Eglises d'Asie – Cambodge
LE POINT SUR LA SITUATION SOCIALE ET POLITIQUE du 1er juillet au 1er septembre 1998
Publié le 18/03/2010
Outre les enjeux politiciens nationaux, le scrutin et la formation rapide d’un gouvernement revêtent une importance capitale pour le pays : recouvrement du siège du Cambodge à l’ONU en septembre-octobre, entrée dans l’ASEAN en décembre, redémarrage de l’économie par les investissements étrangers, dons et prêts des organismes financiers internationaux suspendus depuis « les événements » de juillet 1997. On comprend donc la patience inhabituelle de Hun Sen et de son gouvernement dans la gestion de la crise suscitée par Sam Rainsy : l’an dernier, il a appris à ses dépens, que toute violence coûte très cher, et mettrait à nouveau son pays au ban de la communauté internationale. « Il est sûr qu’il y a eu des fraudes, mais cela ne change pas substantiellement l’ensemble du vote. Ces élections se sont mieux passées que dans l’ensemble des pays d’Asiedit avec sagesse un observateur politique cambodgien.
CAMPAGNE ELECTORALE DANS UN CALME RELATIF
En dépit des actes répétés d’intimidation des futurs électeurs par le Prachéachon, Parti du Peuple Cambodgien (PPC, ex-communiste, au pouvoir), la campagne électorale, s’est déroulée sans problèmes majeurs : chacun des candidats a pu circuler dans tout le pays, sans restriction, organiser des meetings et des défilés de camions remplis de supporters revêtus de tee-shirt et coiffés de casquette à l’emblème du parti, criant des slogans tous aussi intelli-gibles et prometteurs les uns que les autres… Liberté inimaginable il y a quelques mois. Même les Etats-Unis, si réservés sur la possibilité d’élections « libres et équitables », ont dû reconnaître, le 23 juillet, par la voix de James Robin, porte-parole du Département d’Etat, qu’en dépit de quelques « imperfectionsémaillant la campagne électorale, « le climat est aussi bon que possible (…) que le peuple cambodgien mérite l’occasion, tout compte fait, d’exercer son droit de vote et ses droits démocratiques
On déplore toutefois un certain nombre d’assassinats en relation avec la campagne :
– Le 5 juillet, un membre du PPC est tué à Kompong Som. Sman Kim, membre du FUNCINPEC est tué à Kompong Thom,
– Le 7 juillet, un membre du PSR est assassiné à Takéo.
– Le 15 juillet, 4 personnes, dont 3 Vietnamiens sont tués à Kratié.
– Le 14 juillet, Nhek Sivorn, militant du PSR est tué par balle à Sotr Nikum (Siemréap).
– Le 17 juillet, les Khmers rouges embusqués près d’Anlong Veng attaquent un convoi transportant du matériel électoral et tuent deux militaires de l’escorte.
– Le 14 juillet, Reth Savoeun, chef du PSR, invité à aller à une partie de pêche par le chef du PPC de son village, près de Pursat, est tué d’une balle dans la tête.
– Le 17 juillet à 22h 30, Mme Lith Prath, 60 ans, est tuée par balle.
– Dany Teav, mari de Ly Rosamy, candidate députée PSR de Phnom Penh, est arrêté et tabassé par la police municipale qui veut lui faire avouer le meurtre d’un homme d’affaire. Il semble que ce ne soit qu’un prétexte pour attaquer la candidate.
– Le 22 juillet, Ben Yoeurn, du PSR, invité à une partie de chasse par l’adjoint au chef d’un village de la province de Pursat, est tué par balle.
Il n’est pas prouvé que tous ces meurtres soient d’origine politique, même si de fortes présomptions le laissent supposer. Ils semblent relever davantage de l’initiative de militants locaux qui ont réglé ainsi des problèmes personnels, que de directives émanant des autorités, comme ce fut le cas l’an dernier. La même culture d’impunité demeure…
Dans un document rendu public le 19 août, le Centre des Nations Unies pour le respect des Droits de l’Homme affirme que la plupart des 30 meurtres relevés du 20 au 26 juillet n’étaient pas de nature politique. Selon le rapport, seulement 6 relèveraient avec certitude de motifs politiques.
– Le 4 juillet, les partis d’opposition de Son Sann et de Sam Rainsy annoncent qu’ils participeront aux élections, en dépit de sérieuses réserves. Une absence eut été un suicide politique de leur part.
– Suite à la pression des syndicats affiliés à Sam Rainsy, et notamment de Melle Ou Mary, présidente du SIORC, le secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales envoie une circulaire aux patrons d’usines leur demandant d’organiser le travail en sorte que les ouvriers puissent aller voter le dimanche 26 juillet, sans retenue sur leur salaire, « quitte à récupérer plus tard les heures perdues ». La circulaire demande même que le salaire du mois soit versé à l’avance pour permettre le déplacement des ouvriers.
– Le 8 juillet, le Conseil Constitutionnel (CC), organisme-clef pour l’interprétation de la constitution, et donc pour le règlement ultime de conflits électoraux, se réunit pour la première fois, en l’absence de Chau Sengcocsal, malade, et de Son Sann qui boude. Le CC rejette la candidature d’un tout petit parti qui s’est présenté trop tard.
– Le 9 juillet, on apprend que 59 424 Cambodgiens ont reçu une carte d’accréditation comme observateurs aux élections, souvent en échange de quelques dollars (jusqu’à 100 ! Beaucoup ont été abusés croyant ainsi obtenir un poste ou un salaire). Plus de la moitié sont présentés par 17 ONG locales, pour la plupart parfaitement inconnues, notamment une Association d’Entraide Bouddhique qui présente 24 441 observateurs, alors qu’elle ne comptait que quelques centaines de membres. Bon nombre de ces « observateurs » sont des policiers et des militaires. C’est en fait une manoeuvre du représentant des ONG au CNE (Comité National pour les Elections), proche du PPC, pour submerger les 11 699 bureaux de votes, et empêcher la présence d’observateurs plus neutres. Sur pression du Groupe des Observateurs Internationaux (JIORG), le CNE disqualifie les nombreux nouveaux « observateurs », et distribue en secret des cartes jaunes d’accréditation uniquement aux membres de trois associations cambodgiennes reconnues comme dignes de confiance : Comfrel (« Comité les élections libres et équitables », créé par Adhoc), Coffel (« Coalition pour la tenue d’élections libres et équitables », créée par LICADHO), et Nifec (« Comité neutre et impartial pour la tenue d’élections libres et équitables au Cambodge » ). Les membres de ces associations ont reçu une formation adéquate pour remplir leur rôle.
