Eglises d'Asie

RELATIONS ENTRE LES DEUX EGLISES DE CHINE ET DE HONGKONG DANS LE CONTEXTE DU CHANGEMENT SOCIAL

Publié le 18/03/2010




Pour débattre des relations entre les deux Eglises de Chine et de Hongkong, il nous faut d’abord déterminer ce que représentent les relations entre deux Eglises locales. D’un point de vue purement canonique, il n’y a pratiquement pas de relation entre les Eglises de Chine et de Hongkong.

I – INTRODUCTION : EGLISE LOCALE ET SOCIETE

Selon le code de droit canon de l’Eglise catholique, chaque diocèse constitue une entité complète en lui-même. Le chef du diocèse est l’évêque. “A l’évêque diocésain revient, dans le diocèse qui lui est confié, tout le pouvoir ordinaire, propre et immédiat requis pour l’exercice de sa tâche pastorale1).

Ainsi les relations entre un diocèse et un autre sont d’ordre purement amical, et visent à les enrichir l’un l’autre dans le travail pastoral. Il n’y a aucune nécessité structurelle pour que ces relations soient développées. Pourtant, pour des raisons ethniques et géographiques, les Eglises de Chine et de Hongkong ont établi entre elles des relations humaines et affectives, bien audelà de ce qui était exigé par la nature des choses.

En 1946, lorsque le pape Pie XII établit la hiérarchie en Chine, le pays fut divisé en vingt provinces ecclésiastiques. A cette époque, Hongkong relevait de la province ecclésiastique du Guangdong (2). Même à l’intérieur d’une même province ecclésiastique, chaque diocèse est autonome et n’est tenu par aucune obligation vis-à-vis des autres (3). Cependant, à cause des facteurs géographiques, la Chine du sud a tendance à se comporter en unité naturelle. La création d’un séminaire de la Chine du sud à Aberdeen, Hongkong, est un bon exemple de cette coopération interne.

Une société d’immigrants, une Eglise d’immigrants

En 1949, un gouvernement communiste s’établissait en Chine continentale. Le Parti communiste se donnait le matérialisme et l’athéisme comme principes directeurs de gouvernement. Pour cette raison, une grande partie du clergé quittait la Chine pour Hongkong, les uns volontairement, les autres forcés par les circonstances. Ce départ coïncidait avec un déplacement massif de la population de Chine. C’est pour cela que le diocèse de Hongkong se caractérise par son environnement fortement chinois et son intégration dans les structures sociales de Hongkong.

Une des caractéristiques les plus remarquables de cette Eglise est que la proportion de prêtres par rapport au nombre de catholiques y est plus élevée que la moyenne. A cause de l’afflux de travailleurs pastoraux venant de Chine, les effectifs du personnel ecclésiastiques ont toujours été plus élevés que dans les autres régions ecclésiastiques ou territoires missionnaires dans le monde. La moyenne mondiale est d’un prêtre pour 2 500 catholiques (4). Or, pour les quatres dernières années, Hongkong a bénéficié d’une moyenne d’un prêtre pour 1 000 fidèles (5). Le contingent étranger fourni à Hongkong en guise de main-d’oeuvre supplémentaire fut d’une telle importance que dans les années cinquante et soixante, alors qu’il n’existait que quelques vocations locales, il y eut cependant assez de personnel pour assumer le travail pastoral du diocèse.

Influence de l’interventionnisme politique et modèles d’Eglise

En 1950, une importante transformation a marqué les structures de la société chinoise sur le continent, à savoir la disparition des organisations civiles. Dans le cadre de la politique de centralisation, tous les organismes privés y compris les associations culturelles, furent englobés dans le “dessein” général du gouvernement. L’aspect positif de cette transformation était la très grande responsabilité assumée par le gouvernement. L’aspect négatif était, pour les organisations privées, la perte de toute liberté et de toute autonomie. L’Eglise catholique, elle aussi, en tant qu’organisme privé, perdit son autonomie à l’intérieur de la société. En même temps, suite à l’intervention du gouvernement dans les domaines de la politique, de l’économie, de la culture et dans la vie quotidienne du peuple, les activités de l’Eglise se politisèrent bien qu’appartenant de soi à la sphère de la société civile.

Nous pouvons constater sans peine comment les plus hautes sphères des organisations gouvernementales se sont emparées de toutes les fonctions jusque là réservées aux plus basses sphères de la société, si bien que ces dernières perdaient toute utilité.

