Eglises d'Asie – Thaïlande
PROCLAMER L’EVANGILE DANS UNE NATION BOUDDHISTE LA THAÏLANDE
Publié le 18/03/2010
Jusqu’ici, l’Eglise de Thaïlande n’a pas beaucoup fait parler d’elle. Il est vrai que l’évangélisation de ce pays, entreprise depuis plus de 400 ans, n’a pas obtenu de grands résultats.
La Thaïlande, appelée Siam jusqu’en 1939, est située dans le sud-est asiatique. Elle occupe la place centrale de la péninsule indochinoise. L’occupation de la région par les Thaïs, venus du Yunnan, ne date que du XIIIème siècle. Sukhothai fut la première capitale des principautés thaïes qui évincèrent les Mons et les Khmers, anciens occupants du pays. Plus tard, Ayuthaya (Judia des premiers missionnaires) fut la capitale de la nation pendant 417 ans, c’est-à-dire jusqu’à sa destruction par les Birmans en 1767.
1. La Mission du Padroado
Les premiers missionnaires venus au Siam furent deux dominicains portugais (Jeronimo Da Cruz et Sebastiano Do Canto) venus de Malacca vers 1567, appelés par le roi de Siam pour s’occuper des nombreux marchands portugais établis dans quelques villes du pays depuis 1516, en vertu d’un traité de commerce. Ils venaient, envoyés par le gouvernement portugais, selon les accords avec le pape Martin en 1418 et avec ses successeurs. Jeronimo fut tué par des Maures qui faisaient du commerce dans le pays. Il fut remplacé par deux autres dominicains qui furent également massacrés et brûlés par les Maures en 1569. D’autres missionnaires vinrent encore, mais, dans l’insécurité où se trouvait le pays par suite des guerres avec la Birmanie et le Cambodge, ils durent momentanément quitter le Siam.
En 1582, un Franciscain espagnol, le P. Tordesillas, accompagna des marchands espagnols venus au Siam. Il y trouva 7 chrétiens. Malade, le Père rejoignit Macao, et envoya trois autres franciscains en 1586. En 1607 arriva le premier jésuite, le P. Balthasar Sequeira, venu en éclaireur mais il ne put rester à cause de sa santé. Cette première période de l’évangélisation qui va de 1567 à 1662, c’est-à-dire 95 ans, se déroula sous la seule direction du Padroado portugais, avec des missionnaires en majorité portugais. Ce fut une période très troublée. Cependant, la population autochtone se montra accueillante envers les étrangers. Les gouvernements successifs favorisèrent la présence de marchands et de missionnaires par intérêt commercial et militaire. Mais il y eut toujours un courant opposé aux étrangers.
Ces débuts de la mission furent pourtant un échec. Beaucoup de facteurs y ont contribué. Il y a d’abord l’instabilité du personnel missionnaire à cause des guerres continuelles. Ils n’avaient guère le temps d’apprendre la langue, et ne furent d’ailleurs que quelques unités. Il y avait l’opposition des Maures nombreux dans le pays, ennemis séculaires des chrétiens. Mais l’obstacle majeur, qui apparait tout au long de l’Histoire, est le manque de liberté de conscience. Le peuple observe la religion de son roi. Depuis le début de la nation, le roi a toujours été le protecteur du bouddhisme. La religion bouddhiste est considérée comme le fondement de l’unité nationale. Les premiers missionnaires ont bien noté que les Siamois qui venaient écouter leur enseignement n’osaient pas se faire chrétiens par crainte du roi.
Il convient aussi d’ajouter que les religieux envoyés par le Portugal et l’Espagne étaient très liés à la politique de leur nation et comptaient trop sur l’heureux effet d’une intervention armée. Les religieux eux-mêmes, en majorité Portugais avec quelques Espagnols, étaient souvent divisés entre eux. L’année 1600 marque l’entrée en lice de deux principaux rivaux des Portugais : les Anglais et les Hollandais protestants, marchands sans visée missionnaire mais qui mirent les Siamois en garde contre les missionnaires catholiques. Les Européens avaient donc réussi à exporter leurs querelles religieuses en Asie, ce qui n’a pas peu contribué à l’échec de la mission sur le continent.
