Eglises d'Asie

UN APPEL DE L’EGLISE « CLANDESTINE » DE CHINE

Publié le 18/03/2010




Avant-propos

Les dépêches de différentes agences de presse étrangères annoncent qu’un important pas en avant a été franchi dans les négociations secrètes entre le gouvernement communiste chinois et le Vatican. Selon ces informations, les négociations entre le gouvernement communiste et le Vatican ont été normalisées et peuvent maintenant aller de l’avant. Cependant, aucun calendrier pour un éventuel rétablissement des relations diplomatiques n’a été fixé, étant donné que, sur certains problèmes, les deux parties sont encore divisées.

Alors que ces négociations progressent, des membres importants de l’Eglise « souterraine » en Chine se préparent à un éventuel changement dans les relations entre le gouvernement chinois et le Vatican. Ils espèrent sincèrement que Mgr [ClaudioMaria] Celli du secrétariat d’Etat au Vatican écoute, reçoit, analyse et discerne les espoirs et les aspirations de l’Eglise « souterraine » en Chine continentale.

Premièrement, l’Eglise « clandestine » en Chine est extrêmement reconnaissante envers le pape qui a toujours montré un profond respect et amour pour l’Eglise chinoise. Nous sommes pleinement conscients que, sur un plan religieux, le but de la normalisation des relations avec le gouvernement chinois est :

de promouvoir en Chine une liberté religieuse vraie, complète et inviolée ;

de sauvegarder l’unité de l’Eglise, son gouvernement, ainsi que le soin pastoral des douze millions de catholiques en Chine ;

de donner l’assurance aux croyants qu’ils jouiront d’une vraie liberté religieuse dans leurs activités et qu’ils vivront leurs vies religieuses sans ingérence extérieure.

Nous, catholiques chinois qui avons vécu en Chine ces cinquante dernières années, avons personnellement vu, expérimenté et compris tout ce qui s’est passé ici. Ce qui suit est une brève présentation de ces événements au cours de ces années.

De 1949, date à laquelle les communistes prennent le pouvoir, à 1955, l’Eglise catholique chinoise a enduré toutes sortes de restrictions et de persécutions. Le gouvernement communiste a confisqué les écoles, les hôpitaux et les orphelinats de l’Eglise. Il a interdit la publication de périodiques catholiques tels que le Magazine catholique, le Bulletin du SacréCour et le Mensuel eucharistique. Ils ont expulsé les évêques étrangers (tous nommés par le pape). En 1951, ils ont également expulsé le délégué du pape en Chine, Mgr Ribéri. Cependant, les évêques chinois autochtones (également nommés par le pape) ont été en mesure de poursuivre leur ministère à la tête de leur diocèse, d’ordonner et de nommer des prêtres ainsi que de présider des cérémonies publiques. L’Eglise a organisé des petits groupes pour enseigner le catéchisme aux enfants et aux jeunes. Ces cours ont remplacé les leçons d’instruction religieuse dispensées dans les écoles désormais confisquées par le gouvernement. Les prédications ont continué comme à l’accoutumée ainsi que les autres activités religieuses, telles que les retraites, consécrations des familles, dévotions mariales, etc. Il y avait bien quelques restrictions formelles. Mais pour des raisons théoriques et pour répondre à leurs besoins spirituels, les catholiques sont devenus plus actifs et plus fervents, écoutant les sermons, étudiant la doctrine religieuse et fréquentant les sacrements. Au cours de cette période, le pape a nommé 18 évêques chinois. Les séminaires sont restés ouverts et de nombreux prêtres ont été ordonnés.

Vers le milieu de l’année 1955, les communistes chinois ont arrêté Mgr Gong Pinmei et ont entamé une attaque tous azimuts contre l’Eglise. Ils ont aussi arrêté de très nombreux laïcs et responsables de l’Eglise. Au cours de la même période, les communistes ont fomenté des campagnes d’accusation au cours desquelles ils ont collecté des pétitions dénonçant le pape et les évêques. Ils ont organisé des réunions publiques. Ceux qui ne se rendaient pas à ces réunions ou qui s’y opposaient étaient condamnés aux camps de travail ou devaient subir la rééducation par le travail.

En 1957, le système autonome et indépendant de gestion des affaires de l’Eglise a été mis sur pied pour remplacer la hiérarchie de l’Eglise.

En 1958, des évêques ont été nommés et consacrés sans l’aval du pape. Au cours de la cérémonie de consécration, la personne consacrée devait publiquement déclarer qu’elle dirigerait correctement les affaires de l’Eglise, qu’elle refuserait les « encycliques » et tout ordre réactionnaire et qu’elle s’affranchirait de tout contrôle du Vatican. (Une telle consécration a eu lieu à Changsha, le 26 octobre 1958.) Ceci a entraîné une résistance ouverte et une division au sein de l’Eglise et la rupture des relations avec l’Eglise universelle.