De son côté, le gouvernement de Hongkong adoptait une politique de non-intervention. Sa participation à la société était la plus faible possible, son intention affichée étant de maintenir séparées les sphères du politique, de l’économique et de la culture. En conséquence, les organismes civils adoptèrent un modèle d’existence apolitique mais orienté vers le service. Ce modèle correspondait très bien aux besoins de Hongkong des années 1950 aux années 1970. Cependant, à une époque de réorientation politique radicale, les organisations qui se sont développées selon le modèle ci-dessus ont beaucoup de difficulté à garder le cap primitif (6).

Echanges entre la Chine et Hongkong au début des années 1980

Avant 1949, le diocèse de Hongkong faisait partie de la Chine du sud, évoluant au même rythme que les autres Eglises catholiques de la région. La responsabilité pastorale de Hongkong s’étendait jusqu’aux villages et districts proches de Huizhou, Guangdong.

Bien que Hongkong fût une colonie britannique, lors de l’établissement de la hiérarchie catholique en 1946, le territoire avait été rattaché à la province ecclésiastique de Guangdong et était devenu une partie de cette province. Sous le gouvernement colonial britannique, malgré des injustices systématiques (par exemple l’inégalité raciale entre Occidentaux et Chinois), le territoire a vécu un siècle de stabilité de 1841 à 1941. Au cours de cette période, Hongkong a réussi à mettre en place une véritable société civile, avec des organisations privées bénéficiant de l’espace nécessaire pour exister d’une manière autonome et libres de toute intervention politique. Cette situation donna au diocèse de Hongkong sa caractéristique propre dans les relations entretenues avec l’Eglise catholique de la Chine du Sud.

Par contre, il n’était pas possible qu’en Chine continentale se développe une véritable société civile. Pour leur bien ou pour leur malheur, associations privées et forces politiques interféraient et l’évolution de l’Eglise subit l’influence des facteurs politiques.

Avant les années 1980, les sociétés de Chine et de Hongkong ont évolué selon des directions entièrement opposées. Influencées, l’une et l’autre, par leur environnement social, elles n’eurent, en réalité, que très peu de relations concrètes. Cependant, à cause de la nature de l’Eglise qui considère tous les fidèles comme des frères et des soeurs, compte tenu aussi des liens intimes de race et de parenté unissant les catholiques de Chine et de Hongkong, il était normal que ceux-ci aient tout naturellement maintenu entre eux des contacts et des échanges.

Vint ensuite, à partir de 1978, une période où le déplacement des personnes s’est accru, permettant des échanges entre les deux Eglises.

En conclusion, on peut dire que durant les années 1950, le mouvement migratoire n’eut lieu que de l’Eglise de Chine vers Hongkong. La décennie suivante, les relations furent complètement interrompues. Dans les années 1970, le silence recouvrit l’Eglise de Chine. Enfin dans les années 80, vint le temps où l’Eglise de Hongkong retrouvait les faveurs de l’Eglise de Chine.

Ce retour en grâce de Hongkong auprès de la Chine fut favorisé par deux facteurs. D’abord, à cause du contrôle exercé sur elles par le gouvernement, toutes les organisations privées s’étaient très affaiblies. L’Eglise catholique, en particulier, était très amoindrie et marginalisée. Elle avait absolument besoin de l’aide du monde extérieur auquel la Chine avait commencé à s’ouvrir depuis la fin des années 70. Ensuite, l’ouverture de la société chinoise fournissait un nouvel espace social pour les activités civiles. Les exigences de la population augmentaient ainsi que son intérêt pour le monde extérieur. Tout naturellement, l’Eglise de Hongkong devenait le passage obligé pour la transmission des nouveaux courants d’influence.

Les réponses des deux Eglises à deux situations politiques différentes

A des situations politiques différentes, les deux Eglises de Hongkong et de la Chine ont donné des réponses différentes. Il est intéressant de remarquer qu’en Chine athée comme à Hongkong où le gouvernement colonial est non religieux mais revêtu d’un teinture de christianisme, les autorités ont essayé d’utiliser les Eglises à l’intérieur de leur sphère d’influence et que, dans les deux endroits, les Eglises ont lié des liens de collaboration avec les deux gouvernements (le mot de collaboration a ici un sens neutre et n’implique aucune approbation ou

désapprobation). La différence, cependant, réside dans le fait qu’après une certaine période de développement, l’Eglise de Hongkong s’est de plus en plus intégrée “à l’institution”, non pas comme une part de l’institution gouvernementale, mais en tant que sous-groupe social parallèle au gouvernement.