2. Les Missionnaires envoyés par la Propagande : les Missions Etrangères de Paris.
Le premier devoir de l’Eglise est de proposer l’Evangile à toutes les nations. La découverte inattendue de populations jusqu’alors inconnues par les marins portugais et espagnols, exigeait de l’Eglise un nouvel effort d’évangélisation. Au XVIème siècle elle n’était pas préparée à assumer cette tâche. C’est pourquoi les papes, imprudemment, confièrent au Portugal et à l’Espagne la charge de faire connaître l’Evangile aux populations récemment découvertes. En retour, ils leur octroyèrent un certain nombre de droits sur l’administration de l’Eglise. De ce fait, les papes n’avaient plus qu’un pouvoir indirect et très limité sur les territoires portugais et espagnols hors d’Europe. Au commencement, la collaboration des rois fut satisfaisante. Mais assez vite cette collaboration aboutit à des déceptions. Dans ces conditions, le progrès des missions devenait incertain, et les autochtones, devant le mauvais exemple de certains Européens, étaient amenés à détester la religion que ceux-ci professaient.
C’est pourquoi la Congrégation de la Propagande, fondée en 1622, voulut reprendre l’évangélisation en main, malgré l’opposition du Portugal et de l’Espagne qui ne voulaient pas abandonner les droits acquis. La Propagande passa outre à ces oppositions et à partir de 1660 envoya des Vicaires apostoliques en Asie. Ceux-ci avaient été mis à la disposition du pape par l’Assemblée des évêques de France, soutenue par une association de prêtres et de laïcs. La Propagande donna des instructions précises aux premiers Vicaires envoyés par le Pape : ils avaient pour première tâche de former des prêtres autochtones dans chaque pays, tâche délibérément négligée par les religieux missionnaires. Les nouveaux missionnaires devaient également s’adapter aux coutumes des pays auxquels ils étaient chargés d’annoncer l’Evangile et non de répandre la civilisation européenne.
Le premier Vicaire apostolique à partir pour l’Asie fut Mgr Lambert de la Motte, accompagné de deux missionnaires.
Comme les navires lusitaniens n’acceptaient pas à leur bord des prêtres qui n’auraient pas fait allégeance au roi du Portugal, et que les Anglais et Hollandais protestants refusaient d’embarquer des missionnaires catholiques, force fut de voyager par voie terrestre et en secret, selon les directives de la Propagande. Parti de Marseille le 27 novembre 1660, Mgr Lambert traversa ce qui est devenu la Syrie, l’Iraq, l’Iran et l’Inde pour atteindre Ayuthaya, capitale du Siam d’alors, le 22 août 1662. Le terme de son voyage était la Cochinchine et la Chine du Sud. Mais la mousson ne lui permit pas de continuer sa route. L’année suivante, un naufrage sur la route de Chine et, plus tard, des persécutions en Cochinchine l’obligèrent à fixer sa résidence à Ayuthaya.
Dans cette ville, il découvrit une communauté de 2 000 chrétiens portugais, métis, japonais, sous la direction de 11 prêtres en majorité portugais qui dépendaient du Padroado. Les Portugais apprirent bientôt que Mgr Lambert n’était pas passé par Lisbonne. Ils se préparaient à l’arrêter et à le renvoyer au roi du Portugal quand des chrétiens cochinchinois, réfugiés au Siam, vinrent l’enlever à main armée pour l’installer dans leur camp. C’est le début d’une lamentable rivalité entre les prêtres du Padroado et les prêtres envoyés par la Propagande, sous les yeux des Siamois qui ne comprenaient rien à ces disputes.
