Eglises d'Asie

NOUS EN AVONS ASSEZ DE LA GUERRE, PERMETTEZ NOUS DE VIVRE DANS LA PAIX

Publié le 18/03/2010




“La paix est un don de Dieu, mais c’est aussi une tâche, un défi, une responsabilité morale des hommes et des femmes de notre temps. Elle a toujours été construite pas à pas. Mon souhait pour tous les Srilankais est que, à l’image de votre fleur nationale qui, quel que soit son environnement, s’ouvre et s’épanouit dans sa pleine gloire à la lumière du soleil, le vrai bien et une paix véritable s’épanouissent sur cette île magnifique parce qu’ils fleurissent dans le coeur de chacun d’entre vous” (Jean-Paul II à Colombo le 21 janvier 1995).

C’est avec ces mots qui résonnent encore dans nos têtes que nous, membres de la commission nationale pour la justice, la paix et le développement humain au Sri Lanka, souhaitons partager quelques pensées avec tous nos compatriotes concernant la situation de notre pays aujourd’hui, et particulièrement la paix. Ces pensées sont le fruit de notre réflexion commune et peuvent, nous l’espérons, contribuer de quelque manière à la cause de la paix dans notre patrie bien aimée.

La plupart d’entre nous au Sri Lanka professons des traditions religieuses qui considèrent des valeurs comme la non-violence, la noblesse absolue et le sacré de la vie sous toutes ses formes, la tolérance, l’amour, la volonté de pardonner et d’oublier, le souci de la justice, l’égalité de tous les êtres humains, comme étant d’une importance fondamentale pour la libération personnelle et communautaire. De ce point de vue nous nous attristons de constater un concert croissant de voix qui appellent à la violence et à la guerre comme au seul moyen de résoudre les conflits. Guerre et paix sont des concepts diamétralement opposés, et croire ou propager le slogan “la guerre pour la paix” est contradictoire en soi. C’est peut-être cette idéologie qui a causé une militarisation croissante du conflit actuel avec de graves conséquences pour le peuple et le pays. Guerre et violence ne peuvent mener qu’à la haine et à des coeurs totalement brisés. Il n’est déjà pas facile de résoudre un conflit armé mais il est encore moins aisé de guérir des relations interethniques blessées. La perpétuation de cette violence ethnique et de cette guerre ne peut qu’amener une division inguérissable des coeurs. Nous nous demandons si c’est bien nécessaire.

Par ailleurs, dans cette conflagration violente, des jeunes gens, cingalais et tamouls, qui sont la plus grande richesse de cette nation, meurent ou sont mutilés par milliers. La vie de famille est perturbée. Près d’un million de personnes sont devenues des réfugiés parmi les Cingalais comme parmi les Tamouls. Les précieuses richesses de la nation sont gaspillées dans l’achat d’armements par toutes les parties impliquées dans le conflit. Des devises étrangères sont perdues et ne servent plus qu’à enrichir des producteurs et des trafiquants d’armes. Notre économie est sérieusement affectée. Les attaques terroristes à Colombo et en d’autres lieux ont tué beaucoup de civils innocents et ont rendu la vie de beaucoup de personnes misérable. La peur s’est emparée des familles des employés de bureau et d’autres qui se rendent en ville pour travailler. Les pleurs et les traumatismes des enfants qui ont perdu leurs parents, des parents qui ont perdu leurs enfants, des femmes qui ont perdu leurs maris et vice-versa, des familles qui sont tombées dans la misère, des personnes réfugiées, s’adressent à nous, hommes et femmes de quelque religion ou de quelque bord politique que nous soyons, aux responsables politiques, cingalais ou tamouls, aux chefs rebelles : “Nous en avons assez de la guerre, permettez-nous de vivre dans la paix”.

Nous ne pouvons pas ne pas penser plus particulièrement aux pauvres, tamouls ou cingalais, qui constituent plus de la moitié de notre population nationale et qui sont ceux qui souffrent le plus en conséquence de cette violence insensée. Ils sont les sans-voix dont la vie, les revenus, les maigres protections sociales sont terriblement perturbés par ce conflit. Eux aussi crient pour qu’on en finisse avec tout cela. Nous sommes convaincus que parmi les pauvres il n’y a pas de sentiment de discrimination ethnique ou linguistique. En même temps nous notons avec tristesse le concert croissant de voix qui cherchent à enflammer les sentiments de la population par des affirmations qui sont nuisibles à la paix et à l’harmonie dans cette nation.

