Eglises d'Asie

CINQ OBSTACLES A LA RECONCILIATIONentre la Chine et le Vatican

Publié le 18/03/2010




En 1995, après quarante-six ans de “sur-place”, des changements subtils ont eu lieu dans les relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican. Deux événements significatifs ont capté l’attention du monde. Le premier est que la Chine, pour la première fois, a envoyé une délégation à la Journée mondiale de la jeunesse à Manille, du 11 au 16 janvier 1996. Les vingt-quatre représentants de la Chine comprenaient non seulement des séminaristes, des laïcs et cinq prêtres de l’Association patriotique des catholiques chinois, mais aussi quelques cadres communistes du Bureau des affaires religieuses du Conseil d’Etat. Le groupe avait l’intention de rencontrer ouvertement le pape Jean-Paul II et les représentants de Taiwan. Dans une certaine mesure, il y est arrivé. Le deuxième événement a été la présence, approuvée par Pékin, d’une délégation du Saint-Siège à la quatrième conférence mondiale des Nations Unies pour les femmes, qui s’est tenue à Pékin du 4 au 15 septembre. C’est la première fois que le Vatican envoyait une délégation officielle à Pékin depuis 1951. La délégation du Vatican était menée par Mary Anne Glendon, professeur de droit de l’université Harvard, et comportait vingt-et-un membres dont treize étaient des femmes. Il est important de noter la similarité de ces deux événements en termes de statut et de nombre de délégués.

L’histoire de l’Eglise

L’Eglise catholique est arrivée en Chine il y a plus de 700 ans avec Jean de Montcorvin, franciscain, qui commença l’évangélisation des Mongols à Pékin en 1294. L’histoire de l’Eglise catholique en Chine a connu des soubresauts mais elle a été ininterrompue depuis l’arrivée de Matteo Ricci, jésuite, en 1583.

Les relations diplomatiques entre la Chine et le Saint-Siège ont été suspendues le 4 septembre 1951 quand le gouvernement chinois a expulsé l’internonce du Vatican, Antonio Riberi. Cette initiative n’était pas seulement le résultat de l’ultra-gauchisme communiste, mais aussi celui du sentiment de revanche du peuple chinois irrité par la situation semi-coloniale qui leur avait été imposée pendant des années. La situation a évolué de manière significative depuis quelques décennies. Après la troisième session plénière du onzième comité central du Parti communiste, en 1978, le gouvernement chinois a entrepris une réforme politique progressive. De manière générale, la politique religieuse est devenue plus libérale et plus tolérante, sauf pendant une courte période allant de 1989 à 1992 (1). L’attitude du Vatican vis-à-vis de la Chine s’est aussi assouplie depuis le concile Vatican II (1962-1965). Une série de dialogues au profil bas ont eu lieu par des canaux diplomatiques directs et indirects et à travers des organisations non gouvernementales. Les deux parties ont indiqué leur désir de restaurer les relations diplomatiques. Mais rien de cela ne s’est encore produit. Quels sont les obstacles qui demeurent du côté chinois ? Comment peut-on les contourner ? La situation présente de l’Eglise catholique de Chine est la conséquence directe des 46 dernières années. Il est donc nécessaire de présenter les problèmes par étapes et de revoir brièvement l’histoire de l’Eglise catholique en Chine depuis 1949.

De l’établissement du gouvernement communiste à la fin de l’époque Mao Zedong : 1949-1978

Une crise, intensifiée par une inflation galopante et une propagande communiste séduisante sur la réforme agraire et la reconstruction politique démocratique, amena la chute du gouvernement chinois nationaliste et la victoire communiste du 1er octobre 1949. Le 30 novembre, un groupe de catholiques du nord-Sichuan, dirigé par un prêtre chinois, Wang Liangzuo, publia un manifeste appelant tous les catholiques chinois à rompre toutes relations avec les forces impérialistes, y compris le Vatican, afin de construire les “trois autonomies” et établir une Eglise autonome dans sa gestion, son gouvernement et sa propagation (2). D’autres manifestes similaires apparurent plus tard.

Le premier ministre, Zhou Enlai, savait cependant très bien qu’il faudrait tolérer, au moins temporairement, des relations entre l’Eglise chinoise et le Vatican. Par conséquent, il déclara que, tant qu’il n’y avait pas dans l’Eglise d’opposition au pouvoir politique du peuple chinois et de soutien à l’impérialisme américain, on pouvait maintenir des relations avec le Vatican (3).

La plupart des évêques catholiques chinois condamnèrent l’Eglise soi-disant “nationale” ou “indépendante” comme schismatique, et ils ajoutèrent que les catholiques qui se séparaient volontairement du Saint-Siège se séparaient aussi de Jésus-Christ et de l’Eglise catholique universelle.