En janvier 1664, Mgr Pallu, co-fondateur de la Société des Missions Etrangères avec Mgr Lambert de la Motte, arrive à Ayuthaya avec quatre missionnaires et un laïc dans le but de rejoindre sa mission du Tonkin et de la Chine méridionale. La persécution l’empêchant d’y pénétrer, Mgr Pallu avec Mgr Lambert et les missionnaires présents se réunirent en synode pour fixer les modalités d’application des directives romaines. Mgr Pallu revint à Rome en 1665 pour faire approuver les décisions prises, tandis que Mgr Lambert, après avoir obtenu le rattachement du Siam à la mission de Cochinchine commençait à réaliser les fondations décidées au synode. Ce fut d’abord la fondation du séminaire Saint Joseph, l’ancêtre du Collège Général de Penang, qui ouvrit ses portes en 1665. Les deux premières ordinations sacerdotales eurent lieu en 1668. Dans l’intention de se rendre utile au pays et de manifester la charité évangélique, Mgr Lambert ouvrit un hôpital à Ayuthaya vers 1671. Il institua également une congrégation de religieuses autochtones, les “Amantes de la Croix”, d’abord au Tonkin en 1670, puis en Cochinchine et enfin à Ayuthaya en 1672. Il pensait avoir recours à leurs services pour le soin des femmes malades et l’éducation des jeunes filles. Les premiers missionnaires des Missions Etrangères, à la différence des prêtres de Padroado en général cantonnés dans leur camp au service de leurs coreligionnaires, se répandirent à travers la ville capitale et les environs, et allèrent même jusqu’à Bangkok et à Phisanulok dans le Nord, mais sans grand succès auprès des Siamois, non par opposition de ces derniers mais à cause de l’encadrement de la population pour la corvée au service du pays et l’hostilité des autorités qui voyaient l’abandon du bouddhisme comme une trahison envers le pays et un facteur de division.
Constatant que tous les Siamois vivaient dans une dépendance absolue de leur prince bouddhiste, Mgr Lambert pensa que tant que le roi ne serait pas chrétien, l’évangélisation du Siam serait impossible. C’est pourquoi il écrivit à Mgr Pallu, alors en Europe, pour lui suggérer l’établissement de relations diplomatiques entre Louis XIV et le roi Narai afin que le roi de France proposât à ce dernier de bien vouloir embrasser la religion catholique. Pour comble de malheur, un aventurier grec du nom de Phaulcon, avait réussi à devenir favori du roi au Siam. Il se fit catholique et protecteur de la religion catholique au Siam. Il encouragea les relations diplomatiques et militaires avec la France après avoir écarté Mgr Lambert. Par ses manières hautaines, il se fit haïr des mandarins et du même coup fit détester la religion catholique. C’est pourquoi le coup d’Etat qui détrôna Narai en 1688 entraîna la mort de Phaulcon et la répression de la religion chrétienne. De ce fait, aux yeux des Siamois, la France et la religion chrétienne étaient liées pour l’invasion du pays. Ce préjugé défavorable vis-à-vis du christianisme sera un obstacle à l’évangélisation d’autant plus qu’il n’y aura pratiquement que des missionnaires français à venir au Siam jusqu’en 1927.
Le Siam avait été érigé en vicariat apostolique détaché de la Cochinchine en 1669. Son premier titulaire fut Mgr Laneau, ordonné évêque en 1674. Après la mort de Mgr Lambert en 1679, il était le responsable de la mission. C’est lui qui avec ses prêtres dut subir le contrecoup du coup d’état de 1688. Les vexations furent dures, sans effusion de sang toutefois, pendant 21 mois. Après cette persécution, Mgr Laneau rassembla son petit troupeau. Des 600 chrétiens siamois il en restait une centaine et la communauté des chrétiens cochinchinois.
Lui et ses successeurs s’efforcèrent de renouer des relations amicales avec le palais. Il fallait également reconquérir la confiance des Siamois. Le nombre des chrétiens siamois alla toujours en diminuant.
Mgr Laneau avait une bonne connaissance de la langue thaïe et du bouddhisme. Il écrivit 26 opuscules soit pour expliquer les dogmes chrétiens soit pour traduire les prières chrétiennes. L’un d’eux était une réfutation de la doctrine bouddhiste assez défavorable à la religion des Thaïs. Trente cinq ans après la mort de Mgr Laneau survenue en 1696, le palais eut connaissance de cet écrit. Le roi, les princes et les moines bouddhistes en conçurent une grande irritation. Aussi, en 1731 fut proclamée l’interdiction faite à tous les Siamois, Laotiens, Mons de se faire chrétiens, et aux missionnaires de prêcher le christianisme aux Siamois ainsi que d’écrire des livres en caractères siamois.
Bientôt les missionnaires n’eurent à s’occuper que de quelques centaines de Cochinchinois chrétiens réfugiés dans le pays. Les rares Siamois qui demandaient à se faire chrétiens étaient baptisés en secret.
