Superficie
678 500 km², dont 20% de terres cultivées, 35% de forêts, 2 % de pâturages.
Population
46 500 000 habitants, en 1995
Densité : 69 habitants au kilomètre carré
Prévision pour l’an 2000 : 50 000 000 d’habitants
Croissance démographique annuelle : 2,14 %
Indice de fécondité : 4,1
Taux de mortalité : 8,9 pour mille
Taux de natalité : 28,5 pour mille
Taux de mortalité infantile : 84 pour mille
Alphabétisation : 82%
35,6 % de la population ont moins de quinze ans
Espérance de vie : 57,6 ans
Ethnies
Birmans : 70%
Shans : 9%
Mons : 4%
Karens : 8%
Kachins : 2%
Chinois et Indiens : 6%
Une soixantaines d’autres minorités moins importantes
Capitale
Rangoun (Yangon)
Agriculture
56 % de la population active, 59 % du PIB
L’agriculture est de loin la première
ressource du pays
Riz (7ème producteur mondial), sésame
Premier producteur mondial de bois de teck
Culture du pavot à la frontière du Laos et de la Thaïlande. L’opium qui en est extrait est exporté en contrebande. Il s’agirait de 1 200 tonnes d’opium brut, représentant 10 % du PNB. La Birmanie est le premier producteur mondial d’opium.
Elevage : bovins et buffles
Industrie
9 % de la population, 9 % du PNB
Pétrole, gaz naturel, étain, charbon, zinc et pierres précieuses
L’industrie est paralysée par le manque d’approvisionnement
Politique
République socialiste de l’Union de Birmanie, devenue Union de Myanmar
Régime autoritaire et dictature militaire
PNB/Hab
900 dollars américains
Budget militaire
Entre 35 et 40 % du PNB
Religions
Bouddhisme Hinayana (petit véhicule) : 85 % de la population
Islam : 4 %
Hindouisme : 4 %
Christianisme : 3 %
SOUS LA BOTTE DES MILITAIRES
Un pays au bord de la faillite
Arnaud Dubus
[NDLR. L’auteur de ce dossier est journaliste et réside en Thaïlande. Il est correspondant de plusieurs journaux européeens pour le sud-est asiatique.]
Dix ans après les grandes révoltes pro-démocratiques de l’été 1988, la Birmanie arrive à un nouveau tournant politique, économique et social de son histoire. La conjonction de l’immobilisme sur le plan des réformes politiques et d’une crise économique interne amplifiée par la dépression régionale pousse une majorité d’observateurs à prévoir des changements profonds dans les années à venir, le moment de cette transformation étant, selon eux, lié à l’apparition d’un incident faisant office de détonateur et de l’aggravation des dissensions au sein du petit groupe de généraux au pouvoir.
Les relations entre la junte militaire et l’opposition
La seule opposition structurée en Birmanie reste organisée autour de la personne d’Aung San Suu Kyi et du parti dont elle est la secrétaire générale, la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Aung San Suu Kyi a nettement radicalisé son attitude dans les derniers mois, se sentant obligée, en tant que co-dirigeante d’un parti qui a massivement remporté les élections du 27 mai 1990, de produire des résultats après huit ans d’impasse politique. Cela d’autant plus que même si sa popularité reste inentamée au sein de la population, l’espoir qu’elle représente devient « de plus en plus idéaliste et de moins en moins concret« , selon les termes d’un diplomate : les Birmans ont l’impression qu’elle ne peut rien faire véritablement contre la junte militaire qui, à la tête d’une armée de 450.000 hommes, exerce un contrôle plus étroit que jamais sur le pays. Aung San Suu Kyi édicte la ligne d’un parti au sein duquel, selon une source diplomatique, « on n’a guère l’impression qu’il y ait beaucoup de débatsLes autres dirigeants – le président U Aung Shwe et le vice-président U Tin U – suivent ses mots d’ordre, conscients de ce que leur meilleur atout repose sur l’aura internationale du prix Nobel de la paix 1991. Il n’y a pas de dissensions réelles au sein du mouvement : les deux députés élus de la LND ayant été démissionnés en janvier 1997 – Than Tun et Thein Kyi – étaient des « taupes » chargées par la junte de déstabiliser le parti. La nouvelle stratégie d’Aung San Suu Kyi, résolument offensive, consiste à étrangler économiquement le gouvernement pour le forcer à entamer un dialogue politique avec elle et la Ligue : des épreuves de force sont provoquées – lancement d’ultimatum, tentatives pour s’affranchir des restrictions à sa liberté de mouvement – pour mettre en évidence la mauvaise foi de la junte et entrainer des condamnations internationales. L’appel en juin dernier du ministre thaïlandais des Affaires étrangères, Surin Pitsuwan, soutenu par les Philippines, pour une diplomatie moins pusillanime au sein de l’Asean (Association des nations d’Asie du sud-est) conforte la tactique d’Aung San Suu Kyi.
Le second forum d’opposition, plus informel et plus volatile, est constitué par les milieux étudiants. La tenue des examens fin août leur a donné l’occasion d’organiser leurs premières manifestations contre le régime depuis la fermeture des campus en décembre 1996. Comme souvent, l’Institut de technologie de Yangon (YIT), brièvement ouvert fin août pour les cours de préparation aux examens, a constitué le centre de cette activité et certaines manifestations ont rassemblé sur ce campus jusqu’à plusieurs milliers d’étudiants. Les liens entre ces activistes étudiants et la LND sont assez flous. Aung San Suu Kyi ne dispose pas d’une base formelle dans les milieux étudiants : il n’y a pas de lien organisationnel entre le Mouvement de jeunesse de la Ligue et les étudiants. Aung San Suu Kyi a même souvent tenu à marquer ses distances, ne serait-ce que pour éviter aux étudiants de trop s’exposer sur un terrain purement politique. Toutefois, si la plupart des manifestations de fin août – début septembre ont démarré sur des revendications universitaires – trop peu de temps pour réviser les examens, protestations contre le déplacement des campus à l’extérieur de Rangoun -, elles ont pris en quelques heures un tour résolument pro-démocratique, les étudiants réclamant la fin du gouvernement militaire et distribuant des tracts de soutien au projet de la Ligue de convoquer une « Assemblée du peuple ».
Beaucoup a été écrit sur les dissensions au sein du Conseil d’Etat pour le développement et la paix (SPDC) de 19 membres, formé en novembre 1997 pour remplacer le Conseil d’Etat pour la restauration de la loi et de l’ordre (SLORC). Une aile pragmatique et réformiste centrée autour du général Khin Nyunt, chef des services de renseignement militaires, s’opposerait à une aile dure rassemblée autour du général Maung Aye, chef de l’armée de terre, mais peu de faits concrets permettent de dépasser le stade de la spéculation. Force est de constater toutefois que la plupart des initiatives politiques de ces dernières années viennent de Khin Nyunt et de ses alliés – Kyaw Win, le numéro deux des renseignements, Kyaw Thein, également un officier des renseignements, le colonel Thein Shwe de l’Armée de l’air et le lieutenant-colonel Hla Min – qu’il s’agisse de la libération d’Aung San Suu Kyi, le 10 juillet 1995, des cessez-le-feu conclus avec les guérillas ethniques ou des rencontres tenues avec l’opposition. Moins sophistiqués, le général Maung Aye, le général Tin U, secrétaire numéro deux du SPDC, et les actuels ou anciens chefs militaires de région semblent partisans d’une répression continue et sans nuances de l’opposition et d’un repli du pays sur lui-même face aux critiques internationales. Ces divergences permettent d’expliquer les incessants changements de ton dans les éditoriaux du quotidien en langue anglaise, « New Light of Myanmar« , porte-parole de la junte, qui appelle un jour à l’expulsion d’Aung San Suu Kyi, et le lendemain l’invite à un dialogue. Khin Nyunt bénéficie toujours de la protection du vieux dictateur Ne Win, qui, malgré ses 87 ans, continue à exercer une influence importante en coulisses. Les « pragmatiques » ont dominé la scène politique depuis l’instauration du SPDC. Ce sont eux qui ont placé en résidence surveillée les plus corrompus des ministres sortants du SLORC (Le ministre du tourisme Kyaw Ba, le ministre du commerce Tun Kyi et le ministre des forêts Chit Swe entre autres). Ils ont aussi mis en place un bureau d’études stratégiques (Office of Strategic Studies ou OSS), un « think tank » composé d’officiers anglophones qui s’est attaché, avec l’aide de firmes de relations publiques américaines, à améliorer l’image de la junte au sein de la communauté internationale (1). Le fait que les cas des ministres corrompus – anciens commandants de région militaires – ont été classés sans qu’aucun d’entre eux ne soit passé en jugement a parfois été interprété comme un signe que le groupe du général Maung Aye est en train de reprendre l’avantage. L’atout essentiel de Khin Nyunt est évidemment d’avoir des « dossiers » sur tous ses camarades et de pouvoir les divulguer s’il se trouve mis en position difficile.
