Eglises d'Asie

LA RENAISSANCE D’UNE EGLISE BILAN D’UNE PASTORALE

Publié le 18/03/2010




I- Promouvoir l’Eglise locale

1.1L’Eglise est fondée non seulement par la diffusion de la Parole, c’est-à-dire l’enseignement de la foi, mais aussi par le témoignage du martyre, du sang offert en libation. Le martyre est l’acte suprême de l’apostolat; il relie au sacrifice du Christ sur la Croix, acte fondateur de son Eglise. Dans ce sens, le martyre des chrétiens cambodgiens, et singulièrement celui de Mgr Joseph Chhmar Salas et de Mgr Paul Tep Im, ont une valeur fondatrice pour l’Eglise au Cambodge. Ils sont un lieu de référence important pour toute initiative visant à reconstruire ou développer l’Eglise au Cambodge.

1.2Lorsqu’il a été possible aux missionnaires de retourner au Cambodge en 1989, et donc de retrouver cette Eglise qui sortait de la persécution, nous avons pris conscience du devoir de respecter et de glorifier son authenticité ecclésiale, acquise dans les camps de travail forcé de Pol Pot. Nous avons vu qu’il fallait éviter de l’étouffer sous des apports étrangers, même si ceux-ci étaient souvent nécessaires. Il nous a paru qu’une grande discrétion était souhaitable dans l’usage des références aux fondateurs de congrégations. Aujourd’hui encore, il est toujours aussi important pour servir correctement cette Eglise de prendre en compte son histoire, ce qui fait sa fierté et la richesse de sa foi : le lien entre la Croix de Jésus et la communauté cambodgienne, tel qu’il a été vécu et affirmé par les souffrances et le sang de ses martyrs.

1.3La priorité reconnue à la promotion d’une Eglise pour le Cambodge a fait placer au premier rang des préoccupations la création d’un presbytérium diocésain, tâche d’autant plus urgente que tous les prêtres khmers avaient disparu. Déjà dans les camps, nous avions repéré et organisé l’accompagnement des vocations sacerdotales. Ensuite, nous avons créé un « grand séminaire » à Battambang, avec des jeunes venus des camps et des jeunes qui n’étaient jamais sorti de leur pays.

1.4Afin de pouvoir bénéficier des avantages d’une formation donnée dans leur culture et dans leur langue, les séminaristes font leurs études de base au Cambodge, en langue khmère, et dans le contexte pastoral de leur Eglise qui renaît. Dans l’immédiat, c’est une option onéreuse : outre la difficulté de rassembler un corps professoral, il faut mettre au point le vocabulaire philosophique et théologique; mais à terme c’est une grande chance pour l’Eglise locale. Après la formation commune donnée au séminaire diocésain, certains d’entre eux pourront compléter leurs études à l’étranger. Dans cette perspective, et pour faciliter la formation permanente du clergé diocésain, l’apprentissage d’une langue étrangère (anglais ou français) s’avère indispensable pour tous.

1.5 L’absence d’un clergé cambodgien, anéanti pendant la révolution, handicape lourdement le développement de l’Eglise au Cambodge. Cette carence n’est que partiellement compensée par l’arrivée de missionnaires étrangers. Tous ces agents de pastorale doivent en quelque sorte « renaître au Cambodge », c’est-à-dire connaître la langue khmère, s’initier au bouddhisme, à l’histoire et aux coutumes du pays, et s’insérer dans la communauté ecclésiale. Un centre culturel vient d’être ouvert pour donner cette formation qui est prévue pour durer trois ans. L’insistance à demander une longue et sérieuse préparation est justifiée par le fait que, dans le passé, une politique à courte vue pour l’emploi rapide des nouveaux arrivés limitait considérablement les possibilités de ce personnel pour l’oeuvre missionnaire.

