Eglises d'Asie – Cambodge
LE POINT SUR LA SITUATION SOCIALE ET POLITIQUE du 1er décembre 1998 au 28 février 1999
Publié le 18/03/2010
Gagner les faveurs des donateurs
L’activité politique des deux derniers mois est dominée par la préparation de la rencontre du Groupe consultatif des pays donateurs d’aide au Cambodge, réunis à Tokyo les 25 et 26 février.
En juillet 1996, réunis à Tokyo, les pays donateurs d’aide au Cambodge avalent accordé des dons ou prêts pour un montant de 501 millions de dollars. Le Cambodge s’engageait alors à prendre des mesures pour favoriser le développement social, à créer un Etat de droit et à mettre fin à l’exploitation illégale des forêts.
Le 3 juillet 1997, réunis à Paris, les pays donateurs accordaient un montant de 450 millions de dollars. Le Cambodge renouvelait ses engagements. Les promesses non tenues ont fait grandir le scepticisme au sein de la communauté internationale. En 1998, la collecte des impôts est tombée à 8% du produit intérieur brut.
De 1992 à 1998, le Japon a accordé une aide de 624,6 millions de dollars, la France 244,9, les Etats Unis 236,8, l’Australie 137, la Suède 113, la Hollande 59,6, l’Allemagne 51,9, le Danemark 49.9, la Chine 46,7.
Le gouvernement cambodgien demande une aide financière totale de 1,3 milliard de dollars pour les trois années à venir. Il demande une aide de 9,6 millions de dollars étalés sur 3 ans pour préserver ses parcs naturels.
30 % des forêts cambodgiennes ont été pillées de ses bois de valeur durant les 20 dernières années. On prévoit que dans 5 ans, il ne restera plus de bois de valeur au Cambodge.
Durant les 8 premiers mois de l’année 1998, le gouvernement n’a recueilli que 5 millions de dollars provenant de l’exploitation du bois. Plus de 90% de l’exploitation du bois est illégale.
Selon les experts, pour conserver son patrimoine, le Cambodge ne devrait couper que 500.000 m3 de bois chaque année, alors que, durant les dernières années, les coupes ont atteint 4 millions de m3.
Le gouvernement cambodgien demande 75,4 millions de dollars étalés sur 3 ans pour procéder à la démobilisation de 40% des effectifs de sa police et de son armée. Selon le ministre des Finances, 400.000 dollars mensuels sont nécessaires pour payer les salaires et la réinsertion des déserteurs khmers rouges. C’est le prix à payer pour la paix.
En 1996, l’Allemagne et la Banque Mondiale s’étaient engagées à verser 70 millions de dollars pour réduire l’armée d’environ 40.000 hommes. Le gouvernement cambodgien gonfle à 148 000 les effectifs de son armée, mais les experts internationaux estiment que celle-ci ne compte que le tiers des effectifs annoncés, le reste étant composé de soldats « fantômes » dont les officiers se partagent la solde. Le général Ly Seng Hong chargé de la démobilisation a été exécuté suite aux événements de 1997.
Le gouvernement envisagerait de réduire les effectifs de son armée de 148 000 à 55 000 hommes, ceux de la police de 64 000 à 24 000. Mais personne ne connaît exactement les effectifs actuels. Les FARC compteraient 10 000 colonels et une centaine de généraux. L’opération de dégraissage du « buffle » cambodgien est chiffrée à 154 millions de dollars. Chaque soldat a besoin de 1 200 dollars pour démissionner.
Selon Lao Moung Hay, directeur de l’institut khmer pour la démocratie, « les forces armées et les forces de polices sont les plus grands violateurs des droits de l’Homme au Cambodge ».
Le gouvernement cambodgien demande 40 millions de dollars étalés sur 5 ans pour financer environ 20 projets visant à réformer son administration dont les rôles comptent 163 248 personnes, sans compter ceux du ministère de la défense.
17 664 agents fantômes ont déjà été supprimés des rôles en l996 et 1998, mais 18 000 nouveaux fonctionnaires ont été recrutés suite aux arrangements politiques entre les partis. Dans la majorité des pays, les fonctionnaires représentent 0,8 % de la population. Au Cambodge ils en représentent 1,6 %.
L’octroi des aides suscite de nombreuses réactions. Dans un rapport de 40 pages, le Forum des ONG regroupant 222 d’entre elles travaillant au Cambodge demandent aux pays donateurs de ne pas accorder seulement de l’argent, mais de tenir compte des intérêts généraux du Cambodge dans leurs investissements : priorité aux développement des ressources humaines, renforcement du rôle de la loi, élimination de la pauvreté. Le rapport insiste sur la réforme de l’administration. Il souligne le fossé grandissant entre riches et pauvres, les villes et les campagnes, l’inégalité de l’accès à l’éducation et à la santé. Le Forum attire l’attention sur la démobilisation des 79 000 militaires et policiers, qui risque de transformer le pays « en plateforme du crime organisé en AsieLes ONG ont apporté 50 millions de dollars au Cambodge en 1998.
Un groupe de parlementaires américains fait pression pour que soient refusées les aides au gouvernement cambodgien dans lequel il n’a pas confianceLe Cambodge est le pays au monde le plus corrompu. Les seigneurs de guerre alliés au gouvernement pillent le bois, conduisent le pays vers la désertificatlon. Le régime attribue 40% de son budget annuel à l’armée, et seulement 2% à la santé publique
Sam Rainsy exprime son désarroi devant la volonté de Washington de restaurer son aide humanitaire en abandonnant les revendications concernant les fraudes durant les dernières élections, les violations des droits de l’homme et la corruption.
L’organisation de défense des Droits de Homme (Human Right Watch, HRW), basée à Washington, insiste auprès des pays donateurs pour qu’ils posent des conditions à leur aide : respect des droits de l’homme, jugement des Khmers rouges, mise en place d’un Etat de droit, neutralité des forces armées et de la police, indépendance du système judiciaire.
