Eglises d'Asie

LA PLACE DES FEMMES DANS L’ISLAM MALAISIEN

Publié le 18/03/2010




Il y a un conflit en Malaisie entre les musulmans conservateurs et les leaders modérés du pays, concernant l’impact de la modernisation rapide sur les pratiques religieuses. Les femmes musulmanes sont au coeur du débat. Noni Mohamad n’aurait jamais imaginé que sa participation au concours de beauté pour miss Malaisie du 13 Juin ferait naître une controverse enflammée concernant l’âme de l’Islam. Juste après sa nomination de deuxième dauphine dans un hôtel de la banlieue de Kuala Lumpur, la souriante étudiante de 19 ans fut arrétée par des fonctionnaires du département local des affaires islamiques. Noni, une autre participante et la gagnante du concours furent conduites à un poste de police. Deux semaines plus tard, les trois jeunes femmes furent déclarées coupables d’avoir porté des tenues indécentes (bien que les maillots de bain dans lesquels elles défilaient aient été discrètement recouverts par des écharpes) par un tribunal islamique (charia). Elles reçurent une amende de 400 ringgit (120 USD) chacune. Les jeunes filles furent choquées, déclara leur avocat, remarquant qu’elles avaient précédemment participé à des concours dans le Kedah et à Penang sans problème.

Ces arrestations provoquèrent une mise au point cinglante du premier ministre Mahathir Mohamad : « Si vous voulez intervenir ne le faites pas de façon aussi brutaledit-il, « Ceci n’est pas en accord avec la loi de l’Islam qui recommande de punir chaque délit avec équité« . Plusieurs muftis et membres du clergé réprimandèrent sévérement le premier ministre d’avoir contesté leur décision de justice. Un tel remue-ménage provoqué par un concours de beauté ne semble pas valoir la peine qu’un premier ministre s’en préoccupe. Mais l’arrestation de Noni et des autres participantes au concours illustre les profondes dissensions dans la société, déstabilisée par la surchauffe de la croissance économique pendant les dernières décennies. Ces arrestations ne sont rien moins que la salve d’ouverture de la bataille pour la place de la femme, et peut être pour l’avenir de l’islam dans le pays. D’un coté, il y a les musulmans réformistes, conduits par le premier ministre Mahatir qui craint que les pratiques religieuses rigides n’entravent le développement économique. De l’autre, les musulmans conservateurs qui pensent que leur pays perd ses repères religieux dans la course à la modernisation. En Malaisie, l’islam a toujours été sous le contrôle des Etats: les leaders religieux des treize Etats et de Kuala Lumpur peuvent interpréter le droit islamique à leur manière. C’est ce que firent les leaders religieux de l’état de Selangor en 1995 en passant un décret interdisant aux musulmanes de participer à des concours de beauté. Ce décret peu connu permit à la police d’arrêter Noni et ses amies.

Malgrè tout, ces arrestations choquèrent beaucoup de gens. Le ministre responsable des affaires islamiques déclara que parfois la police faisait du zèle en voulant que tout le monde fasse preuve de piété et suive les préceptes de l’islam mais que le maintien de l’islam ne nécessitait pas des excès. Marina Mahathir, la fille du premier ministre, fut plus critique dans un éditorial : « Il y a des gens dans ce pays qui cherchent à limiter les libertés des femmes, qui souhaitent que nous restions à la maison pour avoir des kyrielles d’enfants et que nous soyons dissimulées de la tête aux pieds. Il me semble que les débats sur les tenues correctes ou incorrectes sont largement moins prioritaires que ceux portant sur l’inceste, la maltraitance des enfants, ou les femmes battues« . Les femmes sont devenues un enjeu prioritaire dans la bataille des leaders religieux contre la modernisation. En parlant de ces arrestations, une femme d’affaire de premier plan, K. Ahmad a déclaré qu’elles étaient un signe avant coureur d’une islamisation croissante. Elle a ajouté que des religieux à l’esprit étroit souhaitent conserver leur pouvoir en rabaissant les femmes.

Pour sa part, le premier ministre pense qu’un trop grand nombre de musulmans font étalage de signes extérieurs de piété, ce qui pourrait freiner les actions visant à faire de la Malaisie, vers 2020, un pays industrialisé. Pourquoi y a t-il des gens parmi nous qui s’attachent aux symboles tels que les habits ou la barbe au lieu de se préoccuper de sujets plus importants pour les musulmans tels que la sécurité et la solidarité fraternelle, a-t-il demandé aux délégués de l’organisation nationale de l’union malaise, principal parti politique du pays, en septembre dernier?

Dans l’opposition au premier ministre on trouve les leaders religieux qui ont l’impression de combattre les maux sociaux dont souffre la société malaise. Après l’arrestation des participantes au concours de beauté, le principal mufti de Selangor a déclaré à la presse : « Si nous avons le pouvoir de mettre fin à toutes les mauvaises influences nous le ferons« . Un politologue, Chandra Muzaffar, pense que la réaction des leaders religieux a peut être été provoquée par la crainte d’être marginalisés dans un contexte de croissance économique exceptionnelle. Certains islamistes se sentent mis à l’écart alors que le pays est en train de passer à une nouvelle phase de développement. Dans les années 90, on s’est servi davantage de la langue anglaise, le malais n’avait plus la place d’honneur. L’islam n’a plus autant d’importance et le concours de beauté à fait apparaître tout ceci au grand jour. Certaines femmes musulmanes sont très inquiètes de cette tendance à transformer des préceptes religieux en loisEn Malaisie, c’est le parlement qui vote les lois » dit une représentante de l’association des avocates malaises, « les décisions des muftis sont des fatwas. Et tout à coup, sans débat parlementaire, une fatwa fait office de loi. C’est une violation de la constitution« .