En Chine, à cause des violents changements affectant le gouvernement autant que la société, toutes les relations sociales ont subi des transformations radicales. La restructuration des relations sociales réalisée par le gouvernement a encore davantage marginalisé les Eglises. L’Eglise souterraine, apparue dans les années 1970, est un groupe qui s’est trouvé rejeté encore plus loin, à l’extrême de cette marginalisation.

Dans les pages qui suivent, nous essaierons d’analyser comment les transformations survenues à Hongkong et en Chine durant les 50 dernières année ont affecté les deux Eglises et comment se déroulera l’évolution après la passation des pouvoirs de 1997.

II – LES TRANSFORMATIONS SOCIALES A HONGKONG

ET LEUR INFLUENCE SUR LE CHRISTIANISME

L’Eglise de Hongkong, de par sa situation à l’intérieur de la Chine du sud, mais sur un territoire colonial, a subi l’influence de trois facteurs.

a – Le développement de l’Eglise universelle

b – Les formes de l’autorité coloniale

c – Le style de relations en usage dans la société chinoise.

Une Eglise d’immigrants aux aspirations réduites

Au cours des cinquante dernières années, l’Eglise de Hongkong a vécu dans un triple contexte politique. Entre 1945, date de la fin de la deuxième guerre mondiale, et 1966, la société de Hongkong s’est transformée. Au début formée de migrants, elle est devenue une société de personnes enracinées. Avec l’émergence d’une deuxième ou troisième génération, née sur place, une nouvelle force sociale a pris son départ depuis son propre sol. De la même façon, l’Eglise de Hongkong, au départ une Eglise de migrants, est devenue une Eglise locale et s’est enracinée dans le territoire.

Une Eglise composées de personnes en transit est marquée par la nécessité de donner une solution à un certain nombre de problèmes immédiats liés à la subsistance d’un grand nombre d’immigrants. Dans les années 1950, les fonctions du gouvernement lui avaient fait rencontrer ce type de nécessité. L’Eglise l’affronta, elle aussi. Pour cette raison, on assista au sein de l’Eglise catholique à la naissance de l’Association catholique pour la réinsertion et de l’Association catholique chinoise pour le bien-être social. En tant que membres d’une Eglise d’immigrants, les catholiques ordinaires furent satisfaits de ces contributions de l’Eglise catholique au bien-être de la société et n’aspirèrent pas à d’autres contributions qui auraient dépassé ce rôle limité qu’elle s’était donnée.

Croissance du sentiment d’appartenance et multiplication des commissions

Tandis que se développait le sentiment d’appartenance, aussi bien dans la société que dans l’Eglise, deux tendances prenaient corps. La première concernait les affaires locales. La seconde correspondait à une exigence de participation. Ces phénomènes apparurent simultanément dans la société et dans l’Eglise.

Répondant à la demande des nouvelles générations, le gouvernement créa un grand nombre de commissions. Elles étaient destinées à absorber l’élite naissante. Leur fonction était de se pencher sur des questions spécifiques et de fournir ainsi à la nouvelle élite un canal où elle puisse s’exprimer sur un certain nombre de problèmes limités. En même temps, l’élite était dissuadée d’intervenir sur d’autres questions touchant des domaines situés au-delà des paramètres prévus. Les pouvoirs dont bénéficiaient ces commissions étaient limités et ne constituaient, en aucune façon, une menace institutionnelle pour le gouvernement.

Affrontée, elle aussi, aux défis de la société et à la demande des nouvelles générations, l’Eglise de Hongkong chercha à y répondre par la création de davantage de commissions. Cela apparaît clairement si l’on considère les cinquante dernières années. Dans les années cinquante, il n’y avait aucune commission dans le diocèse de Hongkong, si l’on excepte des services fonctionnels comme l’Association catholique pour la réinsertion ou l’Association catholique chinoise pour le bien-être social.

Il fallu attendre 1966 pour que l’Eglise de Hongkong crée la commission liturgique destinée à permettre la participation des croyants catholiques aux affaires de l’Eglise. Suivirent la commission pour l’Unité chrétienne et la commission de l’Education. Depuis, le nombre des commissions a augmenté sans cesse. En 1976, il y avait huit commissions. Leur nombre était de 14 en 1975 et de 23 en 1994 (7).