Le gouvernement cambodgien, pour sa part, prend des mesures pour séduire les pays donateurs : le 6 janvier, le Conseil des ministres établit un plan en 17 points pour supprimer l’exploitation illégale du bois. Le 27 janvier, 12 contrats couvrant une superficie de 2 millions d’hectares sont annulés, 371 scieries sont fermées en 7 provinces. Le 19 février, le conseil des ministres charge le ministère de l’environnement de combattre l’exploitation illégale du bois.
Beaucoup, dont Chhay Samith, directeur de la Conservation au ministère de l’environnement, pensent que de nombreuses installations clandestines continuent à fonctionner, notamment dans la province de Koh Kong .
Il reste encore 4,7 millions d’hectares accordés en concession. La Banque mondiale salue ce premier pas qui va dans la bonne direction. Selon ses recommandations, seulement 4 millions d’hectares de forêts peuvent être vendus, afin de préserver le patrimoine forestier du pays. Global Witness s’insurge, car selon l’organisation britannique, la plupart des concessions annulées sont déjà en partie coupées, l’une l’est totalement.
En décembre, un commando de 27 membres comprenant des policiers, militaires et fonctionnaires du ministère de l’environnement, ont saisi des tronçonneuses, des fusils et arrêté sept hommes en armes dans la province de Ratanakiri pour mettre fin à l’exploitation abusive de la forêt dans cette province.
Le 11 janvier, près de 800 m3 de bois sont saisis à Kien Svay, près de Phnom Penh, sur trois radeaux. Un des radeaux a été coulé. Quelques semaines plus tôt, 600 m3 ont été saisis dans la province de Stoeung Treng.
Thomas Hammarbrg visite la province de Ratanakiri et constate la déforestation « alarmante » de la province, « proche du désastre ».
En dépit de toutes les critiques, le groupe des pays donateurs accorde l’aide substantielle demandée par le gouvernement cambodgien, sans aucune condition ni vérification.
L’octroi des aides internationales
Avant même la tenue de la réunion du Groupe consultatif de Tokyo des 25 et 26 février, les aides financières continuent à pleuvoir sur le pays.
Suite à la visite officielle de Hun Sen en Malaisie, les 56 février, le ministre du commerce espère de nouveaux investissements malais, notamment la construction d’une usine d’assemblage de mobylettes. En 1998, 45% des investisseurs privés au Cambodge venaient de Malaisie, avec 447,3 millions de dollars de projets. Durant les 11 premiers mois de 1998, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à 46 millions de dollars, soit 33 millions d’exportations en provenance de la Malaisie, et 12 millions d’importations en provenance du Cambodge. En 1997, ces échanges s’élevaient à 85 millions.
Hun Sen se rend en visite officielle en Chine le 9 Février. Il s’engage à ne reconnaître qu’une seule Chine. « Taiwan est une province de la Chine, et le Cambodge ne maintiendra que des relations commerciales et économiques avec elle », déclare la télévision d’Etat cambodgienne. Hun Sen obtient la promesse de dons et prêts à faible intérêt d’un montant de 220 millions de dollars pour des projets de développement agricole et la création d’infrastructures. D’autres accords sont signés concernant l’extradition des citoyens des deux pays, la culture, le tourisme. La Chine contribuera pour 175 millions à l’effort de démobilisation de l’armée. Le 17 février, le gouvernement approuve ces projets de développement pour 157 millions de dollars, sur trois ans, spécialement pour réparer le système d’irrigation dans les provinces : 40 projets en 13 provinces, permettant l’irrigation de 558 621 hectares de rizières. « Si ces sont honorés, notre agriculture se développera très rapidement, dit le ministre des ressources en eaux. Un des projets soutenus par la Chine est la rénovation de la voie ferrée reliant Phnom Penh et son port de mer. Le 28 janvier, la Chine avait déjà accordé un don de près de 3 millions de dollars en matériel agricole.
Durant son voyage officiel en Chine, Hun Sen est qualifié de « vieil ami » par le président chinois. Il se considère luimême comme un « jardinier » qui a pris soin de « la fleur Cambodge »J’ai moi-même été le témoin de la renaissance de cette fleur, je ferai tous les efforts pour la protéger et en prendre soin ».
L’Union Européenne accorde 3,84 millions d’euros (4,5 millions de dollars) pour divers programmes humanitaires, par l’intermédiaire du Bureau humanitaire de la CE au Cambodge. La plus grande partie de cette aide sera versée pour les victimes de la guerre, spécialement pour la fabrication de prothèses.
Le Fond pour la protection des espèces sauvages et de la nature accorde un don de 110 000 dollars pour permettre de continuer son action jusqu’au 30 juin. Cette action consiste dans l’entraînement de 38 surveillants pour garder les 35 000 hectares du parc naturel de Kirirom, et les 332 500 hectares de Ratanakiri.
L’ambassade britannique a remis 16 375 dollars au Centre cambodgien pour les médias concernant les femmes, afin de réaliser une série télévisée pour valoriser le rôle de la femme dans le société khmère.
Durant la première semaine de février, le Japon annonce une aide de 264 000 dollars pour 5 projets de développement dans les domaines de la santé et de l’éducation.
L’Indonésie accorde également un don de 75 000 dollars pour la rénovation de la porte Est du Palais royal de Phnom Penh.
Le Cambodge fait partie de la « zone de solidarité priorité » définie par le France eu mois de février 1999.
Durant l’année 1998, le gouvernement cambodgien a approuvé des projets d’investissement s’élevant à 854 millions de dollars, soit 12,5% de plus qu’en 1997. Plus de la moitié de ces projets d’investissement concernent des usines de fabrication de vêtements. Les investissements internes s’élèvent à 248,2 millions. La Malaisie est en tête des investissements. Taiwan a investi pour 144 millions (soit 44 de plus qu’en 1997), et la Chine 112,5 millions (36 en 1997). La crise asiatique se manifeste par la chute des investissements sudcoréens qui passent de 189 millions à 4,5. Cependant, ces chiffres sont en partie un leurre: il faut noter que, depuis 1994, on avance officiellement que seuls 5096 des projets ont été réalisés, 35% seulement selon des diplomates asiatiques. Le Centre cambodgien pour le développement espère toutefois que pour 1999, 65 % des projets seront réalisés, les négociations avec les EtatsUnis concernant les quotas d’importation de vêtements ayant engendré un changement de climat.