– Environ 600 observateurs étrangers, venus de 34 pays ou de diverses ONG, regroupés sous le JIORG (Groupe International d’Observation, coordonné par les Nations Unies), dirigés par Sven Linder, ancien ambassadeur suédois en Chine, et habitué de telles opérations en d’autres pays, sont répartis en environ 235 équipes mobiles, qui superviseront environ 2 200 des 11 699 bureaux de vote. 187 observateurs à « court terme », dont 81 viennent d’Europe, sont placés sous la direction de Mme Glennys Kinnock, irlandaise, membre du parlement européen. 70 jeunes gens d’origine américaine sont recrutés par deux ONG américaines (National Democratic Institute et International Republican Institute) comme observateurs à long terme. Le 9 juillet, les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils donneraient leur avis sur les élections sans se solidariser avec celui du JIORG, pour le fonctionnement duquel ils ont accordé une aide de 400 000 dollars. On peut s’étonner de la présence d’observateurs birmans, qui ne sont sans doute pas du parti d’Aung Sang Suy ! Ils ont sans doute des leçons de démocratie à donner aux Cambodgiens.
– Les partis d’opposition se plaignent de l’accès inégal aux médias, même si un réel effort a été tenté sur les télévisions et radios nationales. Une enquête concernant les 4 chaînes de TV privées, toutes affiliées au PPC, révèle que durant la quinzaine du 1 au 14 juillet, les membres du PPC sont apparus 446 fois (Hun Sen, pour lui seul, 107 fois), alors que le FUNCINPEC n’a été mentionné que 12 fois (dont Ranariddh 6 fois), et le PSR 9 fois.
– Au total 1 793 personnes ont été rayées des listes électorales, parce qu’elles n’étaient pas de nationalité cambodgienne.
LES ELECTIONS DU 26 JUILLET
Les élections du 26 juillet se sont passées dans un calme inattendu, qui ressemblait à la ferveur d’une grande fête nationale. La participation a été très forte (93,74% des inscrits), montrant une formidable volonté de participer à la vie politique.
– Seule une attaque par les Khmers rouges dans la région nouvellement reconquise par les FARC (Forces Armées Royales Cambodgiennes) d’Anlong Veng a endeuillé le scrutin avec la mort de 7 civils et deux soldats, auxquels il faut ajouter un khmer rouge.
– 7 khmers rouges armés ont fait irruption dans un bureau de vote à Stung Treng, mais sont repartis sans causer de dommages.
Le soir des élections, toute la classe politique cambodgienne se félicite, même les partis de l’opposition. « Malgré certaines irrégularités…nous sommes satisfaits de l’administration, du CNE et de la CPE (Comité Provincial des Elections) », déclare le prince Ranariddh à Battambang, même si cette déclaration ne signifie pas qu’il acceptera les résultats du scrutin. Sam Rainsy est plus réservé et dénonce déjà un certain nombre d’irrégularités : « Si le consensus général est qu’il y a eu des fraudes, je rejetterai les résultats des élections. Si le consensus est que les élections sont crédibles, je l’accepteraiannonce-t-il le soir des élections. Les représentants des pays de l’ASEAN et Madeleine Albright, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, réunis à Manille, ce dimanche 26, affirment que le scrutin « s’est déroulé sans trop de problèmes ».
– Dès ce jour-là, on signale déjà cependant quelques irrégularités : parfois aucun observateur n’était présent dans les bureaux de vote, d’autres y ont été interdits d’entrée comme à Kirivong ou à Prey Veng; le chef de village, des policiers, ou des militaires étaient présents dans certains bureaux ; des banderoles du PPC étaient déployées devant quelques bureaux.
Le 27, Mme Ho Meng Léang, directrice du Coffel déclare que « malgré de nombreuses erreurs techniques et d’irrégularités, l’ensemble du processus électoral a été conduit avec succèsMême avis de Thun Saray, au nom de Comfrel. Dans la nuit du 27 au 28 juillet, après plusieurs heures de vifs débats, (90% seulement des observateurs ont un avis favorable), Sven Linder, au nom du JIORG, déclare que les élections et le décompte des voix sont « justes et équitables » et reflètent la « volonté du peuple cambodgienIl invite donc tous les partis à accepter et à honorer les résultats des élections. Les observateurs australiens sont partagés. L’ex-sénateur américain Stephen Solarz, après avoir pris connaissance du rapport des deux ONG américaines, salue les élections comme « une contribution significative à l’avancée de la démocratie dans ce pays » et parle de « Miracle sur le MékongLe 28 juillet, le porte-parole du quai d’Orsay déclare que la France considère les élections comme « libres et équitables » et demande aux différentes parties de respecter le verdict des urnes. Le Japon émet le même avis tandis que la Chine et le Vietnam saluent la victoire du peuple. Le Canada reconnaît que les élections n’ont pas été « parfaites », mais qu’elles sont « justes ». Le même avis est partagé par Koffi Annan, secrétaire général des Nations Unies.
Sam Rainsy, non sans quelque raison, dira que 500 observateurs pour visiter 2 200 des 11 699 bureaux, ne peuvent consacrer que 20 minutes par bureau pendant les 9 heures du scrutin, soit 1% du total. Pour quelques-uns, ces « observateurs » étaient des professionnels, beaucoup d’autres étaient des touristes opportunistes… Le JIOG défend la qualité de son travail, avec « 18 % des bureaux de vote visités et 13 % des opérations de dépouillement contrôlées ».
La hâte à adresser un satisfecit à l’ensemble du processus électoral avant la fin des opérations laisse cependant dubitatif: certains soupçonnent des accords secrets préalables avec le pouvoir en place…
Le 28, le PPC crie victoire avant même la publication des premiers résultats, retardés d’un jour sans doute à cause du mauvais score du PPC à Phnom Penh. L’opposition crie à la fraude : disparition de bulletins de vote, ingérence du personnel électoral dans le vote des électeurs, mauvais décompte des bulletins, menaces aux observateurs, insuffisance du nombre de membres des partis et d’observateurs autorisés à assister au dépouillement… Selon Sam Rainsy, de sérieuses irrégularités se sont produites dans les provinces de Svay Rieng, Siemréap, Pursat, Kompong Chhnang. Ils regrettent le blanc seing accordé par la communauté internationale qui va encourager le parti au pouvoir à frauder… Ils menacent de boycotter la nouvelle assemblée, si des vérifications ne sont pas menées. James Rubin, porte-parole du département d’Etat américain, demande au gouvernement cambodgien d’enquêter sur les sérieuses allégations de fraudes, pour être sûrs que les résultats du scrutin reflètent véritablement la volonté du peuple.
Le 30 juillet, Hun Sen propose au deux partis d’opposition de former un gouvernement de coalition entre les trois partis. Le 28, il s’était entretenu de cette proposition avec le roi à Siemréap qui lui avait donné son aval… Certains envisagent que le poste de président de l’Assemblée nationale sera donné à Ranariddh, comme ultime tremplin vers l’ascension au trône. Le PPC revendiquerait 5 ministères-clefs : la Défense, l’Intérieur, les Affaires Etrangères, la Justice et les Finances.
