Eglises d'Asie

Les dirigeants pakistanais refusent l’abrogation de la loi sur le blasphème, tandis que les évêques catholiques accusent le président de manquer à sa parole

Publié le 18/03/2010




La demande du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique au Pakistan d’abroger la loi sur le blasphème, qui punit de mort la diffamation du prophète Mohammad (12), a déclenché des critiques très dures de la part des religieux et des dirigeants politiques pakistanais. Les représentants du gouvernement, les religieux et les intellectuels ont défini la suggestion faite par le département d’Etat du président Clinton de « flagrante intrusion dans les affaires internes du PakistanLes partis politiques d’inspiration islamique ont prévenu le gouvernement des « pires conséquences » s’il prenait en compte la demande américaine.

« Nous considérons cette loi comme essentielle à notre foi et à notre amour envers le saint prophète. Nous ne l’abrogerons pas à la demande des Etats-Unisa affirmé le président pakistanais Farooq Ahmed Khan. Le premier ministre a déclaré de son côté qu’il n’était même pas nécessaire d’y réfléchir plus longtemps. Le ministère des Affaires étrangères pakistanais, déclarant que cette loi était en accord avec le Coran et la tradition islamique, a ajouté : « Nous n’écrirons rien sous la dictée de quiconqueQuazi Hussain Ahmed, chef du parti politico-religieux Jammat-i-islami, a déclaré de son côté que le blasphème était une question de sensibilité et qu’aucun musulman au monde ne pourrait permettre à quelqu’un d’offenser le prophète Mohammad. Ahmed rappelle que la même tentative, du temps de Benazir Bhutto, avait provoqué de très vives réactions parmi les masses et demande que le gouvernement fasse parvenir aux Etats-Unis une protestation en bonne et due forme.

Quant aux défenseurs des droits de l’homme qui ont lutté contre la loi sur le blasphème, ils hésitent à faire référence à cette demande américaine. D’après la Commission pakistanaise des droits de l’homme, en 1996, la police n’aurait enregistré qu’un seul cas, celui d’un chrétien, Ayub Masih, qui aurait diffamé le prophète. Un rapport de la Commission catholique « Justice et paix » animée par les supérieurs majeurs pakistanais déclare que pour l’instant, quatre chrétiens, trois hommes et une femme, accusés de blasphème, seraient en prison dans la province du Punjab.

Un rapport du département d’Etat américain sur la persécution dont sont victimes les chrétiens de par le monde, signale qu’au Pakistan, bien que les non-musulmans puissent se convertir à la religion de leur choix, « le prosélytisme auprès des musulmans est illégalIl écrit également que dans le cas de crimes commis contre les minorités, très souvent, « la police évite de prendre les mesures nécessaires d’investigation ou de poursuite contre leurs auteurs, ce qui contribue à créer un sentiment d’insécurité parmi de nombreuses communautés religieuses minoritaires

La loi sur le blasphème, section 295-B et C du code pénal pakistanais, a été introduite en 1986 sous la présidence du général Mohammad Zia ul-Haq en vue de l’islamisation du pays. La section 295-B déclare que les injures envers le Coran sont passibles d’emprisonnement à vie, tandis que la section 295-C stipule que diffamer le prophète mérite la peine de mort ou l’emprisonnement à vie. D’après les interprétations formulées ultérieurement par le tribunal de la charia (loi islamique), la peine de mort pour les crimes qui relèvent de la section 295-C a été exigée. Un certain nombre de Ahmadis, déclarés non-musulmans en 1974 par un amendement constitutionnel, et de chrétiens ont été victimes de cette loi ainsi qu’un certain nombre de musulmans.

Antérieurement à l’amendement du gouvernement Bhutto, les cas relevant de la section 295-C, diffamations verbales, par représentations visibles, imputation, allusion ou insinuation quelconque, directement ou indirectement, s’étaient multipliés sous l’empire, dit-on, de la rancune ou de l’appât du gain. Plusieurs chrétiens furent condamnés à mort au Punjab, mais la sentence et la condamnation furent annulées par la Haute cour de Lahore. Quelques uns, par contre, furent tués alors qu’ils attendaient de passer en jugement (13).

Mgr John Joseph, évêque de Faisalabad, au cours d’un séminaire interreligieux qui s’est tenu le 25 juillet, a critiqué ouvertement les lois du Pakistan, les jugeant discriminatoires pour les religions minoritaires et a reproché au président de ne pas tenir ses promesses. Il a rappelé, en effet, que deux ans plus tôt le président Farooq Ahmed Leghari avait promis à une délégation chrétienne de dix membres et en présence de huit ministres fédéraux que le gouvernement entamerait une procédure pour abroger cette loi sur le blasphème. « Le gouvernement ne tient pas ses promessesa déclaré l’évêque, et il a reproché au président Leghari sa récente déclaration publique affirmant que cette loi sur le blasphème ne changerait jamais. « La section 295-C est une épée de Damoclès suspendue au dessus des religions minoritairesa ajouté l’évêque. Il a aussi promis : « Nous ferons tout pour changer cette loi. Nous sommes même prêts à sacrifier nos vies pour cela