II – LA SITUATION SOCIALE
Alimentation
En dépit de toutes les aides financières, les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Les crises sociales se développent, laissant présager une explosion à plus ou moins long terme, si aucun effort sérieux n’est entrepris pour plus de justice et d’égalité.
Globalement, la récolte de riz a été bonne, mais beaucoup de paysans continueront à vivre dans la pénurie, la récolte ayant servi à rembourser les emprunts contractés durant les trois dernières années de disette. Chaque année, le pays produit environ 2 millions de tonnes. mais doit faire appel â la générosité internationale ou en importer 50 000 pour faire la soudure, en octobre. La production est suffisante, mais aucun plan de stockage n’est prévu, ou les stocks sont dilapidés par des fonctionnaires sans scrupules.
Chaque nuit, plus de 20 tonnes de riz passent en contrebande en Thaïlande au poste frontière de Poïpet. 250 000 tonnes auraient été vendues illégalement en 1998. La plupart des trafiquants sont des membres des forces armées.
En 1998, le PAM (Programme Alimentaire Mondial) a nourri 1,7 million de Cambodgiens (près du 15ème de la population). En matière de nutrition, la situation est la pire de toute l’Asie du SudEst. Les conditions climatiques ne sont pas les seules en cause : le manque d’éducation élémentaire à la santé constitue un autre facteur. Le PAM décide d’accorder une aide de 41,2 mllions de dollars étalés sur deux ans, pour le redressement et la réhabilitation du Cambodge dans 20 provinces, spécialement par les programmes « Travail contre nourriture
Sam Rainsy a posé une question écrite au gouvernement sur le manque de nourriture et la misère au Cambodge, mais cette question, comme les deux précédentes, est restée sans réponse.
L’Australie fait un don de 3,1 millions de dollars au PAM pour aider les Cambodgiens durant l’année 1999
Le poisson se fait de plus en plus rare au Cambodge, suite aux mauvaises conditions climatiques, aux méfaits de la pêche a l’électricité, à la grenade, au chalut raclant les fonds du Tonlé Sap ou du Mékong. Le prix de cette denrée de base de la nourriture cambodgienne a beaucoup monté. On signale, de source officielle, qu’en 1998, 20 000 tonnes de poisson ont été exportées illégalement en Thaïlande, bien audessus des 2 000 autorisées par la loi.
En 1998, l’accroissement du PNB a été de zéro, alors qu’il était de 19 $ en 1997. L’inflation s’est élevée à 2 % en 1998, surtout en raison de l’augmentation du prix du riz, base de la nourriture khmère. Cependant le pourcentage des personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté est passé de 39 à 36%. Le Cambodge reste l’un des pays le plus pauvres d’Asie, avec un revenu par tête inférieur à 300 dollars par an.
Grève des instituteurs
Le 14 décembre, 144 instituteurs signent une pétition réclamant la revalorisation de leur salaire, exigeant qu’il passe d’un peu moins de 20 dollars actuellement, à 319 dollars, et annoncent leur volonté de se mettre en grève le 25 janvier si aucune réponse n’est apportée à leur revendication. « Nous n’avons vu aucune revalorisation de notre salaire depuis 5 ansse plaignentils. Les instituteurs sont au nombre de 78 000, dont 4 000 dans le primaire.
Généralement, du moins à Phnom Penh, les instituteurs réclament 200 riels (un peu moins de 30 centimes) à chaque élève chaque jour dans les petites classes, et 300 riels (environ 50 centimes) dans les plus hautes classes du primaire. Ils n’enseignent que quelques heures, mais donnent de plus des « cours » particuliers quotidiens pour lesquels ils demandent entre 200 et 400 riels, l’heure. Certains vendent des bonbons, des gâteaux dans les écoles, d’autres cultivent leur rizière. Ils vivent donc d’expédients, tandis que les enfants pauvres sont interdits d’accès à la scolarité, bon nombre de chefs de familles pauvres gagnant entre 8 à 10 FF par jour.
Les instituteurs se plaignent d’avoir perdu toute autorité auprès des élèves par de telles pratiques.
Le 18 janvier, le ministre de l’Education propose une augmentation de salaire de 30%, échelonnée sur les 5 ans à venir. Le 25 janvier, environ 1000 instituteurs se mettent en grève. Les autorités gouvernementales proposent d’augmenter leur salaire de 5 dollars par mois. Les instituteurs demandent si les députés qui servent le même Etat se satisferaient de leur salaire de misère. Le Conseil des ministres propose alors d’amputer de 70 % le salaire des députés pour payer les instituteurs. Mais ce voeu pieux n’est pas mis à exécution. « Nous ne voulons pas détruire les villas des députés, mais que le gouvernement nous construise des habitations convenables », disent les instituteurs. Sam Rainsy serait d’accord pour accorder un salaire de 100 dollars aux instituteurs. Pour les instituteurs, cette grève n’est pas politique, c’est une oeuvre de survie.
Devant le refus du gouvernement, les instituteurs abandonnent leurs revendications initiales et demandent de pouvoir faire un travail de recherche durant 8 heures par semaine pour lequel ils seraient payés 2,30 dollars de l’heure. Ils demandent également la réduction de leur temps de travail de 12 à 6 heures par semaine, et que le temps de préparation de leur cours soient rémunéré.
Le 22 février, par 40 voix contre 16, les instituteurs se prononcent pour la poursuite de la grève, qui a touché 12 provinces.
