Eglises d'Asie

UN TERRITOIRE, DEUX SYSTEMES ?

Publié le 18/03/2010




1997 : 156 ans après son annexion par le capitaine Elliot, Hongkong retourne à la souveraineté chinoise. Alors que l’île avait été conquise par les armes il y a plus d’un siècle et demi, son retour à la Chine a été négocié et aucune des parties n’en conteste la légitimité. Un chapitre de l’histoire inaugurée au XIXème siècle dans le feu et le sang arrive ainsi à son terme. Remplaçant le son du canon, les pétards célébreront “le retour de la colonie à la mère-patrieA la suite de la politique définie par Deng Xiaoping, “un pays, deux systèmes”, le territoire deviendra une Région administrative spéciale de la République populaire de Chine, et conservera son “système capitaliste” pendant cinquante ans.

Après deux années environ de négociations intenses, le Royaume Uni et la République populaire sont arrivés à un accord, et, le 26 décembre 1984, ont signé une déclaration conjointe pour le formaliser. Bien que la partie chinoise ait refusé de considérer cette déclaration comme un traité en bonne et due forme, le fait qu’elle ait été sanctionnée par les Nations Unies lui donne une validité internationale.

A partir de 1985, la partie chinoise a commencé à élaborer la constitution qui gouvernerait le territoire après le transfert de souveraineté. Après de larges consultations avec la plupart des forces politiques du territoire, la Loi fondamentale fut adoptée en avril 1990, moins d’un an après l’écrasement du mouvement pro-démocratique de Pékin qui provoqua les plus grandes manifestations populaires que Hongkong ait connues sur son territoire. Craignant que Hongkong ne devienne une base pour la subversion, les dirigeants chinois ont pris soin d’adopter un modèle conservateur de Loi fondamentale. Au moment où le texte final fut adopté, la plupart des démocrates radicaux qui avaient pris part au processus de consultation avaient déjà démissionné ou avaient été exclus de la commission chargée d’élaborer la Loi fondamentale. Malgré tout, en dépit de sa peur du changement, Pékin allait devoir se soumettre à “l’esprit du temps” et accorder à la population de Hongkong une certaine dose de démocratie.

Afin de faciliter une transition en douceur, la partie britannique accepta d’avancer en utilisant les critères établis par la Loi fondamentale. En 1991, conformément à cette “mini-constitution”, 18 des 60 députés furent envoyés au Conseil législatif (legco) par élection directe à partir de circonscriptions géographiques.

Mais, dès 1991, sept ans après la signature de la déclaration conjointe, une conscience politique et une vraie vie politique étaient en train d’émerger dans une communauté qui ne s’était jusque là jamais soucié de politique. En fait, la situation était en train de changer à Hongkong. Dès 1996, plus de 60% des habitants de Hongkong étaient nés sur le territoire (1). Depuis deux décennies, l’Europe, l’Amérique, et même l’Australie n’acceptaient d’immigrants que de manière très sélective, si bien que les gens qui s’étaient habitués à considérer Hongkong comme une étape pour émigrer se trouvaient maintenant piégés sur le territoire. Depuis 1949, seule une toute petite proportion de cette communauté de réfugiés a accepté de retourner en Chine pour de bon, si bien que la masse de la population s’est trouvée sans autre lieu où aller. Au début des années 1970, est apparu un sentiment d’appartenance qui, en quelques années, est devenu une conscience de l’originalité du système. De nouveaux dirigeants sont apparus dans la communauté, et l’institution d’élections, d’abord à travers des circonscriptions professionnelles puis par suffrage direct, a conduit à la naissance de partis politiques. Le gouvernement de Pékin observait cette évolution d’un oeil inquiet.

LES REFORMES PATTEN ET LES NOUVELLES INSTITUTIONS

En 1992, le nouveau et dernier gouverneur, Christopher Patten, prit en compte cette émergence d’une conscience politique sur le territoire et élabora des réformes politiques pour démocratiser le système : les nominations aux conseils de district, au conseil municipal urbain, et au conseil régional, sorte de conseil municipal pour les Nouveaux Territoires, furent supprimés. Plus important encore, pour la première fois de l’histoire, il fut décidé que tous les membres du legco seraient élus. La Loi fondamentale prévoyait l’élection directe à partir de circonscriptions géographiques de 20 députés (18 en 1991), de trente députés à partir de circonscriptions professionnelles (21 en 1991) et de dix autres par un collège électoral.