Malgré ces diverses tendances, la stratégie adoptée vis-à-vis de l’opposition témoigne d’une certaine constance : entamer un dialogue avec certains dirigeants de la Ligue, notamment U Aung Shwe et les ex-généraux, tout en excluant Aung San Suu Kyi du processus dans le but de diviser l’opposition birmane comme la junte a réussi à le faire pour certaines guérillas ethniques (Karens et Mons). Ainsi les 18 et 19 août 1998, deux réunions ont eu lieu – la première entre Khin Nyunt et U Aung Shwe, la seconde entre des dirigeants de second plan de la Ligue et le colonel Tin Hlaing, ministre de l’Intérieur – alors même qu’Aung San Suu Kyi se trouvait bloquée dans une camionnette à 32 kilomètres à l’ouest de Rangoun. Dès après les discussions, la junte a claironné que ces rencontres marquaient le début « d’une série de rencontres constructives » visant à réunir toutes les bonnes volontés pour le redressement du pays durement touché par la crise économique. Jusqu’à présent, U Aung Shwe a toujours insisté sur le fait qu’un dialogue sans Aung San Suu Kyi n’était pas significatif. Mais les arrestations et les menaces ont clairsemé les rangs des proches du prix Nobel de la paix.
En dehors de ce faux semblant de dialogue, l’ordre du jour politique de la junte est des plus flous. La dernière session plénière de la convention nationale chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour succéder à celle de 1974 a eu lieu en mars 1996. La reprise prévue en octobre 1996 avait été reportée pour cause de manifestation étudiante, mais depuis, aucune réunion significative ne s’est tenue. Si l’on s’en tient aux propos du vice-amiral Maung Maung Khin, vice-président du SPDC (2), la junte veut d’abord assurer « à 100% la stabilité du pays » et organiser des élections une fois que la constitution sera établie. Aucun calendrier n’est fixé. Rappelons que la convention nationale s’est ouverte en janvier 1993 et que la constitution birmane, si elle voit effectivement le jour, pourra figurer dans le livre des records au titre de la durée de rédaction.
L’impact de la crise économique régionale
Les dirigeants birmans aiment à répéter que leur pays a été protégé de la tourmente financière régionale, le général David Abel, ministre auprès de la présidence du SPDC, allant jusqu’à indiquer lors d’un entretien, le 18 juillet, que « la Birmanie allait vendre des marchandises et signer des accords commerciaux avec les pays voisins pour résoudre ses problèmesDu fait de la faible ouverture de l’économie birmane sur l’extérieur, de l’absence d’un marché boursier, de la non-convertibilité du kyat et de la nature essentiellement agricole de l’économie (65 % de la population active travaille dans l’agriculture), le pays n’a certes pas connu de crise financière semblable à celles sévissant en Indonésie ou en Thaïlande. La Birmanie n’en est pas moins cruellement touchée, car les investissements des pays de l’Asean représentaient 50 % des dossiers approuvés (60% si l’on ajoute la Corée du Sud). L’effet conjugué des sanctions américaines du 20 mai 1997 (interdiction de tout nouvel investissement) et de la crise asiatique a amené une chute des investissements : moins 50% des dossiers approuvés (qui totalisent environ sept milliards de dollars depuis 1988) et moins 15 % des opérations réalisées (qui totalisent environ deux milliards de dollars depuis 1988) sur les six premiers mois de 1998 comparés à la même période l’année passée. Il est important de noter que seul l’afflux des investissements privés avait permis au pays de compenser la coupure de toute assistance financière internationale et de toute aide publique occidentale après le coup d’Etat du 18 septembre 1988. Cette dynamique est en train de s’épuiser ce qui risque de faire plonger dans une récession sans précédent. Rappelons qu’avant 1988, les institutions financières internationales, ainsi que les pays des deux blocs, accordaient leur assistance à la Birmanie de Ne Win, limitant un tant soi peu les effets désastreux de « la voie birmane vers le socialisme« .
Cette situation a amené la junte à mettre tous ses espoirs dans les revenus du gaz du champ de Yadana, développé par la companie Total, qui devraient rapporter 200 millions de dollars annuellement à partir de la fin de l’année.
La faiblesse intrinséque de l’économie birmane
Les réserves en devises du pays ne dépassent pas 100 millions de dollars, soit l’équivalent d’un mois d’importations. Parallèlement, le kyat, qui s’échangeait sur le marché noir à un taux de 165 pour un dollar en juin 1997, est passé en août 1998 à un taux de 380 pour un dollar (le taux officiel de six kyats pour un dollar, qui sert uniquement pour la comptabilité gouvernementale, est pratiquement inchangé depuis 1975). Pour enrayer la chute, la junte a lancé en janvier une campagne d’arrestations des changeurs au noir et fermé les 30 bureaux officiels de change. Elle a imposé en mars des restrictions draconiennes sur les importations et fermé les points de commerce frontalier avec l’Inde, la Thaïlande et la Chine. Ces mesures n’ont eu qu’un effet limité et le kyat continue à se déprécier, alimentant une inflation estimée entre 40 et 60 % et redonnant vigueur au commerce de contrebande. Le déficit budgétaire (7 % du PNB sur l’année fiscale 97-98) est compensé par la planche à billets, confortant l’inflation et accentuant la dépréciation du kyat.
Les mesures prises en mars par le ministre du commerce Kyaw Than ont mis en place un système d’importations quelque peu surréaliste qui oblige les commerçants internationaux à une complexe gymnastique comptable. Un négociant qui veut par exemple importer pour 10 000 dollars de produits considérés comme « essentiels » (liste B : brosses à dents, savon, chaussures, lampes électriques, lait condensé, appareils électro-ménagers entre autres) devra auparavant importer pour 40 000 dollars de produits considérés comme « absolument essentiels » (liste A : engrais, pesticides, farine, ciment, clous, tôles ondulées, batteries et camions de transports de bois entre autres). De surcroît, le négociant doit payer ses importations avec de l’argent provenant de revenus d’exportation, ce qui l’oblige à passer un accord avec une firme exportatrice. Ou bien à contacter une agence de voyage pour échanger ses kyats (provenant des ventes locales) contre des dollars légalement gagnés par l’agence de voyage, le gouvernement ponctionnant au passage 10 % sur la transaction. Selon des sources bancaires, les négociants parviennent à contourner le problème, chaque firme s’étant spécialisée dans un rôle précis dans le cadre du script gouvernemental (importateurs de produits de consommation, exportateur de haricots). Pour rapatrier leurs profits, les firmes étrangères utilisent aussi des voies détournées en surévaluant, par exemple, le montant de leurs importations.
Le systéme de double taux de change améne quelque complications comptables supplémentaires. Outre pour la tenue de la comptabilité gouvernementale, il est aussi utilisé pour calculer la part du gouvernement dans les « joint-ventures » avec les firmes étrangères, permettant ainsi à la junte d’avoir la moitié des parts pour une somme 60 fois inférieure à celle engagée par son partenaire. Du fait de la campagne contre les changeurs clandestins, il est devenu plus difficile de changer de grosses sommes en monnaie locale, le gouvernement tentant de ramener de force le cours à environ 180 kyats par dollar en restreignant le change sur le marché noir.
