Eglises d'Asie

NAISSANCE D’UN MOUVEMENT DE TRAVAILLEURS CHRETIENS

Publié le 18/03/2010




La participation de trois jeunes prêtres pakistanais à la session des aumôniers organisée au Sri Lanka en février 1998 par la Coordination du Mouvement mondial des travailleurs chrétiens de l’Asie du Sud (MMTC), puis la participation de deux Pakistanais (1 laïc et 1 prêtre) au Séminaire régional de Dacca au Bangladesh en octobre 1998, ont permis le démarrage d’un Mouvement de travailleurs chrétiens au Pakistan.

La situation de conflit ouvert entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire a porté le Pakistan sur le devant de la scène internationale en 1998. Suite à l’explosion d’une bombe atomique indienne le 11 mai 1998, le Pakistan répliquait en faisant à son tour exploser plusieurs bombes atomiques de forte puissance, quelques semaines plus tard, au milieu de l’euphorie populaire. Aujourd’hui, la tension est retombée, de même que l’euphorie. Une certaine prise de conscience du grave danger que pouvait représenter une telle escalade s’est faite des deux côtés de la frontière. Par ailleurs, le coût économique et social exorbitant d’un tel programme nucléaire, dans un pays essoufflé et au bord du dépôt de bilan, conduit maintenant beaucoup de Pakistanais à s’interroger sur l’opportunité de poursuivre un tel programme. L’heure est à une certaine détente. Et des espoirs de rapprochement sont en train de naître avec la timide ouverture des frontières qui a suivi la rencontre des premiers ministres des 2 pays à la fin du mois de février 1999. Au début mai 1998, un autre événement a attiré l’attention de la communauté internationale sur la situation catastrophique des droits de l’homme au Pakistan, et, en particulier, sur les injustices dont sont victimes les minorités religieuses de ce pays et les femmes: il s’agit du sacrifice de l’évêque John Joseph du diocèse de Faisalabad. Mgr John Joseph était un inlassable défenseur des droits des minorités. Son sacrifice a laissé la communauté chrétienne désemparée.

Un Etat féodal et esclavagiste

Au Pakistan, la démocratie n’est qu’une caricature et l’alternance au pouvoir ne peut représenter aucun espoir de changement, car les deux principaux partis sont dominés par les grands propriétaires qui ont accaparé le pouvoir et la plus grande partie des richesses du pays. La législation sociale, qui pourrait garantir une certaine équité, n’est pas appliquée, et la population, en grande majorité illettrée (plus de 70%), n’a guère les moyens de la faire appliquer. Ceux qui osent élever le ton risquent de se retrouver dans les geôles que certains grands propriétaires ont aménagées en toute impunité pour leurs ouvriers récalcitrants, ou pourraient perdre leur emploi déjà mal rémunéré et se retrouver dans la plus grande détresse.

Beaucoup de travailleurs sont de véritables esclaves (bonded labour). C’est le cas en particulier des travailleurs des briqueteries (brick kilns) très nombreuses dans ce pays. Ils sont tellement endettés – parfois depuis des générations -qu’ils n’ont pas droit à la liberté; et tout est fait pour qu’ils ne puissent jamais la retrouver. Par exemple, la somme de travail qu’ils doivent quotidiennement effectuer est telle que toute la famille est mobilisée pour la fabrication des briques (femmes et enfants), alors que seul le chef de famille reçoit un maigre salaire. Il n’est même pas question pour les enfants d’avoir accès à l’éducation. Or, 80% des travailleurs des briqueteries sont des chrétiens. Cela fait toucher du doigt la ségrégation qui existe à l’égard des minorités religieuses dans un tel système à majorité islamique.

Ce système existe aussi dans de grandes propriétés agricoles. Là, bien souvent, les gens ne reçoivent pas de salaire, mais sont simplement payés en nature. D’autres ne sont payés qu’au moment de la récolte.

