Eglises d'Asie

UN MOUVEMENT ‘ANTIHADITH’ SUR LE DEVANT DE LA SCENE

Publié le 18/03/2010




Le gouvernement malaisien semble vouloir en finir avec les mouvements déviationnistes (ajaran sesat) de l’islam. Après avoir dissous en 1994 le mouvement Al-Arqam (1) ) et remis dans le droit chemin son dirigeant, Asha’ari Muhammad, le gouvernement s’est préoccupé au cours de l’année 1995 d’un mouvement qualifié de « antihadith » qui semble inquiéter plus sérieusement les milieux musulmans malaisiens.

Ce mouvement qui serait suivi par environ trois cents personnes à Kuala Lumpur, Ipoh, Johor Bahru et Pulau Pinang, a de nouveau attiré l’attention pour deux raisons : son intention de faire enregistrer légalement son organisation, le Jemaah al-Quran Malaysia (JAM) et la sortie d’une traduction littérale du Coran en langue nationale malaisienne sous le titre de Bacaan (2). A l’initiative de JAM se trouve Kassim Ahmad, intellectuel enseignant à l’université de Pulau Pinang et bien connu depuis une dizaine d’années pour ses prises de position vis-à-vis des hadith (les belles paroles du prophète et les commentaires) notamment dans deux de ses ouvrages (3) dont le premier fut interdit en 1986 par le ministère de l’Intérieur. L’autre guru du mouvement est un certain Abdul Manam Harun, homme d’affaires de Kuala Lumpur. JAM qui, pour Kassim Ahmad, n’est absolument pas antihadith se donne pour tâche de dénoncer les déviations de la pensée religieuse institutionnelle et de rapprocher la communauté musulmane de Malaisie du Coran dont, selon Kassim Ahmad, 99,9% des membres ne comprennent pas le véritable sens. JAM a des relations avec des organisations similaires en Australie et aux Etats-Unis. L’auteur de Bacaan, Othman Ali, supposé par les autorités malaisiennes faire également partie du mouvement qualifié d’antihadith, enseigne dans un institut de la langue à Kuala Lumpur.

Kassim Ahmad et Othman Ali se sont lancés dans une nouvelle exégèse du Coran reposant sur des arguments logiques et scientifiques. Kassim Ahmad conteste les attitudes des musulmans basées uniquement sur la tradition, surtout chez les intellectuels de l’islam, et veut que tous les actes et paroles des musulmans soient fondés sur des arguments solides et non pas simplement sur un modèle. Pour lui, le problème de l’islam malaisien est que la communauté musulmane ne comprend pas le Coran et que sont enseignés seulement les hadith dont bon nombre sont en contradiction avec le Coran. Seule une critique scientifique des hadith peut libérer la communauté musulmane des superstitions, du conservatisme et du mensonge. Othman Ali remet également en cause un certain nombre de hadith. S’appuyant par exemple sur la surat 11:114, il rejette l’idée des cinq prières quotidiennes obligatoires en les réduisant à trois, Subuh, Maghrib, Isyak. Il conteste également l’interprétation des ulamas sur la question de l’ablution rituelle (wuduk) et de la profession de foi (syahadat

Ces contestations vont immédiatement déclencher une levée de boucliers dans les médias, parmi les intellectuels musulmans et dans le gouvernement. Pour les intellectuels musulmans, Kassim Ahmad commet une faute en voulant contester les hadith qui sont en réalité reconnus par tous, et sa pensée superficielle le rend incompétent pour débattre de cette question. Le gouvernement est conscient du danger de rupture du consensus (ijtimak) que peut provoquer ce courant antihadith et estime que l’anarchie qui en découlerait serait identique à celle vécue par les musulmans au cours des premiers siècles de l’Hégire alors qu’ils s’opposaient sur les sources de références et les interprétations. Abdul Hamid Othman, ministre du gouvernement fédéral, qui, au départ, était favorable à un dialogue avec le groupe, accuse aujourd’hui certains orientalistes occidentaux, notamment allemands (Ignas Goldziher et Joseph Schat), de manipulation.

Le dialogue est d’ailleurs souhaité par Kassim Ahmad qui l’a proposé au Pusat Islam (Centre islamique). Ce dernier, après avoir refusé dans un premier temps, semble vouloir adopter une stratégie identique à celle employée avec le dirigeant d’Al-Arqam (1), à savoir le redressement (memulihkanLe refus d’instaurer un dialogue direct s’explique probablement par les divergences d’opinion au sein du gouvernement sur la stratégie à adopter. Le chef de la police nationale est quant à lui prêt à arrêter Kassim Ahmad sous couvert de l’Acte de sécurité interne (4), comme il l’avait fait pour Asha’ari Muhammad. Le premier ministre Mahathir est beaucoup plus patient et rappelle que le gouvernement ne restreint pas l’interprétation du Coran tant que le pays est sur la voie du développement. Il semble prôner une guerre d’usure pour laquelle les intellectuels musulmans traditionnels ne lui semblent pas encore suffisamment préparés. Contrairement à l’affaire Al-Arqam, l’opinion générale est que l’arrestation des leaders du mouvement antihadith ne serait pas une garantie de l’anéantissement d’un courant déviationniste solidement ancré dans une pensée logique qui ne peut disparaître aussi facilement qu’un faux prophète.

