Eglises d'Asie

LE MALAISE DU BOUDDHISME THAÏLANDAIS

Publié le 18/03/2010




Ces dix dernières années, la presse a publié beaucoup d’articles sur les scandales du bouddhisme thaïlandais, le dernier et le plus grave concernant l’abbé controversé, Phra Dhammachayo, qui est accusé de détournement de fonds et de propagation de doctrines hérétiques. Le scandale né autour de son luxueux temple, Dhammakaya, pose un sérieux défi à la Sangha thaïlandaise (l’institution monastique officielle), elle-même déjà en crise. Alors que toute l’attention se concentre sur une inquiétude justifiée concernant le bouddhisme thaïlandais, on oublie une compréhension plus en profondeur des choses. Atteindre une compréhension – selon l’enseignement de Bouddha des quatre Nobles Vérités – requiert trois dimensions additionnelles : une analyse des causes du problème, une claire vision de ce que la Sangha devrait être, et une stratégie réaliste pour la mise en oeuvre de cette vision.

La compréhension incomplète est symptomatique de la société thaïlandaise aujourd’hui. Aucun des acteurs importants concernés – hommes politiques, intellectuels, hommes d’affaires, et moines dirigeants – ne sait comment les choses en sont arrivées là, et comment on peut en sortir. Personne n’est prêt à admettre que la noble institution du bouddhisme thaïlandais est en train de mourir d’un cancer inconnu. Le patient comme les prétendus médecins en sont encore au stade du refus. A cela, il y a plusieurs causes qui s’interpénétrent. Elles incluent :

* L’interférence et la domination gouvernementales : la cause majeure de la faiblesse de la Sangha est le contrôle agressif exercé par les gouvernements thaïlandais, particulièrement ceux qui étaient violents et corrompus, depuis la deuxième guerre mondiale. Les moines ont appris la passivité et la peur. Ne vivant plus en symbiose avec les habitants des villages, ils sont tombés sous le contrôle des riches, des hommes politiques et des hauts fonctionnaires.

* Le féodalisme : la hiérarchie monastique continue de s’accrocher à une structure féodale dépendante elle-même d’une culture rurale en voie de disparition rapide. Elle ne reflète pas les réalités et les aspirations du peuple thaïlandais aujourd’hui, y compris celles de la majorité des moines.

* La bureaucratisation : L’imposition d’une structure de pouvoir qui vient d’en haut par des maréchaux a rendu les moines dépendants, incapables de penser et d’agir par eux-mêmes de manière responsable. Ils ne savent plus qu’attendre des ordres.

* Un sexisme patriarcal : la hiérarchie est une gérontocratie qui n’a toujours pas pris position sur le fléau de la prostitution et refuse de considérer la possibilité d’ordonner des nonnes. Les femmes qui pensent ne trouvent pas grand-chose dans la Sangha qui puisse les inspirer et les guider.

* L’autoritarisme et la lâcheté : refusant ou incapables de quitter les conditions confortables qui leur sont faites par les riches et les puissants, les moines responsables se contentent de transmettre les ordres – généralement donnés par le gouvernement – plutôt que de travailler avec les jeunes générations et la majorité des moines qui vivent à la campagne.

* Une absence de techniques d’organisation : leurs positions ont été obtenues en mémorisant la grammaire pali (et non les textes et les enseignements eux-mêmes) et en travaillant dans le système de patronage de la Sangha. Les techniques d’administration sont rarement développées dans ce processus.

* Une éducation démodée : on s’accroche aux réformes du début du siècle en les considérant comme intouchables. Des réformes subséquentes datant de la première période démocratique (après 1932) ont été balayées par les dictateurs militaires. Les moines dirigeants ne peuvent pas comprendre et craignent tout nouveau système qu’ils ne sont pas en mesure de contrôler. Ainsi, l’éducation monastique se traîne loin derrière le système profane, pourtant lui aussi très faible.

* La monétarisation : l’argent en est arrivé à jouer un rôle central à tous les niveaux de la Sangha et ce processus a amené une corruption massive. A l’origine, les moines de Bouddha ne s’adonnaient qu’au troc entre eux. Même s’il reste aujourd’hui des moines « stricts » qui refusent de toucher à l’argent, quelques-uns d’entre eux possèdent des comptes en banque bien fournis. Ceci n’est pas considéré comme de l’hypocrisie. Il n’y a pas eu de tentative officielle de résoudre cette contradiction.

Le vénérable Dharmapitaka, le principal savant bouddhiste thaïlandais de sa génération, a montré comment l’argent avait remplacé la « bonté » (punya ou mérite) comme instrument de médiation entre les moines et les laïcs. Les laïcs font aux moines des dons d’argent qui sont autant d’investissements, comme les promoteurs d’un temple qui peuvent être récompensés par de bons profits sur des ventes de terrains, ou les hommes politiques qui utilisent les moines pour être réélus et avoir ainsi accès à d’importants budgets.

Les moines dirigeants sont complètement piégés dans ce système. Pour que quelques-uns d’entre eux viennent psalmodier à l’enterrement de votre père, vous devez vous préparer à donner de l’argent; votre secrétaire s’informera discrètement de la somme nécessaire. Un certain nombre de positions peuvent être achetées. L’argent étant devenu la valeur suprême de la Sangha, les valeurs spirituelles telles que le Bouddha, le Dhamma (loi naturelle), la vérité, la sagesse et la compassion sont dévaluées. Il n’est pas juste de mettre toute la responsabilité de cette situation sur les moines dirigeants. D’une certaine manière, ils sont autant victimes que coupables. A noter aussi que ces faiblesses affligent les religions dans le monde entier et ne sont pas uniques à la Thaïlande.

Y a-t-il de l’espoir ? Des graines d’espérance – encore faibles et manquant de soutien – existent parmi les « moines pour le développement », actifs dans les problèmes de leurs villages et dans l’écologie; là où la tradition monacale de la forêt demeure relativement forte; parmi les quelques moines à la compétence intellectuelle forte, et dans une nouvelle génération de moines et de nonnes qui ne se laissent pas leurrer par la société de consommation tout en en comprenant les mécanismes. Si la direction, gériatrique et gâtée, acceptait de prendre sa retraite (à leur âge avancé, ces moines responsables méritent respect et compassion), et si les hommes politiques et les bureaucrates cessaient de manipuler le bouddhisme au service de leurs petits intérêts, ces graines pourraient germer et croître pour construire une institution qui soit à nouveau pertinente dans la vie des Thaïlandais.