Eglises d'Asie

Le soutien ouvertement affiché par les Américains pourrait paradoxalement affaiblir le mouvement pour la réforme et la démocratie

Publié le 18/03/2010




Les partisans du mouvement de Reformasi (réforme) qui manifestent chaque fin de semaine à Kuala Lumpur (9) pour exiger le départ du Dr Mohamad Mahathir, premier ministre, et la libération d’Anwar Ibrahim, ancien vice-premier ministre, emprisonné pour avoir défié Mahathir, semblent avoir été plus embarrassés que confortés par le discours d’Al Gore, vice-président des Etats-Unis, qui leur apportait pourtant le soutien sans équivoque de son gouvernement. Au cours de la réunion de l’APEC (Association des pays du Pacifique), à Kuala Lumpur, le 16 novembre, Al Gore avait en effet ouvertement demandé le départ de Mahathir et apporté son soutien à Anwar Ibrahim.

L’indignation des autorités malaisiennes devant ce qu’elles estiment être une ingérence inqualifiable dans les affaires intérieures malaisiennes a été abondamment rapportée dans les médias nationaux. Elle touche certainement une corde sensible chez les Malais musulmans, troublés par le comportement du premier ministre par rapport à son ancien protégé, mais sourcilleux quant à l’indépendance nationale de la Malaisie. Les partisans d’Anwar Ibrahim et les militants politiques qui se sont rangés derrière la bannière de la Reformasi sont bien conscients que rien ne pourra changer dans le pays s’ils n’obtiennent pas un soutien important dans la communauté malaise musulmane. Le discours de Gore pourrait paradoxalement renforcer la position de Mahathir au détriment des partisans d’Anwar Ibrahim.

Les milieux politiques de la capitale malaisienne ne s’y sont pas trompés. Dès le lendemain, Chandra Muzzafar, observateur politique très respecté et président de « Justun groupe de défense des droits de l’homme, affirmait qu’Al Gore avait donné inconsidérément des munitions au gouvernement de Mahathir : « (Gore) a donné l’impression que le mouvement de la réforme agit à la demande d’une puissance étrangère, ou bien fait partie d’un complot étranger destiné à déstabiliser le Dr Mahathir. Cela affectera certainement la crédibilité du mouvement de réforme autour d’Anwar (Ibrahim), et c’est dommage car les questions soulevées par ce mouvement sont très importantes dans les domaines de la justice sociale et du style de gouvernement

Le ministre malaisien des Affaires étrangères, Abdullah Badawi, a immédiatement profité de l’occasion offerte par le discours d’Al Gore. Son communiqué, publié le 17 novembre, tente de capitaliser sur l’erreur américaine : « Les Malaisiens savent maintenant que les EtatsUnis seront responsables d’une éventuelle rupture de l’harmonie raciale malaisienne qui pourrait résulter des encouragements irresponsables de Gore. Les Malaisiens n’aiment pas les sermons hypocrites provenant de l’étranger et surtout des EtatsUnis

Un autre observateur rappelle qu’Anwar Ibrahim, lui-même, a longtemps été un militant anti-américain quand il se trouvait à la tête d’ABIM, un mouvement de jeunesse musulman. Par ailleurs, la majorité musulmane de Malaisie est très sensible à toute intervention américaine dans les pays musulmans et très critique des liens étroits que les Etats-Unis entretiennent avec Israël. Selon le même observateur, « Mahathir n’a plus qu’à attendre que les Américains attaquent l’Irak, et les militants favorables à la réforme seront pris au piègeL’opposition parlementaire est elle aussi très embarrassée par l’intervention du vice-président américain. Lim Kit Siang, secrétaire général du DAP (Democratic Action Party), principal parti chinois d’opposition, reconnaît que Gore a raison dans son analyse de la situation des droits de l’homme et de la démocratie en Malaisie, mais il regrette qu’il ait prononcé son discours « sur notre propre solIl ajoute: « C’est aux Malaisiens de décider du départ de MahathirEn 1997, des parlementaires américains avait déjà demandé la démission de Mahathir, et Lim Kit Siang avait présenté une motion au parlement, rappelant que c’était aux Malaisiens de décider de leur avenir.