Au niveau paroissial, les conseils de laïcs furent introduits dans les années 1960. Dans la mouvance de ces conseils, furent créés de très nombreuses commissions. Cependant le curé de paroisse conservait la supervision des relations entre le conseil paroissial et les diverses commissions. Ainsi l’instauration de ce modèle aménage un lieu propice à l’expression des opinions de la population; mais le diocèse conserve l’autorité centrale et la direction.

Cependant l’instauration de ce modèle ne fut pas sans conséquences. D’abord, sa façon de fonctionner donnait une fausse impression au public. Ensuite, un fossé se créait entre l’autorité centrale du diocèse et les diverses commissions. Par exemple, dans leur effort pour régler les problèmes issus d’une société en transformation, les commissions se trouvaient souvent bien en avant de l’autorité diocésaine, qui pratiquait volontiers l’immobilisme. Le public, lui, avait la fausse impression que le diocèse manifestait véritablement un esprit d’avant-garde. En fait, il ne donnait aucune réponse adéquate aux problèmes soulevés. L’écart se creusait à l’intérieur de la réponse globale à la société. D’un côté, l’Eglise pouvait accéder à un large éventail d’opinions venant du monde extérieur. De l’autre, elle évitait de prendre l’initiative d’offrir une réponse, en laissant la responsabilité aux commissions. Il en est résulté une dichotomie entre la connaissance et l’action. La confusion s’est introduite dans l’esprit des fidèles, faute d’une direction claire.

Certains commentateurs ont souligné qu’en créant des commissions, l’Eglise de Hongkong n’a fait qu’imiter l’évolution suivie par l’Eglise universelle. Nous ne nions pas que la création de commissions avait pour motivation le désir de se mettre au diapason de l’Eglise universelle. Cependant, les commissions de l’Eglise universelle, y compris les commissions pontificales et les diverses commissions de la Conférence épiscopale jouissent d’une certaine représentativité et d’une certaine autorité. Elles peuvent se faire les porte-parole du Saint-Siège ou de la Conférence épiscopale. A Hongkong, les commissions sont coincées entre la base et l’autorité centrale et ne peuvent parler en leur nom. En fait, les règles du jeu sont très proches de celles utilisées par le gouvernement de Hongkong pour ses propres commissions.

La Chine en transformation à l’ordre du jour de L’Eglise

En 1988, l’Eglise de Hongkong entrait dans la troisième étape de son évolution. Le diocèse s’engageait dans l’élaboration d’un document consultatif, processus similaire à celui qui allait conduire à la rédaction de la loi fondamentale. Il faut dire que ce comité de rédaction au nombre de membres limité gardait un contact étroit avec l’autorité centrale. En même temps, il tentait une consultation de l’opinion générale et créait un groupe consultatif qui recouvrait un large éventail d’opinions divergentes (8). Le cheminement était tout à fait semblable à celui que suivait le Comité de rédaction de la Loi fondamentale et les groupes consultatifs travaillant avec lui. Cela nous montre la façon dont s’effectue le travail de l’Eglise de Hongkong. Elle obéit aux même règles du jeu que le gouvernement.

L’Eglise catholique à Hongkong est consciente du défi posé par le changement politique imminent. La lettre pastorale de 1989, “En avant vers une décennie lumineuseest une synthèse de l’expérience du passé et des efforts réalisés pour progresser (a). En même temps, la Chine devenait un point important de l’ordre du jour et un thème central de la réflexion.

En analysant les réponses de l’Eglise catholique aux changements de société survenus au cours des cinquante dernières années, nous espérons avoir éclairé le caractère conformiste de l’Eglise à Hongkong. En reproduisant la façon d’agir du gouvernement, l’Eglise, d’une façon positive, centralisait ses forces pour régler les problèmes au plus haut niveau, conformément à ses capacités d’adaptation au système. Cependant, un grave défaut était attaché à ce parti-pris de suivre les règles du jeu gouvernementales. Ce faisant, l’Eglise s’éloignait de la population et mettait en péril son identification avec sa base. En d’autres mots, elle perdait son enracinement dans la population et n’était plus reconnue comme sa représentante.

Si la situation ne s’améliore pas en 1997 et si l’Eglise se tient encore à distance de sa base, il lui sera difficile de modifier sa façon de faire actuelle, qui consiste à se conformer aux manières d’agir du gouvernement. Cependant, l’Eglise devra travailler avec un gouvernement différent après l’échéance de 1997 et trouver un style qui se

situera entre celui des autorités athées de la Chine et celui de la Région administrative spéciale. Le défi que devra relever l’Eglise de Hongkong sera de trouver sa propre orientation entre ces deux pôles d’influence.