– De fait, un observateur parlant le cambodgien et proche du petit peuple, circulant beaucoup dans le pays, a pu recueillir un très grand nombre de petites « irrégularités » : dans tel village, les observateurs du parti d’opposition, de Ung Huot en l’occurrence, ont été évincés en fin de journée, tous les bulletins des personnes ne s’étant pas présentées, cochés à la case du PPC et mis dans l’urne; un certain nombre de gens avouent avoir reçu deux bulletins, dont l’un déjà coché, à mettre dans l’urne, etc. Ces petites « irrégularités » répétées peuvent avoir eu un impact sur le résultat du scrutin à l’échelon provincial. La presque totalité des personnes rencontrées avouent n’avoir pas voté PPC.
– Le 1er août, le Nifec, l’une des trois associations cambodgiennes accréditées pour surveiller le scrutin, avec ses 2 700 observateurs, fait un rapport en demi teinte : l’ensemble s’est bien déroulé, mais dans deux districts de Kompong Cham des coups de feu ont été tirés près des bureaux de vote, une femme a été tuée près de Mémot, et il est fait état de nombreux cas d’intimidations. A Kampot, un observateur du Nifec a été menacé, des chefs de village étaient présents dans de nombreux bureaux de vote, etc.
– Le 4 août, le Comfrel, autre association cambodgienne accréditée, avec ses agents présents en 1 570 bureaux de vote, fait état de « petites choses ». En certains endroits dans la province de Prey Veng, la différence entre les chiffres de la CNE et de Comfrel va jusqu’à 35 000 bulletins de vote ! mais le résultat en sièges reste le même.
– Le 4 août, Ung Huot lui même, dont le gouvernement a organisé les élections, fait état de fraudes lors du décompte des voix.
– Le 5 août, selon l’agence Kyodo News Service, le PSR fait savoir qu’il a des preuves que 45 000 bulletins de votes ont disparu dans les province de Kandal et de Battambang. 3 urnes de la province de Takéo sont recomptées, et donnent en gros le même résultat que précédemment. A Srae Ronong, un observateur international fait remarquer que presque tous les bulletins sont cochés de la même façon, généralement pro-PPC… C’est un mélange de fraude et d’intimidation qu’on appelle « téléphonique » : on donne au votant un bulletin prémarqué, il doit remettre en sortant son bulletin blanc que lui a remis le fonctionnaire préposé aux bulletins, et personne n’y voit rien, pas même l’observateur étranger… On signale des urnes mal fermées en provenance de Prey Veng, 900 bulletins de vote du FUNCINPEC exclus du décompte, etc…
Une commission spéciale est créée au sein du CNE pour examiner les plaintes. Pour beaucoup, même pour les Etats-Unis, les irrégularités n’affecteraient guère le résultat du scrutin. Glenys Kinnock, représentante spéciale de l’Union Européenne reconnaît que « le processus de dépouillement a été marqué par des disputes et des dissensionsElle propose d’allonger le mandat de ses observateurs pour recompter les voix. Le 4 août, le PRS et le FUNCINPEC déposent 374 et 250 plaintes concernant le dépouillement des bulletins. Kassie Neou, président de la commission de vérification des fraudes au CNE démissionne, excédé par la mauvaise volonté de ses collègues pour recompter les votes.
La formule d’attribution des sièges
Au fur et à mesure que tombent les résultats, on fait des projections sur les sièges obtenus par chacun, mais le 30 juillet, le CNE lance un rappel: l’attribution des sièges est prévue au « système proportionnel à la plus forte moyenne », selon la formule Jefferson, appelée en Europe système d’Hondt, qui favorise le parti vainqueur. L’ennui, c’est que si l’article 119 de la constitution ne précise pas le système à utiliser. L’article 5 de la loi électorale, adoptée le 5 décembre, non plus. L’article 16 de la loi électorale confie donc au CNE la responsabilité de décider des modalités précises d’application. Or le 6 mai, le CNE avait diffusé un long document de 200 pages en khmer, sur le système de répartition, basée sur la formule Jefferson, (que nous appellerons « formule 2 »), avec un exemple appliquant la formule Jefferson, modifiée Balinski-Young (que nous appellerons formule 1, ou formule « initiale » pour le CNE). C’est sur ce texte qu’ont travaillé les partis. Le 29 mai, par contre, l’exemple est modifié, sans avertir quiconque : on utilisera la formule Jefferson (n° 2). L’enjeu est de taille: il en va de la majorité, et donc de la nomination du Premier ministre.
– Le PPC a recueilli 2 030 802 voix, soit 41,42 %. Selon la formule « initiale », il aurait 59 sièges (soit 48,36 % de l’Assemblée), selon la seconde formule, il en détient 64, donc la majorité absolue (52,46 % des 122 sièges).
– Le FUNCINPEC a recueilli 1 554 374 voix, soit 31,71 %. Selon la formule « initiale », il aurait donc 44 sièges (soit 36,07%), selon la seconde formule, il en a 43, soit 35,25 %.
– Le PSR a recueilli 669 653 voix, soit 14,75 %. Selon la formule « initiale », il aurait 18 sièges (soit 14,75), selon la seconde formule, il en a 15, soit 12 %.
– Le KDP (Parti Démocrate Khmer, de Ou Pourik, ancien parti de Im Tam) a recueilli 89 999 voix, soit 1,84 %. Selon la formule « initiale » il aurait 1 député, selon la seconde il n’en a aucun.
– Les 36 autres partis totalisent 12 % des voix, et n’obtiennent aucun siège.
Si l’attribution des sièges avait été réglée par la formule utilisée par l’APRONUC en 1993, le PPC obtiendrait 56 sièges, le FUNCINPEC 40, le PSR 24, le KDP 1, le CNSP (Parti du Soutien à la Nation Khmère, de Pen Sovann), 1 siège. Dans les deux cas, le PPC n’aurait pas la majorité absolue à l’Assemblée.
– Par rapport à 1993, le PPC gagne 3% des voix (de 38 à 41 %). Le FUNCINPEC, dont est sorti le PSR et 7 autres petits partis, passe de 52 à 40%. La plupart des voix perdues ont rejoint PSR et les petits partis. Unie, l’opposition aurait été le grand vainqueur…
– Le PPC est loin d’atteindre les 3,3 millions de voix qu’il prétendait détenir avant le scrutin. La Voix de l’Amérique, transformée en radio de l’opposition, le rapport de Global Witness concernant la déforestation, et diffusé en khmer à 8 000 exemplaires, sont sans doute pour une part dans le vote de défiance à l’égard d’Hun Sen. 54 % des électeurs ont voté pour un autre parti que le PPC, dont 14 % des électeurs de Sam Rainsy, rejetant purement et simplement le second Premier ministre. Dans les villes, c’est un désaveux clair de Hun Sen : Phnom Penh, Kompong Cham, fief de Hun Nean, frère de Hun Sen, Kandal, Kratié, Battambang, Batéay Méan Chhey votent à presque 2/3 pour l’opposition.