L’opposition aux réformes

Patten s’en tint à la lettre de la loi, mais les neuf nouvelles circonscriptions professionnelles avaient un champ d’application très différent des précédentes : au lieu d’être limitées aux membres des conseils d’administration des compagnies dans un secteur donné, tous les ouvriers de ce secteur reçurent le droit de voter, si bien que deux millions de citoyens pouvaient disposer d’un suffrage supplémentaire. Les autorités chinoises exprimèrent immédiatement leur opposition à ces décisions et accusèrent le gouverneur d’une “triple violation” : de la déclaration conjointe, de la Loi fondamentale et des accords passés entre les deux gouvernements (2).

Pour maintenir une atmosphère de coopération, la Grande-Bretagne et la Chine discutèrent pendant une année, mais après 17 réunions, les négociations furent interrompues et Patten décida “d’y aller tout seul”. Il soumit ses propositions au legco qui les adopta en juillet 1994. Les élections pour les conseils de district, les conseils municipaux urbains, le conseil régional et enfin pour le legco eurent lieu en 1994 et 1995 avec la participation de tous les partis politiques de Hongkong. Elles confirmèrent l’émergence du Parti démocrate comme la force politique la plus importante du territoire. Dès 1993, les autorités chinoises avaient affirmé leur volonté de se débarrasser de ces “institutions illégales” au moment du transfert de souveraineté. Elles nommèrent une équipe de “conseillers pour les affaires de Hongkong”, choisis parmi leurs partisans et les milieux d’affaires proches de Pékin. Ces conseillers étaient supposés représenter l’opinion publique de Hongkong.

En juillet 1993, Pékin alla plus loin et engagea une deuxième étape, la Commission de travail préliminaire. En fait, puisque la Chine avait promis que “Hongkong serait dirigée par les habitants de Hongkongelle devait trouver des résidants représentatifs de Hongkong. Comme elle n’était pas d’accord avec la méthode de sélection proposée par le gouverneur, elle choisit ses propres représentants dans la population. La commission de travail préliminaire, dont la création n’avait pas été prévue par la Loi fondamentale, était une sorte de prélude au comité préparatoire supposé élaborer des propositions dans les domaines politique, judiciaire et administratif pour mettre en place la future région administrative spéciale.

Le train des réformes n’ira pas au delà de 1997

Il faut cependant admettre que, même si Patten n’avait pas fait ses propositions, Pékin n’avait jamais eu l’intention de laisser le peuple de Hongkong choisir ses propres représentants. En 1988, le gouvernement central demanda que l’introduction d’élections directes soit retardée, puis, en 1990, que le nombre des représentants directement élus soit diminué, et, en 1991 quand les démocrates gagnèrent largement, Pékin insista pour qu’aucun d’entre eux ne devienne membre du Conseil exécutif. Même en 1990, quand les discussions s’ouvrirent pour savoir si le legco de 1995 pourrait continuer après 1997, les représentants de Pékin affirmèrent que chaque membre du legco devrait être confirmé à son siège, en juillet 1997, par le comité préparatoire, comme il avait été prévu par une décision de 1990 du Congrès national du peuple. Cette décision du Congrès national manifestait avec quel soin les autorités de Pékin s’apprêtaient à exercer leur droit de regard sur la composition des institutions futures de la Région administrative spéciale :

“Si la composition du dernier Conseil législatif (legco) de Hongkong avant l’établissement de la Région administrative spéciale de Hongkong est conforme aux dispositions de cette décision et de la Loi fondamentale de la Région administrative, ceux de ses membres qui soutiennent la Loi fondamentale de la Région administrative de Hongkong appartenant à la République populaire de Chine et qui sont qualifiés selon les exigences de la Loi fondamentale de la région, peuvent, sur confirmation du comité préparatoire, devenir membres du premier Conseil législatif de la région” (3).