Nous sommes certains que la direction du diocèse de Hongkong n’ignore pas la nécessité de s’enraciner sur sa base. La lettre pastorale de 1989, “En avant pour une décennie lumineuse“, aussi bien que le rapport provisoire “Evangélisation et édification du royaume de Dieu” mettent l’accent sur le développement des communautés chrétiennes de base (b). Cependant, les projets en ce sens contenus dans les deux documents s’avèrent relativement légers. Cela tend à montrer que, si, dans son approche des problèmes, l’Eglise ne change pas ses procédures copiées de celles du gouvernement, son enracinement à la base sera difficile à réaliser.

III- CHANGEMENTS SOCIAUX ET LEUR INFLUENCE

SUR L’EGLISE DE CHINE

Après 1949, l’Eglise en Chine a été absorbée dans le système plus large d’une société monolithique (9). Elle a été entraînée dans une régression diamétralement opposée au développement de la société. Le contrôle social a atteint son niveau maximum durant la révolution culturelle – un contrôle qui ne s’exerçait pas seulement sur les activités des associations mais aussi sur les relations humaines. Lorsque le contrôle social atteint sa force maximale, les activités privées sont, par suite, réduites à leur minimum.

Avec l’arrestation de la “bande des quatre” et la fin de la révolution culturelle, prenait fin la confiance accordée à une société uniformisée. A partir de 1979, une politique plus ouverte était mise en oeuvre et les organisations civiles reprenaient vie progressivement. Pour notre étude, il est particulièrement intéressant de considérer les changements qui ont eu lieu au cours de cette période de transition, au cours de laquelle une nation au strict contrôle social est devenue un pays où la société jouissait de davantage de “laissez-faire” (c).

En tant que sous-groupe de la société, l’Eglise a ses propres organisations et structures internes. Face à la pression externe, elle peut réagir en se soumettant à la pression. Elle peut aussi sacrifier une part de sa structure originelle pour réduire la pression exercée sur elle et sauvegarder son intégrité.

Mais que la réaction à la pression soit la soumission ou la résistance, sous l’angle du projet propre à l’organisation, elle représente toujours un développement illégitime. Elle reste une adaptation conjoncturelle et temporelle. Cependant avec le temps, la pression exercée sur elle est devenue un trait permanent, structurel, même si elle s’exerce aujourd’hui avec moins de force. Par ailleurs, la réaction de l’Eglise a pu être sans proportion avec la pression qui s’exerçait sur elle et, à son tour, affecter le fonctionnement de l’organisation avec beaucoup plus d’intensité que n’en avait la pression originelle. La rupture de l’Eglise catholique de Chine avec l’Eglise universelle, impliquant l’initiative prise par elle de nommer et consacrer des évêques, ainsi que le “mouvement d’autonomie, d’indépendance et d’auto-gouvernement” ont été l’expression de ce phénomène.

Comme nous venons de l’observer, un problème qui a sa source dans une pression extérieure exercée sur l’organisation peut être intériorisé par celle-ci et devenir ainsi un problème interne. Dans ce cas, l’action “illégitime” devient une entreprise légitime et une évolution anormale devient normale. Lorsque le modèle original de l’organisation entre en conflit avec l’organisation telle qu’elle a évolué sous la pression, alors ses structures internes font l’expérience d’une radicale transformation.

L’apparition de l’Eglise souterraine peut être considérée comme le résultat de cette transformation. Elle peut aussi être vue comme une évolution logique à l’intérieur de la transition qui a conduit d’une société hautement contrôlée vers une forme différente de société.

Définition du concept de “souterrain”

A notre avis, trois conditions sont nécessaires pour que puisse apparaître le phénomène d’une Eglise souterraine.

1 – Elle doit être interdite par les structures officielles

2 – Elle occupe un espace défini et réalise des activités sociales concrètes.

3 – Elle fonctionne parallèlement à des organisations ou activités reconnues officiellement ou en opposition avec elles.

Ces trois conditions ne sont remplies qu’après 1979. Ce n’est qu’alors qu’apparaissent les activités de l’Eglise souterraines. Avant 1979, il existe bien des organisations non officielles mais elles ne jouissent ni d’un espace opérationnel, ni d’activités concrètes. Il existe bien des organisations parallèles, mais, à proprement parler, il est impossible de les identifier à un véritable phénomène “souterrain”.