II – Partir des communautés

2.1Lorsque les premiers missionnaires étrangers purent rentrer au Cambodge à partir de 1989, ils se trouvaient devant « un champ de ruines » : l’Eglise avait été complètement démantelée par vingt années de guerre et de persécution. Les fidèles, survivants du génocide, étaient dispersés; les cadres religieux supprimés; les églises étaient rasées, les écoles et institutions spoliées. Devant ce « champ de ruines », la tentation était réelle de vouloir reconstruire rapidement ce qui était détruit, grâce à des moyens et du personnel venus de l’extérieur, au risque de démobiliser les chrétiens du pays et de construire pour eux une Eglise « clefs en main », donc étrangère, qui ne serait pas le fruit de leur travail ou de leurs sacrifices.

2.2En 1990, lorsqu’il a été possible aux Khmers d’être ouvertement chrétiens dans leur pays, le premier souhait des fidèles a été très clair : ne pas simplement refaire le passé; ne pas rebâtir une Eglise uniquement avec des forces étrangères, des ressources étrangères. Leur volonté était très forte de construire pour le Cambodge une Eglise à visage cambodgien. Nous avons pris au sérieux le désir des fidèles : il était urgent d’aller lentement; d’écouter les appels des fidèles; il était nécessaire de marcher au pas des communautés ecclésiales.

2.3Ces considérations ont été fondamentales pour élaborer des orientations pastorales. Le plus urgent n’était pas de rebâtir les cathédrales ou les chapelles, ni d’assurer à tout prix la sacramentalisation immédiate des baptisés. D’ailleurs la situation politique du pays ne s’y prêtait pas encore. Il fallait d’abord rassembler les fidèles en Eglise; développer les communautés dans le sens de la prise en charge de leurs responsabilités chrétiennes; promouvoir leur créativité pour se donner les institutions nouvelles répondant à leurs besoins.

III- Une démarche synodale

3.1Pendant quinze ans, les fidèles cambodgiens avaient appris à se taire et à obéir aux ordres du Parti. Beaucoup étaient restés fidèles, vivant la foi dans le secret de leur coeur ou l’intimité de leur famille. Certains avaient été si profondément ébranlés que leur foi semblait n’être plus qu’une référence lointaine. Une fois retrouvée la liberté de se réunir, ils devaient réapprendre à prier ensemble, à parler, à s’exprimer. Après quinze années de « dressage », ils auraient pu se contenter de devenir une Eglise de la soumission et de la passivité.

3.2Conscients de ce danger, les fidèles ont eu l’idée de rassembler à Phnom Penh des représentants de toutes les communautés pour apprendre à se connaître, échanger, réfléchir et décider ensemble. La formule a eu immédiatement la faveur de tous. Deux fois par an, une centaine de représentants des communautés avec leurs responsables, ordonnés ou non, se réunissent pour quatre jours de « démarche synodale ». En février 1996 a été célébrée la onzième assemblée des communautés.

3.3Un regard sur ces onze rencontres montre le chemin qu’ont suivi, ou plutôt ouvert, les communautés. Dès la première rencontre en 1991, la question était posée : qu’est-ce que l’Eglise ? Prenant conscience que « l’Eglise c’est nous », les participants ont cherché à comprendre la mission à laquelle tous sont appelés. Se sont dégagés les trois appels : de la foi à transmettre, de la prière à organiser, de la charité à témoigner. Chacun de ces appels a fait l’objet d’une ou plusieurs assemblées.

3.4Ce fut d’abord la liturgie, avec l’approfondissement de la fête de Pâques, la fête de Noël, la fête des morts (Prachum BenDes recherches ont été faites pour promouvoir l’inculturation de la prière, des chants et des gestes. Les livres liturgiques et le « Livre de vie chrétienne » ont été préparés et édités. Le répertoire des cantiques a été complètement renouvelé, et les psaumes sont psalmodiés sur des mélodies khmères traditionnelles.

3.5La mission de charité et de service des pauvres a fait l’objet d’une réflexion attentive. Des difficultés apparaissaient sur la définition, la mise en oeuvre et l’extension de cette mission. La pauvreté des fidèles, les habitudes anciennes à s’en remettre aux prêtres, vénérés comme des « pères de famille », devant régler les problèmes personnels et prendre en charge les besoins matériels de la communauté, amenaient les fidèles à restreindre leur engagement au service des pauvres, et à le limiter aux plus proches.

