Eglises d'Asie

LA LIBERTE RELIGIEUSE EN CHINEvue de Hongkong

Publié le 18/03/2010




En 1987, Luo Zhufeng, membre très respecté de l’Institut de recherche sur la religion à l’académie des sciences sociales de Shanghai, a publié un livre qui était de toute évidence le fruit d’un travail long et méticuleux des membres de l’équipe de recherche de l’Institut. Le livre couvre beaucoup de domaines, y compris les philosophies et sciences sociales de l’Orient comme de l’Occident, et le produit fini est remarquable par son approche du très délicat problème de la liberté religieuse en Chine. Ce livre, “La religion sous le socialisme en Chine” (1) concerne directement la population catholique de Hongkong car il offre un commentaire clair et concis de la politique religieuse chinoise et, par conséquent, un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre après 1997. La chapitre six est particulièrement intéressant et mérite un commentaire détaillé. Il est intitulé : “La politique de liberté de croyance religieuse”. Ce sera le sujet de cet article.

La liberté de croyance religieuse

Je trouve le type d’argumentation du chapitre six assez similaire à celui qui est utilisé dans la théologie traditionnelle catholique, où la validité de chaque dogme considéré est établie d’abord par un argument d’autorité biblique et corroboré ensuite par des arguments de théologiens reconnus. En ce cas, c’est Marx qui fournit les Ecritures sacrées, Lénine adapte le dogme marxiste aux réalités de la Russie soviétique, et viennent ensuite des citations choisies de Mao Zedong. En conclusion, on trouve une longue description des réformes évolutives de Deng Xiaoping. Tous ces auteurs sont mis en scène pour donner crédibilité, autorité et validité à la politique religieuse chinoise d’aujourd’hui. Ayant établi sa thèse, l’auteur continue en considérant la question plus intéressante de savoir comment cette politique sera appliquée à Hongkong après 1997.

En respectant la théorie et la pratique des pères fondateurs du canon marxiste, le chapitre six dit ceci sur leur attitude à l’égard de la religion : “Ils considéraient la religion comme une catégorie historique, c’est-à-dire que la religion émerge et se développe dans des circonstances spécifiques, et périra dans le cours du développement de l’histoire quand les conditions seront remplies” (p. 134).

Un tel discours est un tantinet démodé et n’apporte rien de bien nouveau. Pourtant, si nous continuons la lecture, nous trouvons à la fin du chapitre sept un commentaire nouveau et significatif. On nous dit en effet que, quand Marx définit la religion comme “opium du peuple”, il faut comprendre l’expression comme une figure de style: “Une métaphore qui peut être utilisée pour décrire les effets négatifs de la religion dans certaines circonstances de la société de classes; en d’autres mots, les fonctions des religions historiques différent suivant les conditions sociales et les époques. On ne peut pas simplement écrire “opium” pour résumer cela. En ce qui concerne la Chine d’aujourd’hui, on ne peut pas utiliser le terme “opium” pour décrire la fonction de la religion sous le socialisme” (p.151-153.).

Nous hésitons à qualifier cette citation comme indiquant un changement radical d’attitude, mais elle révèle cependant une plus grande ouverture d’esprit sur la question. En fait, c’est le pasteur anglican, Charles Kingsley (1819-1875), qui est à l’origine de cette expression que Marx allait rendre célèbre. Il critiquait l’Eglise de son temps bien avant Marx en disant : “Non seulement certaines personnes utilisent la religion comme un opium pour s’évader de la réalité, mais il y a aussi des gens qui, pour des raisons d’intérêt personnel, utilisent la religion pour que les autres ne regardent pas la réalité“(2).

Après avoir cité Lénine sur la religion et remarqué qu’il ne distinguait pas ses amis de ses ennemis sur des critères de croyance religieuse, mais plutôt sur des critères politiques, l’auteur continue en citant le président Mao Zedong et en montrant comment celui-ci a essayé d’adapter ses vues aux conditions chinoises. Dans sa jeunesse, Mao était lui-même un croyant religieux. Il croyait à l’existence des esprits, et quand sa mère devint malade il invoqua les dieux traditionnels tout en allant, comme il en avait l’habitude, dans des sanctuaires bouddhistes. Quand “sa pensée eût muriil évolua. Plus tard, il affirma : “Ce sont les paysans qui fabriquent les idoles de leurs mains et, quand le moment sera venu, ce sont eux aussi qui les mettront de côté de leurs propres mains. Il n’y a aucun besoin pour quiconque de faire cela à leur place” (p. 135).

Le livre aussi mentionne la présence d’un prêtre missionnaire français vivant avec l’armée rouge pendant la longue marche. Cela amène l’auteur à distinguer entre le service de l’athéisme et le service des athées, de la même manière qu’on enseigne aux chrétiens à “haïr le péché mais aimer le pécheurLa distinction qu’il fait enttre la croyance et le croyant est elle aussi très claire quand il cite Mao : “Les communistes peuvent former un front uni politique contre l’impérialisme et le féodalisme avec des idéalistes et même des croyants religieux, tout en n’étant pas d’accord avec eux sur l’idéologie ou la croyance religieuse” (p. 136).