Deux aspects reflétés par l’Eglise souterraine

L’apparition de l’Eglise souterraine reflète deux aspects du changement social.

1 – L’organisation à son échelon supérieur ne peut subvenir aux besoins des sous-groupes de l’échelon inférieur.

2 – L’autorité de l’organisation, à son échelon supérieur, n’est pas suffisante pour supprimer les demandes qui émanent des sous-groupes de l’échelon inférieur.

A notre avis, l’apparition de l’Eglise souterraine a été d’abord précédée par l’apparition de structures souterraines dans la société de Chine. Elle a été précédée par des comportements politiques souterrains, une économie souterraine, une éducation souterraine, une culture et une musique souterraines. Lorsque l’autorité de l’échelon supérieur ne peut satisfaire les besoins des groupes de l’échelon inférieur, ou n’est pas assez puissante pour les supprimer, alors la naissance d’une alternative souterraine peut être considérée comme l’aboutissement logique d’une telle situation.

L’affrontement des structures souterraines avec l’autorité de haut niveau, aussi bien que le conflit qui s’en suit, est loin de signifier une diminution de la liberté pour elles. Contrairement à l’opinion des observateurs extérieurs à la Chine, dans les situations concrètes, les conflits ont été, à l’opposé, provoqués par une plus grande liberté accordée aux religions.

Avant qu’une parfaite liberté de religion ne soit obtenue, toute augmentation ou toute diminution de liberté est tout simplement relative. L’augmentation de la liberté religieuse conduit à un regain des activités religieuses, lequel, tout naturellement, se traduit par une plus grande demande de liberté. Ce renforcement réciproque engendre un mouvement en avant, guidé par le désir de passer le seuil des actuelles limites. Par suite, les conflits se renforcent et se multiplient.

D’ailleurs, l’absence de conflit n’est pas toujours une situation souhaitable. Pendant la Révolution culturelle, il n’y avait pas de conflit entre l’Eglise et le gouvernement. Les Eglises en effet n’osaient exprimer aucune demande au gouvernement. Par contre, dans la province du Hebei, il y a eu, à intervalles réguliers, des conflits sur la question religieuse, particulièrement dans le diocèse de Baoding, Yixian et Anguo. C’était le reflet de l’augmentation des activités religieuses dans la région. Les conflits sont la manifestation d’une contradiction entre les “limites concrètes” et la volonté de ne pas être limité. Les deux éléments de cette contradictions continueront d’entrer en interaction jusqu’à ce qu’un équilibre soit atteint (10).

Le déclin des valeurs dans la société chinoise

Dans le passage d’une société à contrôle social strict à une société de libre choix, il existe un aspect intéressant: la tendance selon laquelle d’importantes valeurs sociales en viennent à devenir banales et ordinaires. On peut attribuer ce déclin des valeurs à une désorganisation sociale.

Ce déclin est différent du phénomène de la culture souterraine, encore qu’ils partagent la même origine, à savoir le manque de stabilité sociale. Lorsque le contrôle social strict est abandonné, tous les obstacles sont supprimés et la population brûle les étapes en empruntant des chemins de traverse pour arriver à ses fins.

La modernisation de la société conduit à un changement structurel. Mais avant que les nouvelles structures soient mises en place, la population a la possibilité d’emprunter des chemins de traverse pour atteindre ses fins et l’idéalisme perd de sa “valeur marchande”. Ce déclin des valeurs tient à ceci : quelquesuns des objets que l’on ne pouvait autrefois se procurer que par un engagement de l’être tout entier, au prix de grands efforts, quelquefois au prix de sa vie, tous ces objets qui donnaient un sens à l’existence peuvent maintenant être remplacés par des équivalences bon marché, que l’on peut se procurer grâce à de faciles chemins de traverse. Ces équivalences ont progressivement tenu lieu de véritable sens de la vie et ont pris la relève des valeurs qui autrefois orientaient la vie.

Il existe de nombreux exemples de ces objectifs “bon marché” tenant lieu de valeurs dans la société. Ceux qui sont énumérés ci-dessous ne sont que quelques-uns d’entre eux ;

1 – Dévalorisation du concept de réussite : abandon des carrières universitaires au profit de la réussite dans les affaires et d’une fortune gagnée en peu de temps.

3 – Dévalorisation du concept de réputation au profit de la vaine gloire, des “idoles sociales”

4 – Dévalorisation des relations humaines : elles sont devenues artificielles et se mesurent aux cadeaux échangés et à la valeur financière des personnes.