3.6Pour surmonter ces difficultés, les assemblées des communautés ont élaboré une ligne de conduite générale, qui se révèle féconde, pour aborder toute une série de questions, comme la construction d’une église, la prise en charge des malades, la transmission de la foi aux enfants et aux adultes, l’organisation de la fête de Noël, l’aide aux victimes des inondations dans un village voisin, la construction d’une école etc. Ce principe est le suivant : chaque communauté doit discerner et évaluer ensemble les besoins qui concernent sa mission; elle doit s’efforcer d’y répondre en mettant en oeuvre le personnel, ainsi que les moyens matériels et spirituels de cette communauté elle-même. Les appels d’aides aux autres communautés ne sont reçus que lorsque les moyens locaux mis en oeuvre, en personnel et en ressources, se révèlent insuffisants pour répondre aux besoins que l’on a mission de prendre en charge.

3.7Les trois dernières assemblées des communautés ont étudié le thème de la foi à transmettre : la foi qui est rencontre de Jésus Christ (les premiers disciples, Zachée); la foi partagée aux autres (la Samaritaine); la foi proclamée dans la liturgie (les disciples d’Emmaüs).

IV- Le principe des trois comités

4.1Chaque communauté est invitée à créer des comités pour la liturgie, la catéchèse et la diaconie. Dans les petites communautés, ces trois fonctions doivent être assumées par des responsables à l’intérieur d’un comité unique. Ces comités ne sont pas « une recette pastorale » opportune; ils sont l’expression de la prise de conscience de la communauté qui met en oeuvre sa mission de transmettre la foi, qui la célèbre, et qui, au nom de cette même foi, se met au service diaconal des hommes autour d’elle, particulièrement des plus démunis. Quand cette triple dimension est effectivement prise en compte, alors cette communauté mérite le nom d' »Eglise », dans le sens où l’employait St Paul qui portait « le souci de toutes les Eglises » qu’il ne cessait de visiter (2Cor. 11, 28).

4.2Les agents de pastorale (prêtres, religieuses, catéchistes), et les institutions socio-caritatives de l’Eglise doivent tenir en grande estime la mission de ces comités et respecter leurs initiatives. Cela oblige à réfléchir à nouveau sur les responsabilités respectives des ministères ordonnés et la place des charismes dans l’Eglise.

4.3Le prêtre ne saurait être l’homme à tout faire qu’une vision pastorale réclamait qu’il soit dans le passé. Les charismes des religieux et religieuses ne sauraient substituer leurs compétences et leur dévouement aux responsabilités normales des laïcs. L’Eglise n’est pas organisée en vue du rendement à la manière des sociétés humaines; elle est une communion qui met les fidèles au service les uns des autres, et tous ensemble au service de Dieu et des hommes.

4.4Le bon fonctionnement d’une communauté suppose une double conviction : celle des fidèles conscients d’être des « pierres vivantes » dans la construction de la communauté; celle des responsables qui se savent être « serviteurs » de la communauté. Servir, c’est-à-dire susciter, former, accompagner les communautés dans leur mission d’être une Eglise pour le salut des hommes au Cambodge.

V- L’unité pastorale et pastorale de l’unité

5.1Avant les événements des années 1970, l’Eglise au Cambodge avait ses paroisses, ses écoles, ses institutions caritatives; elle avait des prêtres, des religieux et des religieuses autochtones. Elle avait un grand et un petit séminaire, des noviciats. La vie contemplative était représentée par un monastère de bénédictins et un carmel. Trois circonscriptions ecclésiastiques avaient été érigées en 1968. Au début de 1975, deux ordinaires de lieu étaient Khmers. Semée 450 ans plus tôt, l’Eglise atteignait enfin sa maturité.