L’échec de la politique agricole
Encouragés par le million de tonnes d’exportation de riz en 94-95 (année record), le gouvernement a tenté de mettre en culture de vastes zones notamment dans les régions limitrophes des deltas à faible densité de population. Cela s’est traduit par une baisse des rendements : on est passé de 1 282 kilos par 0,4 hectare en 94-95 à 1 238 kilos par 0,4 hectare pour la saison en cours. Parallèlement, le gouvernement avait suspendu fin 97 le systéme des quotas qui obligeait les riziculteurs à vendre 12 paniers de 20,8 kilos de riz non décortiqué par 0,4 hectare aux militaires pour un prix inférieur à celui du marché. Mais cette mesure a été rendue ineffective par la suppression simultanée des subventions pour l’achat d’engrais. De plus, le gouvernement s’est aperçu que les paysans stockaient du riz à cause de la médiocrité de la récolte – due aux faibles pluies en début de saison – et a rétabli le systéme des quotas, accentuant la pauvreté des paysans les plus démunis. 81 000 tonnes de riz seulement ont pu être exportées pour la saison 97-98 et l’on estime que les exportations ne devraient pas dépasser 300 000 tonnes pour la saison en cours, l’intégralité de ces revenus allant dans les poches des généraux. L’armée exerce en effet un monopole sur le commerce international du riz.
La chute des rendements a fait grimper le prix domestique du « pyi » de riz (2,12 kilos) qui est passé de 110 kyats en début d’année à 185 kyats à la mi-août (augmentation de 68%).
Les effets de la crise
L’effet le plus grave est le renforcement de la malnutrition dans les régions où elle était déjà fortement présente, comme dans les Etats Chins (taux de malnutrition de 52 % en 1995) ou dans la division de Mayway (51 %). Il ne semble pas y avoir de disette, mais des sources humanitaires indiquent qu’en Arakan, les paysans qui mangent traditionnellement de la soupe aux brisures de riz pendant les quelques semaines avant la récolte ont suivi cette année ce régime depuis plusieurs mois. Du fait de l’inflation et de la fixité des salaires (un fonctionnaire gagne en moyenne 2 000 kyats par mois, soit 5,5 dollars), la situation alimentaire est préoccupante même dans les faubourgs de la capitale. Dans la capitale, le niveau de vie des habitants est fortement affecté, en ce qui concerne les transports, l’habillement et la scolarisation des enfants.
Depuis mai, l’électricité est rationnée. Les coupures sont de huit à dix heures par jour dans tous les quartiers de Rangoun (sauf les hôpitaux, les ministères et les maisons des dignitaires du régime). Mandalay suit un cycle de trois jours sur quatre sans électricité. Ces coupures ont obligé les firmes, les industries et les hôtels à acquérir de coûteux générateurs alimentés par diesel, ainsi que des stabilisateurs (à cause des fortes chutes de tension), ce qui diminue encore l’attractivité de la Birmanie pour les investisseurs. Le rationnement a d’abord été justifié par le faible niveau d’eau dans les barrages hydro-électriques, ce qui semble peu convaincant du fait des fortes pluies depuis début juillet. Une seconde raison invoquée par le gouvernement a été l’incapacité par manque de devises d’acheter des pièces détachées de l’étranger pour réparer les turbines. Une source proche des firmes impliquées dans l’installation de turbines nous a affirmé que celles ci étaient en parfait état de fonctionnement. Une hypothése est que le gouvernement a utilisé l’eau des barrages hydro-électriques pour irriguer de vastes zones rizicoles en début de saison. Il est aussi connu que les nombreuses usines du ministère de la Défense consomment gratuitement une part significative de l’électricité produite commercialement : une subvention déguisée de 2,5 milliards de kyats en 95-96 dissimulée sous la rubrique « pertes techniques au cours de la distribution » (3).
Cette crise a aussi eu un effet psychologique non négligeable sur le moral des investisseurs. Alors qu’il régnait un certain enthousiasme jusqu’en 1996 devant un apparent décollage de l’économie, l’ambiance est aujourd’hui franchement morose et l’irritation des hommes d’affaires, même ceux qui ont des « connections » avec les plus haut personnages du pays, croît devant les liasses de formulaires à remplir pour la moindre démarche, la corruption et les interminables délais d’attente pour la moindre décision. Le cas d’une firme française désireuse d’implanter une cimenterie est parlant. Après deux ans et demi de négociations la firme en était toujours à la case départ, alors que dans le même temps elle avait construit une cimenterie en Thaïlande et une autre en Indonésie. Découragé, l’investisseur s’est retiré. Il ressort des propos des hommes d’affaires étrangers que le gouvernement veut opérer un contrôle total sur les opérations, parfois jusqu’au point de dénier la moindre possibilité de profit au partenaire étranger. Beaucoup parlent d’un retour à l’isolement des années Ne Win.
Le secteur du tourisme a connu lui aussi un effondrement spectaculaire après l’échec de « l’année du tourisme au Myanmar 1998« . Les nombreux hôtels de luxe construits dans les deux dernières années connaissent des taux d’occupation d’environ 10 %. L’hôtel Nikko, tout récemment ouvert, avoue perdre 100 000 dollars par mois. La construction du Sofitel Yangon, qui, située à quelques dizaines de mètres de la pagode millénaire Sule, défigure un site historique de premier ordre, a été suspendue. Le « Myanmar Tourism and Travel« , agence touristique officielle, en est réduit à forcer tous les touristes venant demander conseil à acheter un porte-clef figurant la mascotte de « l’année du tourisme 1998 » pour deux dollars.
Le rôle des militaires dans le marché noir
Tous les militaires (et plus largement tous les fonctionnaires) se voient attribuer à des prix préférentiels des quotas d’un certain nombre de produits : riz, sucre, lait condensé entre autres. Ces quotas augmentent au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie militaire. Concernant l’essence, chaque citoyen birman a droit à un quota de trois gallons (4) d’essence par jour (pour un prix de 280 kyats par gallon) et de deux gallons de diesel. Pour le même prix, les militaires ont droit à des quotas plus généreux. L’armée revend la grande majorité de ces produits sur le marché noir à des prix supérieurs et en retire un bénéfice appréciable, notamment pour le diesel fortement demandé par les industries et tous les utilisateurs de gros générateurs. S’y ajoutent les multiples « cadeaux » – voitures, montres de luxe, équipement de télécommunications – offerts aux officiers supérieurs et aux généraux par des hommes d’affaires étrangers en quête de faveurs. Une partie de ces gratifications est aussi remise sur le marché noir et l’on peut trouver des échoppes dans le centre de Rangoun dont le coffre-fort regorge de montres Rolex ou Rado.
La directive du ministère du commerce de mars 98 interdit l’importation d’un certains nombre de produits – cigarettes, alcool, boissons gazeuses, conserves alimentaires, biscuits et fruits frais entre autres. Ces produits peuvent facilement être introduits dans le pays, soit par voie de mer dans le sud du pays, soit au travers de la frontière birmano-thaïlandaise, avec un tampon « officiel » du commandant local qui touchera sa part en nature. Ces marchandises sont ensuite aussitôt revendues au marché noir, ce qui explique que les étagères des magasins de Rangoun regorgent de produits interdits.
De source diplomatique, on estime qu’il existe un phénomène d’enrichissement des officiers de très haut rang grâce au marché noir. Selon une rumeur persistante, une chambre remplie de liasses de billets et de lingots d’or aurait été trouvée dans la maison du ministre du Tourisme, Kyaw Ba, après son arrestation. Un banquier basé à Rangoun considère qu’au moins la moitié de l’économie locale tourne grâce au marché noir. Sans le marché noir (et l’argent de la drogue), l’économie se serait totalement arrêtée.
La militarisation de l’économie
L’armée accentue ses efforts pour se créer des revenus distincts de ceux du gouvernement dans le but de pérenniser son pouvoir économique même dans le cas d’un changement de régime. Deux sociétés financières ont ainsi été créées, la United Myanmar Economic Holding Ltd (UMEHL), fondée en 1989 par les forces armées et les organisations d’anciens combattants, et la Myanmar Economic Corporation Ltd (MEC) fondée en 1997 par les seules forces armées. Ces holdings, particulièrement actifs dans le secteur minier (pierres précieuses et charbon), forment des « joint-ventures » avec des firmes étrangères le plus souvent en fournissant des terrains prélevés sur l’énorme patrimoine foncier que l’armée s’est octroyée à Rangoun (terrains que les militaires surévaluent de manière habituelle). Elles sont aussi impliquées dans de nombreux projets de cimenteries, d’acièries, de brasseries (Tiger Beer, Dagon Beer), d’import-export, de tourisme et de télécommunications.
