Eglises d'Asie

LES ARTISTES CHRETIENS EMERGENT DE DECENNIES D’OPPRESSION

Publié le 18/03/2010




Les artistes chinois chrétiens, qui viennent de subir des décennies d’oppression, font une synthèse originale de leurs croyances religieuses et de leurs traditions culturelles. Aussi curieux que cela paraisse, c’est à Mao Zedong que He Qi doit d’être devenu un artiste chrétien. Envoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle, alors qu’il était adolescent, He avait rapidement compris qu’en peignant des portraits du président il pouvait échapper aux travaux de force auxquels ses camarades étaient condamnés. Un jour, il tomba, par hasard, sur une reproduction de la Madonne et l’enfant de Raphaël, dans les pages jaunies d’un vieux magazine. « Je fus très ému par la douceur du sourire de la Viergedit-il: « Partout autour de moi les gens déclaraient chercher la vérité, mais dans un climat de violenceHe commença, en cachette, à faire des copies pour des amis. Derrière son chevalet de fortune, il saisit un paquet enveloppé de vieux journaux qui enveloppent une copie du tableau de Raphaël dont il fit cadeau à sa soeur au plus fort de la période des troubles : « Le jour, je peignais Mao », dit-il en souriant, « mais à minuit je peignais la Madonne

Ainsi commencèrent sa vie d’artiste et ses premiers pas vers le christianisme, qu’il ne rejoignit que beaucoup plus tard. Aujourd’hui, He est considéré comme le peintre chrétien chinois contemporain le plus recherché. Il est diplômé de l’école des Beaux-Arts de l’université de Nankin, et il a été le premier à obtenir un doctorat d’art religieux comparé. Il dit qu’il n’est que l’un des membres d’un mouvement d’artistes chinois, encore modeste mais qui va grandissant, et qui approche du but longtemps recherché et jamais atteint par les missionnaires occidentaux : un art à la fois vraiment chrétien et tout à fait chinois.

Il y eut de nombreuses tentatives en Chine pour réconcilier l’Evangile vieux de 2000 ans et la civilisation chinoise plus ancienne encore. Mais, cette fois, on assiste à la première tentative dirigée, exécutée, inspirée par les Chinois eux-mêmes. A la différence des sujets qui attirent habituellement l’attention des médias, comme le développement du mouvement évangélique des Eglises domestiques, ou les relations entre Pékin et le Vatican, ce mouvement des jeunes artistes chrétiens semble être tout à fait apolitique. L’accent que ces artistes mettent sur un christianisme aux caractéristiques chinoises ne vient pas d’un rejet borné de tout ce qui est conçu hors de Chine. Au contraire, ces artistes pensent qu’ils doivent, suivant ainsi le message chrétien, se servir de moyens chinois pour exprimer une foi qu’ils estiment universelle.

« L’universalité de l’art est enracinée dans les particularismes locaux« , explique une collègue de He, Fan Pu, qui se spécialise dans les papiers découpés traditionnels. Elle pense que les artistes chrétiens comme elle ont besoin d’utiliser des formes d’art typiquement chinoises pour louer leur Dieu créateur et porter témoignage de leur engagement.

Pour ces artistes, faire cela ne veut pas dire donner des visages chinois à des oeuvres européennes, mais d’une part utiliser la tradition chinoise – papiers découpés, peinture paysanne, calligraphie – d’autre part adopter dans leurs oeuvres un contexte se référant explicitement à la vie en Chine. Ce but recherché peut s’interpréter de beaucoup de façons diverses. L’art catholique chinois, depuis longtemps, n’a pas hésité à emprunter à la tradition bouddhiste, à tel point que la Vierge Marie est souvent confondue avec Kuan-Yin, la déesse de la compassion des bouddhistes. D’autres artistes chinois se tournent vers la calligraphie. Liu Bohan par exemple, dont une oeuvre, qui est une traduction du psaume « Le Seigneur est mon berger« , est réalisée avec des caractères chinois assemblés pour former une croix.

L’interprétation de He est différente. Pour lui, les paysages éthérés traditionnels rappellent l’influence du bouddhisme zen et le rejet de la société en faveur de la nature. Sa technique est nettement influencée par Chagall, Picasso, et les fresques bouddhistes tibétaines, ses oeuvres sont colorées et montrent des personnages entourés des éléments de leur vie quotidienne: maisons, habits et mobilier chinois. En outre, He estime que le Christ n’était pas plus Européen que Chinois, si ce n’est par un hasard historique. « Quand Raphaël a cherché sa Madonne l’atil trouvée« , demande-t-il, « sinon parmi les mères de Florence? ».

En Chine l’avant-garde du mouvement se trouve au centre de l’Amicale des arts chrétiens, organisme officiellement reconnu, quasi gouvernemental, qui fait le lien entre les protestants chinois en Chine et les protestants chinois en Occident. Les artistes de Nankin ont des liens étroits avec le centre d’art chrétien de Hongkong, Tao Fong Shan. L’Amicale des artistes de Pékin a déjà organisé deux expositions regroupant plus de 60 artistes chrétiens chinois, une en 1993 à Hongkong et une à Nankin en 1996. Une autre exposition est prévue à Hongkong cette année.