– Les petits partis se réveillent groggy : ils ont tous été éliminés. Certains, comme Ngoun Soeun, s’attendait à avoir au mois 25 sièges à l’Assemblée, n’est même pas représenté. Ung Huot, premier Premier ministre, non plus. Les politiciens cambodgiens commencent peut-être à réaliser à leurs dépens, que l’émiettement politique centré sur le culte de la personne et la recherche d’intérêts particuliers les a conduits à l’échec. Dans son échec relatif, Ranaridhh se réjouit du fait que « les renégats » qui ont comploté contre lui, ou qu’il a exclu du FUNCINPEC n’aient pas été élus… Or s’ils étaient restés avec lui, il aurait sans doute la majorité absolue…
– Ces résultats prouvent un certain exercice démocratique du droit de vote, en dépit de toutes les pressions et manipulations. « On ne peut pas manipuler 90 % de la populationfait remarquer un diplomate occidental.
– Le PPC a dépensé 2,5 millions de dollars par mois, financés par les hôtels de luxe de Siemréap, de Phnom Penh et de Sihanoukville, par les sociétés mixtes, dont la compagnie pétrolière nationale Sokkimex, et pas les dons de ses membres.
Les partis d’opposition crient au scandale, à la machination. On leur répond qu’ils n’avaient qu’à lire les textes qu’on leur a donnés. Ils exigent les minutes de la délibération du CNE du 29 mai. Après de nombreux jours, les minutes sont rendues publiques, mais portent un blanc sur le sujet, le greffier n’ayant pas jugé bon de noter la discussion… « On ne change pas une formule sans prévenirdit l’opposition. Théo Noël, Canadien conseiller auprès du CNE, écrit une lettre pour justifier ce choix technique à l’ambassadeur du Canada, dans laquelle il se laisse aller à critiquer les partis d’opposition qui, selon lui, cherchent à cacher leurs divisions par leurs revendications ; c’en est trop, on l’accuse d’être à la botte du PPC.
– Le problème juridique et constitutionnel est réel, difficile à résoudre, mais ne peut être passé sous silence, comme le fait le PPC. Il s’agit sans doute, de la part de Théo Noël, d’un malentendu involontaire et regrettable. Mais en est-il de même du PPC ? Seule une solution négociée à l’amiable peut résoudre le conflit.
Les partis d’opposition signalent que leurs militants de province sont harassés, menacés de mort par les vainqueurs. Plusieurs centaines d’entre eux affluent à Phnom Penh. Les actes d’intimidation sont en partie réels, tant il vrai qu’au Cambodge, la démocratie procède souvent par élimination (…physique), mais ressortent en grande partie de la manipulation. Le 1er août, Hun Sen doit lancer un appel au calme et demander aux vainqueurs d’observer la tolérance, qui est à peu près observée depuis cette date. On ne peut pas à vrai dire, pour l’instant, parler de « chasse aux sorcières ».
– Le 30 juillet, le prince Ranaradsh, qui dit n’avoir « plus rien à faire au Cambodge », se rend à Bangkok où il a des entretiens avec son chef de guerre Nhiek Bun Chhay.
– Le samedi 1er août, les FARC arrêtent l’ex-général khmer rouge Nuon Paet, accusé du meurtre des 3 jeunes touristes étrangers australien, français et britannique en 1994, dont Jean-Christophe Braquet. Il vivait retiré dans sa ferme de Païlin, sur ses gardes, sans faire parler de lui. Attiré par une proposition commerciale alléchante, il est arrêté à Battambang, et conduit dans la sinistre prison T3 de Phnom Penh. En dépit des dénégations de Hun Sen, cette arrestation semble être un geste de remerciement de sa part à l’égard des trois gouvernements qui réclamaient l’arrestation du Khmer rouge depuis des années. Cette arrestation sème la panique chez les Khmers rouges ralliés, qui se demandent chacun, quand viendra leur tour. Le général Téa Banh, ministre de la Défense, doit se rendre d’urgence à Païlin pour calmer les esprits. Mais chacun connaît la volonté de Hun Sen de se débarrasser tôt ou tard de ces alliés encombrants. N’y-a-t-il pas eu accord secret préalable avec la Communauté internationale, pour qu’elle reconnaisse les élections et Hun Sen en échange de l’arrestation des chefs khmers rouges et de la tenue d’un procès ? D’aucuns avancent l’hypothèse.
Le 6 août les résultats préliminaires sont rendus publics. Les plaintes doivent être déposées dans les 72 heures, elle doivent être examinées avant la fin du mois d’août. L’Assemblée nationale devrait se réunir le 24 septembre. Un amendement ajouté par Sihanouk à la Constitution de 1993, exige une majorité des 2/3, soit 73 voix, pour former un gouvernement (amendement visant à favoriser la réconciliation nationale, mais rendant impossible la vie politique). Ainsi aucun parti n’est en mesure de former seul un gouvernement, qui devra obligatoirement être de coalition. Le PPC propose de garder 60 % des postes gouvernementaux, et d’en accorder 40 % au FUNCINPEC, le PSR restant dans l’opposition.
Le FUNCINPEC et le PSR rejettent les résultats préliminaires et déclarent qu’ils boycotteront la nouvelle Assemblée si la formule d’attribution des sièges n°2 était appliquée. Les deux partis en appellent à la communauté internationale qui préfère laisser le soin aux Cambodgiens de régler ces disputes internes. Hun Sen brandit alors deux menaces : l’ancienne Assemblée, qui est toujours en exercice, pourrait voter un amendement à la Constitution, exigeant seulement la majorité absolue pour former un gouvernement (mais les juristes font remarquer que l’Assemblée ne peut procéder à un tel vote après des élections). La seconde menace est que le gouvernement actuel, après avoir dissous l’actuelle Assemblée, demeure indéfiniment au pouvoir… Ce même 6 août, Lakkhan Mehrotra, représentant spécial du secrétaire des Nations Unies, invite Chéa Sim et Ranariddh à un dîner, à Chamcar Mom: les deux hommes sont assis à la même table pour leur donner l’occasion de se parler… On n’en sait pas plus.
Le 8 août, le CNE met fin brusquement au recomptage des voix des urnes contestées : « Peut-être le CNE a-t-il peur d’ouvrir la boîte de Pandoreremarque le modéré responsable de l’Institut Cambodgien pour la Démocratie.