Après les élections aux trois niveaux de gouvernement de Hongkong, les relations entre les gouvernements de Hongkong et de Pékin se tendirent. D’un côté, il y avait trois corps élus selon les réformes de Patten (approuvées par le legco mais contestées par Pékin) dont l’espérance de vie était très courte mais qui jouissaient d’un haut degré de légitimité aux yeux de la population du territoire; de l’autre côté il y avait la commission de travail préliminaire et les conseillers pour les affaires de Hongkong, jouissant de la confiance de Pékin mais dont l’image était très négative à Hongkong.

Séduire les milieux d’affaires

A la fin de 1995, la Commission de travail préliminaire fut remplacée par le Comité préparatoire, composé de 94 résidants de Hongkong et de 56 représentants du continent. Puisque ce comité était prévu par la Loi fondamentale, le gouvernement de Hongkong promit de tout faire pour lui prêter assistance. De son côté, le comité réaffirma qu’il n’était pas le nouveau centre de pouvoir et que la Grande-Bretagne était responsable du gouvernement du territoire jusqu’au 30 juin 1997. En réponse, le gouvernement autorisa les hauts fonctionnaires à exposer leur travail aux membres du comité.

A ce stade, la situation aurait pu redevenir normale et une collaboration aurait pu s’instaurer entre les deux parties, d’autant plus que le Comité préparatoire comprenait beaucoup d’hommes d’affaires en vue aussi bien que des gens qui avaient joué un rôle important dans l’administration coloniale avant l’arrivée de Patten. L’un des membres du comité exécutif de Patten, Tung Chee-hwa, était vice-président du Comité préparatoire.

Cependant, la composition du Comité préparatoire manifestait les limites de ce que Pékin pouvait accepter en pratiquant la politique de Front uni : bien que les résidants de Hongkong soient plus nombreux que les continentaux, ils sont pour la plupart des politiciens amateurs comparés aux professionnels de haut niveau qui forment le contingent du continent (4).

Par exemple, le secrétaire général du comité est Lu Ping, directeur du bureau des affaires de Hongkong et Macao, à savoir le principal responsable pour Hongkong au sein du gouvernement chinois. Son président n’est autre que Qian Qichen, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères (5). Dans la représentation de Hongkong, la part du lion est allée au monde des affaires qui peut s’enorgueillir

de 50 membres, parmi lesquels 21 sont à la tête de compagnies enregistrées à la bourse de Hongkong dont ils contrôlent environ 36% de la valeur totale (6). Les “masses” ont moins de représentants et ils appartiennent tous au camp des partisans de Pékin. En ce qui concerne la représentation des milieux politiques de Hongkong, le Parti démocrate et les indépendants de conviction démocratique n’ont aucun représentant bien qu’ils aient été les principaux vainqueurs des élections populaires de 1995. Un intellectuel du territoire a pu noter que la représentation des partis politiques au sein du Comité préparatoire était inversement proportionnelle à leur poids dans l’électorat (7). Le seul “libéral” est Frédéric Fung Kin-kee, président de l’Association pour la démocratie et la vie du peuple, la faction la plus modérée du camp démocrate.

Pas de dissidence

Une fois formé le Comité préparatoire, les Chinois décidèrent d’aller de l’avant avec leur ordre du jour politique. De même qu’ils avaient refusé que les institutions créées en 1994-1995 sous l’égide de Patten survivent au transfert de souveraineté de 1997, le Comité préparatoire vota la dissolution du legco en exercice et son remplacement par un conseil provisoire, le 24 mars 1996, journée que le gouverneur Patten qualifia de “journée noire pour la démocratie“. A ceci, Qian Qichen, en sa capacité de président du Comité préparatoire, répliqua : “Singer mécaniquement le modèle démocratique occidental ne correspond pas aux conditions actuelles de Hongkong et ne respecte pas les intérêts de toutes les couches de la population” (8).