Il est clair que les oeuvres de ces artistes retiennent l’attention. Ces derniers remarquent, qu’à Hongkong ou ailleurs, les chrétiens n’hésitent pas à ignorer le septième commandement, à copier leurs oeuvres ou en faire des reproductions. Fan Pu trouve des copies de ses papiers découpés sur des cartes de Noël par exemple. Elle remarque que, la question d’argent mise à part, elle aimerait au moins obtenir la reconnaissance de ses oeuvres.

Le besoin d’une interprétation réellement chinoise du christianisme saute aux yeux de quiconque pénètre dans une église en Chine: non seulement l’art sacré y est européen, mais il est, dans l’ensemble, de l’espèce la plus médiocre, empreint d’une lourdeur et d’une sentimentalité propres au 19ème siècle. On y trouve un fouillis défraichi de reproductions de la Cène de Léonard de Vinci, de la Pièta de Michel Ange, de Jésus à Gethsémani, de Jésus lavant les pieds de ses disciples, de Brown, etc. Le manque d’argent et le manque de qualité artistique donnent des reproductions de mauvais goût: visage du Christ en trois dimensions, statues en plâtre de la Vierge aux couleurs criardes, vitraux en plastique.

Il est vrai que beaucoup de Chinois semblent apprécier ce genre de choses. Bien que He et d’autres aient gagné des prix et reçu les félicitations académiques, ils reconnaissent que l’ensemble des chrétiens continuent à les considérer comme d’avant-garde. C’est peut-être pour ça que leurs peintures se trouvent plutôt dans les galeries que dans les églises.

Le peintre Benoît Vermander, qui dirige l’Institut Ricci à Taipei et dont les oeuvres ont déjà été exposées à Pékin, dit que la préférence de beaucoup de chrétiens chinois pour l’imagerie européenne est la survivance temporaire d’une habitude du passé, et qu’elle dénote la répugnance des Chinois à abandonner un lien avec l’Eglise universelle à laquelle ils ont été fidèles pendant les décennies d’oppression par le gouvernement chinois. On peut faire un parallèle entre les difficultés à établir un art chrétien authentiquement chinois et les échecs des tentatives pour établir un christianisme authentiquement chinois.

He divise les tentatives artistiques en quatre étapes. D’abord, l’époque des chrétiens nestoriens, sous la dynastie Tang; leurs croix très particulières ont été retrouvées sur des stèles funéraires. Ensuite, l’époque des jésuites, sous la dynastie Ming. Matteo Ricci commanda aux sculpteurs sur bois des reproductions de gravures européennes connues, adaptées au goût chinois. Puis un autre jésuite, G. Castiglione, Lang Shining pour les Chinois, introduisit la perspective dans l’art chinois. Curieusement, il est aujourd’hui surtout connu pour les chevaux et scènes de batailles qu’il dut exécuter pour les empereurs Qing. Il aurait préféré exécuter des oeuvres religieuses.

La quatrième époque fut l’arrivée des missionnaires protestants au 19ème et au 20ème siècles. Malheureusement pour l’Eglise de Chine, ces missionnaires furent mêlés aux guerres de l’opium et aux tentatives occidentales pour se partager la Chine, qui ont entaché les intentions chrétiennes dans l’esprit des Chinois. A Nankin, les artistes rappellent aux visiteurs étrangers que les Chinois n’ont pas oublié la phrase : « Un chrétien de plus, un Chinois de moinsMais ils se hâtent d’ajouter que nombre de ces missionnaires étaient voués au travail d’évangélisation et qu’ils encouragèrent la construction de centaines d’églises chrétiennes en Chine. Du côté catholique aussi, le renouveau d’énergie chez les chrétiens s’est manifesté par des essais renouvelés de créations artistiques plus sensibles à la culture chinoise. Ce fut surtout le fait d’un nonce apostolique à Pékin, Celso Costantini, qui, à son époque, encouragea une génération d’artistes catholiques tels que Luke Chen, qui fit l’objet d’un article du magazine Life dans les années 30, ou Magdalena Yen-bin Liu qui continue à peindre aujourd’hui. S’il n’y avait pas eu l’invasion japonaise et la victoire communiste, tous les éléments étaient en place pour une floraison artistique chinoise. Mais après la guerre civile, pendant des décennies, l’art chrétien chinois disparut et les églises furent perçues comme des manifestations de l’étranger. Avec le dégel amorcé par la politique de la porte ouverte de Deng Xiaoping, les églises ont été rendues à leurs propriétaires et les artistes chrétiens utilisent avec circonspection leur liberté nouvelle pour exprimer leur foi de façon plus indigène.

Pour He, c’est maintenant la cinquième étape de l’art chrétien chinois. La révolution communiste a permis ce que peu de gens croyaient possible, lorsque les missionnaires furent emprisonnés ou expulsés en 1950: non seulement le christianisme en Chine a survécu au départ des étrangers, mais il continue de croître. Quelle est l’étape suivante? He dit après réflexion: « L’étape suivante, ce sera quand nous enverrons des artistes chrétiens chinois et des missionnaires en Occident« .