L’application de la politique

Comment s’applique la politique religieuse du gouvernement en cette nouvelle ère du socialisme sous Deng Xiaoping ? Le déplacement d’accent qui s’est produit après le troisième plenum du onzième comité central de décembre 1978 doit être pris en compte. Il a permis de donner une importance nouvelle et davantage d’extension au Front uni. Il a permis aussi une augmentation sensible du nombre des dirigeants religieux choisis pour participer à ses travaux. Cependant, une distinction majeure est faite entre les Chinois du continent et ceux qui vivent à l’étranger, à Taiwan, Macao et Hongkong : “Les croyants religieux (sur le continent), tout comme ceux qui appartiennent à des nationalités ethniques, doivent aussi soutenir le système socialiste, aimer leur pays, maintenir l’unité nationale et promouvoir la solidarité entre nationalités. Ces quatre principes de base forment le fondement politique de la solidarité du peuple. Leur ferme application ne signifie pas que les croyants religieux aient à abandonner leurs croyancesp.141).

Quelques pages plus loin, nous découvrons que cette politique “domestique” doit être appliquée différemment en dehors du continent : “Prenant en compte le fait que deux systèmes sociaux différents existent, l’un en Chine continentale et l’autre à Taiwan, à Hongkong et à Macao, et qu’il y a des différences entre les religions dans des conditions historiques différentes, les organisations religieuses du continent et celles de Hongkong doivent observer les principes de non-subordination, de non-interférence et de respect mutuel” (p.150).

Quant à savoir comment cela peut être appliqué dans la pratique, l’auteur suggère ceci: “La liberté de croyance religieuse comme les autres droits démocratiques a un contenu clair et des limites bien définies… Par conséquent, nous devons bien connaître les limites des droits civils tels qu’ils sont appliqués à la liberté de croyance religieuse et maintenir une vue dialectique de la relation entre discipline et liberté” (p.141).

Les chrétiens de Hongkong demandent des précisions

L’équipe de chercheurs qui a mis par écrit ce travail littéraire doit être chaudement félicitée pour son exposition claire et utile de la politique gouvernementale chinoise sur la liberté religieuse, mais nous, chrétiens de Hongkong, ressentons le besoin de soulever certaines questions pour obtenir davantage de précisions. Voici les domaines dans lesquels nous aimerions avoir davantage de détails :

1- Si, au temps de Mao comme à celui de Deng, le seul but de l’unité avec les croyants religieux est simplement de construire une Chine socialiste sur le continent et de compléter la grande oeuvre d’unification nationale à l’extérieur, cette politique religieuse est-elle autre chose qu’une tentative pragmatique d’accomplir l’unité par des moyens qui ne sont rien de plus que la manipulation calculée des croyants religieux ? En 1993, provenant de sources communistes chinoises, sont apparus à Hongkong plusieurs volumes intitulés “Introduction à Hongkong”. Ces publications n’ont rien fait pour calmer les craintes concernant les motivations réelles de certains dirigeants chinois. Dans ces livres, Hongkong est constamment décrit comme “une société capitaliste qui, naturellement, est peuplée de gens qui ne pensent qu’à faire du profit et pour qui l’argent vient toujours en premier” (p.315). Ensuite, l’auteur affirme qu’il y a à Hongkong beaucoup de pauvres exploités par beaucoup de riches. La religion étant fondée sur l’amour et le souci de l’autre, elle peut être mise à bon usage en rassurant les pauvres et les besogneux, contribuant ainsi à harmoniser ces contradictions sociales et à stabiliser l’ordre social. De telles notions du rôle et du but de la religion dans la société obligent les citoyens de Hongkong à se demander si, aux yeux de certains dirigeants chinois, la religion est autre chose qu’un “instrument utile” servant à alléger le fardeau des problèmes sociaux.