Voici quelques-unes de ces affirmations :

a) L’idée que cette nation appartient à une ethnie particulière ou à une religion unique, affirmation souvent claironnée par quelques-uns de nos chefs religieux et politiques.

b) L’opinion selon laquelle les essais de solution de ce problème mis en oeuvre par plusieurs gouvernements mènerait à une division du pays. La vérité est qu’il y a déjà une division de facto de ce pays puisque certaines régions sont inaccessibles à la plupart des citoyens. Ce que l’on doit essayer de faire maintenant c’est d’unir ce qui est ainsi divisé.

c) L’opinion – ou le préjugé – selon laquelle on ne peut pas faire confiance aux chefs cingalais et que la seule solution possible pour les Tamouls est d’exiger un Etat indépendant.

d) L’opinion selon laquelle des solutions éventuelles ne peuvent être proposées que par le gouvernement. Il est triste de constater qu’aucune proposition constructive pour la paix ne vient des “Tigres” ou d’autres groupes tamouls.

Nous constatons aussi que la population est souvent tenue dans l’ignorance sur la vérité de la situation dans le nord-est, ou bien est délibérément manipulée au sud comme au nord par les médias qui publient des articles mensongers, partiaux ou quelquefois volontairement inflammatoires, et qui introduisent des images erronées dans les coeurs et les esprits de notre peuple. Nous voulons rappeler à tous ceux qui sont impliqués dans ce domaine si important et vital de la vie nationale leur devoir sacré d’agir avec le sens de leurs responsabilités et dans la vérité pour contribuer positivement à créer les conditions d’une solution paisible et digne de ce conflit.

Les conflits ne peuvent pas se résoudre avec un fusil. Aucun de nos fondateurs de religions n’a invoqué un tel principe. La haine ne peut pas être détruite par la haine mais seulement par l’amour. En fin de compte, tous les conflits ne peuvent que se terminer dans le dialogue, le compromis, la confiance mutuelle et l’harmonie. Nous avons vu comment cela s’est produit dans plusieurs parties du monde dans un passé récent. C’est en train d’arriver aujourd’hui en Israël, en Bosnie-Herzégovine, en Angola et d’autres lieux. Tout ne marchera pas bien immédiatement, des sacrifices devront être faits. Il y aura des hauts et des bas dans le processus de paix, mais ceux d’entre nous

qui croient à la noblesse fondamentale de l’homme, à sa capacité de changer la vie radicalement, croient que le miracle est encore possible pour nous Srilankais.

Par conséquent, nous appelons le gouvernement et les “Tigres” à abandonner le chemin de la violence et de la guerre pour s’engager dans un processus de dialogue sincère. C’est la seule manière de faire émerger un héroïsme véritable ainsi qu’un processus de guérison intérieure, de commencer à construire la confiance et le respect mutuel qui sont les nécessités de l’heure. Nous pensons que c’est possible et qu’il faut essayer. Comme dans beaucoup d’autres parties du monde, un tel processus peut être enclenché soit par des contacts informels, soit par l’intermédiaire d’une troisième partie à laquelle les deux belligérants feront confiance au cours des difficiles étapes initiales. La participation d’un médiateur ne signifie pas nécessairement une ingérence dans nos affaires internes et une perte de notre souveraineté. Il s’agit plutôt d’une aide.

Nous appelons le gouvernement à pourvoir de manière adéquate aux nécessités de base de la population dans les régions troublées où ces facilités sont rares. Nous appelons les “Tigres” à permettre aux personnes déplacées dans les régions du nord et de l’est de retourner sur leurs lieux habituels de résidence. Nous croyons fermement que c’est le peuple qui doit décider de son avenir et non pas les chefs militaires ou politiques : c’est le chemin de la démocratie et de la dignité. Aucune nation ne peut se construire sur le principe de la force et de la coercition. Le peuple fait la nation.

Nous espérons et nous prions que, en tant qu’êtres humains dignes possédant une histoire et des traditions culturelles ou religieuses nobles, nous pouvons surmonter toutes ces divisions au Sri Lanka et construire demain un pays, uni, égalitaire et prospère. Si nous en avons la volonté, nous en aurons les moyens. Dans la sincérité et l’humilité, osons nous aventurer sur les chemins qui pourront nous permettre d’atteindre cet objectif. C’est un chemin qui reflète ce qu’il y a de meilleur et de plus noble dans notre héritage religieux, socio-culturel et politique. Que Dieu bénisse le Sri Lanka et lui accorde la paix.

Mgr Malcolm Ranjith, président

P. J.B. Devarajah, secrétaire