En 1966, la Révolution culturelle a commencé. Toute activité religieuse fut interdite. Personne ne pouvait afficher une image sainte ou lire la Bible. Les livres et les objets sacrés ont été brûlés et les églises fermées. Comme le vent d’automne emporte les feuilles mortes, rien n’est laissé au regard.

De 1980 à aujourd’hui (1999), la Chine s’est ouverte au monde extérieur. Les catholiques qui ont été fidèles au pape, à leur foi et à l’Eglise, n’ont pas rejoint l’Association patriotique à sa fondation en 1957 et n’entrent pas dans les églises qui sont sous son contrôle, marquant ainsi une nette distinction entre eux et l’Association. Ils prient de manière privée chez eux ou vont à la messe et reçoivent les sacrements de prêtres qui ont été libérés de prison. Ces catholiques sont très fervents, solides dans la foi et prudents pour tout ce qui touche aux questions de conscience. Sous le soin pastoral d’évêques en communion avec le Saint-Siège, ils progressent dans leur vie de foi. C’est l’Eglise que les catholiques à l’étranger connaissent sous le label d’Eglise « souterraine », l’Eglise fidèle.

Cette Eglise « souterraine » a été persécutée tout au long des 50 dernières années. Le gouvernement la tient pour une entité « illégale ». Des évêques, des prêtres et des laïcs sont arrêtés, emprisonnés, et empêchés de mener des activités religieuses normales. Au jour d’aujourd’hui, cette situation est encore vraie.

Lorsque l’Association, en 1980, a été rétablie dans sa forme originelle, l’accent était toujours mis sur une direction autonome et indépendante des affaires de l’Eglise sans aucune ingérence du Vatican. En 1980, l’Assemblée nationale des délégués catholiques, réunie à Pékin, a réaffirmé ce principe. En octobre 1997, le « Livre blanc » sur la religion produit par Pékin a confirmé à nouveau la politique religieuse initiale de la Chine sans changer aucun de ses principes ou objectifs.

Cependant, il est clair que la Chine a eu à opérer des changements dans sa politique religieuse, sous la pression internationale et du fait de l’évolution de sa propre situation interne. Des propriétés religieuses ont été restaurées, des églises ouvertes, la presse religieuse en mesure de publier (dans de strictes limites), des grands séminaires ouverts, et les termes « successeur de Pierre » et « Saint-Siège » sont réapparus dans les livres religieux. Il y a eu des prières pour le pape et des pétitions organisées pour la réunion des évêques de l’Eglise ouverte avec le pape.

L’Eglise « souterraine » est passée à travers des épreuves diverses et variées et de nombreuses communautés sont restées sans pasteurs. Les fidèles cependant sont demeurés très fervents, solides dans la foi et prudents pour tout ce qui touche aux questions de conscience. La vraie Eglise ne consiste pas en des bâtiments faits de pierre. Elle est faite plutôt de telles communautés « sans berger » dont les fidèles sont « les pierres vivantes », guidés et grandissant sous la direction de l’Esprit Saint. « Le Seigneur est mon berger ; je ne manque de rien. Sur des verts pâturages, Tu m’as conduit . Tu as refait mes forces » (Psaume 23).

Ces quelques paragraphes donnent une description de l’Eglise au cours des cinquante dernières années. Ce qui est objet de la plus vive attention pour les gens d’Eglise en Chine, au cas où la Chine normaliserait ses relations avec le Vatican, est de connaître le degré de liberté dont ils jouiront dans cette nouvelle situation. Sera-t-il possible de revenir à la situation qui existait avant les années 1950 et de jouir des libertés qui existaient alors ? Sinon, peut-on continuer de dire que les catholiques aujourd’hui bénéficient d’une vraie liberté ? Nous devons, chacun d’entre nous, nous pencher sérieusement sur cette question.

Ensuite, les délégués du Vatican qui prennent part à ces négociations doivent avoir les idées claires et ne pas s’égarer en chemin. Ce que les communistes chinois recherchent avant tout dans ces négociations est d’obtenir du Vatican qu’il mette un terme à ses relations diplomatiques avec Taiwan, fermant ainsi un point de contact de plus entre Taiwan et le monde extérieur. En échange, ils concéderont aux catholiques chinois quelques libertés mineures. Cependant, même cette possibilité – la concession d’un peu plus de liberté – est sérieusement sujette à caution. A présent, il n’y a pas de raison de croire en cette possibilité. Une fois que les relations auront été rétablies et, après un certain laps de temps pour voir comment les choses évoluent, nous découvrirons que nous avons été bernés sans possibilité d’y changer quoique ce soit. La liberté religieuse est un don de Dieu ; nous n’avons pas à la quémander.