Le cas du secteur des pierres précieuses illustre cette stratégie de militarisation de l’économie. Jusqu’en septembre 1995, la Myanmar Gems Enterprise (sous l’égide du ministère des Mines) s’occupait de l’exploitation, de la taille et de la commercialisation des rubis et saphirs du pays. A cette date, l’UMEHL a pris le contrôle des mines, ne laissant à Myanmar Gems Enterprise que l’aspect commercial, notamment l’organisation annuelle de l' »Emporium » durant lequel sont censées être vendues les plus belles pièces. Simultanément, l’UMEHL a interdit l’exploitation familiale et semi-clandestine des mines par les habitants. Actuellement, le holding exploite moins d’une dizaine de mines (les plus connues) dans la région de Mogok dont deux données en concession à des firmes thaïlandaises qui ont été autorisées à employer des engins de chantier. Les habitants du pays se gardent bien de révéler aux militaires l’emplacement des mines les plus prometteuses et attendent des jours meilleurs. D’après des gemmologues, l’implication des militaires s’est ainsi traduite par une chute assez brutale de la quantité et de la qualité des pierres et par une augmentation annuelle des prix de 20 % ainsi que par des milliers de pertes d’emplois pour les petits exploitants locaux.
La drogue et le blanchiment de l’argent de la drogue
Les diplomates reconnaissent qu’au cours des deux dernières années, la junte a accentué ses efforts pour enrayer le trafic de drogue : sur les huit premiers mois de 1997, six tonnes d’opium et une tonne d’héroïne ont été saisies contre une tonne d’opium et 500 kilos d’héroïne pour l’ensemble de l’année 1996. Pour autant, le niveau de la récolte d’opium en 1997 – 2 365 tonnes – n’a que très faiblement diminué par rapport au record de 1996 (2 560 tonnes). Tant qu’une réelle volonté politique d’éradiquer la production et le trafic n’existera pas au sommet, les nombreuses complicités au niveau des unités militaires locales avec les trafiquants permettront à ces derniers de continuer à prospérer.
Le phénomène le plus frappant de ces dernières années a été la reconversion des anciens barons de la drogue du nord du pays dans les « affaires légitimes », donnant lieu à de vastes opérations de blanchiment d’argent notamment dans les transports, l’immobilier, la construction d’hôtels et les travaux d’infrastructures (5). Un banquier basé à Rangoun chiffre ces opérations en dizaines de millions de dollars et considère qu’elles constituent, avec le marché noir, le moteur de l’économie privée à Rangoun. Selon Asiaweek, hebdomadaire de Hongkong, 60 % des opérations du secteur privé dans la capitale sont liées à l’argent de la drogue. Le sino-birman Lo Hsing-han, 63 ans, l’un des plus importants trafiquants d’héroïne, s’est installé dans une villa de Rangoun d’où il dirige un conglomérat baptisé Asia World impliqué dans l’import-export, les compagnies d’autocars, la gestion d’une chaîne de supermarchés et le projet d’extension du port de Rangoun. Asiaworld possède également 10% des parts de l’hôtel cinq étoiles Traders, dans la rue de la pagode Sule. De son côté, le tristement célèbre Khun Sa a principalement investi dans l’immobilier (arrondissement de Sanchaug à Rangoun), les casinos (à Tachilek et à l’extrême-sud) et dans les discothèques avec hôtesses de la capitale. Il aurait aussi obtenu l’exclusivité des droits pour installer des hôtels et des restaurants le long de la route Rangoun-Mandalay en échange de la réfection de cet axe vital nord-sud.
La société May Flower Trading dirigée par Kyaw Win, un homme d’affaires sino-birman proche de Khun Sa et du général Maung Aye, chef de l’armée de terre, a connu un développement étonnamment rapide après la « reddition » de Khun Sa en janvier 1996. La firme a récemment racheté les parts détenues par un homme d’affaires thaïlandais de la seconde ligne aérienne privée du pays Yangon Airways, qui est passée d’un état de quasi-faillite à une expansion suspecte eu égard à l’état dépressif du marché touristique. Le Chinois Wei Hsueh-long, lié à la United Wa State Army (armée rebelle de l’ethnie wa), a fondé le groupe Myanmar Kyone Yeom actif dans le tourisme, la finance et les mines et qui posséde de multiples bureaux à l’étranger. Le groupe a créé une société financière, la « Société coopérative pour les races nationales », qui rémunère ses dépôts sur la base d’un taux d’intérêt étourdissant de 84 %. Enfin, Yang Maoliang, un trafiquant chinois originaire du Kokang, préside aux destinées du conglomérat Peace Myanmar qui posséde plusieurs distilleries d’alcool et la franchise de Mitsubishi Electric pour le pays.
Une source informée de Rangoun estime que 75 % des activités d’affaires menées par des Chinois ou des Sino-birmans sont liées à des opérations de blanchiment (c’est le cas des nombreuses nouvelles compagnies chinoises de taxis qui ont fait leur apparition à Rangoun dans les deux dernières années). Il existe clairement une collusion entre la junte – qui protége par exemple la villa de Khun Sa, sur les bords du lac Inya à Rangoun – et les trafiquants, le flot d’argent sale permettant à l’économie de ne pas totalement s’immobiliser. Les trafiquants reconvertis en « respectables investisseurs » n’en ont pas pour
autant totalement abandonné leur activité traditionnelle et continuent à gérer le raffinage et le trafic de l’héroïne dans le nord grâce à des intermédiaires.
L’éducation : plusieurs générations sacrifiées
Pour la première fois depuis les manifestations étudiantes de décembre 1996, les étudiants birmans ont pu passer en août dernier leurs examens, bien que ceux-ci se soient tenus dans les écoles secondaires, la junte ne se sentant pas suffisamment confiante pour les organiser sur les campus universitaires. L’objectif du SPDC était essentiellement « d’écouler » les quelques 300 000 étudiants bloqués depuis presque trois ans (100 000 par année) afin de pouvoir accueillir les nouvelles promotions. Cette masse d’étudiants oisifs est en effet dangereuse pour la junte : beaucoup se politisent et, parfois, rejoignent le All Burma Student Democratic Federation (ABSDF), le groupe des étudiants opposés à la dictature sur la frontière thaïlandaise. Les examens se sont déroulés dans des conditions qui tiennent de la farce académique. Deux semaines avant les épreuves, les étudiants ont suivi dix jours de cours pendant lesquels ils étaient censés ingurgités l’ensemble du programme de l’année. Les enseignants ont fait savoir que les tricheries seraient tolérées et, pour être sûr qu’une majorité des candidats soient admis, des prospectus portant les réponses étaient distribués à l’entrée des salles d’examens.
Cette méfiance extrême du gouvernement vis-à-vis de la jeunesse birmane a pour conséquence le sacrifice de plusieurs générations. Depuis la grande révolte de l’été 1988, les universités n’ont pas été ouvertes en tout pendant plus d’un an. Une grande partie des jeunes se sont découragés et ont abandonné les études pour s’adonner à de petits boulots, se marier ou s’engager dans l’armée. Une source religieuse affirme que l’un des objectifs de la désastreuse politique en matière d’éducation est de gonfler les rangs de l’armée pour renforcer l’assise des généraux au pouvoir. Les formulaires d’engagement (pour cinq ans) pré-remplis sont présentés avec insistance aux jeunes qui n’ont plus qu’à les signer. Les limites du pays en ressources humaines commençaient déjà à se faire cruellement ressentir pendant le « boom des investissements » en 94-95. Si le développement économique reprend, le problème se reposera avec d’autant plus d’acuité: les firmes étrangères devont envoyer le personnel birman pendant un ou deux ans à Singapour pour le former ; dans l’intervalle, des expatriés devront être engagés même pour des postes relativement subalternes : la compétitivité de la Birmanie vis-à-vis de ses voisins aux yeux des investisseurs étrangers en sera encore affectée.