Le 10 août, le CNE rejette près de 500 plaintes de l’opposition : « 1(, Nous n’avons pas le temps de recompter, 2( nous voulons des preuves avant de commencer ». L’opposition indique qu’elle acceptera des négociations pour la formation d’un gouvernement que si les plaintes pour fraudes sont examinées. Une lettre envoyée à Cheng Phon, président du CNE, ce même 10 août, par les deux partis d’opposition, comprenant 6 questions, restera sans réponse. Le 11 août, le CNE rejette les 304 plaintes restantes : 110 plaintes concernant des cas d’intimidation et 172 demandes de recomptage des voix, 22 cas où les plaignants estiment les résultats préliminaires inacceptables. Le CNE donne 48 heures aux partis pour déposer des plaintes au Conseil Constitutionnel.
Le 12 août, le roi Sihanouk se dit prêt à organiser une « Réunion Informelle de Siemréap » (SIM), si les trois partis le lui demandent, mais le PSR « ne veut pas troubler sa Majesté avec des problèmes techniquesUne telle réunion ne pourra avoir lieu qu’après la résolution de ces problèmes. Hun Sen et le PPC, au contraire, acceptent, sachant qu’une fois à Siemréap, les critiques du processus électoral cesseront.
Le 13 août, une heure avant la date butoir de réception des plaintes, le PSR dépose 609 plaintes au Conseil Constitutionnel, et le FUNCINPEC 250. 7 des plaintes, notamment celle concernant le changement de formule de l’attribution des sièges, sont refusées par le greffier. Or un greffier n’a pas le pouvoir de rejeter une plainte. Il dira plus tard avoir agi sur ordre de Chan Sok, président du CC. Même un juge qui refuserait d’accepter une plainte est passible de prison. Le greffier dira ensuite que Rainsy avait dépassé la date du dépôt des plaintes.
Le 15 août, une centaine de personnes manifestent devant l’ambassade des Etats-Unis au Cambodge pour demander la tenue de nouvelles élections, et demandent aux Etats-Unis, « unique symbole de la démocratie à travers le monde » de rétablir la justice des élections. Sam Rainsy, devant un millier de personnes, déclare refuser de prendre part à une coalition dirigée par Hun Sen, à qui il reproche son ignorance, son absence d’études. Ranariddh, pour sa part, demande que Hun Sen ne soit pas premier ministre. « C’est étrange que le vaincu impose ses volontés au vainqueur », répond le PPC. On va vers la crise constitutionnelle.
La communauté internationale commence à manifester son impatience. Domingo Siazon, chef de la diplomatie philippine, affirme qu’il est « hautement immoral ou irresponsable de la part des dirigeants politiques de ne pas former un gouvernement, et cela, uniquement en raison de leurs ambitions personnellesDeux jours plus tôt, le Président Chirac avait écrit au roi Sihanouk, disant sa conviction que les principales forces politiques du pays devaient « oeuvrer dans le respect de la volonté exprimée par le peuple cambodgienLe 19 août, la Thaïlande à son tour, invite avec force, les politiciens cambodgiens à former un gouvernement, faute de quoi l’entrée du Cambodge dans l’ASEAN risque d’être compromise. L’Allemagne, la Russie, le Japon, la Chine invitent également les dirigeants cambodgiens à former un gouvernement dans les plus brefs délais.
Ranariddh et Sam Rainsy qui se sont toujours appuyés sur la « Communauté Internationale » dans leur lutte pour le pouvoir, s’en prennent désormais à cette même Communauté, en des termes souvent injurieux : « Les yeux français ne voient pas comme les yeux cambodgiensfait justement remarquer Ranariddh… parti en Thaïlande ! Qu’ont fait les yeux de ses partisans sur place ? La communauté internationale ne peut, heureusement, pas, se substituer à la communauté nationale… Sam Rainsy et ses partisans accusent les observateurs d’être venus au Cambodge pour coucher avec les filles vietnamiennes et passer leurs soirées dans les night-club…
Le 20 août, vers 23 heures, une voiture blanche passe devant le ministère de l’Intérieur ; une grenade est jetée, et plusieurs rafales d’armes automatiques sont tirées devant le portail : le chauffeur de l’agence de presse Kyodo News Service est tué. Il semble bien qu’on visait Sam Rainsy qui se rendait au ministère pour passer la nuit avec ses partisans afin de surveiller les sacs de bulletins de vote litigieux. On l’avait fait attendre à la porte avec un groupe de journalistes. Il a appelé You Hokry, co-ministre de l’Intérieur (FUNCINPEC) auquel aucun garde voulait parler. Rentré trop tôt, il a échappé à l’attentat. Mais dès que les rafales ont été entendues, des soldats se sont précipités sur lui et les journalistes. Un soldat a tiré au dessus de la tête de Sam Rainsy, d’autres l’ont menacé et enfermé avec les journalistes dans une salle. Il n’a dû sa libération qu’à l’intervention personnelle de Lakhan Mehrotra ainsi qu’à celle de l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de Sar Kheng, ministre de l’Intérieur (PPC). Pour Rainsy, ce sont les unités secrètes de Hok Lundi (le meurtrier présumé de Ho Sok, le 7 juillet 1997, et l’homme des basses besognes de Hun Sen), qui ont tenté de l’assassiner.
Sam Rainsy lance alors une invitation à participer à une manifestation le dimanche suivant, pour demander que le Conseil Constitutionnel examine les plaintes pour fraudes et irrégularités. L’autorisation lui est refusée pour
le dimanche, en raison du trafic plus important que les autres jours, et parce que la police est en congé ! On l’autorise à manifester lundi 24. Le dimanche 23, cependant, environ 7 000 manifestants se réunissent au stade olympique, puis se rendent devant l’Assemblée nationale : « Si les autorités n’ont pas examiné nos plaintes avant le 29 août, date de l’annonce officielle des résultats des élections, nous organiserons des manifestations monstres après cette dateannonce-t-il. Les manifestants font le siège de l’Assemblée nationale pour un « sit in » de durée indéterminée. Ils sont 3 à 4 000 le lundi 24 août, 10 à 15 000 ensuite, les gens bravent la pluie et le danger, dorment sous des bâches de plastique, sont nourris par la population, le tout dans une ambiance bon enfant de kermesse populaire.