De plus, nous demandons aux délégués du Vatican de porter une attention toute particulière à un autre point : ils ne doivent pas perdre de vue que le Parti communiste chinois détient le pouvoir et contrôle tout. En aucune manière, ils n’abandonneront leur contrôle sur la religion. Pour qui connaît l’histoire du Parti, cela ne fait aucun doute.

Un point encore plus important à avoir à l’esprit est que la politique du Parti n’a pas changé ; de 1949 à aujourd’hui, elle est restée la même. Ce qui peut changer en fonction du moment est la stratégie que le Parti adopte pour appliquer sa politique. A nouveau, pour qui connaît le Parti, cela n’est que trop évident.

Même si les négociations entre la Chine et le Vatican aboutissent, les épreuves et les souffrances que l’Eglise a connues durant ses cinquante dernières années, de même que la brutale persécution endurée par les catholiques au cours des années 1950, ne seront pas aisément oubliées. Ainsi, même si ils obtiennent la liberté religieuse, il faudra du temps avant que les gens ne deviennent optimistes à ce sujet. Jouir de la liberté religieuse est quelque chose de difficile à concevoir pour quelqu’un qui a vécu en Chine durant ces longues années.

Par sa proposition du 30 juillet 1993 intitulée Les événements à venir projettent leur ombre devant eux, la Conférence des évêques de Chine demande et espère que le Vatican écoute, étudie et se souvienne de l’histoire et, ensuite, qu’il réponde à l’appel ci-dessous de l’Eglise de Chine :

Le Vatican doit faire respecter le pouvoir du pape à nommer les évêques dans les diocèses de Chine. La Chine doit reconnaître l’autorité du pape à nommer les évêques en Chine sans y ajouter de conditions, au principe qu’aucune autorité de ce monde n’a le droit de s’ingérer dans le pouvoir du pape à diriger l’Eglise.

Une fois que le Vatican nommera les évêques, il doit régler la situation créée par ces évêques qui ont fait serment de rompre les relations avec le pape et qui ont été nommés et consacrés en dehors de l’autorité du pape. Les évêques diocésains doivent régler la question de la validité et de la légitimité des prêtres qui appartiennent à l’Association patriotique.

L’Association patriotique n’a pas de raison d’être. La relation primordiale de l’Eglise chinoise avec le Saint-Siège doit être garantie et le cardinal Gong Pinmei doit retourner dans son diocèse de Shanghai.

Un délégué du pape doit convoquer une réunion de tous les évêques chinois et constituer une Conférence épiscopale. Chaque diocèse doit mettre sur pied une Commission des affaires de l’Eglise. Les évêques doivent être autorisés à faire leur visite régulière ad limina à Rome.

L’Eglise chinoise doit officiellement consacrer la Chine à Notre-Dame de Chine.

En conclusion, le Saint-Siège doit en appeler au Parti communiste chinois en toute sincérité afin qu’à l’approche du nouveau millénaire, ce dernier accorde à l’Eglise les points ci-dessous :

Que l’Eglise chinoise jouisse d’une vraie liberté religieuse, une liberté qui ne soit pas dépendante des lois ou de la fantaisie du gouvernement.

Les douze millions de catholiques de Chine doivent faire l’expérience de la liberté religieuse. Cela sera bénéfique et au Parti et à l’Etat. La vraie liberté n’est pas un danger. La Chine s’affichera comme le premier pays communiste à jouir d’une vraie liberté religieuse.

Le Bureau des affaires religieuses doit adopter une vision à long terme et ne pas créer ni même encourager les divisions à l’intérieur de l’Eglise. Il ne doit pas encourager le mouvement des trois autonomies. Il doit réaliser qu’il y aurait moins de problèmes si l’Association n’existait pas. Ne laissez pas les problèmes du passé continuer à troubler l’Eglise de demain.

L’Eglise « souterraine » a beaucoup progressé ces cinquante dernières années et les catholiques qui y appartiennent sont très fervents. L’Eglise « officielle » a été moins à même de gagner le cour des gens. Pourquoi ? L’unité avec le pape et l’Eglise universelle doit être maintenue pour qu’ainsi il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur.

Les douze millions de catholiques de Chine font de leur mieux pour contribuer à la reconstruction du pays. Cette force ne doit pas être sous-estimée.

Ces quelques lignes viennent du cour de l’Eglise « souterraine » en Chine. Ces mots trouvent leur source dans l’amour de Dieu, dans la fidélité à l’Eglise et au pape. Ces propositions sont faites avec la paix du cour et sans désir de vengeance. Puisse Jésus qui est ressuscité des morts vivre à jamais !

