Eglises d'Asie

LETTRE ADRESSEE A SA SAINTETE LE PAPE JEAN-PAUL IIpar la Conférence épiscopale catholique chinoise En commémoration du soixante-dixième anniversaire de la consécration du premier groupe d’évêques chinois et du cinquantième anniversaire de l’établissement

Publié le 18/03/2010




11 mai 1996

Fête de Notre-Dame de Chine

Sainteté,

Nous, enfants de Chine, sommes pour toujours reconnaissants à Dieu tout puissant qui n’a pas oublié le grand nombre de Chinois vivant une longue période de ténèbres. A travers beaucoup de papes, des missionnaires furent envoyés en Chine pour prêcher l’Evangile. A la fin du XIIIème siècle, le bienheureux Jean de Montcorvin, plus tard St François Xavier, le P. Matteo Ricci et d’autres furent envoyés en Chine pour reconstruire la mission. Cultivée dans le sang des martyrs et la sueur des missionnaires, l’Eglise en Chine a commencé de porter des fruits au début du XXème siècle. A ce moment-là, le Saint-Siège envoya encore deux délégués apostoliques, Mgr Celso Costantini et Mgr Mario Zanin, pour diriger les affaires de l’Eglise. De plus, le pape Benoît XV, dans sa lettre apostolique « Maximum Illud« , déclara que le travail missionnaire en Chine devait s’acheminer vers l’inculturation.

De la même manière, le grand pape Pie XI nomma le premier groupe d’évêques chinois, il y a soixante-dix ans. Pour attirer l’attention du monde sur cet événement significatif, le Saint-Père consacra personnellement les évêques chinois dans la basilique St Pierre, devant tous les cardinaux de Rome, cinquante évêques et tous les diplomates en poste au Vatican.

Au cours des derniers siècles de l’histoire de l’Eglise catholique romaine, l’Eglise de Chine était demeurée dans l’enfance de l’évangélisation. A l’exception de Mgr Grégoire Luo (1616-1691), tous les évêques de Chine étaient des étrangers. Il y a soixante-dix ans, en déclarant au monde que l’Eglise de Chine avait atteint sa maturité, le Saint-Père consacra le premier groupe d’évêques chinois comme un signe de maturité de l’Eglise. Après la consécration, le pape demanda aux évêques de faire en procession le tour de toute la basilique afin de recevoir l’hommage et les applaudissements de l’assemblée. Dans son homélie, le pape déclara au monde que l’Eglise de Chine avait atteint sa maturité et était prête à s’administrer elle-même. Toute objection à cette décision serait interprétée comme objection au pape lui-même. Par conséquent, nous étendons notre gratitude à tous les papes, aux missionnaires et à l’Eglise universelle pour avoir fait grandir l’Eglise en Chine. Votre sang et votre sueur ont irrigué de jeunes plantes pour les amener à maturité.

Il y a cinquante ans, en 1946, il y eut un autre événement significatif dans l’histoire de l’Eglise en Chine. Ce fut l’établissement de la hiérarchie catholique chinoise. Jusque-là, nos évêques étaient appelés « vicaires apostoliques ». Leur titre était en rapport avec des diocèses qui avaient autrefois existé mais n’existaient plus. (…) Après l’établissement de la hiérarchie, notre évêque à Pékin devint l’évêque de Pékin. Il en fut de même à Nankin, Shanghai et d’autres cités. A ce moment-là, l’Eglise catholique romaine en Chine s’est transformée: les régions missionnaires sont devenues des diocèses. A la suite de ce grand changement, des relations diplomatiques furent établies entre le Vatican et la Chine. Le pape Pie XII nomma Mgr Riberi comme premier pro-nonce apostolique en Chine. De plus, vingt-deux archevêques et soixante-dix-neuf évêques furent créés. Mgr Thomas Tien devint le premier cardinal chinois. Il n’était pas seulement le premier Chinois à recevoir cet honneur, mais il était aussi le premier cardinal de l’extrême-orient.