L’autorisation d’organiser ce « sit-in » est accordée le 26 août par Chhim Séak Leng, membre du FUNCINPEC, maire de Phnom Penh (FUNCINPEC), à la fureur du Ministère de l’Intérieur. Deux fois par jour, le matin à 8 heures et à 5 heures le soir, Sam Rainsy harangue la foule dans des discours d’une violence déplacée pour un homme politique, traitant Chheng Pon, président du CNE, d' »achar voleur », réclamant le départ de Hun Sen du poste de premier ministre, le traitant de « marionnette des Vietnamiens », d’avoir « un corps khmer et un cerveau vietnamien », « les responsables du PPC sont idiots et ignorants, ils n’ont pas même achevé l’école primaire », etc.. Il demande aux policiers et aux forces armées de retourner leurs armes contres leurs chefs, si on leur demande de tirer sur la foule. La foule répond par le slogan de type khmer rouge « Ecrasons, écrasons Hun Sen ». Selon Rainsy, les Etats Unis devraient envoyer une force spéciale pour arrêter Hun Sen comme ils l’ont fait pour Manuel Noriega au Panama « Pourquoi l’Amérique n’enverrait-elle pas des avions pour bombarder Toul Krasaing avec des bombes guidées au laser, » demande-t-il le 25 août, dans ce que l’on peut considérer comme un excès de langage. On fait toujours appel à l’étranger pour régler les problèmes cambodgiens : « L’Amérique est le seul espoir pour le peuple cambodgien » « Les Etats-Unis et l’Onu doivent chercher la justice pour le Cambodge », peut-on lire sur les banderoles des manifestants.
– Ranariddh se joint à la manifestation le lundi 24 août, après 10 jours d’absence (« Il n’avait plus rien à faire au Cambodge », avait-il dit après les résultats préliminaires des élections !).
– Le 28 août, les deux leaders de l’opposition écrivent une lettre à Koffi Annan, secrétaire général de l’ONU, pour lui demander de faire procéder à une réelle évaluation des élections.
– Le dimanche 30 août, 15 à 20 000 personnes manifestent devant l’Assemblée nationale. Un petit groupe de manifestants bûche au marteau les têtes du monument érigé à la gloire de l’Amitié khméro-vietnamienne, arrosent le bâtiment pour l’incendier. Les responsables du service d’ordre de PSR ne réussissent qu’à grand peine à persuader les vandales. L’ambassade du Vietnam dénonce la profanation de ce monument qui consacre « l’amitié et la solidarité entre les peuples du Cambodge et du Vietnam… Acte de nature ultra-réactionnaire des auteurs de la manifestation »… C’est cela dont l’opinion internationale se souviendra. Sam Rainsy dénie toute responsabilité dans cet acte de vandalisme, et rappelle aux manifestants qu’ils doivent se « battre pour la démocratie de manière pacifique, en utilisant les voies légales ». Le 30 août, le roi Sihanouk demande aux politiciens d’éviter l’usage de la violence, pour éviter que le pays « ne sombre plus profondément
Le gouvernement fait preuve d’une patience inhabituelle, persuadé que toute répression par la force ternirait la nouvelle crédibilité obtenue par les élections : l’armée n’est pas autorisée à déloger les manifestants, la police en civil veille discrètement. Le ministère de l’Intérieur interdit les contre-manifestations pour éviter les heurts. Les camions et les cars venant de province sont contrôlés pour bloquer l’arrivée de manifestants. Dans la nuit du 27 août, se tient une réunion entre Sam Rainsy et les responsables du ministère de l’Intérieur, sous l’égide des Lakhan Mehrotra, représentant spécial du secrétaire général de Nations Unies, afin d’éviter les heurts entre les manifestants et forces de l’ordre. Hun Sen donne des ordres pour que la sécurité des manifestants soit rassurée à 100 %. C’est le gouvernement qui gagne ainsi une bonne image de marque…
On tente en vain d’intenter de faux procès à Sam Rainsy ou de le discréditer : on interview à la TV un jeune homme qui affirme avoir été payé par Sam Rainsy pour lancer des grenades sur les manifestants et en faire des martyrs. On tente ensuite d’intenter un procès à Sam Rainsy pour subordination de deux témoins lors de l’attentat à la grenade du 30 mars 1997 : il les aurait payé pour avouer qu’ils avaient lancé des grenades sur ordre du gouvernement. Un journal pro-PPC dit que Ta mok a envoyé 50 soldats khmers rouges, mais que 7 d’entre eux ont été arrêtés dans un hôtel de la ville. Si certains fonctionnaires accréditent la nouvelle, des responsables du ministère de l’Intérieur dément. Le journal pro-gouvernemental « Réasmey Kampuchéa » publie même un faux appel à la guerre civile, signé par Sam Rainsy. Les ficelles sont vraiment trop grossières pour convaincre des Occidentaux, mais pas forcément les Khmers. Le gouvernement laisse entende que Sam Rainsy pourrait être arrêté pour incitation à la violence et violation de la loi, d’appeler à l’insurrection des forces armées, et détérioration des biens publics… Sam Rainsy s’attend à être arrêté pour un motif ou pour un autre. Le 31 août, le Conseil Constitutionnel, réuni à sept membres (Chau Sengcocsal Chum, 93 ans, malade était absent, et Son Soubert, nouveau membre nommé par décret royal, le 12 août, en remplacement de son père était en voyage en Allemagne jusqu’au 4 septembre, en ce moment crucial pour la vie politique du pays !), après une heure de délibération à huis clos, déclare les demandes de l’opposition sans fondement, et confirme les résultats proclamés par le CNE. La question de la formule d’attribution des sièges n’est pas de sa compétence, mais celle du CNE (!). Mais Rainsy avait affirmé il y a quelques jours, qu’il ne reconnaîtrait que la décision prise par les trois sages nommés par le roi. » A quoi bon donc faire tant de bruit !
Ainsi la situation semble provisoirement bloquée. Les manifestants n’ont pas l’intention de lâcher du lest et de forcer Hun Sen à la démission. Hun Sen, pour sa part, déclare qu’il n’a pas l’intention de décréter une action violente contre eux : s’ils veulent manifester 3 à 6 mois, qu’ils le fassent ! Il demande même au ministère de l’Intérieur d’installer une clinique sur les lieux. Que les manifestants n’utilisent pas la violence ni des injures à l’égard du gouvernement. Le 3 septembre il se rendra auprès du roi, avec Chéa Sim, pour examiner la situation et chercher un moyen d’en sortir… Le ministère de l’Intérieur félicite la police de sa patience et de son sang froid.
Il est prévisible que plusieurs députés du FUNCINPEC se laisseront convaincre par Hun Sen de travailler avec lui, tant les convictions politiques sont secondaires par rapport aux intérêts financiers. Avec ou sans Ranariddh, Hun Sen formera un gouvernement de coalition, avec Sam Rainsy dans l’opposition.
– Sam Rainsy a raison sur le fond, et sur le plan strictement légal : contrairement à l’avis de l’ensemble de la Communauté internationale, le PPC a manipulé les élections, notamment par la terreur diffuse répandue pendant des mois. Les organes de vérification des fraudes et irrégularités n’ont pas fonctionné normalement : ils devaient au minimum prendre en compte les doléances, quitte à les débouter par la suite. Le problème de la formule d’attribution des sièges est réel : on ne change pas une formule en catimini.