2- Les exigences du patriotisme ne sont pas les mêmes pour ceux qui vivent sur le continent chinois et ceux qui sont à l’extérieur. Les dirigeants chinois ont constamment répété aux compatriotes de Hongkong, Taiwan et Macao que leur patriotisme doit consister seulement à promouvoir la réunification nationale. Mais ceux du continent doivent en plus respecter les quatre principes de base. Ceci est dû essentiellement aux facteurs historiques et reflète les conditions différentes existant dans ces territoires séparés. Evidemment, cette politique libérale fait que les Chinois de Hongkong, de Macao et de Taiwan sont aujourd’hui traités de manière plus souple. Mais la question demeure : Est-ce que les citoyens de Hongkong continueront à bénéficier de cette politique plus souple et moins contraignante après 1997 ? Si ce n’est pas le cas, les ondes de choc qui suivront l’établissement d’une politique plus contraignante perturberont le développement de la Chine continentale et enverront des signaux d’alarme à Taiwan, ce qui pourrait retarder encore davantage les plans de réunification nationale. Et quand ce jour arrivera finalement et que le grand objectif de l’unification sera accompli, le traitement spécial dont nous bénéficions va-t-il être remplacé par une politique plus contraignante et moins souple ? Tout au début du processus qui a mené à l’établissement du comité de rédaction de la Loi fondamentale, le président Ji Pengfei a rappelé aux membres du comité originaires de Hongkong qu’ils devaient se préoccuper bien davantage du “un seul pays” que du “deux systèmes” (3). Ce qui paraît évident ici, c’est que le principe du “un pays” est largement plus important que celui du “deux systèmes” dans l’esprit des dirigeants chinois. Plus significatifs encore sont les articles 158 et 159 de la Loi fondamentale qui affirment que l’interprétation de la Loi fondamentale est la prérogative du comité exécutif du Congrès national du peuple, et le pouvoir de réviser la Loi fondamentale appartient au Congrès national du peuple. Tout ceci ne peut que nous faire demander si un tel état des choses ne revient pas à mettre dans les mains du gouvernement chinois toute possibilité d’initier une politique restrictive ou libérale.

3- Après 1997, il y aura une augmentation importante des contacts entre le personnel religieux du continent et celui de Hongkong. L’article 148 de la Loi fondamentale règle cependant ces relations et définit les paramètres à l’intérieur desquels ces liens peuvent être formés et maintenus. “Le principe de base, selon l’article 148, est qu’il doit y avoir non-subordination, non-interférence et respect mutuelLes deux premiers termes sont juridiquement clairs et peuvent être facilement définis. Mais qu’en est-il du troisième : “respect mutuelCe terme est quelque peu sentimental et ne peut pas être expliqué facilement. On peut poser le problème et se demander ce qui arriverait si, après 1997, nous déclinions une invitation à un banquet de la part de compatriotes du continent sous prétexte que l’argent serait mieux utilisé pour d’autres choses : est-ce que nos hôtes pourraient invoquer la Loi fondamentale et nous accuser de manquer au respect qui leur est dû ?

Le processus consistant à resserrer ou à relâcher la politique gouvernementale de liberté de croyance est toujours situé dans un contexte de contrôle politique et économique resserré ou relâché. Après avoir conquis le pouvoir politique en Chine, les communistes ont continué la méthode traditionnelle de supervision de l’Etat sur les affaires religieuses qui avait commencé sous la dynastie des Han (4). La présente politique religieuse de Deng Xiaoping est, heureusement, la plus libérale depuis la libération. Quelques restrictions ont cependant été imposées de temps en temps dans le cours de la politique d’application des réformes économiques et de l’ouverture au monde extérieur. Le processus tend à fonctionner de manière cyclique. D’abord, on a donné la permission d’ériger un “mur de la démocratie” et ensuite on a interdit d’y apposer des affiches en gros caractères. Un certain nombre de restrictions concernant l’art et la littérature ont été levées, puis cette mesure a été suivie par un resserrement des contrôles dans la lutte contre la “pollution spirituelle“. Après le voyage de Deng dans les provinces du sud en 1992, l’humeur devint plus libérale. Les réformes économiques gagnèrent en extension et en profondeur à travers tout le pays. Mais les restrictions suivirent très vite quand l’accent fut mis sur “les macro-ajustements et les macro-contrôles”; le non-respect de la discipline du Parti fut sévèrement puni. Pourtant, il faut dire que, en général, les mouvements de libéralisation des contrôles tendent à être plus nombreux que les restrictions.

Nous espérons sincèrement que le boom économique actuellement en cours sur le continent va se concrétiser dans un système économique solide qui s’intégrera le plus rapidement possible dans un système mondial plus large, donnant ainsi la possibilité à la Chine de continuer sa croissance pendant encore longtemps. Nous espérons aussi que les autorités responsables du développent au gouvernement central et dans les régions pourront travailler ensemble et trouver un équilibre qui avantage tout le monde, assurant ainsi la stabilité nationale et un progrès durable. Nous espérons surtout sincèrement que le peuple ordinaire de Chine, qui semble aujourd’hui vivre dans le vide idéologique

trouvera ce dont il a besoin intellectuellement pour atteindre le haut niveau éthique nécessaire exigé pour établir une civilisation spirituelle en Chine. Ce serait une bénédiction non seulement pour le continent, Hongkong et Taiwan, mais aussi pour l’humanité toute entière. Le professeur E.F. Vogel analyse les expériences de Taiwan et de la Corée du Sud comme très encourageantes. Quand la croissance et le développement économique de ces pays ont atteint un certain niveau matériel, le résultat en a été l’émergence d’une classe moyenne importante, attachée au respect de la vérité, croyant en la dignité de l’individu, soutenant la liberté et l’ouverture, et profondément convaincue que le gouvernement doit rendre des comptes à toute la population (5). La Chine peut aussi progresser sur la même route jusqu’à atteindre sa destination et prendre sa place de membre à part entière de la grande famille internationale des nations libres et démocratiques.