Eglises d'Asie

La junte militaire joue la carte religieuse et semble rafler la mise

Publié le 18/03/2010




La foi bouddhiste demeure plus forte que jamais en Birmanie, mais, en tant que force politique, les moines sont en train de perdre la bataille contre le Slorc (1). Des observateurs constatent que la stratégie mise en place par les militaires en 1990 pour instrumentaliser le bouddhisme commence à porter ses fruits.

La manoeuvre est simple et consiste à manier en même temps la carotte et le bâton. Par des cadeaux et des dons aux temples, on achète les bonnes grâces des moines haut placés dans la hiérarchie religieuse. En même temps, on fait en sorte que ne soient pas oubliés les événements qui ont marqué l’année 1990 : l’armée birmane avait occupé des centaines de monastères à Mandalay et à Rangoun après la menace proférée par des moines pro-démocratiques d’excommunier les militaires qui ne respecteraient pas les résultats des élections générales ayant donné la victoire à la Ligue nationale démocratique de Mme Aung San Suu Kyi (2). Les moines avaient aussi déclaré qu’ils ne célébreraient pas les rites religieux pour les familles des militaires et qu’ils refuseraient leurs aumônes.

« Contrairement à d’autres régimes communistes ou militaires comme le Vietnam par exemple, le Slorc ne considère pas le bouddhisme ou la religion comme une menace. Les moines sont considérés comme dangereux mais le bouddhisme est vu comme un instrument pour contrôler le paysremarque un observateur. Un autre spécialiste des affaires birmanes affirme que cette stratégie des militaires a été étendue à l’islam et au christianisme qui sont les religions des principales minorités ethniques du pays (3).

Depuis le tragique soulèvement populaire de 1988 et l’offensive militaire de 1990 contre les moines, les médias contrôlés par le régime présentent constamment les dirigeants du Slorc et leurs femmes comme des bouddhistes pieux et des protecteurs du bouddhisme birman. « Ils essaient d’apaiser le peuple et de regagner sa confianceestime un citoyen de Rangoun. « Ils pensent ainsi pouvoir faire oublier leurs actions passées et se gagner des mérites : la plupart des gens ne se laissent pas abuser mais restent impuissants », ajoute-t-il.

Un diplomate asiatique, basé à Rangoun, estime de son côté que la stratégie du Slorc commence à porter des fruits : « En 1988 et en 1990, les moines et le Slorc se trouvaient aux deux extrêmes opposés, mais ce n’est plus le cas aujourd’huiL’avis de Mme Aung San Suu Kyi, recueilli récemment par le quotidien thaïlandais The Bangkok Post, est plus nuancé : « La tradition d’engagement des moines dans la politique est très ancienne et ne disparaîtra pas si facilement. Elle se manifeste plus ou moins ouvertement selon les circonstances, et elle peut se réfugier dans la clandestinité

L’observateur déjà cité pense quant à lui que le Slorc essaie de tirer bénéfice de l’enseignement bouddhiste sur la non-violence et la tolérance pour inciter la population au calme et à la docilité. Mme Aung San Suu Kyi ne sous-estime pas ces enseignements du bouddhisme mais remarque qu’ils ne sont pas pour autant synonymes de passivité.

En tout cas, le Slorc semble solidement installé au pouvoir. Il a passé des accords avec la plupart des minorités ethniques qui luttaient pour l’autodétermination depuis quatre décennies. De plus en plus d’investisseurs étrangers s’intéressent au pays et l’aide internationale est substantielle. On s’attend aussi à ce que la Birmanie soit officiellement admise comme observateur à la prochaine réunion de l’Asean, en juillet 1996 à Jakarta: ce sera une étape importante pour l’intégration du pays dans la communauté internationale.

Certains observateurs restent pourtant sceptiques. La mainmise des militaires sur le pays leur paraît fragile et, même si le peuple semble aujourd’hui silencieux, sa mémoire reste vive et il se pourrait bien que, tôt ou tard, les crimes du passé rattrapent les généraux de la junte.