Au cours de la campagne “S’opposer à l’Amérique, aider la Corée”, le gouvernement nationalisa ou confisqua presque toutes les institutions et les propriétés missionnaires. Dès la fin de 1951, quelques missionnaires quittaient déjà la Chine. La majorité, cependant, étaient encore à leurs postes même après l’expulsion de Riberi.

L’année 1955 fut un tournant. La résistance catholique fut annihilée par des arrestations massives et le terme “trois autonomies” fut progressivement remplacé par celui, jugé plus convaincant, de “association patriotique”. On pouvait s’opposer aux “trois autonomies” parce qu’elles affectaient les structures traditionnelles et la nature de l’Eglise catholique, mais aucun catholique chinois ne pouvait s’opposer à l’amour de la patrie. La même année, deux évêques résistants, Ignace Gong Pinmei à Shanghai, et Dominique Tang Yeeming à Canton, furent arrêtés avec un grand nombre de prêtres, religieuses et laïcs (4).

Au milieu de l’année 1957, l’Association patriotique nationale des catholiques chinois fut établie sous la présidence de l’archevêque de Shenyang, Pi Shushi. Les cadres communistes insistèrent pour faire élire et ordonner des évêques sans l’approbation de Rome. Les évêques expulsés ne pouvant plus revenir et quelques évêques chinois étant en prison, il fallait beaucoup de nouveaux évêques pour occuper les sièges épiscopaux vacants. Des prêtres “patriotiques” furent choisis. Entre le 20 avril et le 20 juillet 1958, treize évêques “patriotiques” furent ordonnés sans l’approbation de Rome dans six diocèses chinois.

C’est avec grande tristesse que la nouvelle fut reçue au Vatican. Le 29 juin 1958, le pape Pie XII publia une encyclique “Ad Apostolorum Principis“, dans laquelle il exprimait son désaccord avec l’Association patriotique des catholiques chinois et affirmait qu’il ne reconnaîtrait pas l’ordination d’évêques dont la nomination n’avait pas été confirmée par le Saint-Siège. En dépit de cette encyclique, en 1962 le nombre d’évêques ordonnés de manière illicite atteignait le chiffre de 42 (5).

Au moment de la désastreuse révolution culturelle, toutes les religions, comme institutions, disparurent de Chine. Toutes les publications de nature religieuse furent interdites et les Eglises entrèrent dans la clandestinité pour survivre. Le Bureau des affaires religieuses et l’Association patriotique des catholiques chinois cessèrent de fonctionner. En 1976, vite après la mort de Mao, l’ultragauchiste “bande des quatre” fut arrêtée et le cauchemar des dix ans de la révolution culturelle arriva à son terme. Deng Xiaoping émergea comme le dirigeant le plus influent du Parti communiste chinois.

La politique religieuse pendant la période de réforme et d’ouverture : 1978-1995

Après Mao, a commencé l’ère Deng Xiaoping. Pour accomplir les “quatre modernisations”, la Chine a pensé devoir élaborer une politique religieuse relativement plus souple et bienveillante. L’expérience de jeune étudiant en France de Deng peut avoir influencé son attitude vis-à-vis de la religion, en le rendant plus tolérant et plus souple que Mao.

Le moyen choisi par Deng pour avancer est celui du “Front uni”. C’est une alliance forgée entre des personnes de toutes les sections de la population pour soutenir la modernisation socialiste. La relation actuelle entre la “religion” et la “politique” est très bien éclairée par le slogan du tout nouveau Front uni : “rechercher l’unité, préserver les différences”. Le but originel du Front uni est contenu dans les mots de Lénine : “On doit s’unir aux ennemis de moindre importance pour lutter contre l’ennemi le plus importantCependant, le Front uni a évolué avec le temps en ce qui concerne son objectif et sa direction. Aujourd’hui, le Front uni travaille à mobiliser tous les éléments positifs, à unifier toutes les forces potentielles, et à transformer positivement les éléments négatifs au service des “quatre modernisations” de la Chine. Le département du Front uni et le Bureau des affaires religieuses sont des organisations reliées entre elles dont la responsabilité consiste à mettre en pratique la politique religieuse du gouvernement. Le Front uni est l’organisation du Parti communiste et le Bureau des affaires religieuses, celui du Conseil d’Etat. Le Bureau des affaires religieuses exécute la politique religieuse définie par le Front uni.

Il y a eu progressivement des améliorations dans la situation de l’Eglise catholique depuis 1978.

En 1978, deux évêques catholiques et quatorze dirigeants d’autres groupes religieux furent élus comme délégués à la Conférence politique consultative.

Depuis 1979, beaucoup de prêtres ont été libérés de prison ou des camps de travail.

En août 1979, le pape Jean-Paul II, pour la première fois, a exprimé son espoir de rétablir les relations entre l’Eglise et la Chine.