Les étudiants
Le 10 janvier, les anciens étudiants de l’Ecole Royale d’Administration (ERA) tiennent une conférence de presse pour dénoncer les problèmes auxquels ils sont confrontés à la sortie de l’école : en février 1998, le premier ministre Hun Sen leur avait promis un poste dans l’administration à la sortie de l’école. Or « ni les stages, ni les emplois ne sont satisfaisants », disent les diplômés. Il demandent au gouvernement de promulguer un décret leur accordant le statut de hautfonctionnaire, avec la possibilité de faire un stage adéquat et d’être payés à 90 % du salaire normal. Il se plaignent également de l’attribution des postes selon les allégeances politiques.
Le 12 janvier, 364 étudiants de l’université royale de Phnom Penh refusent de recevoir leur diplôme qui consacre 4 années d’études en sociologie. Ils protestent contre la création d’un concours en fin de 4ème année pour donner accès à 200 d’entre eux à un poste d’enseignant dans le secondaire. Ceux qui ne seront pas choisis par le concours seront affectés au primaire. Les étudiants obtiennent gain de cause.
Quelques 500 fonctionnaires du ministère des transports réclament une prime de départ de 1 800 dollars promise depuis deux ans. Ils travaillent à l’intérieur de ce ministère depuis 1979. Tout le matériel, d’origine soviétique a été vendu.
Nombre croissant des « gens sans terres »
Les ONG engagées dans le développement des zones rurales s’inquiètent du nombre grandissant de « gens sans terre ». En l’absence de système de sécurité sociale, les terres sont les seuls biens qui protègent beaucoup de la famine et permettent d’assurer les soins de santé. Plusieurs facteurs ont contribué depuis plusieurs années à la paupérisation croissante des campagnes: le coût très élevé du crédit rural (à un taux de 200 à 250% par an), la privatisation de zones autrefois propriétés communes (50% des eaux et des terres ont été privatisées au cours des six dernières années, et attribuées pour la plupart à des hauts fonctionnaires ou des officiers supérieurs), la loi foncière en vigueur, la mauvaise gestion des droits de propriété, les expropriations illégales. La population devrait doubler en vingt ans, et pour la première fois de son histoire, le Cambodge risque de faire face à une pénurie de terres cultivables.
L’Association cambodgienne de défense des droits de l’Homme (ADHOC) s’inquiète du nombre croissant de confiscations de terre par les militaires et les autorités locales, observées dans cinq provinces (Bantéay Méan Chhey, Battambang, Kompong Cham, Kompong Speu, Phnom Penh).
Le 22 décembre, un représentant de l’association qui défendait les paysans est assassiné dans la province de Phnom Praseth (Kandal). Un général, Mench Mann est accusé formellement d’exercer de multiples menaces à l’encontre des villageois dans la province de Kampot.
Le 6 janvier, le Premier ministre Hun Sen prend la défense des villageois de Kompong Cham lors d’une dispute concernant 1000 hectares de terres revendiqués par la société Kim Hap, exploitant une plantation de caoutchouc.
Le 10 janvier, 7 hommes armés forcent 150 familles habitant le long de la route nationale 5, prés de la frontière thaïlandaise à quitter leurs maisons.
Le 20 janvier. 44 villageois de Prak Poy, près de Mimot, protestent devant l’Assemblée nationale contre les militaires qui leur ont ordonné d’abandonner leur village le 9 janvier, et ont saisi les 450 hectares sur lesquelles vivent 450 familles, pour en faire des plantations.
Durant la même semaine, 70 paysans représentant 300 familles de la commune de Borey Chulasa, dans la province de Takéo, manifestent contre les gendarmes et militaires qui les ont empêchés proprede commencer leurs cultures de saison sèche, le 11 janvier. Dans 7 villages voisins, l’administration a procédé de même en spoliant près de 500 hectares.
Le 21 janvier, une délégation d’une cinquantaine de villageois de Trapéang Thmar, dans la province de Kampot viennent se plaindre à l’association ADHOC qu’un militaire de haut rang se soit emparé illégalement de 700 hectares de terres appartenant à 214 familles. « Les militaires brûlent les maisons, démontent les charrettes, 3 févrrécupèrent les titres de propriété et interdisent aux agriculteurs de venir cultiver les terres ».
Le 27 janvier, plus d’une centaine de personnes manifestent devant la cour provinciale de Battambang après un jugement réglant une histoire de terrain. Le procureur luimême reconnaît le bon droit des manifestants.
Le 1er février, des paysans de Bantay Méan Chhey manifestent devant l’Assemblée nationale contre les militaires qui les ont menacés, le 18 janvier, de les chasser des terres qu’ils ont eux-mêmes déminées.
Le 3 février, une centaine de paysans venant de Bavel, Ampil Pram Daeum et de Kdol, dans la province de Banteay Méan Chhey manifestent contre les militaires de la 6ème division, qui ont confisqué leurs terres pour les revendre à des commerçants.
Le 3 février, la cour de Konpong Speu commence une procédure contre le général Chum Tong Heng qui a émis un ordre écrit en date du 11 décembre pour expulser 110 familles de 103 hectares de terres au Phnom Srouch.
Le 5 février, 175 familles de Bavel, province de Battambang, manifestent contre la saisie de leurs terres par les soldats khmers rouges.
Le 10 février, les représentants de 130 familles de la région de Maung Russey dénoncent devant l’Assemblée nationale la confiscation de leurs terres et de leurs boeufs, accompagnée de menaces par les militaires.
Mouvements sociaux dans les usines de textiles
L’industrie textile continue à prospérer : on note 109 millions de dollars investis dans ce secteur durant l’année 1998, soit 85% du total des investissements. Sur 260 projets acceptés, seulement 110 ont été réalisés et fonctionnent.