La même négligence se retrouve au niveau de l’enseignement primaire (14,5 % du budget est officiellement consacré à l’éducation contre 41,9 % pour la défense). Ce sont en fait les communautés villageoises elles-mêmes qui construisent et entretiennent les écoles et subventionnent les instituteurs dont le salaire est de 900 kyats par mois (15 francs). 70 % des écoles sont dépourvues de mobilier. Les seules écoles rénovées sont celles situées le long des routes principales et qui doivent être visitées par un dignitaire du régime. Le taux d’enrôlement en primaire selon l’UNICEF est de 68 %. Mais à cause des difficultés économiques des familles, les abandons sont très élevés en première année. Seuls 21 % des enfants qui s’engagent dans le primaire arrivent au bout des cinq années du cycle. Les éducateurs affirment aussi qu’il est très difficile de concevoir un enseignement axé sur le développement de l’enfant dans un tel contexte de restriction, d’absence de libertés de pensée et d’expression. L’enseignement primaire ne cherche pas à doter les enfants de valeurs et de connaissances qui leur permettront de trouver un travail et d’être autonomes à la fin du cycle, mais vise uniquement à préparer le cycle secondaire que la famille de la plupart d’entre eux ne pourront pas leur offrir. Le gouvernement vient de lancer une réforme de l’enseignement primaire intitulée « Education pour tous en 2008 », dont les détails ne sont pas encore connus.
Certains éducateurs indiquent que les conséquences sociales de cette négligence vis-à-vis de l’éducation sont déjà visibles : montée de la consommation de drogue et surtout montée de la prostitution des très jeunes filles (13-14 ans) dans les night-clubs de Rangoun et Mandalay. La médiocrité de l’enseignement public a aussi accru l’inégalité sociale face à l’éducation. Les familles aisées peuvent permettre à leurs enfants de suivre un des cours privés qui se sont multipliés à Rangoun et peuvent coûter jusqu’à 6 000 kyats par an (à comparer avec le salaire mensuel moyen d’un fonctionnaire qui est de 2 000 kyats). Les enfants des généraux et autres dignitaires du régime effectuent tous leurs études aux Etats-Unis, en Australie ou à Singapour.
La santé, une non-priorité gouvernementale
Avec 3,1 % du budget national, la santé est encore plus mal lotie que l’éducation. Des chiffres récemment publiés par une revue médicale montrent clairement les conséquences sur la santé de l’obsession sécuritaire de la junte (6). Le taux de mortalité infantile en 1996 était estimé à 105 pour 1 000 naissances à comparer avec 33 au Vietnam, 31 en Thaïlande et 11 en Malaisie. Ce chiffre, le plus élevé d’Asie du Sud-est, s’explique par le manque d’eau potable et d’hygiène de sanitation : les principales causes de mortalité infantile sont les infections intestinales (diarrhées) et respiratoires ainsi que la malaria.
L’UNICEF considère qu’environ un million d’enfants sont mal nourris, parmi lesquels 12% sont dans un état grave. Du fait des carences en iode et en vitamines A, 28 % des enfants scolarisés ont des goitres, un taux qui est nettement plus élevé dans les régions reculées où vivent les minorités ethniques. Le « Programme universel d’immunisation infantile » soutenu par l’UNICEF n’atteint que 60 % des enfants du pays. Des débuts d’épidemie de choléra ont lieu tous les ans. Tuberculose et malaria sont très répandues et la lèpre est endémique.
La mortalité maternelle est de 580 pour 100 000 à comparer à 80 en Malaisie. La plupart des décès sont dues à des tentatives d’auto-avortement (17 % des Birmanes utilisent des moyens de contraception moderne). Le taux d’avortement dans les hôpitaux de Rangoun et de Mandalay se situe entre 330 et 500 pour 1 000 naissances.
Le virus du sida opère des ravages silencieux du fait du refus des autorités de reconnaître que le problème existe. L’UNAIDS estimait en 1997 que 440 000 personnes étaient porteuses du virus et que 86 000 autres étaient déjà décédées du fait de la maladie. Après une quasi-saturation du niveau de contamination parmi les héroïnomanes (74 % à Rangoun, 84 % à Mandalay et 91 % à Myitkyina dans l’Etat Kachin), on a constaté une lègère régression due aux décès (70 % sur l’ensemble du pays). Parallèlement, le taux commence à grimper chez les prostituées (26,5 % parmi les prostituées urbaines). Ce double phénomène marque en général le début d’une véritable épidémie, comme celle qui a commencé en Thaïlande au début des années 90. Il faut ajouter que les stocks de sang ne sont pas systématiquement contrôlés, surtout dans les régions éloignées.
La junte estime qu’il est impossible de lancer une campagne massive pour la prévention du sida « pour des raisons culturelles« . Quelques organisations non gouvernementales peuvent toutefois enseigner et informer sur la maladie dans le cycle secondaire et quelques panneaux ont été placés dans les villes. Du fait du manque de volonté politique pour combattre la maladie, les experts sur place prévoient l’apparition d’une pandémie notamment dans les Etats frontaliers de la Chine et de la Thaïlande. Une enquête récente a indiqué que 80 % des Birmans interrogés considéraient comme « normal » de visiter les prostituées.
Les catholiques de Birmanie
En croissance régulière du fait des conversions, « parfois par villages entiers« , selon les termes d’un prêtre de Rangoun, notamment dans les diocèses de Taunggyi, Loikaw et tout particulièrement dans celui de Kengtung, le nombre de catholiques en Birmanie est estimé en 1998 à 551 468 (à comparer à environ 2 millions de protestants), c’est-à-dire à 1,16 % de la population. On constate une forte augmentation du nombre de prêtres dans les dernières années (489 au début 1998) ainsi que de jeunes évangélisateurs – appelés Zaytaman ou « messagers » – qui partent en mission d’alphabétisation dans les campagnes pour des périodes de trois mois. La communauté catholique offre un espace de liberté pour ceux qui ont soif d’être formés, mais aussi de donner et d’agir, le régime décourageant toute velléité d’action sociale hors du cadre de la « Union for Solidarity and Development Association » (USDA), une organisation de masse créée par la junte en 1995 sur le modèle du Golkar indonésien. Venant s’ajouter aux archidiocéses existants de Rangoun et de Mandalay, un nouvel archidiocése a été inauguré le 30 août 1998 par le nonce apostolique, Mgr Luigi Bressan, à Taunggyi. Il regroupe les diocèses de Taunggyi, Kengtung, Loikaw et Taungngu.
Le dialogue interreligieux (essentiellement avec la Sangha bouddhique) a été récemment revitalisé par l’archévêque de Mandalay, Mgr U Than Aung, qui a établi une Commission de dialogue. Longtemps réticents, les leaders bouddhistes commencent à se montrer plus réceptifs au dialogue bien que celui-ci en soit encore à ses balbutiements.
Si les autorités n’exercent pas une politique anti-chrétienne, elles multiplient les tracasseries qui sont vécues comme autant d’humiliations par les pratiquants : crucifix retirés de la devanture des maisons, personnes chassées de l’église pendant la messe, difficultés à bâtir de nouveaux lieux de culte. Dans ce pays à 85 % bouddhiste, très peu de personnes d’ethnie birmane sont catholiques. Cette religion (pratiquée avant tout par les minorités karen, kayah, chin et indienne) est souvent perçue comme étrangère et tenue en suspicion par les autorités. Ceci, d’autant plus que l’expansion du catholicisme est forte dans les zones frontalières de la Thaïlande où opéraient jusqu’à récemment une douzaine de guérillas ethniques. Lors d’un incident typique en juin dernier dans le diocése de Taunggyi, des militaires ont détruit une grande croix en pierre érigée au centre d’un village Kayah. Après les protestations des catholiques locaux, les autorités ont obtempéré et remplacé la croix
détruite.