La motion fut adoptée par le Comité préparatoire à l’unanimité, moins une voix, celle de Frédéric Fung, ce qui provoqua une vive réaction de la part de Lu Ping : il déclara que, dans ces conditions, le président de l’Alliance pour la démocratie ne pourrait pas être autorisé à participer au futur comité de sélection chargé de choisir les membres du conseil provisoire (9). Cette incapacité à accepter une forme aussi bénigne d’opposition choqua si profondément la population de Hongkong que, dès le lendemain, Lu Ping dut préciser qu’il n’avait fait qu’exprimer “une opinion personnelle” (10). De fait, quand le comité de sélection fut finalement formé en novembre 1996, Frédéric Fung en fit partie. Mais l’incident envoya un signal inquiétant à la population de Hongkong et à la communauté internationale.

HONGKONG SOUS LE GOUVERNEMENT DES MILIEUX D’AFFAIRES

Le 2 novembre 1996, le Comité préparatoire choisit les membres du Comité de sélection composé uniquement de résidants de Hongkong, dont la tâche serait, selon la Loi fondamentale, de choisir le prochain chef de l’exécutif. Plus de cinq mille personnes avaient enregistré leur candidature, mais les quatre cents qui furent finalement choisis pour former ce comité, n’étaient pas vraiment représentatifs de la variété de la société du territoire. Tout d’abord, le président et les vice-présidents du Comité préparatoire firent une première liste de 409 personnes à partir des 5 000 candidats, puis, le comité préparatoire ramena ce nombre à 340, les 60 membres restants étant choisis parmi les délégués pour Hongkong du Congrès national du peuple et du Parti communiste. La composition du Comité de sélection était supposée représenter les quatre secteurs principaaux de la population : les milieux d’affaires, le secteur des professions libérales, celui des travailleurs, des organisations de la base et des organisations religieuses, et enfin les milieux politiques. Mais, comme le notait l’un des journaux les plus respectés du territoire, “les milieux d’affaires occupent plus de la moitié de la liste et réduisent tous les autres secteurs à l’insignifiance” (11). Un commentateur bien connu remarqua de son côté que la politique de Pékin ne pouvait pas se résumer par la formule “le peuple de Hongkong gouvernant Hongkong“, mais plutôt par la formule “les milieux d’affaires gouvernant HongkongPar ailleurs 70% des membres sont considérés comme proches de Pékin (12).

Le pacte colonial

Pour l’essentiel, cette composition correspond à ce que la Chine envisage pour la future Région administrative spéciale. Les dirigeants chinois ont souvent dit que Hongkong est une cité économique et que les milieux d’affaires y jouent un rôle éminent. L’ancien patron à Hongkong de l’Agence Chine nouvelle (réfugié aux Etats-Unis en 1990), Xu Jiatun, a clairement expliqué dans ses mémoires cette politique de Front uni : “Les bourgeois ne sont pas la cible de la révolution et ils ne sont pas de simples compagnons de route; ce sont eux qui mettront en pratique la politique de ‘un pays, deux systèmes'” (13). Pour mettre cette politique en oeuvre, Xu était chargé des contacts avec les principaux capitalistes de Hongkong comme Henry Fok Yin-tung ou Li Ka-shing.

Une telle politique ressemble étrangement à celle qui a été pratiquée le plus souvent par le gouvernement colonial britannique au cours de l’histoire du territoire. Correctement décrite par Ian Scott comme un “pacte colonial” (14), elle consistait à séduire l’élite des milieux d’affaires en cooptant leurs représentants au sein de la structure de pouvoir. Elle fut inaugurée à la fin du XIXème siècle quand Ng Choy (Wu Tingfang), juriste éduqué en Angleterre et parent d’un riche spéculateur immobilier, devint le premier membre chinois du legco (15). Cette politique était encore en vigueur quand les négociations entre la Chine et la Grande-Bretagne commencèrent en 1982. Il est bon aussi de rappeler, même si la plupart des observateurs tendent à l’oublier, que les seules fonctions soumises à élections à ce moment-là étaient celles du conseil municipal urbain qui n’avait absolument aucun pouvoir politique. Vue dans cette perspective, la politique actuelle de la Chine n’est pas incohérente avec la promesse faite par Deng Xiaoping en 1979 de “cinquante années sans changement

Un homme d’affaires comme chef de l’exécutif

De la même manière que les anciens hongs britanniques, comme Jardines ou la Banque de Shanghai et Hongkong étaient favorisés par l’administration coloniale anglaise, les compagnies et les banques financées par le continent jouiront très certainement du soutien de Pékin. Le penchant de Pékin pour les milieux d’affaires a été confirmé par la nomination du chef de l’exécutif. Des trois candidats nominés le 15 novembre 1996, deux étaient des hommes d’affaires. En se décidant finalement pour Tung Chee-hwa, après une campagne dont les médias de Hongkong ont fait un événement, Pékin a manifesté son engagement à revitaliser le pacte colonial.