Selon Seng Phally, directeur de l’Organisation Cambodgienne du travail, les conditions de travail se sont nettement détériorées depuis le mois de juillet 1997 : certains travailleurs sont contraints de travailler plus de 15 heures par jour, pour un salaire souvent inférieur à 40 dollars (240 FF), avec obligation de verser au moins l’équivalent d’un salaire pour être embauché, et des conditions de logement épouvantables en raison de la promiscuité. Ces déclarations ont pu être confirmées par l’auteur de ces lignes. On ne s’étonne donc pas du grand nombre de grèves et de mouvements sociaux survenus dans les deux mois précédant la visite de délégués syndicaux américains.
Le 1er janvier, plus de 300 ouvrières de l’usine Slendid Chance Ltd, manifestent dans les rues de Phnom Penh pour protester contre des violations du code du travail par leurs employeurs. Elle refusent d’être payées à la pièce, contrairement à leur contrat, ce qui conduirait un licenciement pur et simple sans indemnités lorsque l’employeur n’aura plus de travail. Elles travaillent 40 jours, mais ne sont payées que pour 30. Elles ont dû payer 20 à 30 dollars au chef (cambodgien) de la sécurité pour obtenir leur travail.
Le 9 janvier, plus de 1 200 ouvrières de l’usine taïwanaise Rooshing Factory se mettent en grève, à la suite des violences exercées contre un représentant syndical. Rémi Aufrère, conseiller technique à la dernière conférence internationale de l’Organisation Internationale du Travail, et syndicaliste spécialiste de l’Asie pour le syndicat français Force Ouvrière, intervient. « Nous avons évité l’émeute de justesse », ditil. Un accord en 13 points est signé le lendemain grâce à l’intervention d’Ou Mary, représentante du SlORC, et de Im khemara, représentant l’inspection générale du travail. La direction envisageait de 1icencier 500 grévistes.
Le 11 janvier, les ouvriers de l’usine Cambodia Garment entreprennent un mouvement de grève pour dénoncer les mauvaises conditions de travail, notamment l’abaissement de la rémunération des heures de travail.
Le même jour, 1 700 ouvrières de l’usine malaysienne PCSS Garment Ltd refusent de travailler, suite à une diminution du prix de leur heures supplémentaires.
Le 12 janvier, les 700 ouvriers de l’usine de confection Mumin Cambodian Garment se mettent en grève pour réclamer le paiement du salaire de décembre. Ils dénoncent également les mauvaises conditions de travail, les menaces de licenciement des grévistes, le travail obligatoire le dimanche sous peine de voir leur salaire amputé de 3 dollars (sur 40).
Le 8 février, 200 ouvrières d’une usine de confection manifestent devant les portes de leur usine, suite à une baisse de 20% de leur salaire.
Le 10 février, les 400 ouvriers de la Broad Land Cambodia Garment se mettent en grève après l’annonce par la direction de la suppression de la rémunération des heures supplémentaires. Trois journalistes de la radio France Asia et un membre du syndicat SIORC qui ont pénétré dans l’usine avec l’autorisation des gardiens sont séquestrés par le patron de l’usine.
Le 18 janvier, une délégation gouvernementale des EtatsUnis se rend au Cambodge pour négocier les quotas d’importation de vêtements manufacturés au Cambodge. Des syndicalistes américains sont du voyage et rencontrent leurs homologues cambodgiens. « Les conditions de travail dans les usines de textiles sont affolantes « , constate Philip Robertson du Centre Américain pour la Solidarité Internationale du Travail, branche du puissant syndicat AFLCLO : obligation de travail en heures supplémentaires, refus de les payer, abus sexuels, etc.
Au terme d’une négociation de deux jours, un accord est signé entre le ministère du Commerce et les responsables de l’administration américaine fixant des quotas pour 12 sortes de produits textiles; 4 produits ne sont pas limités. Du côté des affairistes cambodgiens, on crie victoire. Le gouvernement cambodgien s’engage à améliorer les conditions de travail des ouvrières. Les associations de professionnels américains qualifie l’accord de « déloyal », de « prématuré
Le gouvernement cambodgien exempte les usines de textiles de la TVA de 10% sur leurs importations, entraînant une perte sèche de 27 millions de dollars en revenus.
III – LES EVENEMENTS POLITIQUES
Le sénat
L’annonce de la création d’un sénat, ayant Chéa Sim comme président, avait débloqué la situation politique au mois de novembre dernier. Les trois derniers mois ont donné lieu a une polémique sur une telle création, d’autant plus que certains pays donneurs d’aides avaient conditionné leur aide à cette création.
Non sans quelque raison, Sam Rainsy s’interroge sur la création du sénat : « Avant même que ne soient connus les membres de cette institution censée représenter le peuple qui n’a jamais été consulté sur le sujet, on en connaît le président ! « . Selon Sam Rainsy et bon nombre d’ONG, le sénat sera un gouffre financier et une institution antidémocratique quant à la nomination de ses membres. Il considère que cette assemblée est, de plus, inutile et très dispendieuses des deniers de l’Etat.
Le roi propose qu’à l’exception de 6 personnalités nommées par luimême, l’ensemble des membres du Sénat soient élus par les différents corps de métiers et les groupes nationaux. La discussion de la création du Sénat à l’Assemblée est annulée par manque de quorum, spécialement à cause de l’absence de Ranariddh, son président, parti en « séjour privé en France ».
Le 17 février, à son retour de France où il est allé diriger quelques mémoires universitaires à la faculté d’Aix en Provence (cela suffit pour toucher un salaire français et conserver sa retraite), Ranariddh, président de l’Assemblée nationale se rend chez son père, le roi Sihanouk, sans doute pour l’entretenir de la création du sénat, bloquée par son absence. Il voudrait que le général Nhiek Bun Chhay, qui avait pris les armes contre Hun Sen en 1997, soit membre du sénat. Selon le prince, pour la première législature de 5 ans, les sénateurs seront nommés par les trois partis qui ont des sièges à l’Assemblée nationale, à l’exception de quatre nommés par le roi. Le lendemain, Hun Sen se rend également chez le roi, officiellement pour lui rendre compte de son voyage en Chine, mais sans doute pour parler également du sénat.
Les 2021 février, Ranariddh se rend à Bangkok pour y rencontrer le général Nhick Bun Chhay.