5.2Toutes les structures de l’Eglise au Cambodge ayant été démantelées, la question s’est posée aux missionnaires qui avaient pu retourner au Cambodge : de ces anciennes structures lesquelles fallait-il privilégier ? La nécessité est apparue de promouvoir fortement l’unité de la pastorale. Du fait que les références traditionnelles incarnées dans la vie des communautés, les usages du presbytérium, les habitudes des paroisses et des institutions n’existaient plus, il y avait péril que l’activité pastorale, soumise à l’inspiration personnelle ou à l’opportunité, n’aboutisse à morceler l’Eglise et à la diviser: « Moi, je suis de Pierre et moi je suis de Paul… »

5.3Chargés de susciter une Eglise diocésaine, et avec le souci de promouvoir un clergé diocésain, nous avons pris comme principe de ne pas attribuer de secteur particulier à une ou autre congrégation ou société missionnaire qui en aurait la charge pastorale exclusive. Nous avons pensé qu’il fallait au contraire favoriser la création d’équipes pastorales avec des missionnaires venus de différents pays et de différentes familles religieuses.

5.4Ce faisant, nous sommes bien conscients des renoncements qui sont ainsi demandés aux missionnaires pour la reconstruction de l’Eglise au Cambodge : bien insérés dans l’Eglise locale, ils ont à accepter une grande flexibilité dans leur ministère. Dans toute son histoire depuis 450 ans, jamais l’Eglise du Cambodge n’avait reçu autant d’offres d’emploi de la part de congrégations religieuses et de sociétés missionnaires, qu’elle n’en a reçu depuis six ans. Les critères et les conditions de travail qui leur sont présentés s’inspirent entre autres de cette nécessité de promouvoir l’unité pastorale.

5.5L’appel à l’unité concerne de manière spéciale les fidèles d’origine vietnamienne. Beaucoup d’entre eux étaient installés au Cambodge depuis plusieurs générations, lorsqu’ils ont été expulsés au Vietnam en 1970. Ils ont à faire un effort soutenu pour connaître et utiliser la langue du pays, afin de communiquer avec les gens autour d’eux et partager avec les autres fidèles les orientations qui sont celles de l’Eglise au Cambodge. Eux aussi sont appelés à devenir des « pierres vivantes » dans la construction de l’unique Eglise et à participer à sa mission. Il est déjà significatif que la liturgie de la messe se fasse largement en langue khmère. D’autres progrès sont à réaliser avec le soutien de l’équipe de prêtres, religieuses et laïcs mise au service de ces communautés.

5.6L’unité de la famille chrétienne est l’un de nos grands soucis. L’arrivée sur le « marché des religions » de nouvelles dénominations chrétiennes (une bonne dizaine), rend la concordance des témoignages à la fois plus urgente et plus difficile. Des affaires comme la croisade de Mike Evans, la marche pour le Christ, ont conduit le gouvernement à envisager d’établir à la tête des confessions chrétiennes, un comité national représentatif de toutes les tendances. Notre démarche est plus fondamentale et plus spirituelle. Des célébrations communes sont organisées pendant la semaine de l’unité et à l’occasion de Pâques et de Noël. La traduction oecuménique de la Bible par un comité interconfessionnel, commencée en 1973, a abouti à l’édition du Nouveau Testament en 1993. La traduction complète de la Bible est prévue pour 1997. Chaque trimestre, les organisations non gouvernementales chrétiennes se réunissent en vue de promouvoir des activités caritatives communes.

5.7Une structure a été mise en place pour favoriser l’unité de la pastorale : le conseil de mission réunit les responsables des trois circonscriptions ecclésiastiques pour étudier les problèmes, répartir le personnel, prendre les décisions, ayant en vue le bien de l’ensemble de l’Eglise au Cambodge, et pas seulement celui d’un secteur particulier. Après cette étape qui répondait à une période d’urgence, d’autres instances de dialogue et de concertation pourront être introduites. Cette évolution est maintenant rendue plus facile du fait qu’une avancée pour la reconstitution du clergé du pays a été réalisée grâce à l’établissement d’un grand séminaire, et à l’ordination d’un prêtre cambodgien, et que, d’autre part, les missionnaires nouvellement accueillis, progressant dans la connaissance de la langue et du pays, s’insèrent davantage dans l’Eglise qui est au Cambodge.

VI- La foi et les oeuvres

6.1L’Eglise, au sortir de ses épreuves, se trouvait dépouillée de toutes ses institutions socio-caritatives (écoles, dispensaires, orphelinats, foyers, coopératives agricoles, caritas etc.) Ces réalisations étaient nées progressivement dans le contexte de l’Eglise locale, pour répondre à des besoins perçus comme prioritaires. Elles étaient animées par des religieux, religieuses, laïcs, dont la plupart étaient nés dans le pays et baptisés dans l’Eglise du Cambodge. Ces institutions étaient donc largement l’expression de la foi dans cette Eglise.