Au cours de l’été 1980, deux nouvelles organisations ont été établies : la Conférence des évêques catholiques chinois et la Commission administrative catholique chinoise. Beaucoup de membres de la commission appartiennent à l’Association patriotique des catholiques chinois.

Des grands séminaires et des couvents ont été progressivement rouverts, à Pékin, Shanghai et d’autres lieux.

Cinq évêques d’Asie et le cardinal Jaime Sin de Manille ont visité la Chine en 1987.

Les éditions “Guangqi” de Shanghai ont commencé la traduction des documents du Concile Vatican II en 1989.

Quelques prêtres chinois et étrangers, résidant en dehors de Chine, ont reçu la permission d’enseigner dans divers séminaires pour de courtes périodes. La nouvelle constitution de 1982, conserve cependant des clauses contre la domination étrangère des Eglises chinoises.

Les relations entre la Chine et le Vatican ont commencé à s’éloigner de la confrontation en 1989. Alors qu’elle recherchait le dialogue international, la Chine a pris conscience de la nécessité d’élaborer une politique nouvelle à l’égard de l’Eglise catholique. En conséquence, le Comité central du Parti et le Conseil d’Etat ont promulgué le Document n° 3 en février 1989 : “Directives du Parti sur la manière de gérer l’Eglise catholique dans la nouvelle situation”. La section la plus importante de ce document, qui signalait un changement d’attitude significatif, était que les catholiques chinois avaient maintenant la possibilité de “maintenir des relations purement religieuses avec le Saint-SiègeCela signifie que les catholiques peuvent reconnaître le pape comme tête de l’Eglise et peuvent prier publiquement pour lui. Cependant, les catholiques ne peuvent pas avoir de contact direct avec le Saint-Siège et l’Eglise chinoise doit continuer de choisir et d’ordonner ses évêques.

A une réunion de la Conférence des évêques en mars 1989, la primauté de direction fut accordée à la conférence épiscopale. Ce rôle était jusque-là dévolu à l’Association patriotique des catholiques chinois qui devait, dorénavant, fonctionner sous l’autorité de la conférence épiscopale.

En ce qui concerne la relation avec le Saint-Siège, les évêques déclarèrent : “Notre relation de foi avec le Saint-Siège n’a jamais été coupée. Ce qui a été coupé c’est la relation politique qui nous empêche d’avoir des contacts extérieurs avec le Saint-Siège. Notre foi reste la même qu’auparavantCes mots poignants indiquent la difficulté qu’éprouvent les évêques à communiquer la situation présente compliquée de l’Eglise.

A la fin des années 1980, le gouvernement a commencé de prendre conscience que non seulement les religions avaient connu un renouveau après la Révolution culturelle, mais qu’elles étaient en pleine croissance et grandissaient à une vitesse sans précédent. Dans le cas du christianisme, le gouvernement et les autorités de l’Eglise estimaient le nombre des chrétiens à six ou sept millions pour les protestants et trois millions pour les catholiques. D’autres estimations proposaient des chiffres plus élevés : cinquante à soixante millions de protestants et dix à douze millions de catholiques. Les estimations les plus modérées reconnaissent une augmentation de plus de 100% sur les quinze dernières années (6).

Les cinq obstacles à la réconciliation entre la Chine et le Vatican

Depuis la fin des années 1980, la Chine – y compris l’Association patriotique des catholiques chinois – et le Vatican ont ouvertement exprimé leur désir de rétablir des relations diplomatiques. Le pape Jean-Paul II a fait au moins quatre discours en quinze ans, pour exprimer son désir de réconciliation (à Rome, aux évêques de Taiwan en août 1995 et décembre 1990, à Séoul en octobre 1989 et à Manille en février 1981). Il ne fait aucune distinction entre les membres de l’Association patriotique et les catholiques “clandestins”: il s’adresse à la communauté catholique de Chine dans son ensemble.

En dépit du désir de réconciliation, de la réforme politique inspirée et prometteuse de la Chine depuis 1992, et de deux avancées historiques en 1995, les conditions nécessaires pour le rétablissement des relations diplomatiques ne sont pas remplies. L’avenir de l’Eglise en Chine dépend de la possibilité d’écarter cinq obstacles fondamentaux à la réconciliation. A moins que ces problèmes ne soient correctement résolus, la réconciliation est impossible dans un avenir proche et pourrait même mettre la situation de l’Eglise en péril.

Premier obstacle : l’athéisme

Dans le gouvernement chinois, le pouvoir est entièrement entre les mains d’athées. L’étendue de leur tolérance religieuse dépend entièrement des exigences d’une situation donnée. La politique actuelle concernant le christianisme ne régressera pas vers son statut précédent si l’une au moins des conditions suivantes est remplie :

Si des cadres de haut niveau se convertissent

Si les chrétiens deviennent une proportion importante de la population chinoise

S’il y a un élément suffisant de pluralisme tant dans les groupes religieux que dans les partis politiques pour empêcher les autorités de maintenir un pouvoir politique autocratique.