Les pays de l’ASEAN ne mettent plus la création du sénat comme condition nécessaire à l’entrée du Cambodge dans leur association. De même, les pays donneurs d’aides ne posent plus cette exigence.
Avant même la création du Sénat, le Japon a fourni 10 ordinateurs, 65 tables, une photocopieuse, un système de téléphone interne, 65 micros, pour une valeur globale de 66 065 dollars. La Chine a accordé 2,5 millions de dollars pour la rénovation de la salle de Chamcar Mon pour héberger le Sénat. Ce don fait partie d’un fond de 8,5 millions de dollars accordés en 1994, et dont le reste a été utilisé pour achat de véhicules et de deux petits avions par le gouvernement.
Changements dans l’appareil de l’Etat
Le 5 janvier, le premier ministre Hun Sen déclare se décharger du travail quotidien sur Sâr Kheng, vicepremier ministre, afin d’avoir plus de temps pour se consacrer « aux problèmes importants, aux problèmes stratégiques ». Beaucoup s’interrogent sur ce désistement de pouvoir. Certains y voient une manoeuvre pour rendre Sâr Kheng, grand rival de Hun Sen, responsable en cas d’échec. Le 8 janvier, le comité central du PPC déclare que Hun Sen reste chargé de la politique, de l’économie et de la défense du pays, et que Sâr Kheng est responsable du social, de l’environnement et de la sécurité intérieure. Ainsi Sâr Kheng remplira environ 60% du travail de premier ministre.
Un mouvement de gouverneurs, spécialement de ceux qui ont défrayé la chronique pour leur corruption, est annoncé. C’est en réalité un marchandage entre les partis pour se partager la part du gâteau. A la fin février, les changements ne sont pas encore effectifs.
Le 5 février, 5 nouveaux ministères sont créés : le secrétariat aux affaires sociales et de l’emploi, celui de la condition féminine sont élevés au rang de ministère. Trois nouveaux sont créés: celui des relations avec le parlement, la ministère de l’urbanisation et de la construction, le ministère des ressources en eaux. Le même jour, le conseil des ministres approuve l’accord sur le bannissement des essais nucléaires dans le pays.
Des projets sont lancés pour tenir des élections communales dans les 1 632 communes du pays à la fin de cette année. Sâr Kheng, ministre de l’Intérieur, décide de nommer des secrétaires de mairie pour 5 ans, travaillant indépendamment de la Commission nationale des élections (CNE) afin de garder les archives de la commune. Beaucoup voient dans cette nomination le verrouillage politique du pays. Le gouvernement cherche une aide internationale (toujours) de 20 millions de dollars, pour financer ces élections.
Le 6 janvier, Nguon Soeur est nommé secrétaire général adjoint de l’Autorité nationale cambodgienne de lutte contre la drogue, Tep Darong en est nommé le secrétaire général,
Selon le Roi Sihanouk, 132 postes ministériels de conseillers, ministres, secrétaires d’Etat ou soussecrétaires d’Etat se partagent déjà « le gâteau cambodgien ». « Ce peuple a déjà choisi 122 députés qui sont grassement payés et dotés d’autres privilèges »
Le 25 janvier, Hun Sen démissionne de son poste de chef suprême des armées au profit du général Ke Kim An, commandant en chef. Il voudrait que cette démission soit interprétée comme une véritable réforme politique, instituant un nouveau rapport entre le gouvernement et les forces armées, marquée du sceau de la neutralité. Hun Sen s’engage à utiliser son temps et son énergie au service du développement économique et à la lutte contre la pauvreté.
Les khmers rouges en question
L’accueil quasi triomphal de Nuon Chéa, numéro deux et idéologue du régime khmer rouge, ainsi que de Khieu Samphan, ancien président du Presidium de l’Etat du Kampuchéa Démocratique, puis premier ministre, le 25 décembre dernier, par le premier ministre Hun Sen, a déclenché une vague de protestations de la part des étrangers – très peu de la part des Khmers. Ce traitement a choqué beaucoup d’occidentaux, mais il s’inscrit dans la culture khmère.
Hun Sen reçoit en grande pompe ses ennemis vaincus, qui viennent faire allégeance, suivant la tradition des monarques khmers. Ils se rendent à Angkor pour se replonger dans la source spirituelle de la nation, avant de regagner Païlin, fief des Khmers rouges. Selon la tradition de résolution des conflits à la khmère, les Khmers rouges se voient, de fait, attribuer la province de Païlin, comme jadis l’issarak Dap Chhuen, s’était vu attribuer la province de Siemréap par le prince Sihanouk. Hun Sen semble avoir agi pour l’opinion intérieure cambodgienne, en se présentant comme le nouveau père de la nation, celui qui a réconcilié les parties en présence. Il se rend tardivement compte de l’opinion internationale qui s’insurge. Pour se défendre, non sans raison, il conseille la tenue d’un procès incluant tous les partenaires du conflit de 1970 jusqu’à 1999, donc les Etats Unis, la Chine, la Thaïlande. Cette suggestion porte en ellemême l’impossibilité de sa réalisation.
Les deux chefs khmers rouges s’excusent du bout des lèvres: « Je suis désolé », dit Khieu Samphan. « Désolé de ce que tant d’hommes et d’animaux aient souffert »‘ renchérit Nuon Chea, phrase qui scandalise les étrangers, mais normale pour un bouddhiste pour qui les animaux sont « êtres animés », frères des humains.
Le 30 décembre, la France et la Grande Bretagne font savoir qu’elles pèseront de tout leur poids pour traîner Khieu Samphan et Nuon Chéa devant un tribunal international. La Russie rejoindra ces deux pays quelques jours plus tard. Pour la Chine, c’est une affaire interne au peuple cambodgien.