6.2Le parcours pastoral suivi après 1989 consistait à rassembler les fidèles et à les aider à prendre leurs responsabilités dans la triple mission de l’Eglise. Une de ces missions concerne le témoignage de charité et de solidarité à l’égard des pauvres. C’est dans ce contexte qu’ont été développés les comités d’entraide dans les communautés chrétiennes, et que nous avons fondé à nouveau Caritas-Cambodge, expression de la pastorale sociale de l’Eglise locale.

6.3Mais parallèlement à cette démarche, la mission socio-caritative de l’Eglise a été considérablement développée par l’arrivée de forces extérieures à l’Eglise locale : soit des organisations non gouvernementales d’inspiration chrétienne animées par des laïcs; soit des Ong animées par des congrégations religieuses. Un défi est apparu : comment parvenir à harmoniser tous ces témoignages socio-caritatifs, ceux donnés par les Ong catholiques internationales et ceux donnés par les communautés chrétiennes locales ?

6.4L’Eglise locale ne peut assumer des besoins qu’à la mesure de ses disponibilités et de son propre dynamisme. Pour que son témoignage sonne juste, elle doit veiller à ce que ses oeuvres soient l’expression de sa foi. D’autre part, elle doit veiller aussi à ce que ses initiatives s’insèrent dans le réseau des solidarités locales avec ses contraintes et ses lenteurs.

6.5Les Ong internationales n’ont pas ces limitations : avec des fonds extérieurs abondants, un personnel expatrié compétent et rémunéré, avec l’appui des maisons-mères et de réseaux puissants d’entraide internationale, elles peuvent répondre à des besoins bien plus vastes, animer des programmes bien plus complexes.

6.6Pour les Ong animées par des congrégations religieuses, cette situation soulève des problèmes délicats : comment leur témoignage religieux est-il relié à celui de l’Eglise locale ? En quoi est-il un signe de la foi et de la charité de cette Eglise ? Ces Ong confessionnelles risquent en effet d’être seulement signes de la foi de leur groupe. Il est déjà arrivé que des observateurs khmers insufisamment renseignés ont pensé qu’il existe plusieurs Eglises catholiques au Cambodge… Ces institutions ont un difficile chemin à parcourir : elles ne sont pas nées dans le terreau de l’Eglise locale. Le « charisme du fondateur » ne doit pas seulement être importé : il a besoin d’être enfoui dans la terre khmère, afin de germer en réalisation originale.

6.7Les congrégations religieuses se présentent souvent, au Cambodge comme ailleurs, comme des témoins de l’Eglise universelle. La référence est valide si elle est bien comprise. Le pape Jean-Paul II a commenté ce point de vue dans son allocution aux évêques du Brésil, le 11 juillet 1995. Rappelant la doctrine du concile Vatican II – c’est dans les Eglises particulières et à partir d’elles qu’existe l’Eglise catholique une et unique (LG 23)-, le pape conclut : bien loin de créer un climat d' »Eglise parallèle », la vocation pour l’Eglise universelle se réalise dans le cadre des structures de l’Eglise locale, dans laquelle les religieux doivent s’insérer aussi bien du point de vue affectif qu’effectif. « L’unité avec l’Eglise universelle par l’Eglise locale : voilà notre voie » (DC du 3 septembre 1995, col. 767-771).

6.8L’harmonisation de tous ces témoignages constitue un défi qu’il n’est pas facile de gagner, et nous n’y avons encore que médiocrement réussi. Toutefois, des formules prometteuses ont été mises en place comme la réunion mensuelle des Ong catholiques. Des actions conjointes ont été menées (distribution de couvertures aux personnes âgées); des programmes à partenaires multiples ont été élaborés (comité d’entraide, caritas, ong, congrégation). Nous favorisons toutes ces initiatives qui tendent à une meilleure collaboration entre les forces socio-caritatives de l’Eglise au Cambodge.