La plupart des dirigeants chinois de haut rang ont étudié en URSS à l’époque de Staline. En conséquence, ils n’ont qu’une connaissance limitée du christianisme. Ils sont plus familiers de la doctrine gauchiste qui leur a appris à utiliser le Front uni pour éliminer la religion progressivement en unissant, en éduquant, en réformant, ou en arrêtant, en emprisonnant, en éliminant.

En 1992, au cours d’une visite à Famensi, temple bouddhiste de la province du Shaanxi, Jiang Zemin, secrétaire général du Parti communiste chinois, a récité publiquement le fameux poème athée “Zuoqian, Zhilanguan Shizi Sunxiang” (réfuter le bouddhisme), écrit par Han Yu en 819, au cours de la dynastie Tang (7). Selon les rapports, la raison de sa visite était qu’il voulait voir les reliques du doigt de Bouddha. Il n’oublia pas tout d’abord d’affirmer ses positions athées à travers le poème, même si, dans son coeur, il était attiré par le pouvoir magique de la relique. Quelques-uns de ceux qui étaient avec lui récitèrent avec force et fièvre le sixième vers après le cinquième récité par Jiang, pour manifester leur solidarité avec lui. Peut-être qu’une majorité de dirigeants chinois ont des sentiments semblables dans l’exercice de leurs activités diplomatiques et religieuses.

Deuxième obstacle : le marxisme

Le gouvernement chinois n’a pas ouvertement ou complètement abandonné le marxisme. Les gauchistes qui constituent la majorité des cadres de haut rang ont été seulement provisoirement affaiblis sous la pression et l’autorité de Deng Xiaoping.

Quelquefois, ils manifestent leurs véritables sentiments dans des publications et en s’adonnant à la démagogie. L’article intitulé, “Ce que l’on peut apprendre de la théorie religieuse du marxisme et la politique religieuse du Parti”, écrit par Jian Ping, ministre-adjoint du département du Front uni, en septembre 1986, est un bon exemple. Voici ce qu’il écrit :

“Il est vrai que la religion a joué un rôle positif dans le développement de l’histoire du monde et que des révolutionnaires ou des groupes révolutionnaires ont utilisé la religion avec succès. Mais notre classique et fameux proverbe marxiste ‘la religion est l’opium du peuple’, n’est pas encore dépassé. Il est prouvé, tant dans l’histoire européenne que chinoise, que le rôle négatif de la religion ne peut jamais être éliminé. Après la libération de notre pays, la situation religieuse a changé de façon considérable. Pour le dire en peu de mots, les changements indiquent que les organisations religieuses ont changé seulement en apparence et dans leur inclination politique, mais elles n’ont pas changé un iota dans leur idéologie sociale ou leur représentation du monde ou leur idéalisme. La religion est complètement à l’opposé de l’athéisme et nous ne pouvons nier son rôle anesthésiant dans le domaine social et celui de l’idéologie. Nous n’avons pas d’autre choix que de limiter le degré et l’extension des activités religieuses” (8).

Troisième obstacle : la sous-estimation du statut international du Vatican

La Chine met oeuvre son programme de modernisation et le désir de succès de ses dirigeants les a amenés à mettre l’accent particulièrement sur ces pays qui manifestent une puissance économique et militaire. Si l’on en juge par leur niveau actuel de compréhension du christianisme, ils ne peuvent pas juger à sa juste valeur le statut international du Vatican et ne sont donc pas à même de promouvoir un dialogue adéquat de réconciliation. Ils ont inconsciemment révélé leur sous-estimation du Vatican dans leur attitude arrogante et menaçante dans des dialogues informels de niveau peu élevé.

Autrefois, il y avait une expression stalinienne, bien connue dans les pays socialistes : “Combien de divisions dans ce soi-disant pays du Vatican” ? Cette sorte de courte vue possède encore une forte influence sur quelques dirigeants chinois aujourd’hui. En d’autres termes, si la force militaire et économique du Vatican était égale à celle des Etats-Unis; si la Chine était économiquement dépendante du Vatican; si le Vatican était une menace militaire, les attitudes changeraient et un dialogue de réconciliation commencerait immédiatement.