L’un des problèmes les plus aigus est la difficulté de reproduire et de diffuser les livres religieux. Depuis longtemps, les autorités postales ont pris l’habitude de saisir systématiquement tous les livres religieux envoyés par colis et de les revendre aux opérateurs du marché noir. Les prêtres à qui ces livres étaient initialement destinés sont ainsi forcés de racheter ces « cadeaux » à un prix de trois ou quatre fois supérieur à leur valeur. Pour contourner ce problème qui dure depuis des années, la conférence épiscopale ne se fait plus envoyer de livres par la poste et photocopie elle-même les livres qui lui sont remis en mains propres. De même, la conférence épiscopale, présidée par l’archevêque de Taunggyi, Matthias U Shwe, tente de mettre sous son nom le terrain qu’elle occupe à Rangoun et qui se trouve sous le nom de l’évêque français, décédé depuis longtemps, A. Cadot (le bail expire en l’an 2000). Malgré des mois de démarches auprès de l’administration de Rangoun, elle n’a encore réussi ni à transférer la propriété à son nom, ni à négocier le renouvellement du bail.
Au moment de la rédaction de l’avant-projet de principe de la constitution par la Convention nationale en avril 1994, la Conférence épiscopale s’était inquiétée de certaines restrictions : le texte indiquait notamment que la liberté religieuse ne pouvait être invoquée pour des « activités politiques, économiques, financières ou autres activités profanes », ce qui pouvait remettre en question un certain nombre de programmes de la communauté catholique de Birmanie (pensionnats, dispensaires, maisons de retraite, cours d’infirmerie dispensés par les religieuses). La Conférence avait alors exprimé ses souhaits dans une lettre envoyée au cours de l’été 1995 au président de la Convention nationale, demandant entre autres l’insertion de deux paragraphes. Le premier stipulait que l’Union du Myanmar s’engageait à assurer les droits reconnus dans la déclaration universelle des droits de l’homme à tous les individus vivant sur son territoire « sans discrimination basée sur la religion ou sur le fait que la personne appartienne à une minorité religieuseLe second demandait la liberté pour chacun de « développer des activités sociales, charitables et éducatives pour mettre en pratique ses préceptes religieux d’amour pour le prochainCette lettre est toujours restée sans réponse.
UNE BREVE HISTOIRE DE L’EVANGELISATION EN BIRMANIE
Joseph Ruellen
[NDLR. L’auteur de ce texte est un ancien missionnaire de Birmanie. Expulsé dans les années soixante en même que la plupart des autres missionnaires, il a travaillé ensuite à Madagascar. Résidant aujourd’hui en France, il s’adonne à la recherche historique sur l’Eglise de Birmanie. Joseph Ruellen est membre de la Société des Missions Etrangères de Paris.]
Les premiers catholiques de Birmanie étaient des Portugais, installés surtout à Syriam (Thanlyin) à la fin du 16ème siècle. La brutale ambition de leur chef, Philippe de Britto, occasionna leur déportation en 1613 au nord du pays, dans des villages à l’ouest d’Ava, près de Shwebo. La présence, parfois interrompue, de prêtres maintint chez eux une foi solide, et c’est surtout de ces vieux chrétiens que vinrent la plupart des premières vocations religieuses.
Les prêtres envoyés par l’évêque de San Thomé ne s’occupèrent que de ces chrétiens, appelés « Bayingyi » (de « Feringhi« , Francs) par les Birmans. Mais d’autres tentèrent une action apostolique parmi la population bouddhiste. En 1689, deux prêtres des Missions Etrangères de Paris, Jean Genoud et Jean Jorret, arrivèrent du Siam et prêchèrent à Pégou : accusés de semer le trouble, ils furent condamnés et jetés dans le fleuve à Ava, en mars 1693.
L’arrivée des Barnabites
En 1721, Sigismondo Calchi fut le premier d’une série de Barnabites à travailler à l’évangélisation au Royaume de Pégou et Ava. Les conflits politiques des Etats européenne se manifestaient aussi en Birmanie et furent plusieurs fois l’occasion de violences. Le vicaire apostolique, Mgr Gallizia, et deux de ses prêtres y perdirent la vie. En 1756, quand le roi Alaunpaya vint fonder la ville de Yangon (Rangoun), ce fut sous l’accusation d’avoir appelé les Français de Pondichéry que le Père Nérini, le seul prêtre exerçant alors en Birmanie, fut décapité.
Les Barnabites continuèrent néanmoins à envoyer dans le pays des missionnaires zélés et savants, qui firent imprimer par la Propagande des traductions en birman de textes religieux divers. L’aide d’officiers et de soldats français faits prisonniers en 1756 sauva le pays d’une invasion chinoise et obtint pour les chrétiens la faveur provisoire du roi. En 1767, quand les Birmans attaquèrent et détruisirent Ayuthia, capitale du Siam, ils emmenèrent comme prisonniers Mgr Brigot, vicaire apostolique, qui put ainsi consacrer un évêque d’Ava, Mgr Percotto.
C’est alors, en 1770, que le roi permit l’ouverture, à Monhla, du premier séminaire de Birmanie. La jalousie des bonzes obligea à tranférer le séminaire à Nabet, mais c’est de ce séminaire que sortirent les premiers prêtres birmans : Joseph Maung Gyi et André Ko. Ils complétèrent leurs études à Rangoun où le P. San Germano avait ouvert un collège avec un jeune Eurasien de Rangoun, Ignatius de Britto. Les trois hommes furent ordonnés en 1793 à Amarapura. C’était là même que, 100 ans plus tôt, Jean Genoud et Jean Jorret avaient été jetés dans le fleuve.
Les prêtres de la Propagande, puis les Oblats
En Europe les guerres napoléoniennes avaient tari les ressources des Barnabites et en 1830, quand Rome décida d’envoyer des prêtres de la Propagande en Birmanie, ils ne trouvèrent qu’un Barnabite, le P. d’Amato, à Monhla. Les chrétiens, astreints à un service militaire meurtrier, avaient péri en grand nombre lors des attaques birmanes au Manipur à l’Ouest, en Arakan au Sud et au Ténassérim au Sud-Est. Avant et pendant la première guerre avec les Anglais, en 1823, les chrétiens avaient eu beaucoup à souffrir. Le P. Ignatius de Britto avait été mis en prison et les chrétientés avaient été pillées.
La mission chez les Karens commença vers 1844 à Myaungmya dans le delta, avec le P. Tarolli. L’arrivée d’un groupe de Pères Oblats italiens quelques années plus tard n’eut pas le succès espéré, car une fois encore l’intervention étrangère – l’occupation du sud du pays par les Anglais en 1852 – provoqua la destruction totale de tous les établissements chrétiens. Les vicaires apostoliques successifs s’étaient alors installés à Moulmein, dans la région occupée par les Anglais. La précarité de leur situation amena le Saint-Siège à proposer la prise en charge de la Birmanie entière par la Société des Missions Etrangères de Paris.
Les Missions Etrangères de Paris
Le P. Paul Bigandet et plusieurs autres avaient déjà travaillé chez les Birmans et les Karens du Ténassérim sous la domination anglaise et se trouvaient préparés à cette oeuvre. Le dynamisme et la largeur de vues de Paul Bigandet, placé à la tête de la mission en 1856, donnèrent alors à l’action apostolique un nouvel élan. Alors que chez les Karens, le P. Lacrampe fondait Kanazogon et Naude Thinganaing, Mgr Bigandet se rendit près du roi Mindon. Sa connaissance du birman et du bouddhisme lui obtint la faveur royale. Il put visiter les villages chrétiens du Nord où travaillaient quatre prêtres italiens et il alla même voir la route de Bhamo, porte de la Chine. Revenu à Rangoun, il sut acquérir aussi le respect et même l’amitié des autorités anglaises qui voulaient développer l’éducation. A Moulmein, les Soeurs de St-Joseph de Marseille avaient déjà une école. Mgr Bigandet les appela, ainsi que des Soeurs du Bon Pasteur et des Frères des Ecoles Chrétiennes pour ouvrir des collèges dans la capitale en pleine expansion.
Mgr Bigandet songea dès son premier voyage à diviser la mission : les distances étaient trop grandes, les possibilités trop nombreuses et trop diverses pour un seul homme. A l’Est, les PIME, missionnaires de Milan, prirent en charge, en 1866, les collines autour de Toungoo où le P. D. Cruz, prêtre birman formé à Rome, avait déjà pris contact avec les ethnies non birmanes. Dans le Nord, dans la Birmanie restée sous le pouvoir du roi, un nouveau vicariat fut ouvert, avec Mgr Charles Bourdon, des Missions Etrangères de Paris, en 1873. Les catholiques des six communautés du Nord n’étaient pas plus de 1 600.