Le nouveau chef désigné de l’exécutif symbolise le virage à 180( opéré par une grande partie des élites du territoire. Le père de Tung avait quitté Shanghai avec son fils à l’arrivée des communistes et transféré sa compagnie maritime à Taiwan. Tung lui-même a été éduqué en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, il est membre du prestigieux institut Hoover et d’autres associations américaines. Homme d’affaires de poids, il est aussi président du comité économique Hongkong-USA. De juillet 1992, à l’arrivée de Patten comme gouverneur, à juin 1996, il était membre du Conseil exécutif et donc en bonne position pour suivre l’évolution de la vie politique du territoire. Ce n’est un secret pour personne qu’il était le favori de la Grande-Bretagne pour le poste de chef de l’exécutif de la Région administrative spéciale. En même temps, ses liens avec la Chine sont très forts et ce sont des capitaux de Pékin qui sont venus à son secours quand sa compagnie était proche du dépôt de bilan dans les années 1980. Etant originaire de Shanghai, il est en bons termes avec le secrétaire général du Parti, Jiang Zemin, dont la fameuse poignée de main avec lui en janvier 1996 suggérait à tous les observateurs qu’il allait facilement battre ses deux concurrents au cours de sa “campagne électorale”. C’est ainsi que beaucoup de commentateurs aujourd’hui, se réfèrant à Tung, parlent de “Gong Ngak-sao“, c’est-à-dire celui à qui Jiang a serré la main.

Même si le Quotidien du peuple a salué le choix de Tung comme “le début d’une participation démocratique des masses de Hongkong” (16), le processus d’élection fut loin d’être démocratique, puisqu’il fut choisi par 400 personnes nommées par le gouvernement chinois. Cependant, le choix fut approuvé ensuite unanimement, et toutes les forces politiques du territoire annoncèrent leur intention de coopérer avec le nouveau chef de l’exécutif.

TURBULENCES POLITIQUES

Le 21 décembre 1996, le Comité de sélection s’est embarqué dans une tâche beaucoup plus périlleuse, celle de nommer le conseil législatif provisoire destiné à remplacer le legco à partir du 1er juillet 1997. Le conflit est alors arrivé à la surface. Depuis 1994, les Chinois avaient maintenu que, puisque Patten avait violé la Loi fondamentale, la déclaration conjointe et les accords passés entre les deux gouvernements, la Chine établirait son propre conseil législatif provisoire au moment du transfert de souveraineté. Néammoins, beaucoup sur le territoire avaient espéré que, en fin de compte, la Chine autoriserait le dernier legco colonial, le premier entièrement élu, à aller jusqu’à son terme en 1999.

Le conseil législatif provisoire

Mais le conflit était réel, et tout espoir de cet ordre fut anéanti quand le Comité préparatoire s’embarqua sur une voie dont la constitutionnalité était contestable (elle fut d’ailleurs contestée) en décidant que le Comité de sélection “élirait” aussi les 60 membres du conseil législatif provisoire. Comme le gouvernement de Hongkong ne reconnaissait pas la validité du conseil législatif provisoire, et craignant d’être poursuivi au tribunal, le Comité de sélection se réunit à Shenzen. En dépit des affirmations du Quotidien du peuple, selon lesquelles “les principaux partis politiques de Hongkong” avaient pris part à cette élection qui fut “juste, honnête et ouverte” (17), les autorités chinoises étaient conscientes que le remplacement d’une assemblée législative élue par une assemblée nommée pourrait apparaître comme “un grand bond en arrière” vers les jours les plus sombres du colonialisme. Elles essayèrent donc de mettre l’accent sur l’aspect de continuité.