En ce qui concerne l’autorité et l’influence du pape dans les affaires mondiales du moment, la citation suivante d’un Chinois athée, qui a vécu à Rome de nombreuses années, reflète l’opinion partagée de beaucoup d’athées à travers le monde:

“Pourquoi devrions-nous respecter le pape? Je ne sais pas exactement. Le vieil homme fait souvent des discours à la télévision italienne sur ce qui se passe dans les coins les plus reculés du monde. Ses discours apparaissent comme autoritaires mais je me demande combien d’activités criminelles et d’injustices ont changé à la suite de ses appels à la bienveillance. Je pense qu’il serait mieux pour cette sorte d’homme de prendre sa retraite aussi vite que possible plutôt que de parler inutilement de manière interminable. On n’a pas idée de la quantité de temps précieux de télévision qu’il gaspille en une année, alors que beaucoup de films intéressants pourraient être montrés en lieu et place de ses discours”.

Quatrième obstacle : la peur du contrôle du Vatican

Tout en sous-estimant le rôle du Vatican sur la scène mondiale, les dirigeants chinois s’inquiètent aussi du contrôle que le Vatican pourrait exercer à nouveau sur l’Eglise chinoise. Le nouveau gouvernement chinois ne pourra jamais tolérer à nouveau que des gouvernements étrangers usurpent la souveraineté chinoise ou assument un contrôle administratif sur la Chine. Cette politique est fixée, elle est fondamentale et elle ne changera pas.

Au cours du siècle précédent, les puissances occidentales se sont abattues sur la Chine. Le résultat en fut que le peuple chinois a goûté l’amertume d’une existence semi-coloniale et fait l’expérience d’un territoire dont des portions non négligeables étaient louées à des puissances étrangères. Il y avait évidemment beaucoup de raisons pour que la Chine soit réduite au statut d’une semi-colonie. L’une d’entre elles, la plus évidente, était la décadence et le déclin de la dynastie des Qing qui ne pouvait plus rassembler suffisamment de forces pour contrôler les puissances étrangères en Chine. Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui, le nouveau gouvernement chinois s’inquiète à la pensée d’être pénétré et déstabilisé à nouveau par des puissances étrangères. C’est pour prévenir cela que la Chine a mis en place de puissants garde-fous dans le domaine des affaires étrangères.

De telles préoccupations s’originent à la fois dans une compréhensiuon moderne des différences entre le marxisme et le christianisme et dans les différences entre les cultures occidentale et chinoise. C’est seulement quand les cultures orientale et occidentale fusionneront ou s’accommoderont l’une de l’autre qu’elles atteindront le point de la compréhension mutuelle.

Au début du XVIIIème siècle, les empereurs Kangxi (1661-1722) et Yongzhen (1723-1736), tous les deux de la dynastie des Qing, exprimaient les mêmes préoccupations. A cette époque, la Chine était un pays puissant et prospère, sans menace d’invasion étrangère. En fait, l’empereur Kangxi étendit son empire vers le nord-ouest et le nord-est pour gagner environ cinq millions de kilomètres carrés. Mais quand il se trouva impliqué dans la querelle des rites et s’opposa en définitive à la malencontreuse encyclique du pape, il donna l’ordre, avec son fils, de bannir l’Eglise.

Dans sa jeunesse, l’empereur Yongzheng entendit sans aucun doute beaucoup parler du christianisme par son précepteur, le P. Pedrini, et il semble qu’il ait eu beaucoup d’admiration pour quelques-unes de ses idées. Cependant, sa conviction que la religion dans son fondement était révolutionnaire et subversive affaiblit son admiration pour les doctrines chrétiennes. Alors qu’il cherchait la stabilité et la continuation du statu-quo il vit des prêtres étrangers perturber la capitale avec des querelles concernant les institutions fondamentales de la Chine, que lui, comme ses sujets chinois, voulait soutenir très fermement. Yongzhen, un jour, expliqua ses préoccupations à plusieurs missionnaires. Ses paroles sont toujours valides et donnent à penser encore aujourd’hui:

“Vous dites que votre loi n’est pas une loi fausse. Je le crois. Si je pensais qu’elle était fausse, rien ne m’empêcherait de détruire vos églises et de vous en chasser. Que diriez-vous si j’envoyais une troupe de bonzes et de lamas dans votre pays pour y prêcher leurs doctrines ? Vous voulez que tous les Chinois deviennent chrétiens, votre loi l’exige. Je le sais. Mais, dans ce cas, qu’adviendra-t-il de nous? Deviendrons-nous des sujets de votre roi ? En temps de trouble, les convertis que vous faites ne reconnaissent que vous. Ils n’écoutent pas d’autre voix que la vôtre. Je sais que, pour le moment, il n’y a rien à craindre, mais quand vos bateaux arriveront par milliers, alors il y aura probablement de grands désordres. L’empereur, mon père, a perdu beaucoup de sa réputation parmi les intellectuels parce qu’il a condescendu à vous permettre de vous établir ici. Les lois de nos anciens sages ne permettent pas de changement et je ne laisserai pas mon règne ouvert à de telles accusations” (9).