Poussée vers le Nord
Diverses tentatives furent faites chez les Shans et les Kachins de Bhamo dès 1874, avec peu de succès. La rébellion musulmane au Yunnan avait jusqu’alors empêché de réaliser la jonction espérée avec les missionnaires de Chine. Ensuite, malgré la réelle sympathie du roi Mindon pour Mgr Bigandet, les autorités birmanes considérant d’un oeil jaloux toute activité missionnaire, même chez ces ethnies allogènes, suscitèrent des difficultés. N’était-ce pas une des formes de la poussée anglaise pour ouvrir une route commerciale vers la Chine ? Mais c’est surtout la terrible fièvre locale – la « black water fever » – qui eut raison de la ferveur apostolique des missionnaires. Sur les 26 prêtres français qui y travaillèrent jusqu’à l’arrivée en 1936 des Pères de Saint-Colomban, neuf y trouvèrent la mort et la plupart y perdirent rapidement leur santé. Ceux qui ont finalement passé le relais à d’autres dans cette région, le P. Roche chez les Shans et le P. Gilhodes chez les Kachins, avaient déjà fondé plusieurs postes solides avec plusieurs centaines de baptisés et autant de catéchumènes.
Ouverture dans le Sud
Mgr Bigandet mena avec énergie le développement de la mission dans le Sud. Si Rangoun fut le centre où les collèges catholiques eurent le plus de succès académiques, il fit ouvrir aussi à Bassein un collège et une imprimerie où il appela en 1868 le P. D’Cruz. La formation donnée prépara de futurs prêtres, des catéchistes, des maîtres d’école et des techniciens. A Moulmein, les Frères vinrent ouvrir un collège et les soeurs de Saint-Joseph y formèrent leurs premières novices locales. Le long de la Côte du Ténassérim, les vieilles chrétientés isolées de Tavoy et Mergui ne pouvaient se développer et, malgré les efforts, le nombre des Karens catholiques était réduit. C’était là en effet que la Mission baptiste américaine avait centré ses efforts depuis l’occupation anglaise.
Le delta de l’Irraouaddy que les Anglais faisaient défricher et ouvrir à la culture du riz fut la région où l’action apostolique fut la plus efficace. D’abord chez les Karens où se fondèrent de nouveaux postes à partir de Bassein ; Le P. Freynet commence Paukseinbe en 1889, et le P. D’Cruz fonde Ywegon en 1897. A partir de Kanazogon, le P. Cartreau s’était installé à Kyontalok en 1875. Dans la région de Henzada, c’est de Thinganaing que le P. Bringaud alla ouvrir à Zaungdan le poste qu’il baptisa « Mittagon » ; et ce sont des hommes formés par lui qui ouvrirent les nouveaux centres : le P. Rouyer à Siplu, le P. Maigre à Lethama et le P. Butard à Danbi.
L’action apostolique chez les Birmans fut moins visible. Dès 1873, Mgr Bigandet avait mis à Thonze le P. Ba Khin, originaire du Nord, qui ouvrit une école avec le jeune Andréas, qui allait devenir le premier prêtre Karen. En fait, à part qualques catholiques venus du Nord, les Birmans furent peu nombreux ; c’est l’école qui devint à Thonze l’action la plus notoire, au point de devenir plus tard l’Ecole Normale où se formèrent des générations de maîtres d’écoles, puis de catéchistes.
Partant de Thonze, le P. Luce alla ouvrir Gyobingauk en 1890 et le P. Pavageau développa ce district, d’Insein à Prome, en profitant de la voie ferrée. En 1894, le P. Mignot s’installa à Nyauglebin pour ensuite rayonner vers l’Est où se défrichaient de nouvelles terres.
Chez les Chins, la pénétration se fit peu à peu et en 1902, à Yenandaung, le P. Saint-Guily avait fondé un poste. C’est surtout le P. Maisonabe qui posa ensuite les fondations de ce qui allait devenir le diocèse de Prome.
Situation de l’Eglise en 1914
Quand Mgr Bigandet mourut en 1893, l’Eglise était solidement implantée en Birmanie, et toutes les voix s’unirent pour faire son éloge. Anglais, Birmans, Indiens et autres rappelèrent surtout son action d’éducateur. L’occupation totale de la Birmanie en 1885 fut une fois encore l’occasion de réactions anti-chrétiennes, et la plupart des villages « Bayingyi » furent à nouveau détruits. Mais l’administration anglaise apportait ordre et prospérité: dans la plaine, les bateaux fluviaux à vapeur et les voies ferrées ouvrirent de nouvelles possibilités.
Mgr Cardot à Rangoun et Mgr Simon à Mandalay donnèrent alors un nouvel élan à leur mission. Les Missions Etrangères de Paris, alors en plein épanouissement, envoyèrent en Birmanie près de 140 prêtres avant 1914 ; plus de 80 dans le Sud et 57 dans le Nord. En 1907, ils atteignirent les chiffres de 50 à Rangoun et 25 à Mandalay.
Les vicaires apostoliques s’étaient dès le début préoccupé d’avoir un clergé local et ils envoyaient les candidats au sacerdoce au Collège Général de Penang, en Malaisie. En 1914, il y avait plus d’une vingtaine de prêtres diocésains dans le pays, en majorité dans le sud. Dès 1892, les trois vicaires apostoliques avaient parlé d’établir un séminaire commun mais ce projet était prématuré. Mandalay et Toungoo avaient leur propre petit séminaire, et dans le sud, à Moulmein, Mgr Cardot avait confié le sien au P. Moyse, le premier prêtre originaire de Chaung-Yo dans le Nord. Désormais, le mouvement était lancé. On pouvait entrevoir le moment où l’Eglise serait entre les mains d’un clergé national. Au Collège de Penang, les « Birmans » formaient un groupe d’une vingtaine dès la fin du XIXème siècle.
Nouvelles missions
Les Pères des Missions Etrangères de Milan avaient travaillé chez les Karens de Toungoo et la région de Taungyi, d’où nombre d’émigrants allaient jusqu’à Pyinmana au centre. Le P. Manna, l’apôtre de cette région, avait fondé nombre de villages et ouvert la mission des Karennis à Loikaw. Plus loin, vers le fleuve Salouen, malgré les difficultés de pénétration, Mgr Sagrada envoya les Pères Bonetta, Portaluppi et Lombardi. La mission de Kentung commença par un orphelinat et une école ; plus loin, à Mongping, le P. Portaluppi ouvrit un poste chez les Lahu deux chapelles étaient déjà construites avant 1914.
A Mandalay, de nouveaux projets avaient pris forme vers 1890. Après l’annexion en 1885, le pays avait retrouvé le calme, et la vingtaine de jeunes missionnaires – moins de trente ans en moyenne – étaient menés par Mgr Simon, d’autant plus ardent qu’il se savait mourant de tuberculose. La réhabilitation physique et morale des villages chrétiens fut menée tambour battant, comme la construction de la cathédrale. Les centres reliés par le chemin de fer de Yamethin à Mandalay commençaient à avoir de petites communautés catholiques, et autour de Shwebo le P. Herr lançait des villages de nouveaux chrétiens, Ywadaw, Megong, Medawgong, où venaient se former les jeunes arrivants.
Les Shans et Kachins se révélant encore peu réceptifs au christianisme, Mgr Simon tenta d’ouvrir une mission à l’Ouest, pour les Chins. Le P. Laurent, qui avait déjà visité la région du Chindwin, s’installa à Gangaw, au pied des collines Chin, en 1891, avec les jeunes Pères Jarre et Accarion. Les autorités militaires les ayant chassés de Hakha où la Mission baptiste avait pris charge de l’éducation, ils tentèrent de pénétrer par le sud, mais les fièvres eurent raison des PP. Jarre et Accarion et, en 1893, le P. Laurent revint à Monhla. Désormais et pendant encore longtemps, le curé de Chaung U irait seulement visiter quelques catholiques dispersés de Monywa à Kalemyo.