Il est vrai que les missionnaires dont le nombre s’élevait à une vingtaine à la fin du règne de Narai, n’étaient plus que quelques unités. Ils avaient la charge du séminaire régional fondé par Mgr Lambert. Par ailleurs les supérieurs de mission depuis le P. Braud successeur du P. Ferreux en 1698 jusqu’à Mgr Condé nommé en 1782 ne pouvaient parler le thaï. A certaines époques aucun missionnaire ne pouvait enseigner le catéchisme en siamois. L’invasion birmane, qui détruisit Ayuthaya en 1767, brûla la mission et le camp portugais. Mgr Brigot, le vicaire apostolique de l’époque, fut déporté à Rangoun avec quelques chrétiens tandis que le P. Corre et un Père jésuite du camp des Portugais avec 300 Portugais s’enfuyaient au Cambodge. Il ne restait en tout et pour tout qu’une petite communauté de Vietnamiens réfugiés à Chanthaburi, chrétienté fondée en 1707 et qui eut pour premier pasteur le Père Nicolas Tolentino, prêtre d’origine espagnole, venu des Philippines et ancien élève du séminaire d’Ayuthaya. La destruction d’Ayuthaya était-elle le signe de la disparition définitive de la mission catholique ?
3. Difficile reprise de la Mission
En 1769, le P. Corre revint du Cambodge avec quelques chrétiens d’Ayuthaya. Le nouveau roi, Taksin, libérateur du pays, leur accorde un terrain, non loin du palais pour y élever une église. C’est l’actuelle paroisse de Sainte-Croix à Thonburi, nouvelle capitale du pays, (aujourd’hui partie de Bangkok). On y regroupa les chrétiens dispersés, presque tous portugais, du camp d’Ayuthaya. En 1771, arriva le nouveau Vicaire apostolique, Mgr Le Bon. Les rapports de l’évêque avec le roi d’abord excellents, dans la simplicité, ne tardèrent pas à se dégrader. Le franc parler de l’évêque qui se refusait de croire aux phénomènes de lévitation dont se vantait le roi très adonné à la méditation bouddhique, le refus des mandarins catholiques de participer au serment de fidélité au roi selon le modèle bouddhique, irritèrent profondément le roi qui fit emprisonner et frapper à coup de bâtons l’évêque et les deux missionnaires présents à Thonburi. A l’instigation d’un ministre musulman, le roi chassa de son pays l’évêque et les deux missionnaires en 1779.
Mgr Le Bon mourut à Goa, tandis que les deux missionnaires, les PP. Condé et Garnault, revinrent évangéliser le sud du pays. Le P. Condé, nommé vicaire apostolique, mourut avant son ordination épiscopale, et ce fut Mgr Garnault (1786-1811) qui prit la direction de la mission. Mais il resta encore 8 ans à Penang avant de revenir dans la capitale, appelé par Rama I, fondateur de la dynastie actuelle.
Alors que pendant la période d’Ayuthaya (1665-1767), 5 prêtres autochtones (métis) furent ordonnés pour le service de la mission, Mgr Garnault en ordonna 8, redonna vie aux religieuses “Amantes de la Croix” et établit la première imprimerie pour imprimer des livres religieux.
Quand Mgr Garnault revint à Thonburi-Bangkok, il trouva la communauté portugaise divisée entre pro-missionnaires français, une minorité, et pro-portugais (Padroado du camp d’Ayuthaya) qui entre temps avaient réussi à faire venir un père dominicain portugais, et se considéraient comme sujets du roi du Portugal. L’église Sainte-Croix fut fermée. Les chrétiens pro-portugais intervinrent auprès du frère du roi pour obtenir un nouveau terrain pour séparer les chrétiens divisés : c’est l’origine de la paroisse du Calvaire (aussi appelée du Rosaire) à Bangkok. Les pro-Portugais allèrent jusqu’à dénoncer les Siamois qui se faisaient chrétiens en secret, invoquant la loi qui interdit à un Siamois de se faire catholique. Ce schisme dura 40 ans et empêcha toute conversion. Pendant ce temps, la communauté chrétienne s’accrut grâce à l’apport des chrétiens portugais du Cambodge chassés de ce pays par les guerres qui ravageaient la région et surtout par l’apport de 1 600 Vietnamiens en majorité catholiques, chassés de la Cochinchine en 1834 par la guerre et les persécutions. Le roi leur accorda un terrain à Bangkok qui est devenu la paroisse Saint-François-Xavier de Samsen.