Le prince Ranariddh, qui, il y a deux ans, négociait avec Khieu Samphan, se déclare favorable à la tenue d’un tribunal international pour juger les chefs khmers rouges, qui pourront être amnistiés par la suite (comme luimême). Le roi Sihanouk annonce qu’il n’accordera jamais d’amnistie aux anciens chefs khmers rouges. Le 31 décembre, un groupe de 17 ONG diffusent une déclaration demandant au gouvernement cambodgien de collaborer aux efforts de l’ONU pour traîner les Khmers rouges devant un tribunal international.
Le 1er janvier, Hun Sen révèle que la Thaïlande, qui niait héberger les chefs khmers rouges sur son sol, les a livrés au Cambodge, à condition que le gouvernement cambodgien accepte de les intégrer dans la société. Dans un communiqué de 6 pages, il accuse la communauté internationale d’hypocrisie pour être restée silencieuse pendant près de 20 ans. Il accuse l’ONU de les avoir reconnus de 1979 à 1991. Il soutiendra les efforts de la communauté internationale pour un futur jugement, mais pour l’instant, la priorité est accordée à la paix et à la réconciliation. Lors des Accords de Paris, la communauté internationale a reconnu les Khmers rougesA l’époque, qui a demandé que les Khmers rouges soient jugés? Il laisse entendre que Ta Mok est hébergé en Thaïlande, ce que les autorités thaïlandaise démentent avec vigueur. La Thaïlande s’oppose à ce qu’un éventuel procès s’étende en dehors de la période khmère rouge. On en comprend aisément les raisons.
Le 3 janvier, le Roi Sihanouk annonce qu’il renoncera à l’immunité royale et constitutionnelle pour paraître devant un tribunal international, même s’il n’y est pas convoqué. Heng Samrin, président honoraire du PPC et vice président de l’Assemblée nationale, se déclare opposé au tribunal.
Les Khmers rouges font du chantage à la guerre civile. Le 6 janvier, Khem Nguon, ancien chef d’étatmajor khmer rouge, rallié en décembre 1998, menace de reprendre la guerre si l’on essaye d’arrêter ses pairs. Selon lui, seul Pol Pot est responsable des massacres. Le même jour, le gouvernement cambodgien fait savoir qu’il n’entreprendra aucune opération militaire pour arrêter les chefs khmers rouges qui demeurent dans la province de Pailin. Y Chien, le véritable homme fort de Païlin, pense que les Cambodgiens n’ont pas besoin d’un procès, « qui entraînera à nouveau la guerre. Cela fait des années que les étrangers utilisent ce langageI1 menace de reprendre les armes en cas de jugement de ses anciens chefs. leng Sary, pour sa part, affirme n’avoir aucun remords « Je ne savais pas ». Des 6 membres du Comité Central du Kampuchéa Démocratique, 4 vivent à Pailin : Nuon Chéa, Khieu Samphan, Khieu Thirith.
La menace khmère rouge semble relever du chantage : s’ils détiennent encore une capacité de nuisance réelle, les khmers rouges ne peuvent se relancer dans une guerre à grande échelle sans appui de la Chine et de la Thaïlande. Ils peuvent, certes, mobiliser leurs troupes intégrées dans l’armée cambodgienne. Cette menace sert Hun Sen, si bien que certains se demandent quelle est son intention politique profonde. Il a renoué avec la Chine et s’appuie sur ses anciens camarades soutenus par la Chine, semblant ainsi défier l’Occident, si chatouilleux sur les droits de l’homme.
Païlin reste une zone effectivement autonome qui abrite une division de soldats khmers rouges portant les uniformes des FARC, et qui ne paie aucun impôt à Phnom Penh. Dans cette province riche en bois et en pierres précieuse, facile à défendre, sont réunis tous les chefs Khmers rouges. En cas de difficulté avec Phnom Penh, les divisions khmères rouges pourraient à nouveau faire sécession. Mais ils possèdent peu d’artillerie et peu de munitions. La région de Samlaut, dans laquelle Iem Phan est retourné à la rébellion après les événements de 1997 en fournit un exemple. Trois sociétés américaines ont obtenu un accord d’Y Chhien pour exploiter les mines : Qualshan Corp, Aikaf International Corp, Coal Creek Exchange and Trucking. Elles ont versé 5 millions de dollars.
Pour la première fois, la presse vietnamienne demande que les chefs khmers rouges soient traduits en justice pour leurs atrocités, et spécialement pour avoir tué des Vietnamiens. Jusqu’alors, le premier ministre vietnamien traitait l’affaire de purement interne au Cambodge.
La fête du 7 janvier, marquant la fin du régime khmer rouge, est célébrée dans une relative discrétion par les dignitaires du régime: « Célébrer le renversement du régime Khmer rouge, et dans le même temps, embrasser les responsables du régime est pour le moins curieux, » observe un diplomate occidental. Pour la première fois, les anciens khmers rouges de Païlin organisent une petite cérémonie pour le 7 janvier, célébrant leur défaite. Ubu s’y retrouveraitil ?
Le 7 janvier, le président Jacques Chirac estime que « le temps de l’impunité pour les auteurs de crimes contre l’humanité ou de génocides, tels que ceux perpétrés au Cambodge ou au Rwanda est révoluLe 9 janvier, Thomas Hammerberg, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’application des droits de l’homme au Cambodge, déclare que toute procédure légale contre les chefs khmers rouge doit inclure leur punition. Il s’oppose par là à l’opinion de certains qui voudraient instituer une commission « vérité et réconciliation » du type sudafricain.
Le 13 janvier, Sam Rainsy et 15 députés de son parti posent une question écrite au gouvernement sur l’accueil des Khmers rouges, qui viole la loi votée en 1994, mettant les Khmers rouges horslaloi, et contre laquelle s’était alors insurgé Sam Rainsy’
Le 21 janvier, Hun Sen demande officiellement à l’ONU de faire le procès exhaustif des Khmers rouges durant les 30 dernières années. Thomas Hammerberg qui reçoit la demande, prend acte, mais déclare que les Nations Unies se baseront sur la lettre écrite par les deux copremiers ministres en juin 1996, demandant un procès des Khmers rouges sur les crimes commis durant la période de 19751979.