– Cependant l’action de Rainsy semble irresponsable et relever de la politique du pire : le vainqueur des élections n’a aucune raison de partir, alors Rainsy tente de discréditer le processus électoral, qui dans l’ensemble ne s’est pas trop mal déroulé. Sur l’ensemble du pays, 15 ou 20 000 personnes ne représentent rien, comme l’a fait remarquer le porte-parole du gouvernement. Sam Rainsy n’a pas une implantation suffisante dans le pays pour susciter une vague de fond anti-Hun Sen, qui tient les gens par les postes qu’il accorde. Il ne dispose pas de forces armées.
– Il est presque comique de voir Ranariddh dévoiler la plaque portant le nouveau nom de la place sur laquelle campent les manifestants, « Place de la Démocratielui que Rainsy, il y a quelques mois encore, accusait de n’être pas démocrate, lui qui dans un acte d’autoritarisme injustifié, a expulsé plusieurs membres de son parti et qui a aussi causé sa propre perte…
– S’étant largement appuyé sur la Communauté interna-tionale dans sa campagne, ses excès de langage ont heurté: on ne demande pas aux Américains de bombarder le palais de Hun Sen, sa rhétorique anti-vietnamienne, même légitime et modérée, est perçue comme raciste par les Occidentaux. A part les Etats-Unis, la communauté internationale, à tort, certes, le traite de « mauvais perdant ».
– C’est néanmoins un effort, sans doute venu trop tôt, pour réveiller l’apathie politique du monde khmer, traditionnellement habitué à subir ses responsables politiques dans l’anonymat.
EN MARGE DES ELECTIONS
Si la police et l’armée avaient été très correctes pendant la période préélectorale, les « contrôles » (euphémisme pour parler du « raquet ») sur la route ont repris. Les ressortissants vietnamiens se plaignent à nouveau d’être raquettés sans vergogne par les policiers et fonctionnaires.
– Le trafic du bois, suspendu pendant quelques jours, a repris de plus belle…
– Depuis le 16 août, le CNE commence à licencier ses 15 000 collaborateurs, pour n’en garder que 190 à la fin du mois. Le personnel restant sera chargé d’évaluer le processus électoral et de préparer les prochaines élections municipales. Malgré les 1,68 millions de dollars versés par le PNUD le 31 juillet, pour payer les salaires des 65 000 agents électoraux, il manque encore 1 million. Le gouvernement a gagné 94 700 dollars sur les dépôts des 36 partis qui n’ont pas atteint 3 % des voix. Le 26 août, les 20 membres du CNE reçoivent en cadeau l’exemption de taxe pour l’achat d’un véhicule, soit environ 8 000 dollars. Sam Rainsy, non à tort, qualifie ce cadeau de « pot de vin », pour avoir suivit la ligne du PPC, en refusant d’examiner les plaintes et en introduisant une nouvelle formule de d’attribution des sièges de députés. « Nous sommes dans un pays gouverné par l’argent. C’est le pouvoir de l’argent, non de la loi ni du pouvoir ».
– Le 15 juin, l’important syndicat américain AFL-CIO a demandé au congrès de supprimer le GSP (Système général de Préférence) qui supprime les droits de douanes sur 6 200 articles cambodgiens, tant que le gouvernement cambodgien n’appliquera pas le code du travail voté par l’Assemblée nationale, et n’autorisera pas la création de syndicats libres. Cette demande n’a pas été révélée avant, afin de ne pas interférer sur le processus électoral.
DIVERS
Sécurité : Le 2 août, 300 soldats des FARC, ont engagé des combats contre les hommes de Lay Virak, chef de la rébellion anti-Hun Sen, à Bay Choam, dans la province de Bantéay Méan Chhey. Les deux camps se rejettent la responsabilité du déclenchement des hostilités, parlant d’actes de brigandage, de vols de buffles et de boeufs. 520 réfugiés gagnent la Thaïlande pour se mettre à l’abri des combats.
– Le 4 août, 775 réfugiés sont rentrés de Thaïlande sous l’égide des Nations Unis. C’est le premier groupe à rentrer depuis les élections.
– le 14 août, environ 150 Khmers rouges dirigés par Iem Phan et Ta Muth, reprennent la base de Thmar Dar, près de Koh Kong.
Population : Les premières données du recensement du mois de mars sont rendues publiques :
– le 3 mars à minuit, la population cambodgienne s’élevait 11 426 223 personnes, dont 5,92 millions de sexe féminin, 5,51 de sexe masculin. (le dernier recensement de 1962 donnait 5,7 millions). Le taux de croissance annuelle se situe autour de 2,44 %. Chaque foyer héberge 5,2 personnes, la densité de la population a doublé : 64 habitant au km2. Le population urbaine représente 15,7 %, dont 1 million à Phnom Penh. 43,9 % a moins de 14 ans, 17,5 % est âgée entre 15 et 24 ans. L’espérance de vie est 58,6 ans pour les femmes, 50,3 pour les hommes. Le Cambodge reste le seul pays de la région où les naissances ne sont pas systématiquement enregistrées. Bienque le taux de vaccination ait progressé très rapidement ces dernières années, 26 % des enfants ne sont pas vaccinés contre la rougeole (contre 17 % dans l’ensemble de la région du Sud-Est asiatique). Les garçons qui suivent des études secondaires sont plus nombreux que les filles de 14 %.
Riz : Le 14 août, le conseil des ministre lance un appel à la Communauté internationale pour l’octroi de 250 000 tonnes de riz, afin de faire face à la disette qui frappe en certaines provinces. Le manque de riz est dû en partie à la sécheresse, mais également à la vente du riz cambodgien à la Thaïlande et au Vietnam, vente d’un bon rapport pour un certain nombre de fonctionnaires corrompus.
Religion : Le 4 juillet, la reine inaugure le premier institut bouddhique provincial à Kompong Speu, dont la première pierre avait été posée par le prince Sihamoni le 23 avril
1955, et dont la construction a coûté 95 000 dollars. Cet institut permettra à des orphelins de suivre des études dans une ambiance bouddhiste.
– Du 18 au 24 juillet, s’est déroulée sur 78 km, la huitième marche bouddhique pour « propager la bonté et compassion », dirigée par le Vén. Moha Ghosonanda. Elle s’est terminée devant le palais royal de Phnom Penh, l’avant veille des élections, par des prières et un lancer d’oiseaux.
Santé : Durant les deux derniers mois, le choléra a fait au moins 21 morts. On a relevé 98 cas suspects à Poïpet entre le 14 et 9 juin. Une centaine de cas se sont déclarés à Phnom Penh, notamment dans les squats durant le mois d’août.