Pendant l’épiscopat de Mgr Florens les diverses communautés chrétiennes, étrangères dans leur très grande majorité, vécurent repliées sur elles-mêmes. Les autorités interdisaient aux prêtres de sortir de la capitale par crainte des étrangers qui venaient coloniser les pays d’Asie. Les missionnaires et les chrétiens étaient soupçonnés d’être d’éventuels collaborateurs des envahisseurs.
4. La Mission moderne
La Mission moderne commença avec Mgr Courvézy (1834-1841) qui obtint la division de la mission du Siam par création de la mission de Malaisie en 1841 dont il devint le premier vicaire apostolique. C’est surtout Mgr Pallegoix (1841-1862), grand connaisseur de la langue siamoise (son dictionnaire est encore une référence) et ami du roi Rama IV, qui donna une impulsion décisive à la Mission. Il commença une nouvelle évangélisation du pays, auprès des Siamois, malgré les lois en vigueur, et auprès des Chinois, nombreux à venir au Siam et qui se montrèrent très réceptifs à l’Evangile. Le nombre des chrétiens qui était de 3 000 au début de son épiscopat ne cessa plus d’augmenter. Avec le roi Rama IV, le Siam s’ouvrit aux Européens. Après un traité de commerce avec l’Angleterre, fut signé un traité religieux qui leur garantirait une liberté complète dans leur apostolat, mais le roi s’y refusa. Selon les stipulations de ce traité, les Français (à l’époque il n’y avait guère que les missionnaires) étaient sous la protection du consul et ne relevaient donc pas des tribunaux siamois. Une nouvelle convention signée en 1857 mettait les Cambodgiens sous la protection de la France. Ce droit fut abusivement étendu à d’autres nations en particulier aux chrétiens chinois, ce qui créa de nombreux différends avec le gouvernement thaï. Le consul français, suivant la politique de Napoléon III, devint le protecteur de la mission catholique. Cette situation dont abusèrent quelques missionnaires provoqua l’animosité des employés du gouvernement contre les catholiques. Les protestants en profitèrent pour rappeler la tentative de protectorat de la France sur le Siam au temps du roi Narai. Une fois de plus la religion catholique était mêlée à la politique coloniale française.
Mgr Dupont, successeur de Mgr Pallegoix, (1864-1872), prit ses distances par rapport au palais royal. Il s’occupa surtout d’organiser et de promouvoir l’apostolat auprès des non-chrétiens surtout les Chinois. C’est pendant son épiscopat qu’un moine vénéré par la population, en recherche de la vérité, se fit chrétien et entraîna ses disciples, ses parents et connaissances dans la religion chrétienne, environ 300 personnes. C’était bien la première fois qu’un tel nombre de Thaïs se faisaient chrétiens ; l’un d’eux devint prêtre. Le gouvernement s’en inquiéta et mit tout en oeuvre pour arrêter ce mouvement de conversion. Mgr Vey, successeur de Mgr Dupont, (1875-1909), eut un long épiscopat de 33 ans. Ce fut le moment où le Siam, sous l’impulsion de Rama V, cherchait à se moderniser en réformant d’abord l’administration avec l’aide de nombreux experts étrangers. Mgr Vey comprit la nécessité de l’enseignement pour former les élites du pays. Alors que les Amantes de la Croix devenaient enseignantes dans les écoles de paroisse, le P. Colombet ouvrit le Collège de l’Assomption en 1882, confié aux Frères de Saint-Gabriel en 1901 et appelé à un brillant avenir. Les soeurs de l’enfant Jésus, première congrégation religieuse étrangère à venir au Siam, ouvrirent une école de filles en 1885, d’abord au Calvaire et la transportèrent ensuite à l’actuelle école Saint Joseph. Faute de personnel, elles cédèrent l’école aux Soeurs de Saint-Paul de Chartres en 1907. Mgr Vey voulut également établir un service médical moderne : ce fut la création de l’hôpital Saint-Louis avec le Dr Poix et les Soeurs de Saint-Paul de Chartres arrivées au Siam en 1898, année de l’ouverture de l’hôpital. En fait, Mgr Vey avait voulu rendre service aux nombreux Européens qui venaient au Siam avec leurs familles, pour l’éducation de leurs enfants et le soin des malades, mais bientôt les Thaïs furent les principaux bénéficiaires de ces oeuvres. Mgr Vey, selon l’esprit du temps, voulait également contrer l’influence des protestants présents au Siam depuis 1828 et qui se préparaient à ouvrir des établissements similaires. Ce fut Mgr Vey qui envoya les premiers missionnaires au Nord-est du pays et au Laos. Les deux premiers défricheurs furent les célèbres Pères Prodhomme et Xavier Guego. Partis en 1881, ils parcoururent d’immenses espaces semi-désertiques au prix d’énormes difficultés et établirent les premières communautés chrétiennes de Ubon, Tharae, Nong Saeng. La mission dite ‘du Laos’ fut érigée en 1899 avec comme premier vicaire apostolique Mgr Cuaz. Elle comptait déjà 9 000 chrétiens.