Près de Mandalay, dans la plaine de Kyaukse, un prêtre birman, le P. Tobias, avait rassemblé quelques familles nouvelles à Chanthagon. A partir de cette implantation, la fougue et l’entregent du P. Wehinger permirent de développer un village modèle ; un orphelinat et un pèlerinage annuel en firent un centre de rayonnement. Mais, là encore, les fièvres limitèrent le succès de fondations nouvelles à Kindat, Magyidaw, Sinpyu et finalement Zawgyi.
Oeuvres éducatives et sociales
La période d’avant la Grande Guerre vit l’éclosion d’oeuvres caritatives puissantes. A Mandalay, le Collège des Frères commença assez petitement en 1891, mais la lutte contre la lèpre prit vite une importance considérable. Le P. Wehinger sut intéresser la noblesse d’Europe centrale à son action et l’envoi d’une vingtaine de Soeurs Franciscaines Missionnaires de Marie permit de réaliser au sud de Mandalay un grandiose ensemble de bâtisses où les malades furent soignés par centaines.
Moins prestigieuse peut-être, la léproserie de Kemmendine à Rangoun permit aussi des progrès dans les traitements. Les Petites Soeurs des Pauvres ouvrirent leur maison de Rangoun en 1890. Tandis que les grands collèges des Frères et des Soeurs étaient déjà des institutions de haut niveau, dans tous les postes de la campagne, des écoles primaires mariaient instruction religieuse et profane. A Bassein, des Soeurs Karens formaient des novices et des maîtresses d’école. A Myaungmya, c’était surtout des catéchistes qu’on voulait former.
Depuis l’arrivée des Anglais, nombreux étaient les immigrants. La majorité étaient des Indiens, dont certains étaient chrétiens. C’est pour eux que s’était fondée la paroisse de Saint Anthony, qui devint le centre catholique tamoul rayonnant dans toute la région. Plus tard, d’autres vinrent pour la riziculture dans le delta. Quand le P. Chagnot fonde Kyaiklat, en 1909, ils sont déjà 4 000 et s’étendent jusque chez les Karens de Pyapon. Le P. Chavre s’établit à Kyauktan en 1913. Les Tamouls catholiques sont alors environ 10 000 dans le vicariat de Rangoun.
Pour les immigrants chinois, dispersés par leur commerce, Mgr Cardot confia au P. Allard la fondation laborieuse d’une Mission chinoise à Rangoun.
En 1914, les catholiques étaient 60 000 dans le vicariat de Rangoun. L’immense Mission de Mandalay atteignait juste 10 000 et les Pères italiens n’en avaient pas plus. Sur les 57 missionnaires venus de Paris en 40 ans pour cette région du Nord, il en restait 22 en activité: un des évêques avait calculé que la durée moyenne avait été de 7 ans ! Pour le Sud, qui en avait reçu 80, on ne pouvait compter que sur 35 missionnaires, mais Mgr Cardot avait déjà une vingtaine de prêtres diocésains.
La Grande Guerre marque une étape
Le conflit où s’épuisèrent les nations chrétiennes d’Europe eut des conséquences en Birmanie. Non seulement la « grippe espagnole » emporta bien des vies, mais le bouddhisme se réveilla et devint un véhicule de revendication nationaliste anti-chrétienne. La dépression économique frappa le pays et causa des troubles.
Dès 1920, la moyenne d’âge des prêtres français dépassait la quarantaine, et le nombre des nouveaux arrivants se réduisit considérablement. Ainsi Mandalay ne reçut que 11 missionnaires entre les deux guerres, et 12 après 1945 ; l’effort pour former un clergé national fut de plus en plus un objectif majeur. Depuis 1913, un petit séminaire avait été ouvert à Maymyo, sous la direction du P. Jarre, avec la collaboration des PP. Moindrot et Carolus, et on y préparait toute une relève pour Mandalay, et bientôt pour d’autres missions. C’est de là que sont sortis ceux à qui le Saint-Siège allait confier la direction de l’apostolat.
En 1922, Mgr Pisani, délégué apostolique, visita le pays et on parla de réorganiser les territoires. Les Pères italiens prirent en charge des postes limitrophes ; en 1927, Kengtung devint préfecture apostolique. Ils étaient déjà 11 prêtres en 1932 et purent s’occuper de toute la région depuis Namtu jusqu’au pays. Malgré des pertes en hommes et en matériel, leur action se développa et, en 1950, Kengtung devint vicariat apostolique sous Mgr Guercilena. Lashio avait été ouvert par le P. Zeni en 1937. Toungoo s’était étendu vers le sud ; en 1955, la mission devenait un diocèse avec Mgr Lanfranconi.
Lors du passage de Mgr Pisani, le P. Roche avait insisté pour que la mission de Bhamo reçoive de l’aide. C’est seulement du temps de Mgr Falière qu’arrivèrent les Pères de St-Columban ; arrivés à 8 en 1936, ils étaient plus de 30 lorsque le P. Usher fut nommé préfet apostolique de Bhamo à la veille de la guerre japonaise. Ils furent internés de 1943 à 1945, mais leur action n’en fut que retardée, et, à la mort de Mgr Usher en 1958, son successeur pouvait déjà entrevoir l’établissement d’un diocèse qui serait confié à un clergé local.
En 1965, la préfecture de Bhamo devint le diocèse de Myitkyna et la même année fut ordonné le P. Paul Zinghtung Grawng, premier prêtre kachin. Onze ans plus tard, en 1976, le clergé local remplaçait peu à peu les derniers Pères de St Colomban, et Mgr Zinghtung Grawng devenait l’évêque du diocèse.
A l’Ouest, chez les Chins, c’est à Mindat qu’allèrent les premiers missionnaires en 1934: le P. Audrain, puis les PP. Fournel et François Collard en furent les pionniers, avec les Soeurs Franciscaines. Mgr Falière avait déjà envoyé les PP. Mainier, Dixneuf et Moses U Ba Khin chez les Chins de la plaine à Taungdwingyi, quand il obtint enfin la permission d’aller à Tiddim dans le Nord. Les premiers apôtres de cette région, les PP. Pierre Blivet et Moses U Ba Khin arrivèrent à Noël 1940. Ils restèrent coupés de leur évêque pendant toute la guerre ; leur présence fut un témoignage efficace. Le P. Dixneuf arriva en 1947 et organisa l’action apostolique avec les jeunes prêtres français envoyés à partir de 1952. Mgr Falière, et ensuite ses successeurs sur le siège de Mandalay, demandèrent à tous les prêtres birmans nouvellement ordonnés de travailler plusieurs années chez les Chins. C’est ainsi que furent ouverts successivement les 5 districts du Nord, et les 3 du centre, chacun rayonnant sur toute une région.
En 1960, puis en 1962, les premiers prêtres chins furent ordonnés. Lorsque la majorité des prêtres étrangers dut quitter le pays en 1966, avec l’aide de prêtres birmans l’expansion continua.
En 1954, la hiérarchie avait été établie, et Mgr Joseph U Win nommé évêque auxiliaire à Mandalay tandis que Mgr George Y Kyaw était le premier évêque du nouveau diocèse de Bassein. En 1956, on célébra le centenaire de l’arrivée des Missions Etrangères par un Congrès eucharistique à Rangoun où 50 000 catholiques venus de toute la Birmanie purent chanter ensemble en latin la louange de Dieu. Les plus nombreux étaient les Karens, mais les costumes distinguaient bien les Kachins, les Shans, les Labus, et autres ethnies où les Pères italiens avaient répandu l’Evangile. Les 40 délégués venus des collines Chin s’ébaudirent de participer à cette fête ; vraiment l’Eglise Catholique était le rassemblement de tous les peuples.
Depuis 1955, lors de la visite de Mgr Lucas, délégué apostolique, l’idée d’avoir un Séminaire commun pour toute la Birmanie avait pris forme. Lors du Congrès, l’année suivante, la première pierre du Grand Séminaire de Rangoun fut posée et, en Octobre 1957, Mgr Bazin, archevêque de Rangoun, organisa discrètement une première rentrée. Les Pères Jésuites de la province de Maryland, aux Etats-Unis, sous la direction du P. Murphy, en prirent charge en 1958. Peu à peu, les résultats ap