Malgré ce genre de frustrations, la Malaisie est encore considérée comme un pays relativement tolérant, ne pouvant être comparé à l’Afghanistan, gouverné par les Talibans et où l’islam est aussi religion d’Etat. L’islam qui se pratique en Malaisie, où 40 % de la population n’est pas musulmane, est plus tolérant. Beaucoup de femmes musulmanes travaillent à l’extérieur, souvent sans porter de voiles ou de robes longues.

Le droit de la famille en Malaisie date des années 80. Il donne aux femmes des droits politiques et économiques importants et une protection contre l’injustice. Cependant, il y a longtemps que les femmes se plaignent des tribunaux islamiques qui favorisent les hommes. Par exemple un musulman peut demander le divorce en un instant, simplement en déclarant son intention; les femmes qui décident de divorcer devront faire face à des années de difficultés et de délais. Le problème est dans l’application de la loi dit Zainah Anwar, représentante des soeurs islamiques, groupe de femmes musulmanes qui exercent des professions. « L’établissement religieux ne croit pas à l’égalité des hommes et des femmes. Avec le temps, les droits des femmes ne cessent de diminuer« . Il est plus facile d’intenter une action dans un tribunal civil, dit l’avocate Azalina Othman. Les tribunaux islamiques favorisent les maris. Dans un tribunal civil un jugement est prononcé par défaut si le mari ne se présente pas à l’audition. A. Othman a cessé d’exercer le droit islamique il y a quelques mois par frustration. « Il n’y a pas de loi concernant la procédure« , dit elle, « quand ils invoquent la religion pour réfuter vos arguments vous ne pouvez pas vous défendre« .

Le système judiciaire islamique décentralisé de Malaisie permet à un homme d’avoir recours à la juridiction qui le favorise le plus. Par exemple, il y a quelques années, le tribunal de Selangor rejeta la demande de Wan Mohamad Yusof d’épouser une actrice malgré l’opposition de sa femme. Cet homme d’affaires trouva une solution à son problème en faisant la même demande dans l’Etat de Terengganu dont les lois sur la polygamie ne rendent pas nécessaire l’accord de la première épouse pour en prendre une autre.

« Les tribunaux sont favorables aux hommes« , dit Khalisah Ismail, une mère de quatre enfants de 45 ans qui vit à Selangor. Il y a deux ans, étant atteinte d’une maladie cardiaque elle dût quitter son travail, rendant sa famille financièrement dépendante de son ex-mari qui était parti dix ans plus tôt et vit actuellement dans l’Etat de Perak. Un jugement du tribunal islamique condamna ce riche administrateur d’un complexe hôtelier à payer une pension de 600 ringgits pour les enfants. Mais ses paiements étant irréguliers son épouse doit se rendre au tribunal de Perak à chaque retard dans les paiements, bien que sa santé ne lui permette pas de faire ces voyages. « Nous sommes considérées comme des citoyens de seconde catégorie par les tribunaux« , dit elle au sujet des tribunaux « Le droit islamique devrait mieux défendre les femmes« .

Badarih Saleh, qui dirige le centre d’aide aux femmes en difficulté de Penang, est d’accord avec cette vision: « Si une femme vient se plaindre de son mari au département des affaires religieuses on lui conseille de rentrer chez elle et de faire son autocritique. Pourquoi le mari n’est il pas convoqué? Beaucoup de femmes ne demandent même pas de pension alimentaire. Ce n’est pas parce qu’elles ne connaissent pas leurs droits mais parce qu’elles savent qu’il n’en sera pas tenu compte« .

Il y a aussi des obstacles politiques à l’amélioration des tribunaux islamiques. Le premier ministre a depuis longtemps exprimé sa préoccupation concernant les abus résultant des codes juridiques islamiques des différents Etats de Malaisie. Quelques semaines après les arrestations des participantes au concours de beauté, le premier ministre rencontra les sultans du pays qui en sont les responsables religieux, pour discuter l’adoption d’un code unique de lois islamiques en Malaisie. Le sultan de Perak, avocat de formation, a été chargé de réaliser une proposition pour unifier les lois religieuses du pays. Mais des spécialistes de la question pensent que certains responsables religieux et quelques sultans verront dans ce plan une diminution de leurs prérogatives et s’y opposeront.

Depuis, le premier ministre a été critiqué dans tout le pays dans des sermons du vendredi, mais il demeure déterminé à faire avancer son projet. Il a déclaré à des journalistes : « Le Coran n’a jamais dit que l’islam devait être différent dans chaque Etat. Mais il y a des gens qui veulent montrer leur pouvoir, c’est ça le problème« . Noni et les autres participantes du concours de beauté n’en ont pas fini avec cette affaire. Quelques jours après avoir été déclarées coupables de tenue indécente, les trois jeunes femmes furent reconnues coupables d’avoir violé le décret interdisant aux musulmanes de participer aux concours de beauté. Leur comparution était prévue au cours du mois de décembre.