Elles encouragèrent les membres du legco actuel à devenir membres de la nouvelle assemblée. Pékin pouvait faire cette concession sans risque puisque les démocrates avaient déjà annoncé qu’ils n’y participeraient sous aucun prétexte. Des 60 membres du legco actuel, 34 acceptèrent l’offre de Pékin et 33 furent récompensés par un siège au conseil législatif provisoire. Parmi ceux-ci, seuls six avaient été directement élus au legco; les autres représentaient les circonscriptions professionnelles; de ceux-ci neuf avaient été élus sans opposition ou choisis par le comité d’élection. Il y avait donc ainsi l’apparence d’une certaine continuité, mais d’abord pour ceux qui avaient été élus le moins démocratiquement. Les 27 autres membres choisis étaient soit des candidats battus aux élections de 1995 soit des politiciens licenciés par Patten. Ils pouvaient maintenant savourer leur revanche sur leurs ennemis, particulièrement sur les démocrates.

En fin de compte, le conseil législatif provisoire n’est pas arrivé à obtenir le soutien de la population : les deux tiers des gens interrogés après sa formation ont déclaré que les arrangements faits en 1995 pour les élections au legco leur paraissaient plus acceptables (18).

Par conséquent, depuis le 22 décembre 1996, deux ensembles d’institutions existent en parallèle à Hongkong, ce qui rend plus difficile une transition en douceur. D’un côté se trouvent le legco, élu selon la loi actuelle de Hongkong, et le gouverneur, nommé par la puissance coloniale. De l’autre se trouvent le chef désigné de l’exécutif, nommé par Pékin mais dont la légitimité est reconnue par tout le monde, et le conseil législatif provisoire, obligé de se réunir du côté chinois de la frontière de peur d’être déclaré illégal par les tribunaux de Hongkong. Même si le parti démocrate continue d’exprimer, à travers sa représentation au legco, son opposition aux décisions prises par les institutions contrôlées par Pékin, le temps qui passe fait que ces dernières semblent avoir de plus en plus de pouvoir.

Va-t-on réinstaurer des lois coloniales draconiennes ?

La situation est compliquée par le fait que la majorité des membres du legco siègent aussi au conseil législatif provisoire qui agit sous le contrôle du Comité préparatoire dont le rôle est encore très important. La complexité de la situation a été illustrée en janvier 1997 quand la commission juridique du Comité préparatoire a décidé de recommander la réinstauration de l’ordonnance coloniale draconienne sur l’ordre public et l’ordonnance sur les sociétés. Les deux ordonnances avaient été amendées en 1992 et en 1995 pour les rendre conformes à la Charte des droits.

Les amendements à l’ordonnance sur les sociétés avait supprimé les restrictions concernant les liens avec des organisations étrangères, et les amendements portés à l’ordonnance sur l’ordre public avaient aboli la nécessité d’une permission de la police pour l’organisation des manifestations. Selon la commission juridique, “ces révisions constituaient des amendements majeurs non conformes à la Loi fondamentaleet les ordonnances devaient donc être restituées à leur formulation originelle. Beaucoup de citoyens du territoire ont été scandalisés par cette décision. Ils considèrent en effet que c’est une affaire interne à la Région administrative spéciale qui doit être laissée à l’appréciation du premier conseil législatif élu qui naîtra en 1998 (19). Des manifestations ont eu lieu et le parti démocrate, le gouverneur et beaucoup de juristes spécialisés ont protesté contre la décision de la commission juridique (20). Au legco, le gouverneur Patten a rappelé aux nombreux membres qui font partie des deux assemblées (spécialement ceux du parti libéral et parmi eux le président du legco, Andrew Wong Wang-fat), qu’ils avaient voté en faveur des amendements quand ils avaient été proposés en 1992 et en 1995. Les membres appartenant au parti démocrate ont aussi dénoncé une décision qui semble ramener Hongkong à l’époque coloniale. Finalement, les médias internationaux ont critiqué aussi le pas en arrière signifié par cette décision.