5 – Dévalorisation du sens de la destinée au profit de la chance.

La dévalorisation progressive des objectifs et des valeurs est un signe de la crise du système de valeurs dans la société, le signe de la perte des critères permettant de juger de la véritable signification de la vie. Dans le passé, le communisme représentait ce système de normes; il a même été la seule norme pendant au moins 40 ans. Mais avec l’ouverture de la société, le système de valeurs qu’il représentait s’est effondré. Avant qu’un nouveau système ne voie le jour, il est inévitable que ces valeurs et objectifs “bon marché” prennent pour un temps le dessus.

Ces valeurs superficielles ne peuvent satisfaire réellement les aspirations profondes de la population. Nous n’avons ni la compétence, ni l’intention de présenter un remède à ce déclin des valeurs dans la société. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si l’Eglise, soumise à l’échelon supérieur de l’autorité sociale pendant une longue période, a, elle aussi, été marquée par ce déclin, si elle aussi propose un salut et une espérance à bon marché.

Que signifie une espérance à bon marché ? C’est une espérance fondée sur les forces de ce monde. Nous ne pouvons nier que l’échelon le plus haut de la société chinoise, à savoir le Parti communiste et le gouvernement, ait apporté une contribution très importante à la modernisation de la Chine, mais il y a aussi des aspects négatifs. C’est aux historiens et aux politologues que revient le soin de s’en occuper. Un pouvoir politique, comme tous les pouvoirs politiques dans l’histoire, doit connaître des moments de croissance et de déclin… Ce qui nous concerne plus particulièrement, c’est de savoir comment, alors que les superstructures se sont écroulées, l’Eglise de Chine peut proposer une nouvelle vision du salut, de l’espérance et du futur.

Une question que nous aimerions poser va peut-être faire réagir certains de nos amis chrétiens car nous aimerions la poser à partir de l’expérience de Dietrich Bonhoeffer, un théologien allemand de l’époque de la seconde guerre mondiale. Des amis chrétiens en Chine ont dit dans le passé que le contexte où a vécu Bonhoeffer était très différent de celui de la Chine. Bonhoeffer était aux prises avec un monde en guerre et un gouvernement dirigé par Hitler dont l’ambition était de conquérir le monde. Ce contexte ne peut être comparé à celui de la Chine qui a adopté une politique d’ouverture. Pourtant, même en temps de paix, il est encore légitime de se demander si la religion qui est concernée par la signification ultime de la vie, peut, elle-même s’adapter aux pouvoirs politiques. Ne sera-t-elle pas amenée à perdre son identité et ne deviendra-t-elle pas inapte à rendre témoignage de la foi vivante ?

Un autre question peut-être posée : face au déclin des valeurs s’étendant aujourd’hui en Chine, quel est le rôle de l’Eglise ? Que pourrait-il et devrait-il être ? S’étant protégée, elle-même, du déclin des valeurs et de la fuite vers des objectifs bon marché, l’Eglise pourrait-elle recourir à son propre sens des valeurs pour remédier aux déficiences de la société chinoise ?

Face à ces deux phénomènes, d’un côté, l’apparition de l’Eglise souterraine en Chine, et de l’autre, le déclin des valeurs, nous aimerions poser nous-mêmes, une question : “Que pouvons-nous faire Pour analyser le phénomène “souterrain”, peut-être nous faut-il considérer la politique appliquée par le gouvernement chinois à l’économie souterraine. Dès que la politique d’ouverture a été mise en oeuvre dans le pays en 1979, l’économie souterraine est devenue très active. A cause de l’existence de deux types de monnaies, la monnaie intérieure et la monnaie indexée sur les devises étrangères, la spéculation sur les devises a échappé au contrôle. Malgré les multiples campagnes lancées par le gouvernement contre cette activité illégale, elle n’a cessé de s’intensifier. Le problème n’a été réglé qu’en 1994, lorsque le gouvernement a fusionné les deux monnaies. En d’autres termes, il a éliminé la monnaie indexée sur les devises étrangères, qui avait été conçue comme une semi-ouverture économique. De cette expérience, on peut tirer la leçon suivante: les autorités gouvernementales se trouvent obligées de reconnaître les besoins de la société et ne peuvent plus régler les problèmes par des mesures administratives au niveau des sous-groupes. Le phénomène de l’Eglise souterraine est-il susceptible de trouver une solution comparable à celle qui a été donnée à l’économie souterraine ? C’est une question qui

reste à explorer.