Après Mgr Laneau et Mgr Pallegoix, Mgr Vey fut un grand connaisseur de la langue siamoise et traduisit des commentaires d’évangiles en cette langue, corrigea et réédita plusieurs ouvrages de Mgr Pallegoix. Enfin lors du différend entre le Siam et la France (1893), au moment de l’occupation du Laos et du Cambodge, zone naguère d’influence siamoise, par la France, Mgr Vey sut garder de bonnes relations avec le gouvernement, ce qui permit la protection des catholiques contre la colère de la population.
5. Epoque Contemporaine
A la mort de Mgr Vey en 1909, Mgr Perros lui succéda et dirigea la mission pendant 38 ans, c’est-à-dire jusqu’en 1947. La première guerre mondiale vint attrister le début de son épiscopat puisque 14 missionnaires y compris l’évêque furent mobilisés ainsi que 9 frères de Saint-Gabriel. Mgr Vey put revenir dans sa mission en septembre 1915. Les 15 prêtres thaïs ordonnés par son prédécesseur et les missionnaires âgés ne suffisaient pas à la tâche. Il fallut fermer l’école des catéchistes et l’on se contenta de gérer l’acquis dans la mission.
Après la guerre, la mission dut réorganiser ses écoles pour se conformer aux premières lois scolaires du pays. La mission possédait des écoles paroissiales depuis longtemps, mais l’étude du catéchisme, les chants latins, l’étude des livres en caractères européens, étaient les matières principales. A partir de 1918, le gouvernement réglementa les établissements scolaires. Des diplômes furent exigés pour l’enseignement. La mission dut trouver de l’argent pour payer les instituteurs et l’on ouvrit une école normale d’instituteurs pour les former à être directeurs d’école, instituteurs catéchistes, chantres sacristains… Ce furent les premiers laïcs au service de l’Eglise. Ils étaient souvent d’anciens séminaristes. Au Siam on a beaucoup parlé des grandes écoles de Bangkok ou d’autres villes qui sont devenues, un peu malgré elles, des écoles pour riches. Mais malheureusement on n’a pas assez parlé de ces écoles de villages tenues avec dévouement par des instituteurs laïcs mal payés et les religieuses Amantes de la Croix, qui ont enraciné la foi dans le coeur des enfants.
L’enseignement de Pie XI sur l’Action Catholique (1923) est connu au Siam dès 1925. A cette époque, des mouvements de Croisade Eucharistique et d’Apostolat de la Prière apparaissent dans les écoles des Soeurs de Saint Paul de Chartres.
Dans les paroisses, les prêtres organisent des Confréries du Saint-Sacrement et d’Enfants de Marie. A partir de 1918, il y a la consécration des familles au Sacré Coeur.
Mgr Perros, qui fut un évêque pieux et zélé, insistait beaucoup sur la sacramentalisation et la catéchèse des enfants. Il s’inquiétait de l’avenir religieux des chrétiens dispersés parmi les païens.
