Eglises d'Asie

Une émigration clandestine vers la Thaïlande commence à frapper le nord-ouest du pays

Publié le 18/03/2010




Dans les provinces du nord-ouest du Cambodge s’amplifie un mouvement d’exode clandestin de travailleurs vers la Thaïlande. Selon les autorités thaïlandaises, environ 100 000 Cambodgiens travailleraient clandestinement en Thaïlande. 1 000 par mois franchiraient la frontière, par groupes de 20, 30 et plus, avec l’aide de passeurs. Les points de passage illégaux sont les mêmes que ceux des réfugiés de 1975 à 1985. Ce sont aussi les mêmes passeurs. Les candidats au départ vendent tout ce qu’ils ont et empruntent pour payer le passeur (environ 160 dollars américains).

Les clandestins travaillent principalement dans le bâtiment. Le travail fini, il n’est pas rare que le patron avertisse la police qui arrête les clandestins et les conduit en prison, puis à la frontière. Durant les 5 premiers mois de l’année, 3 600 Cambodgiens ont été ainsi arrêtés par la police thaïlandaise et reconduits à la frontière. Plus de 1 000 Cambodgiens sont devenus mendiants professionnels à Bangkok, sous le patronage de chefs de gangs thaïlandais.

Eglises d’Asie a recueilli un témoignage qui donne une idée de la situation : « Dans mon village, cette année, les pluies sont arrivées trop tôt : on n’a pas pu labourer toutes les rizières. On a semé le riz, mais comme il a trop plu, le riz a pourri. Quand il a fait quelques jours de soleil, on a resemé le riz, mais il à nouveau trop plu, et le riz a de nouveau pourri. L’an dernier, nous allions couper du « sbeuv » dans la plaine voisine, ce qui nous permettait de faire des « kdâp », sorte de grandes plaques d’herbes pour couvrir les chaumières, mais depuis l’an passé, les militaires ont labouré ces 100 hectares de sbeuv pour en faire des rizières à leur profit. L’an dernier nous allions couper du bois ou des lianes dans la forêt, mais maintenant c’est impossible : il faut demander l’autorisation et payer à la fois les soldats et les Khmers rouges. Comment faire pour ne pas crever de faim ? Le guide avait l’habitude de venir très souvent dans notre village pour nous offrir de traverser la frontière. Il disait que là-bas, je gagnerais beaucoup d’argent. La faim m’a poussé à partir. J’ai 4 enfants et ma rizière est inondée. J’ai vendu deux cochons et deux vaches et j’ai emprunté 1 500 bahts (300 FF) à mes voisins. Nous avons quitté Makprang à 7 heures le matin en moto-remorque et nous avons pris d’autres personnes le long du chemin. Nous sommes arrivés à Poipet à 6 heures du soir et là, nous avons payé le passeur. Chacun de nous lui a donné 4 000 bahts (800 FF). Nous étions 17 personnes en plus du passeur. Nous avons commencé à marcher le long de la rivière, puis nous l’avons franchie. Nous avons atteint Aranyaprathet à 11 heures du soir. Un passeur thaïlandais nous attendait. Nous sommes montés dans un camion à bestiaux qui nous a transportés toute la nuit sur des petites routes. Le matin, nous avons atteint Bangkok. Le passeur nous a amenés sur un chantier et a négocié avec le patron. Le surlendemain, nous avons marché tous les 17 pendant toute la journée avant d’atteindre un endroit près de la mer, et nous avons dormi sur la plage. Un bateau est venu nous chercher au petit jour et nous a emmenés sur une île où il y avait un chantier. Nous avons travaillé là pendant 27 jours. On nous a fait signer un contrat. Les horaires de travail étaient de 7 heures à midi, et de 13 heures à 17 heures. Nous étions nourris et nous dormions dans de petites chambres de 3 personnes. On nous avait promis 1 950 bahts (400 FF) tous les 15 jours, mais nous n’avons touché que 820 bahts (150 FF). Ils nous ont dit que l’argent n’était pas arrivé. Ensuite la police est arrivée et nous a arrêtés. Nous sommes passés devant le juge. J’ai compris que nous étions condamnés à un mois et demi de prison. En fait, nous avons passé 5 mois en prison, sans sortir. Durant 5 mois, je n’ai pas vu le soleil. Nous n’avions ni matelas ni moustiquaire, ni aucun médicament quand nous avions la fièvre. Le régime de Pol Pot était comme une prison, mais nous pouvions sortir chercher à manger. A Bangkok c’était impossible ».