Vendredi saint 1999

REACTION A UN APPEL DE L’EGLISE « CLANDESTINE »

René Gilbert

[NDLR – Cet article a été publié dans le même numéro 112 de juillet-août 1999 de la revue Tripod que le texte précédent « Un appel de l’Eglise ‘clandestine’ de Chine« , signé d’un simple Paul. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.]

L’article précédent « Un Appel de l’Eglise ‘souterraine’ de Chine » mérite l’attention de la communauté ecclésiale hors de Chine continentale. Selon l’auteur de l’article, des dépêches de la presse étrangère ont annoncé que les relations entre le Vatican et les Chinois ont été normalisées et que les discussions continuent. L’article réaffirme la position de l’Eglise « clandestine » appelant le Vatican à la plus extrême prudence dans la conduite de ses rapports avec le gouvernement chinois.

L’Eglise « souterraine », ayant subi par le passé et subissant toujours une très forte pression de la part du gouvernement (arrestations, emprisonnements et autres mesures répressives), l’avertissement de l’auteur est aisément compréhensible. Néanmoins, on ne peut accepter pour argent comptant des articles de presse affirmant que le Vatican et le gouvernement chinois se sont engagés dans de sérieuses discussions et encore moins que ces contacts ont abouti à un quelconque accord sur la normalisation des relations sino-vaticanes. Au jour d’aujourd’hui, aucun pourparler de cet ordre n’a encore pris place. Un article publié dans le numéro de Tripod intitulé : Une Eglise « indépendante, autonome et autoadministrée » évaluation de principe, apporte des nouvelles récentes à ce sujet.

L’auteur, désigné sous le nom de Paul, offre quelques propositions qui, bien que reflétant ce qui a été exposé en juillet 1993 à la conférence réunissant un certain nombre d’évêques, de prêtres et de laïcs de l’Eglise « clandestine », diffère par certains aspects par rapport aux premières propositions. Peut-être reflètent-elles une évolution plus récente dans la compréhension de la situation de l’Eglise en Chine. Pour une couverture et une compréhension plus complète de cette conférence, voir l’Eglise catholique dans la Chine d’aujourd’hui par Anthony S.K. Lam, chapître 20, intitulé l’Eglise « souterraine » en 1993, publié par la fondation Ferdinand Verbiest et le Centre d’Etudes du Saint Esprit.

Paul se réfère à plusieurs reprises à l’Eglise « souterraine » comme étant l’Eglise fidèle. Le choix de ce terme décrit bien la fidélité et la résistance des catholiques chinois aux attaques subies depuis le début des années 1950. Cependant, si ce terme désigne uniquement cette partie de l’Eglise qui n’a pas été et qui ne veut pas être enregistrée auprès du gouvernement, alors des explications supplémentaires seront nécessaires, puisque qu’une telle limitation implique que cette partie de l’Eglise qui a été enregistrée par le gouvernement est tout ou en partie « infidèle » à la foi et au pape.

Il semble difficile d’imaginer le Vatican s’opposant au droit du pape à nommer les évêques comme la première prise de position de Paul semble l’impliquer. Cependant, l’histoire de l’Eglise peut être d’un certain secours dans la clarification et l’explication du droit papal à nommer les évêques sur leurs sièges ; elle pourrait avoir des applications à la situation présente en Chine une fois que des discussions réelles auront été établies entre la Chine et le Vatican.

Ce que Paul veut signifier n’est pas tout à fait clair lorsqu’il affirme qu’une fois la question des relations entre le Vatican et l’Etat chinois résolue, les évêques diocésains devront régler le problème de la validité et de la légitimité des prêtres qui appartiennent à l’Association patriotique. Cette affirmation, telle quelle, est ambiguë et, à moins d’être étayée par de solides arguments, dénuée de sens. Il est intéressant de noter que des prêtres de l’Eglise ouverte ont concélébré avec le Saint Père à l’occasion de la canonisation du P. Damien le 4 juin 1995, dimanche de Pentecôte. Ces prêtres étudiaient à l’époque à l’université de Louvain, en Belgique. La validité de l’ordination des prêtres, même ceux qui appartiennent à l’Eglise patriotique, n’a jamais été mise en doute dans aucun document issu du Saint-Siège.

Les derniers mots de Paul, précisant qu’ils viennent du cour de l’Eglise « clandestine » de Chine, sont très touchants. Comme il le dit lui-même : « Ils sont écrits la paix au cour et sans désir de vengeance« . Cela donne à espérer que l’Eglise en Chine sera à nouveau unie à la fois de cour et d’esprit.