Ségrégation dans le travail et le logement

– Le travail

Les travaux sales et dangereux sont généralement attribués aux travailleurs chrétiens : ils semblent même leur être réservés. La majorité des chrétiens sont des « sanitary workers« . Ce terme désigne tous ceux qui sont employés à des travaux de nettoyage: nettoyage des rues, des égouts, vidange, etc. Il englobe aussi les femmes de ménage et les employées de maison.

Ce sont des travaux extrêmement durs dans un pays comme le Pakistan où la saleté est omniprésente dans les villes, une part importante du transport urbain etant effectuée par des attelages de chevaux, d’ânes ou de chameaux. Il n’existe aucune mécanisation permettant d’effectuer ces travaux de nettoyage avec rapidité et confort. Ce sont aussi des travaux dangereux à cause de la circulation dense et anarchique, ou des émanations de gaz dans les égouts. Les accidents, quelquefois mortels, dont sont victimes les « sanitory  » sont nombreux. De plus, ces travaux sont mal rémunérés. Le simple fait que ce travail soit effectué par des non-musulmans est suffisant pour qu’il soit plus mal rémunéré.

Les autres secteurs principaux où l’on trouve les travailleurs chrétiens sont les briqueteries, l’agriculture, les tanneries, le travail du bois (fabrication de cageots en bois pour transporter des légumes ou des fruits).

Il existe bien sûr des chrétiens qui travaillent dans d’autres secteurs, à la fois comme ouvriers, ou bien comme enseignants, par exemple. Mais leur situation est toujours précaire, car les pressions sont fortes pour que des musulmans soient employés à leur place.

– Le logement

La ségrégation se manifeste aussi dans le logement et l’école. La plupart des chrétiens vivent dans des quartiers qui leur sont réservés. Ils sont souvent logés dans de véritables taudis, car les autorités refusent d’effectuer les travaux indispensables. Or, ces mêmes autorités font aussi des difficultés pour que les chrétiens deviennent propriétaires de leur propre logement. La priorité revient toujours aux musulmans, y compris à l’école. Certaines écoles refusent d’accueillir les chrétiens.

– Un rêve

Le grand rêve des chrétiens est de pouvoir travailler leurs propres terres, ou bien de travailler chez d’autres chrétiens, ou encore posséder leur propre maison. Autant de situations dans lesquelles ils ressentent une certaine sécurité qu’ils ne peuvent jamais trouver chez les musulmans. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas d’amis musulmans; mais ces derniers sont eux-mêmes soumis à des pressions de la part de leur milieu religieux s’ils se montrent favorables à des chrétiens.

Le Mouvement de travailleurs chrétiens au Pakistan

Dans un tel contexte, l’émergence d’un Mouvement de travailleurs chrétiens apparait d’une grande importance. C’est à Toba Tek Singh (diocèse de Faisalabad) qu’il a pris naissance en 1998. Déjà, plusieurs groupes se sont formés, composés à la fois d’hommes et de femmes. Ils englobent des « sanitary workersmais aussi des enseignants et des travailleurs sociaux. Un groupe est constitué uniquement de travailleurs du bois (fabrique de cageots). Pour l’instant, uniquement des chrétiens en sont membres, mais les groupes se veulent aussi ouverts aux musulmans. Ils ont conscience qu’il est essentiel pour eux de développer la solidarité avec les musulmans pour que leur propre situation puisse s’améliorer.

Il est remarquable de voir comment l’existence du mouvement a déjà libéré la parole. Les travailleurs chrétiens ont appris à exprimer leurs problèmes et besoins. Ils recherchent ensemble des solutions à leurs propres problèmes et travaillent résolument à l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. La solidarité est en marche.

Le 4 mars 1999, a eu lieu la première session de formation de responsables des différentes équipes. Une quinzaine de personnes y ont participé. Ce fut une très riche expérience. Tous espèrent maintenant que le Mouvement de travailleurs chrétiens va se développer dans les autres paroisses du diocèse.

Dans le diocèse de Lahore, le Mouvement a aussi démarré, en particulier dans la paroisse de Kasur parmi les travailleurs des tanneries. Les membres du Mouvement des travailleurs chrétiens au Pakistan sont heureux de se sentir en lien avec leurs frères et soeurs des autres pays et continents.