Les empereurs Qing s’inquiétaient que des convertis, tout en respectant Confucius et en rendant un culte aux ancêtres, suivent les traditions catholiques chinoises établies par Matteo Ricci, et que la doctrine catholique et le droit canon ne s’immiscent dans la doctrine de la religion, la loi et la philosophie traditionnelles chinoises. Si l’opinion de Matteo Ricci n’était pas suivie, tout le système culturel chinois, particulièrement le système d’examens de l’empire, s’écroulerait immédiatement. Les empereurs ne sauraient plus “où choisir leurs fonctionnaires et comment administrer l’empire à l’avenir. Ces jours-là ne seraient-ils pas aussi turbulents et incontrôlables qu’un cheval sauvage ?”

Peut-être que les Chinois n’auraient pas dû tant s’inquiéter de leur souveraineté. Leur inquiétude s’originait dans leur absence de compréhension de la relation entre religion et politique, entre les Eglises et le gouvernement. Je n’ai jamais entendu parler de troubles provoqués par des Eglises interférant sans justification dans les affaires internes de gouvernements locaux, après que les Eglises se soient séparées des institutions politiques. Le droit canon stipule en détail comment les catholiques doivent se conduire au sein de sociétés séculières.

La situation en Chine a changé de manière considérable sepuis la guerre sino-britannique de l’opium en 1840, à la suite de laquelle le peuple chinois subit une longue période de semi-colonisation. Les puissances occidentales entraient souvent en territoire chinois pour s’ingérer illégalement dans les affaires internes chinoises. Aucun Chinois ne peut oublier ce cauchemar national. Le nouveau gouvernement est né de ce cauchemar et les inquiétudes ou les malentendus tels que ceux de Yongzhen sont sans doute toujours pertinents aujourd’hui. Personne ne peut dissiper ces préoccupations sans que les conditions suivantes ne soient remplies :

Une interaction en profondeur des cultures chinoise et occidentale.

Une Chine réellement puissante et prospère.

Une nouvelle et saine structure internationale.

Le fait demeure que seulement une poignée de grands pays développés domine les affaires internationales. Le nationalisme, comme principe fondamental de motivation d’un pays, est aujourd’hui encore un phénomène commun. Des hégémonies comme celle des Etats-Unis ont interféré sans nécessité dans les affaires internes de pays plus faibles comme le Panama, la Somalie et même l’Irak pour promouvoir leur propre nationalisme. La Chine, en tant que pays en développement et souffrant de gigantisme depuis 1840, est encore aujourd’hui, sous certains aspects, gémissant faiblement.

A la lumière de son organisation universelle, quelques secteurs séculiers n’hésitent pas à indiquer les similitudes entre l’Eglise catholique universelle et les multinationales. Leur préoccupation principale est qu’il n’y a pas de multinationale qui possède un système administratif aussi serré, efficace, performant et durable que le système du Vatican. Etant donné ces conditions, il apparaît que le pape ou le département d’Etat du Vatican peuvent encore influencer les décisions diplomatiques stratégiques.

Cinquième obstacle : l’ordination des évêques

Depuis plus de quarante ans, les relations entre la Chine et le Vatican sont troublées par le problème de l’ordination des évêques. Dans le cours de l’histoire mondiale, le Saint-Siège a passé beaucoup d’accords avec des gouvernements et s’est adapté à diverses circonstances historiques. Pourquoi cela ne se produirait-il pas en Chine ? Jeroom Heyndrickx pose la question dans son essai : “Le besoin de réconciliation”. “Pourquoi le gouvernement chinois refuse-t-il de soumettre au Saint-Siège les noms de candidats éventuels à l’épiscopat? A l’avenir, comment le processus de nomination des évêques respectera-t-il la définition de la constitution chinoise et l’autorité du gouvernement chinois?” (10).

Ce sujet est complexe et il y a beaucoup d’obstacles à un accord éventuel. La première est que la procédure suivie par la tradition vaticane ne pourra jamais être acceptée par le présent gouvernement chinois. Pourquoi? Nous pouvons déduire la réponse des autres politiques et activités diplomatiques, mais des réponses claires n’apparaissent pas de manière évidente à partir des dialogues de niveau peu élevé.

Nous pouvons tirer quelques enseignements de la politique concernant les affaires tibétaines. Selon le réglement de “l’urne d’or”, article 29 de l’ordonnance des affaires tibétaines, décrété par le comte Qing en 1793, la succession des chefs religieux mongol et tibétain, Dalaï Lama et Panchen Erdeni, doit suivre une procédure progressive de sélection. La première étape, que ce soit pour le Dalaï Lama ou le Panchen Erdeni, consiste à écrire trois noms de candidats soigneusement choisis sur des talismans de bois ou de bambou. Ensuite, au cours d’une cérémonie d’incarnation/confirmation, un nom est tiré de l’urne d’or à Lhassa. Finalement, le nom du candidat est soumis à Pékin pour confirmation officielle (11).