Nous donnons ci-dessous une chronologie des principaux événements de 1995 liés à cette affaire.

Le 11 juin, une réunion publique se tient à l’université Malaya pour préparer la fondation de JAM. La diffusion de Bacaan commence à cette occasion. Peu après, dix universitaires de Kuala Lumpur, Penang et Johor Bahru, soupçonnés d’être antihadith, sont menacés d’arrestation après avoir tenu des réunions publiques. Dans le même temps, le gouvernement interdit deux ouvrages considérés commes les sources de référence du groupe : Muslim Studies et Origins of Muhammadan Jurisprudence de l’orientaliste allemand Ignas Goldziher.

Début juillet, le vice-chancelier de l’université Malaya réclame l’interdiction de Bacaan. Il reproche notamment à l’auteur de ne pas avoir édité le texte original en arabe parallèlement à la traduction malaise, un oubli qui empêcherait une lecture critique de cette traduction. Le responsable de l’université Malaya est appuyé dans son initiative par le Yang Dipertua Persatuan Ulama Malaysia (le chef des ulamas malaisiens), pour qui certains passages de la traduction de Othman Ali sont identiques à celle de Rashad Khalifa, écrivain notoire pour ses opinions antihadith. Quelques jours plus tard, les ulamas et les intellectuels musulmans emboîtent le pas, craignant que la diffusion de Bacaan n’entraîne, comme pour la Bible, un mouvement de multiplication des versions et par conséquent une confusion inévitable à terme sur le texte originel.

Le 9 juillet, une agence non gouvernementale pour la diffusion de l’islam, le Yayasam Dakwah Islamiah Malaysia (YADIM), affirme avoir identifié cinquante personnes de renom parmi les membres du mouvement antihadith. Parmi eux figurerait un ancien secrétaire de presse d’un ministre fédéral. Par ailleurs, la source financière principale du mouvement semble avoir été identifiée en la personne d’un homme d’affaires de Klang. Celui-ci n’est pas nommé mais il semble qu’il s’agisse de Abdul Manam Harun.

Le 11 juillet, Kassim Ahmad propose un dialogue muzakarah) à YADIM en posant treize conditions. Deux jours plus tard, YADIM se déclare prêt à dialoguer avec Kassim Ahmad après la formation d’un comité d’experts qui participeront au muzakarah. Le même jour, Othman Ali fait une déclaration dans laquelle il traite les ulamas de menteurs et affirme partager les vues de Kassim Ahmad. Le lendemain, après avoir pris connaissance de la déclaration de Othman Ali, YADIM remet en question le projet de dialogue avec le mouvement antihadith et minimise la portée de Bacaan après que son auteur ait reconnu ne pas être spécialiste de langue arabe.

Le 17 juillet, Kassim Ahmad affirme n’avoir aucun lien avec Othman Ali et que ce dernier n’est pas un membre de JAM. Le même jour, YADIM, après s’être concerté avec de hauts fonctionnaires et un institut islamique, juge l’idée d’un dialogue inutile et capable d’engendrer la confusion dans la communauté musulmane. Il conseille également d’interdire Bacaan. Par ailleurs, le président des jeunesses de l’UMNO (United Malays National Organisation), principal parti de la coalition au pouvoir à Kuala Lumpur, se déclare opposé à un dialogue avec JAM et, comme le premier ministre de l’Etat de Kelantan qui appartient au parti d’opposition islamique, soutient l’idée d’interdiction de Bacaan. Le 18 juillet, le premier ministre, Mohamed Mahathir, se prononce pour l’interdiction de Bacaan. Le grand imam du palais royal va jusqu’à demander la peine de mort pour les membres du mouvement antihadith. Le 16 août, Kassim Ahmad nie refuser en bloc les hadith : il ne refuse que ceux qui sont en contradiction avec le Coran. Il reconnaît les hadith comme seconde source du droit musulman et dément être disciple de Ahli Sunnah Wal-Jamaah.

Le 6 septembre, le Jawatankuasa Majlis Fatwa Kebangsaan, (comité national de Fatwa), déclare le mouvement antihadith coupable d’apostasie (murtadaccordant ainsi à tous les Etats de Malaisie la possibilité de prendre les mesures adéquates et de juger les coupables. Le 11 septembre, Kassim Ahmad refuse la décision du comité national de Fatwa qu’il estime injuste. Il rappelle que JAM rejette uniquement les hadith en contradiction avec le Coran. Le 30 novembre, il refuse qu’on lui prête un point de vue similaire à celui d’Othman Ali et demande que l’amalgame ne soit pas fait entre eux. Par exemple, il ne refuse pas les cinq prières quotidiennes. Le 11 décembre, le bureau de la religion musulmane du territoire fédéral (région de Kuala Lumpur) est la première instance à confirmer au niveau local la décision rendue par le comité national de Fatwa.