Deux fois de suite, un groupe d’étudiants, le « Mouvement des étudiants pour la démocratie », dirigé par Saro Sivutha, meneur des manifestations d’octobre dernier, n’a pas été autorisé à manifester pour demander la comparution de Khieu Samphan et de Nuon Chéa devant un tribunal international, par crainte de causer des troubles publics. Le 20 février, les étudiants ont annulé leur manifestation pour éviter toute effusion de sang.
Pour beaucoup de Khmers, le problème essentiel est de manger « On a de quoi le matin, on n’a rien le soir », dit le proverbe cambodgien. « S’il faut se mettre à juger, ce sont tous les chefs qu’il conviendrait de juger », dit un ancien khmer rouge, « d’abord Ieng Sary, Nuon Chéa, Ta Mok, Kè Pauk ». Khieu Samphan ne vient pas aux premier rang, il incarne encore pour beaucoup l’honnêteté du député qui défendait les pauvres, qui se rendait à l’Assemblée nationale à bicyclettePuis tous les petits chefs locaux, puis Hun Sen et la plupart des gens au pouvoir ». Pour les jeunes, tout cela est de l’histoire ancienne, comme, pour beaucoup de lecteurs, la boucherie de Verdun.
Selon le réflexe habituel khmer, on ne s’oppose pas à ce que les Occidentaux se chargent de cette besogne.
Le 5 février, en visite officielle à Kuala Lumpur, le premier ministre Hun Sen affirme que la tenue d’un tribunal contre les Khmers rouges entraînerait la guerre : « Si la guerre éclate, qui sera responsable s’interrogetil. « Quand nous faisons la guerre, nous sommes critiqués. Quand nous faisons la réconciliation, nous devons faire face au tribunal », ditil encore. Le roi Sihanouk estime pour sa part qu’il est préférable de consacrer l’argent destiné à un procès à des projets de développement.
Les trois experts de l’ONU dépêchés à Phnom Penh en novembre 1998 pour évaluer la possibilité d’établir un tribunal international pour juger les Khmers rouges (l’Australien Sir Nimian Stephen, l’ancien chef de la justice de l’Ile Maurice, Rajsoomer Lallah et l’Américain Steven Ratner) devaient rendre leur rapport au mois de janvier. A la fin du mois de février, ce rapport n’est toujours pas rendu public, manifestant ainsi la complexité de la question.
Intégration des Khmers rouges dans les FARC
L’intégration des soldats Khmers rouges est moins connue, mais porte en elle plus de dangers potentiels que l’attitude des dirigeants du pays face au anciens chefs khmers rouges.
Le 8 février, pour la seconde fois, les 4 836 soldats khmers rouges de la région de Samlaut sont intégrés dans les FARC, sous la direction de leur commandant Iem Phan. Ces troupes s’étaient ralliées en 1996, avec leng Sary, puis étaient à nouveau entrées en rébellion, suite au coup d’Etat de 1997. Durant la même cérémonie, 94 généraux sont promus, dont sept anciens chefs khmers rouges parmi lesquels Iem Phan, Ke Pauk, l’assassin de plusieurs centaines de milliers de Khmers en 1977. « Leur donner un poste, ne signifie pas leur pardonner », dit Khieu Kanharith, porteparole du gouvernement. Youk Chhang,
directeur du centre de documentation sur les crimes Khmers rouges, voit dans ces promotions un marchandage pour obtenir la paix. Par contre, deux des principaux chefs de la rébellion royaliste contre Hun Sen de 1997, Lay Virak et Long Seroyrath, sont réintégrés dans les FARC, mais ils ne reçoivent pas de commandement.
Le 9 février, 1 700 soldats khmers rouges de la faction dure d’Ankong Veng sont intégrés dans l’armée. Selon Sisiwath Sirirath, coministre de la Défense, l’intégration de ces soldats avec tout leur encadrement, peut faire craindre une scission ultérieure.
Le 12 février, 147 khmers rouges sont intégrés dans les FARC. Leur chef, Ta Them, appelé également « Thak » reconnaît que son unité s’est rendue coupable du massacre de 22 civils, le 18 avril 1998, à Kompong Chhnang.
D’anciens officiers royalistes recrutent des soldats afin de les présenter à la démobilisation et toucher ainsi des primes. Neuf d’entre eux sont arrêtes à Kratié les 15 et 28 janvier. Durant la première semaine de février, 120 soldats du FUNCINPEC ont tenté de rejoindre les FARC. En janvier, huit officiers de la résistance monarchique sont internés à Kompong Chhnang pour le même motif.
Sam Rainsy pose une question écrite au gouvernement : « Comment se faitil qu’en 1996 le gouvernement déclarait que les forces khmères rouges n’étaient que 5 à 6 000 hommes, et qu’il procède actuellement à la réintégration de dizaines de milliers ? Certains vendent à d’autres la possibilité de devenir militaire pour 200 dollars. Les acheteurs espèrent toucher 1 200 dollars dans le cadre du plan de démobilisation financé par l’aide internationale.
Les réfugiés
Au début du mois de janvier, le Haut Commissariat de 1’ONU pour les réfugiés a rendu publique une déclaration révélant que les agents de Ta Mok, seul chef khmer rouge encore en liberté, se rendaient régulièrement dans les camps de réfugiés pour y recruter des soldats. La chose était connue de tous, mais l’UNHCR, dans sa courageuse prudence, n’osait la rendre publique. L’UNHCR craignait que les pays donateurs ne cessent leur aide pour ne pas être accusés de venir au secours des Khmers rouges
Les quelques 30 000 réfugiés en Thaïlande après le coup d’Etat de juillet 1997 commencent à regagner leur patrie. Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) s’est engagé à verser 42 millions de dollars pendant les deux prochaines années pour couvrir les frais de leur réintégration et le développement de la région de Samlaut, dont la population s’élève à environ 52 000 personnes.