En d’autres termes, selon la tradition historique chinoise, quelle que soit la religion, le gouvernement est toujours l’autorité finale et suprême dans les affaires profanes comme religieuses. Si les catholiques chinois soumettent au Saint-Siège les noms des candidats à l’épiscopat, le souverain chinois les considérera comme assujettis à la domination étrangère.

Par ailleurs, les différences entre les cultures occidentale et orientale ont empêché quelques Chinois de comprendre clairement la tradition catholique. La civilisation chinoise est la seule à donner la preuve d’une pensée philosophique élaborée dans un langage non indo-européen. De plus, elle l’a fait dans un langage radicalement différent du grec, du latin ou du sanskrit.

Les particularités linguistiques peuvent avoir joué un rôle caché dans le raisonnement humain, et favorisé certaines orientations de la pensée. Depuis toujours, les traditions intellectuelles, les modes de pensée et la vision du monde des Chinois diffèrent de manière marquée de celles de l’Europe. Avec l’organisation sociale et les traditions politiques de la Chine, ces différences constituaient un obstacle considérable à la christianisation. Ceci se prouve à l’évidence par les réactions chinoises à l’action des missionnaires chrétiens au XVIIème siècle.

Les missionnaires protestants du XIXème et du début du XXème siècle se plaignirent des difficultés de l’expression des idées chrétiennes en chinois. L’un d’entre eux s’exclama : “le chinois est un instrument tellement imparfait et malhabile pour communiquer des vérités spirituelles !” (12). Bien que la situation ait considérablement évolué aujourd’hui, quelques difficultés de langage demeurent. Par exemple, les notions de sacré et de prestige attachées aux termes “Saint-Siège” apparaissent clairement dans les langues européennes. En parlant du Saint-Siège et des “sièges” de gouvernements séculiers, il n’est pas nécessaire d’indiquer à un chrétien instruit, quel siège possède l’autorité suprême dans l’odination des évêques. Mais, en chinois, les termes “Saint-Siège” sont traduits par “Jiao TingLa signification originale de sacré et de prestige a été occultée ou se trouve complètement noyée au milieu d’autres notions de religions (Jiao) qui n’ont même pas formé un système administratif universel.

En ce qui concerne le “pape”, quel que soit le mot utilisé en chinois, Jiao Zong ou Jiao Huang, tous les deux signifient “l’empereur religieux” ou “l’empereur pour les affaires religieuses”. Aucune encyclopédie, ou dictionnaire, ou manuel n’a encore expliqué clairement la relation entre l’empereur séculier chinois (en termes actuels, le président) et “l’empereur religieux” du Vatican : beaucoup de Chinois se demandent donc lequel possède l’autorité suprême dans les affaires qui les concernent tous les deux comme l’ordination d’un évêque. Par ailleurs, la Chine est plus grande que le Vatican et les gens se demandent pourquoi “l’empereur” du plus grand pays devrait se soumettre à celui du plus petit.

Quelques Chinois peuvent même être entendus murmurant : “Que le Saint-Siège soumette à Pékin ses candidats à l’épiscopat, comme le font les autres organisations religieuses Récemment, beaucoup d’intellectuels chinois remarquent qu’une large part de la culture étrangère a été sinisée au cours de processus historiques d’échanges culturels avec l’étranger. Le bouddhisme mahayama est devenu Dhyama ou Zen après une transformation qui a duré plus de mille ans. Pourquoi le christianisme ne peut-il pas être assimilé ou sinisé comme le bouddhisme ?

La question de l’ordination des évêques est cruciale pour les deux parties, elle ne peut être ni évitée ni aisément résolue. La tradition chinoise d’une autorité centralisée ou de monisme politique rend impossible pour les Chinois la compréhension et l’acceptation des procédures du Vatican. Pour les Chinois, les affaires religieuses sont inséparables de celles de l’Etat. Un culte est autorisé seulement quand il a été officiellement reconnu et intégré dans la hiérarchie des cultes sous le patronage du gouvernement. Ainsi, dans le passé,les cultes bouddhiste et taoïste devaient être associés au culte officiel de la tradition des lettrés. Le gouvernement (ou les empereurs dans le passé) allouaient des titres au clergé tout comme ils en allouaient à leurs fonctionnaires.

La conception occidentale d’une distinction entre l’autorité politique et religieuse, chacune étant incarnée dans les personnages des rois et des papes, est considérée par les Chinois comme une aberration.