Malgré tant d’efforts, la population chrétienne augmenta lentement avec une moyenne de 200 baptêmes d’adultes par an. A la différence des Chinois, les Thaïs en général n’ont jamais été tellement apôtres auprès de leurs coreligionnaires. La population persistait à considérer les chrétiens comme des étrangers, car être thaï, c’est forcément être bouddhiste. A la suite de la visite de Mgr Léocroart, visiteur apostolique en 1923, il fut décidé que la mission de Siam serait divisée en trois missions, mais la réalisation prit du temps. La première division eut lieu par la création du Vicariat de Ratburi dans le sud, confié aux Salésiens en 1930 avec 6 800 chrétiens. Dès 1927, le supérieur général des Missions Etrangères de Paris pressait Mgr Perros de créer un Vicariat de prêtres autochtones. Durant l’épiscopat de Mgr Perros, 64 prêtres thaïs furent ordonnés. C’est finalement en 1944 que fut créé le Vicariat autochtone de Chanthaburi, à l’est du pays avec Mgr Jacques Cheng comme premier vicaire apostolique thaï.
6. Le Nord-Est
Le Nord-Est est une région assez différente de la plaine centrale. La mission qui y fut fondée en 1899, en dehors des 18 provinces thaïlandaises actuelles, s’étendait également à tout le Laos. Le Haut-Laos fut détaché en 1937 et le Bas-Laos seulement en 1950. Ici, il ne sera question que de la partie siamoise. C’est un plateau sablonneux au terrain pauvre avec des pluies irrégulières. Au début, ce fut une mission très éprouvante pour la santé des premiers missionnaires : le climat, la nourriture, les moyens de transport déprimaient les forces, à commencer par celles de Mgr Cuaz, son premier vicaire apostolique, qui ne resta que 8 ans dans la mission. Son successeur, Mgr Prodhomme, qui avait été avec le Père X. Guégo, le pionnier de l’évangélisation, ordonné évêque en 1912, mourait en 1920. On ne compte pas le nombre de missionnaires épuisés qui allaient se soigner à Hongkong. Le premier prêtre autochtone de la mission fut ordonné en 1912. Mais il fallut attendre encore 12 ans pour que les ordinations se succèdent assez régulièrement. La mission se développa d’abord autour des trois centres du début : Ubon, Tharae, Khamkeum-Nong Saeng. Pendant les premières années beaucoup de gens s’intéressèrent au christianisme mais leurs motivations n’étaient pas toujours pures. Ils attendaient secours et protection des missionnaires. La crainte des génies malfaisants poussait parfois tout un village à demander le baptême. On s’étonne parfois qu’au Nord-Est et dans tout le pays, les chrétiens se soient regroupés en villages chrétiens, séparés des non-chrétiens. A l’époque, et encore aujourd’hui, la religion n’était pas une option personnelle, mais était une affaire de société. On avait la religion du village où l’on habitait. Les chrétiens auraient été rejetés d’un village bouddhiste et auraient été tenus pour responsables de toutes les calamités qui auraient pu survenir.
La mission progressa lentement. Les Amantes de la Croix fondées à Ubon en 1889, puis à Nong Saeng et à Tharae, prirent en charge la tenue des églises et la catéchèse des enfants tandis que les prêtres autochtones et les missionnaires faisaient des projets de division de la mission lorsque la guerre et la persécution qui suivit vinrent tout arrêter.
7. La Persécution de 1940-1942
En 1932, le pays était passé de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle par une révolution fomentée par des militaires et des démocrates anciens étudiants en Europe. A partir de 1938, le pays tombe entre les mains d’une dictature militaire sous la direction du Maréchal Phibun Songkhram et diffusa une doctrine pan-thaï. C’est à ce moment qu’on donne le nom de Thaïlande au pays. A partir de 1940, le gouvernement imposa une politique d’assimilation des minorités. Le bouddhisme fut la seule religion officielle autorisée pour créer l’unité du pays. Toutes les églises catholiques furent fermées, les missionnaires étrangers furent expulsés. On demanda aux chrétiens de revenir au bouddhisme. Des chrétiens et des prêtres thaïs qui refusaient d’obtempérer furent mis en prison. L’un d’eux, le Père Nicolas, mourut dans une prison de Bangkok par manque de soins. Dans le Nord-est, la persécution fut plus violente. Il est vrai que la Thaïlande y était en conflit direct avec la France qui avait des bases au Laos. Sept personnes du village chrétien de Songkhorn sur les bords du Mékhong, dont un catéchiste instituteur, 2 religieuses et trois adolescentes furent fusillées au cimetière pour avoir refusé d’abandonner le christianisme en décembre 1940. Ils ont été béatifiés le 22 octobre 1989. La Thaïlande s’était alliée aux nations de l’Axe. Quand l’Italie et l’Allemagne furent vaincues, la Thaïlande changea de politique, la paix revint et les églises furent réouvertes.
