisqu’ils viennent en Europe, les Chinois veulent et peuvent s’initier à nos méthodes et en bénéficier, mais nous devons faire preuve d’une certaine tolérance sur leur mode d’expression pourvu que l’objectivité scientifique de leur travail soit sauve.

Exigence d’ouverture européenne

L’effort que font les Chinois pour s’initier à notre culture européenne ne rencontre peut-être pas de notre part un effort équivalent d’initiation à leur civilisation. En ceci l’Eglise semble avoir pris du retard sur le public européen. Des départements d’études chinoises sont organisés dans nos universités les plus connues, bien que les crédits soient souvent insuffisants pour répondre aux requêtes du public. Car les étudiants de langue et civilisation chinoise sont nombreux et beaucoup de jeunes n’hésitent pas à faire des séjours d’étude et des voyages en Chine. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les gens d’Eglise, en particulier les jésuites, ont joué un rôle de pionniers dans le développement des études sinologiques.

Quelques institutions catholiques contribuent encore activement à des études de fond en Allemagne à Sankt Augustin, en Belgique à Louvain, en Italie à Milan ou à Rome. Les Instituts catholiques de France font à l’occasion place à deux ou trois enseignements concernant la philosophie ou les religions chinoises. Ces cours touchent peu d’étudiants et ne font pas partie intégrante de la recherche théologique.

Le retrait de tous les missionnaires étrangers de Chine en 1950 a fait disparaître les centres d’étude catholiques les plus importants. Les jésuites ont dû se retirer de Shanghai et de Xianxian, les pères du Verbe divin de l’université Fujen à Pékin, les Lazaristes de leur imprimerie du Beitang et les Missions Etrangères de Paris ont fermé leur imprimerie de Nazareth à Hongkong en 1961. Les bibliothèques ont été fermées ou dispersées.

La venue en Europe de chercheurs chinois peut

aider à rétablir l’équilibre.Ceux d’entre eux qui font des études religieuses pourront éventuellement faire bénéficier les instituts d’accueil de leur ressources intellectuelles chinoises. Encore faut-il qu’ils aient pu assimiler les courants essentiels de la culture chinoise avant de venir en Europe. Or les séminaristes, prêtres et religieuses n’ont généralement fait que des études secondaires. Les étudiants qui ont fait un parcours universitaire en Chine n’ont d’ailleurs pas toujours été initiés aux traditions culturelles chinoises car les événements politiques des dernières décennies n’ont pas favorisé ce genre d’étude.

Les échanges amorcés aujourd’hui constituent probablement un nouveau départ qui portera ses fruits dans dix ou vingt ans. Ceux qui sèment ne sont pas forcément ceux qui moissonneront. Mais il est important de semer en recherchant les terres fertiles et il faut veiller soigneusement à la croissance des jeunes pousses.