VII- L’Eglise dans la société civile

7.1Avant 1975, l’Eglise au Cambodge avait un cadre juridique officiel pour déployer ses activités. Dès leur prise de pouvoir, les Khmers rouges ont dénié aux religions, y compris au bouddhisme, toute existence légale. Le 1er mai 1989, dix ans après la chute de Pol Pot, le bouddhisme a été reconnu comme religion d’Etat. L’islam a obtenu un peu plus tard un statut très favorable. Le 4 avril 1990, la liberté de se réunir pour le culte a été à nouveau accordée aux groupes chrétiens qui en feraient la demande. La constitution de 1993 garantit la liberté de religion.

7.2Mais l’Eglise catholique en tant que corps social n’a pas encore de statut juridique reconnu. L’établissement, pour la première fois dans leur histoire, des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le royaume du Cambodge donne à l’Eglise qui est au Cambodge l’espoir de parvenir à la définition d’un statut légal pour servir de cadre juridique à ses activités. Le processus est engagé depuis un an; il n’est pas encore arrivé à sa conclusion.

VIII- L’Eglise dans la cité des hommes

8.1L’Eglise du Cambodge avait jusqu’en 1975, comme on dit, « pignon sur rue ». Il y avait des signes très visibles de sa présence : évêchés, cathédrale, églises, écoles, couvents… Bien plus encore, les fidèles vivaient en villages ou en quartiers catholiques autour de l’église, comme c’était l’usage dans les pays de tradition chrétienne. Cette formule, destinée à consolider la foi des néophytes et protéger celle des chrétiens de souche, avait le grave inconvénient de les isoler et de les fermer aux problèmes de la société. En 1960, un journal catholique fut lancé dans l’intention d’ouvrir les esprits aux problèmes du Cambodge et du monde. L’entreprise était prématurée et, au bout d’un an, Le Messager cessa de paraître.

8.2Dans l’énorme brassage de population provoqué par la guerre, l’exode, la révolution, ces structures de chrétienté ont éclaté. Par la suite, les fidèles dispersés n’ont pas pu, à quelques exceptions près, reconstituer leurs bases traditionnelles. Plutôt que de gémir sur les malheurs des temps ou essayer de regrouper les familles sur de nouvelles terres, ou les rassembler dans de nouveaux quartiers, nous avons voulu regarder cette dispersion comme un appel providentiel, et la vivre comme une chance pour l’Evangile.

8.3Nous avons tiré les conséquences de cette situation nouvelle en ce qui concerne l’accueil et l’accompagnement des candidats au baptême. Rejoignant les enseignements du concile Vatican II pour une formation sérieuse et renouvelée des catéchumènes, nous demandons à ce que les candidats suivent un parcours catéchétique de deux à trois ans, basé sur l’Evangile et jalonné par les étapes du baptême. Cette pratique avait déjà été expérimentée dans les camps de réfugiés pour une population déracinée et déstabilisée.

8.4« L’homme est le premier chemin que doit parcourir l’Eglise en accomplissant sa missiondit le pape Jean-Paul II dans « Redemptor Hominis ». Sur le chemin de l’ouverture au monde, les communautés chrétiennes font des progrès significatifs. Elles prennent en compte les problèmes concrets de la vie des hommes autour d’elles. Le regard qu’elles portent sur le bouddhisme est infiniment plus positif qu’autrefois; le dialogue de vie avec les bouddhistes est quotidien et aisé. Au cours de cérémonies conjointes, des chrétiens ont prié pour la paix dans des pagodes, le patriarche des Mohinakay a prêché dans une église sur la paix. Des délégations de fidèles participent à des marches pour la paix, pour la condamnation des mines antipersonnelles, pour la promotion des femmes. D’autres fidèles s’impliquent dans l’aide aux handicapés et aux aveugles; se dévouent auprès des malades de la tuberculose ou du sida. D’autres encore accompagnent des jeunes pour un meilleur avenir… L’Eglise au Cambodge suit avec espérance cette route de l’homme, route fondamentale tracée par le Christ lui-même, mais qui passe de façon immuable par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption.

Phnom Penh, Carême 1996