8. L’Eglise dans la Thaïlande d’aujourd’hui
Après la guerre, les structures de l’Eglise de Thaïlande furent mises en place selon le modèle de l’Eglise universelle. Il y eut encore des divisions de missions. Finalement, le 18 décembre 1965, Paul VI établit la hiérarchie avec deux archidiocèses : celui de Bangkok avec les diocèses de Ratburi, Surat Thani, Chanthaburi, Nakhorn Sawan et Chiengmai comme suffragants et l’archidiocèse de Tharae avec les diocèses de Ubon, Udorn et Khorat comme suffragants. En 1983, le Pape Jean-Paul II nomma l’archevêque de Bangkok, Mgr Michel Michai Kitbunchu cardinal. Cette Eglise autrefois peu connue a vu arriver, surtout après la guerre, un grand nombre de congrégations de prêtres et de religieuses. Pendant 160 ans – depuis la chute de Ayuthaya – les prêtres des Missions Etrangères de Paris avaient été les seuls étrangers à travailler en Thaïlande et y sont encore. Par la suite sont venus : les salésiens (1927), les rédemptoristes (1948), les jésuites (1954), les bétharamites (1949), les stigmatins (1952), les camilliens (1955), les oblats de Maryknoll (1983) et de Madrid… Le nombre des Congrégations féminines est plus impressionnant encore. Depuis leur fondation en 1672 jusqu’en 1885, les Soeurs Amantes de la Croix, congrégation autochtone, furent les seules religieuses au Siam. La première congrégation étrangère à venir fut celle des Soeurs de l’Enfant Jésus (1885 mais reparties en 1907). Puis vinrent les Soeurs de Saint-Paul de Chartres (1898), les Frères de Saint-Gabriel (1907), les Ursulines (1924), les Carmélites (1925), les Salésiennes (1931), les Clarisses (1930), les Frères de La Salle (1952), retour des Soeurs de l’Enfant Jésus (1957), les Soeurs de Saint Joseph de l’Apparition (1961), les Soeurs du Bon Pasteur (1965), les Oblats (1966), les Soeurs de La Salle (1975), les Soeurs de la Charité de Nevers (1979), les Capucines (1980), les Franciscains et les Franciscaines de l’Immaculée Conception (1985), les Filles de Saint Paul (1994). Les congrégations récemment arrivées font un travail social. Elles arrivent difficilement à se faire connaître et à attirer des vocations. Les premières congrégations religieuses qui avaient ouvert des écoles ont acquis une grande notoriété dans le pays. Les religieux et religieuses ont été victimes de leur succès. Aux yeux du Thaïlandais moyen, les établissements catholiques, à tort ou à raison, sont réputés comme écoles pour riches. Un certain nombre de prêtres diocésains dans les villes ont suivi l’exemple et se trouvent à la tête de grandes écoles qui occupent le meilleur de leur temps.
La réputation des établissements scolaires chrétiens n’entraîne pas pour autant un attrait pour le christianisme. Un observateur bien qualifié faisait remarquer qu’en Thaïlande il y a beaucoup d’ordinations et de professions religieuses mais peu de baptêmes d’adultes. Les statistiques de 1995 confirment ce jugement. Cette année, la Thaïlande comptait 58 millions d’habitants dont 244 000 catholiques. Pour cette population catholique, il y a 547 prêtres (diocésains et religieux) soit à peu près 1 prêtre pour 446 catholiques. On dénombre 1 327 religieuses soit 1 religieuse pour 183 catholiques… mais il y a 1 chrétien pour 200 bouddhistes.
Il faut remarquer que certaines congrégations religieuses font de louables efforts pour se mettre davantage au service de la population laborieuse du pays. Les rares prêtres au service de l’évangélisation directe savent bien qu’il y a des non-chrétiens en recherche de la lumière du Christ. Heureusement, quelques laïcs commencent à prendre conscience de leur devoir de baptisés.
Les prêtres des Missions Etrangères de Paris sont allés en Asie avec comme objectif premier de préparer un clergé autochtone. Ils n’avaient pas prévu que les résultats dépasseraient leur espérance sur ce point. Encore ne faudrait-il pas que le clergé thaïlandais se trompe de priorité.