– Une épidémie de dengue et fièvre hémorragique s’est abattue sur le Cambodge. 35 tonnes de matériel et de médicaments, représentant 430 000 dollars, ont été rapidement acheminées au Cambodge dès le 27 août, suite à un appel du 12 août lancé par la Croix rouge internationale. L’Inde, la Corée du Sud, le Dannemark, la Thaïlande figurent parmi les principaux donateurs. Dix tonnes d’insecticide Abate et 2 000 litres d’insecticide K-Othrine seront acheminés pour endiguer la prolifération des moustiques « tigres », responsables de l’épidémie.
– De l’alcool trafiqué avec de l’insecticide ou du méthanol qui a pour effet de corser le niveau d’alcool, a causé la mort d’au moins 44 morts et l’intoxication de 128 autres dans la secteur de Kompong Dangkaor, à l’Ouest de Phnom Penh. Pour beaucoup de gens, c’est l’oeuvre de mauvais esprits.
DERNIERE MINUTE
Comme le laissait entendre le Sihanouk, « la réunion de famille » de Siemréap les 5-7 septembre n’a débouché sur aucun résultat. Hun Sen était présent mais Ranariddh et Sam Rainsy ont décliné l’invitation, pour y envoyer des « experts » : Tol Lah, Uk Vithun, Pok Tham, To Gary et Suy Neou pour le Funcinpec, Oum Bunlong, Meng Ritha, Eng Chhay Eang, Tiuolong Saumura et Kim Phirith pour le PSR. Devant l’impossibilité d’aboutir à un compromis, le roi a menacé d’abdiquer.
Si dans les campagnes le calme règne, le climat politique de Phnom Penh se dégrade de jour en jour. Depuis le 3 septembre, plus de 3 000 étudiants, avec une cinquantaine de moines bouddhistes, manifestent successivement devant le bureau de l’Union Européenne, les ambassades de France, du Japon, du Vietnam et des Etats-Unis. Le 3 septembre, le Japon reconnaît officiellement que les élections du 26 juillet étaient « suffisamment libres et équitableset demande avec insistance aux partis de former un gouvernement. Le 4 septembre, les pays de l’ASEAN expriment le même avis. Cependant un groupe d’observateurs de l’ASEAN reconnaît que le rejet pur et simple des doléances de l’opposition est « inacceptable« , et rend les résultats des élections douteux. Sven Linder, chef de la mission d’observation des élections pour l’ONU, accepte de recevoir 5 étudiants, ainsi que Kem Sokha, ancien député du PLDB, pendant 3 heures, pour leur expliquer sa position. L’EU demande aux responsables politiques cambodgiens de coopérer « dans une approche constructivesurtout Benjamin Gilman, président de la commission pour les relations internationales du congrès, demandent au gouvernement américain de ne pas reprendre son aide au Cambodge avant un examen honnête des plaintes de l’opposition. Les étudiants s’en prennent également au ministère de l’Information, accusé de ne pas couvrir la manifestation d’opposition à Hun Sen. Le 7 septembre, un affrontement avec les forces de l’ordre est évité de justesse. Dans Phnom Penh et ses environs immédiats, des membres du PPC font signer des pétitions en faveur de Hun Sen.
La vague d’intoxication par le méthanol mélangé à l’alcool local a causé non seulement une soixantaine de morts, et environ 400 intoxiqués, mais une véritable hystérie à l’empoisonnement : l’eau, le riz, les légumes ect…, tout est devenu subitement empoisonné par les Vietnamiens. 5 Vietnamiens ou Vietnamiennes ont été lynchés à mort, pour le simple motif de porter une bouteille de poison à la main, ou même sans raison. Ces assassinats stupides sont vigoureusement condamnés par l’ambassade du Vietnam et par le Centre de l’ONU pour les droits de l’homme. Le gouvernement proteste en accusant l’opposition d’exciter les sentiments anti-vietnamiens. Sam Rainsy et Ranariddh déplorent cette violence, demandent à leurs supporters de cesser toute attaque contre les étrangers, et en font porter la responsabilité sur le gouvernement. Ils font remarquer tristement que lorsque des Khmers sont tués (près de 200 l’an dernier), le gouvernement ne s’apitoie guère). Le dimanche 6 septembre, dix à 12 000 manifestants défient l’interdiction gouvernementale et se réunissent dans le stade olympique, puis se répandent dans les rues de la capitale. Le 7 septembre, une étincelle met le feu aux poudres : vers 10 heures, deux hommes circulant à moto lancent 3 grenades dans la résidence de Hun Sen, près du monument de l’Indépendance. Deux éclatent derrière le portail ne faisant que quelques dégâts matériels, la troisième n’est pas dégoupillée. Hun Sen rentre précipitamment de Siemréap, et se pose, comme dans un western, devant le monument de l’Indépendance. Il annonce immédiatement cinq mesures : interdiction aux dirigeants des manifestations, de quitter le territoire, ordre de rechercher des caches d’armes, arrestation immédiate des meneurs de manifestations, interdiction aux ambassades d’abriter leurs ressortissants d’origine cambodgienne s’ils sont terroristes (Sam Rainsy et Ranariddh sont de nationalité française) ; ordre de dispersion de la manifestation devant l’Assemblée nationale avant minuit.
Ranariddh s’étonne que le chef du gouvernement prenne des mesures aussi rapidement, sans aucune enquête. De fait, pour beaucoup de Khmers, cette attaque à la grenade tient de la mise en scène. Chacun sait que Hun Sen
n’habite pas là, mais à Ta Khmau, et de plus, qu’il est à Siemréap en conférence avec le roi. La résidence est si bien gardée, qu’il serait suicidaire d’y lancer des grenades sans être pris sous le feu immédiat de gardes à la gâchette facile.
Sam Rainsy se rend vers midi à l’hôtel Sofitel-Cambodiana, pour se mettre sous la protection de Lakkan Mehrotra. Dans l’après-midi, plus d’un millier de manifestants se rendent au Cambodiana pour y protéger Sam Rainsy. Vers 19h30, la police s’attaque aux manifestants, tire des rafales d’armes automatiques au-dessus des têtes et aux pieds des manifestants: on déplore un mort et au moins deux blessés. Un moine est tabassé. Le roi envoie un message à Hun Sen pour lui demander de ne pas employer la violence. Ce message reçoit les applaudissements des manifestants qui y voyent une approbation royale et qui ne sont pas délogés de la « Place de la Démocratie ».
Il semble que le gouvernement ne veuille pas arrêter immédiatement Sam Rainsy, mais cherche à accumuler des arguments pour le mettre en accusation. « Tout peut arriver dans un tel environnement politiquedit le directeur de l’Institut cambodgien pour la coopération et la paix.