“C’est comme s’il y avait deux soleils dans le même ciel, deux maîtres dans le même royaume. Cela veut-il dire que si l’on peut imaginer les principes de Yao et de Shun (les deux saints souverains de l’antiquité) remplacés par ceux de leur sutra, notre empereur lui-même devrait se soumettre à cette doctrine souveraine et lui envoyer un tribut ? Quelle audace de la part de ces calamiteux barbares qui voudraient bouleverser l’unité politique et morale de la Chine en introduisant la coutume barbare des deux souverains” (13).

La nature de cette opinion ancienne est similaire à celle qui est exprimée par M. Jian Ping et dont nous avons parlé à propos du deuxième obstacle. Ces convictions sont encore courantes dans les cercles de lettrés. La seulement différence que l’on y trouve est dans le style de langage. Les vieux termes sont marqués par un fort complexe de supériorité que l’on trouve dans la monarchie autocratique de la dynastie des Ming (1368-1644), mais les nouveaux termes sont marqués d’une supériorité encore plus forte, celle de la dictature du prolétariat de Mao Zedong.

N’étant pas familiers d’un concept de distinction claire entre le spirituel et le temporel, les athées chinois ne peuvent pas concevoir une religion qui se détacherait elle-même de l’ordre général. Ils peuvent seulement imaginer une religion qui dominerait cet ordre plutôt que de s’intégrer à lui.

Tout au long de l’histoire de la Chine, les cercles de lettrés au pouvoir ont trouvé les religions acceptables seulement à condition qu’elles renforcent l’ordre général qui est en même temps politique et religieux; si elles renforçaient la moralité publique par leurs enseignements, et si elles contribuaient à la stabilité du pays et à la prospérité collective en obtenant les bénédictions surnaturelles sur tout le pays. Dans de telles circonstances, elles pouvaient être reconnues et encouragées dans le pays. Si, au contraire, elles menaçaient le bien-être général, la moralité publique et la tranquillité, elles faisaient l’objet d’une législation répressive. Le bon clergé est celui de l’Association patriotique des catholiques chinois qui sert l’Etat et se soumet à lui; le mauvais clergé est celui des Eglises “clandestines” composé d’individus opeu recommandables qui évitent le contrôle de l’Etat.

Le conflit entre le Vatican et la Chine est fondamentalement un choc de cultures comme l’a dit en 1993 le célèbre politologue Samuel P. Huntington :

Les relations internationales, historiquement un jeu joué à l’intérieur de la civilisation occidentale, vont progressivement se dés-occidentaliser et devenir un jeu dans lequel les civilisations non occidentales ne seront plus des objets mais des acteurs. Les grandes divisions de l’humanité et la source dominante des conflits seront culturelles. Les Etats-Nations resteront les acteurs les plus puissants des affaires du monde, mais les conflits principaux de la politique mondiale seront entre des nations ou des groupes de civilisations différents. Le choc des cultures va dominer la politique mondiale” (14).

Je ne suis pas totalement d’accord cependant avec l’affirmation suivante du même Huntington :

“Les lignes de défaut entre les civilisations deviendront les lignes de bataille. Les conflits de civilisations deviendront la dernière phase de l’évolution des conflits dans le monde moderne. Les conflits entre groupes dans différentes civilisations seront plus fréquents, plus soutenus, et plus violents. Les conflits violents entre groupes de différentes civilisations sont la source la plus probable et la plus dangereuse

d’escalade qui pourrait amener à des guerres mondiales” (15).

Peut-être le choc des cultures entre l’Occident et le monde islamique est-il aussi sérieux que Huntington le dit, mais en ce qui concerne les Etats confucéens, il me semble qu’il exagère les phénomènes mineurs et passe à côté des aspects majeurs de la situation. La fusion culturelle entre les Etats confucéens et chrétiens est le courant historique indispensable. Tôt ou tard, le christianisme sera largement accepté par le peuple chinois, comme le bouddhisme l’a été après cinq-cents ans de conflits. Par ailleurs, on ne voit pas de signe évident d’escalade qui pourrait amener à des guerres mondiales dans un avenir proche, comme le prédisait Huntington.

Par mon analyse, j’espère que l’histoire fournira à l’Eglise catholique universelle une compréhension plus claire des difficultés auxquelles fait face l’Eglise catholique chinoise et qu’elle fournira l’occasion de croître vers davantage d’unité, vers une unité plus mûre, caractérisée par l’égalité et un respect mutuel authentique pour les arrière-plans culturels respectifs.

La présence de caractéristiques et d’identités différentes ne devrait pas être un obstacle à l’unité au sein de l’Eglise universelle. C’est même tout le contraire. Une nouvelle rencontre entre des traditions différentes dans la conscience et l’appréciation des différences culturelles ne peut qu’enrichir l’Eglise universelle, l’aider à grandir dans ses relations internationales et à jouir d’une unité interne inspirée de l’Evangile.