Du point de vue de l’Eglise, les apôtres sous le commandement de Jésus-Christ, voyagèrent à travers le monde et prêchèrent l’Evangile à toutes les nations, sans distinction de régions et de races. De vieilles Eglises locales s’enorgueillissent d’avoir des apôtres, tous juifs, comme premiers évangélisateurs de leurs Eglises. Même Rome, centre de l’Eglise, glorifia les deux grands apôtres Pierre et Paul comme ses premiers évangélisateurs. N’étaient-ils pas tous des étrangers aux yeux des Romains ? L’Eglise est le corps mystique du Christ. Tous les missionnaires et les convertis sont membres de ce corps mystique. Personne ne se préoccupe de distinguer les nationalités et les couleurs de peau.

Quand la maturité d’une Eglise locale s’enracine, elle produit naturellement beaucoup de clergé local, et en fin de compte beaucoup d’évêques et de supérieurs religieux locaux. C’est un processus de croissance naturel. (…) Cette croissance fut nourrie par le Saint-Esprit à travers la coopération et le souci pastoral des papes.

L’inculturation de l’Eglise manifeste sa catholicité. Celle-ci ne peut être qu’unité. Le grain de moutarde devient un grand arbre couvrant le monde entier. Beaucoup d’oiseaux de différents lieux s’abritent dans ses branches. Mais c’est toujours le même arbre. Pensant à ses apôtres et à leurs disciples, et se référant à l’Eglise, Jésus pria son Père : « Ut unum sint… » (qu’ils soient un).

En observant plusieurs décennies d’histoire, nous voyons que les papes, chefs de l’Eglise, ont fait de grands efforts pour l’inculturation de l’Eglise. Ils ont fait la promotion de la culture chinoise dans l’Eglise de Chine. Néammoins, une Eglise

chinoise inculturée demeure, comme l’a dit le Saint-Père, « une partie vivante du corps mystique unique du Christ

Pour différentes raisons, à cause de leur soif de pouvoir, les chefs de beaucoup de générations ont voulu diviser le corps mystique du Christ en assujettissant l’Eglise à leur contrôle. Beaucoup d’expressions telles que « le pays est plus grand que l’Eglise », « Eglise nationale », « Eglise nationalisée », « Eglise autogérée », etc. sont utilisées par eux dans le but d’instrumentaliser l’Eglise pour leurs objectifs politiques propres, même si quelques expressions sont plus claires et d’autres plus diplomatiques. L' »autogestion » ne met pas l’accent sur la position de l’Eglise mais plutôt sur le pays et le pouvoir politique. A l’heure actuelle, pour l’Eglise en Chine, le problème n’est pas de savoir si l’Eglise doit s’inculturer. De toute évidence, le problème est dans la demande qui est faite à l’Eglise locale de se séparer de l’autorité suprême du pontife romain et de soumettre la religion à la politique.

Récemment, votre Sainteté nous a dit : « L’unité surgit de la conversion du coeur et de l’acceptation sincère des principes que le Christ a laissés à son Eglise. Parmi ces principes, est particulièrement importante la communion effective de toutes les parties de l’Eglise avec sa fondation visible : Pierre, le roc. Par conséquent, un catholique, qui veut le rester et être reconnu comme tel, ne peut pas rejeter le principe de communion avec le successeur de PierreNous avons toujours gardé cet enseignement sous les yeux. En dépit des difficultés, des pressions et des risques, notre position en tant que disciples du Christ ne peut pas changer. Nous vous sommes très reconnaissants, Saint-Père, pour votre reconnaissance et votre soutien. Prenant acte de votre invitation « à aimer aussi tous les frères et soeurs chinoisnous nous montrerons magnanimes, nous pardonnerons et nous nous ouvrirons à la réconciliation avec nos compatriotes qui différent de nous dans leur compréhension des choses et l’action.

« Qu’ils soient un » est le cri du coeur du Christ avant sa passion. Nous obéirons et porterons son enseignement dans nos coeurs pour toujours. Nous n’oublierons pas la communion avec le Saint-Siège et nous essaierons de nous unir avec nos frères et soeurs qui ont suivi un chemin erroné, afin qu’ils puissent revenir au seul troupeau et au seul berger. Loué soit Jésus-Christ à jamais. (…)