Par ailleurs, la question subsiste de savoir comment l’Eglise pourra rompre avec l’influence des objectifs bon marché et à court terme ? Ou bien alors l’Eglise n’est-elle qu’un exemple de la recherche sociale d’un chemin de traverse vers un objectif bon marché ?

IV – INFLUENCES RECIPROQUES DES EGLISES DE CHINE ET

DE HONGKONG DANS LE FUTUR

Avant tout, nous remarquons que, si cette recherche contribue en quelque chose à l’aménagement des futures relations entre les Eglises de Hongkong et de Chine, cette contribution se limitera à soulever deux questions. Nous aimerions énoncer ces deux défis :

1 – Alors que l’Eglise de Chine s’emploie a édifier à nouveau ses structures externes et à retrouver sa place en tant qu’institution d’échelon inférieur de la société, est-elle consciente de la caractéristique de l’Eglise de Hongkong qui consiste à reproduire les structures du gouvernement local ?

2 – L’Eglise de Hongkong va-t-elle devenir “souterraine” après 1997 ? Cela est-il possible et quels en sont les signes ? Est-ce une malédiction ou une bénédiction ? Comment trouver une autre solution ? L’Eglise en Chine est-elle consciente de cette tendance à fonctionner sur le modèle gouvernemental ?

Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’Eglise catholique de Chine a été victime de la politique centralisatrice du gouvernement. Comme toutes les institutions de l’échelon inférieur, elle a été dépouillée de tout lieu capable d’accueillir des activités autonomes. Placée sous le contrôle absolu du gouvernement, l’Eglise est dans l’incapacité d’afficher une quelconque tendance à calquer le gouvernement. Ayant été complètement neutralisée et marginalisée dans son développement, il est hors de propos de parler à son endroit, d’une tendance à reproduire le fonctionnement du gouvernement.

Depuis la mise en place de la politique d’ouverture en 1979, l’Eglise en Chine fait face au problème de l’Eglise souterraine et du déclin général des valeurs dans la société. Cependant, son principal souci concerne la reconstitution de ses propres institutions. Cela nous amène à poser la question : l’Eglise en Chine est-elle consciente de la crise existant dans l’Eglise de Hongkong après que celle-ci eut reproduit les structures du gouvernement local ? L’Eglise en Chine est-elle consciente qu’elle aussi est susceptible de subir la même crise ? Ou alors regarde-t-elle cette crise comme une situation normale et fait-elle de cette reproduction du fonctionnement gouvernemental un objectif conscient ? (Le mot “crise” employé ici n’est pas péjoratif; il indique simplement l’échelle du problème).

Dans une période de paix et de stabilité, il n’est pas aisé de déterminer si cette tendance à copier le gouvernement local constitue un développement positif ou négatif. Cependant, à une époque de changement radical, lors d’un moment historique, ne serait-ce pas un handicap pour l’Eglise lorsqu’il lui faut répondre aux nouveaux défis ? C’est une question qui mérite une sérieuse réflexion.

L’Eglise de Hongkong va-t-elle prendre une orientation “souterraine” après 1997

L’Eglise de Hongkong n’est pas capable de développer ses forces à la base. Si ses structures sont restreintes par l’autorité d’échelon supérieur et qu’elle échoue à répondre aux besoins des membres de l’Eglise de son échelon inférieur, il n’est pas impossible d’imaginer le développement d’une tendance aux activités souterraines. Comme nous l’avons examiné plus haut, l’apparition des phénomènes souterrains se produit en fonction des structures du niveau supérieur de l’institution. Comment l’Eglise réagira-t-elle le moment venu ? Quelle serait la signification d’une Eglise souterraine à Hongkong au 21e siècle ? Ce devrait être une intéressante question. Nous devrions considérer ce phénomène souterrain non pas comme un phénomène négatif, mais en tant qu’il est porteur d’une signification sociale.

A cause de l’expérience douloureuse de la division entre les Eglises souterraines et officielles en Chine dans les années 1980, il est facile d’adopter une attitude négative. Pourtant, on ne peut pas nier que l’existence d’une Eglise souterraine est un des facteurs qui a incité le gouvernement chinois à une attitude plus favorable envers l’Eglise officielle.

L’apparition d’une Eglise souterraine à Hongkong serait-elle un phénomène positif ou négatif ?

Serait-ce là une autre solution pour l’Eglise? Autant de questions qui appellent toutes une sérieuse réflexion.