Par la suite, quand le Comité préparatoire s’est réuni en session plénière le 1er février 1997 à Pékin, il a bien demandé au Congrès national du peuple d’abroger les ordonnances sur l’ordre public et les sociétés, parmi 25 autres, mais il n’est pas allé aussi loin que sa commission juridique l’avait demandé. Le Comité préparatoire n’a pas exigé la réinstauration des lois coloniales draconiennes, et le Congrès national du peuple l’a accepté. Ce changement manifeste que Pékin est sensible à la pression, et que le legco, les partis d’opposition et l’opinion internationale peuvent influencer les décisions concernant la future région administrative spéciale. C’est tellement vrai que le cabinet de Tung Chee-hwa a commencé à consulter sur la manière d’amender les lois (21).

Depuis le début de 1997, la situation a été un mélange de coopération entre le gouverneur et le chef désigné de l’exécutif, comme le manifestent leurs réunions cordiales, et de conflits entre le legco et le conseil législatif provisoire. Par exemple, quand Wong Siu-yee, membre du conseil législatif provisoire, a établi un bureau à Hongkong, le 5 mars, le gouverneur a déclaré que qui que ce soit avait le droit de le citer devant un tribunal s’il estimait que l’existence de ce bureau violait l’ordonnance sur les sociétés (22).

Les querelles n’ont pas cessé et continueront probablement jusqu’en juillet 1997. La dernière concerne le droit du conseil législatif provisoire de voter des lois avant la création de la Région administrative spéciale, ce que le dirigeant du parti démocrate, Martin Lee Chu-ming, a qualifié de “bébé qui parle avant d’être néLes démocrates estiment qu’une assemblée non existante ne peut pas examiner des projets de loi, mais les juristes pro-Pékin maintiennent qu’elle peut le faire aussi longtemps que les lois ne sont pas promulguées avant le 1er juillet. Toutes ces querelles viennent du fait qu’il y a aujourd’hui deux sources de légitimité, une qui est en train de disparaître et une qui n’est pas encore installée.

Continuité dans le service public

Alors que dans le domaine politique, Tung Chee-hwa a suivi la ligne politique dure de Pékin, en créant le conseil législatif provisoire et en durcissant les ordonnances libérales, dans le domaine du personnel de l’Etat, les nominations qu’il a faites ont plutôt rassuré le service public, dont l’importance est reconnue sur le territoire. Son premier geste fut de nommer la très populaire secrétaire générale du service public, Mme Anson Chan Fang On-sang, comme chef de l’administration de la Région administrative spéciale, ce qui semble signaler une forte volonté de continuité après le transfert de souveraineté. Pendant deux mois, Tung a aussi rencontré tous les principaux hauts fonctionnaires, patrons des différentes branches de l’administration, et, le 20 février, le jour même où la mort de Deng Xiaoping a été annoncée, il a publié une liste de 23 secrétaires politiques pour la future Région administrative spéciale.

Presque tous les sortants ont été confirmés à leur poste, y compris le secrétaire pour la sécurité, Peter Lai Hing-ling, et celui de l’Intérieur, Nicholas Ng Wing-fui, même s’ils avaient soutenu fermement les réformes Patten au moment des discussions sino-britanniques sur la réforme constitutionnelle, ce qui avait amené baucoup d’observateurs à penser qu’ils seraient remerciés. Il n’y a que deux exceptions : le procureur général qui, étant anglais, ne peut pas conserver son poste selon la Loi fondamentale, et le commissaire responsable de la commission contre la corruption. Donc, en contraste aigu avec ce qui se passe dans le domaine politique où beaucoup de problèmes demeurent, le service public connaîtra une transition en douceur. Etant donné l’importance qu’il aura dans un gouvernement dirigé par un exécutif, cet accent mis sur la continuité a beaucoup fait pour augmenter la confiance de la population du territoire.

Quelques semaines avant le transfert de souveraineté, bien que des garanties aient été données dans le domaine de l’administration, une certaine incertitude demeure dans le domaine politique. Hongkong est une société de plus en plus mûre et vivante. les décisions prises par la nouvelle comme par l’ancienne administration seront observées par les partis politiques, les médias et les observateurs internationaux.