Eglises d'Asie – Malaisie
LA POLITIQUE DANS LES MOSQUEESQuand les mosquées deviennent les lieux d’expression de l’opposition
Publié le 18/03/2010
L’utilisation des mosquées comme plate-forme n’est pas nouvelle. Le mouvement a débuté en 1996 après que le Premier ministre Mahathir Mohamad a commencé à critiquer les oulémas. Il a pris une réelle ampleur après que Anwar a été démis de ses fonctions au mois de septembre de l’an dernier pour « conduite immorale« . Mais ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’ampleur et l’étendue de ce mouvement. Et ce qui est menaçant pour l’Umno, qui trouve son principal soutien auprès des Malais, c’est que le principal bénéficiaire en est le Parti islamique panmalaisien (Pas – Parti Islam Se Malaysia), d’opposition qui veut faire de la Malaisie un Etat islamique. Auprès de l’électorat malais, le Pas est le seul rival sérieux de l’Umno pour les élections générales à venir [NdT : les élections législatives ont eu lieu le 29 novembre]. La prise de parole des imams a amené l’Umno et le Pas à se prononcer sur leur attitude vis-à-vis de l’islam et a donné une importance croissante aux titres de fidélité à l’islam des hommes politiques malais. La plupart des mosquées en Malaisie vivent sur fonds d’Etat et doivent diffuser les sermons qui sont préparés par chacune des autorités religieuses des Etats de la Fédération. Toutefois, beaucoup de mosquées sont dirigées par des commissions soucieuses de leur indépendance et élues par les fidèles ; un nombre important de mosquées enfin fonctionnent sur fonds privés. Fréquemment, elles invitent des imams qui viennent prêcher comme ils l’entendent. Les imams s’en prennent rarement de front au gouvernement et préfèrent recourir à la technique traditionnelle malaise de l’allusion qui fait mouche. Les jours qui ont suivi le renvoi d’Anwar, par exemple, nombreux ont été les prêches qui s’en sont pris aux maux de « l’injustice » et de « la calomnie » – sans citer aucun nom. Le politologue Farish Noor explique que les sermons, perçus comme « la voix des autorités religieuses, » ont « une grande valeur symbolique« . Azim Mohamad Zabidi, de l’Umno, pense, lui, que les prêches des imams n’ont pas d’effet sur les partisans de la coalition au pouvoir mais reconnaît qu’ils pourraient avoir un impact auprès des « indécis« .
L’opposition se renforce sans doute dans les mosquées. Selon une étude de de l’anthropologue Sharifah Zaleha, portant sur les suraus (lieux de prière communautaire) à Bangi, ville universitaire située à 20 km au sud de Kuala Lumpur, « à mesure que les critiques du Premier ministre Mahathir Mohamad à l’encontre des oulémas et de l’Islam fondamentaliste se font plus précises, à mesure que ‘la crise Anwar Ibrahim’ se développe, et à mesure que la nation se prépare pour les prochaines élections, les prédicateurs et les militants utilisent de plus en plus les suraus pour fédérer les protestations contre les autorités« . Anwar en a été le catalyseur, mais l’opposition musulmane et fondamentaliste au gouvernement vise Mahathir, un nationaliste malais et un moderniste pragmatique qui fait peu de cas de l’orthodoxie conservatrice. Lors d’un discours prononcé en 1996 à Kuala Lumpur devant une assemblée de juristes islamiques, par exemple, Mahathir a dénoncé l’application de lois islamiques telles que hudud, qui punit le vol par l’amputation de la main et l’adultère par la lapidation. En 1997, dans un discours à la convention annuelle de l’Umno, il a accusé les oulémas de dogmatisme et déploré les pressions exercées sur les femmes pour le port du voile et sur les hommes pour celui de la barbe.
Mahathir, au pouvoir depuis 1981, a rapidement invité Anwar dans son gouvernement pour contrer une éventuelle menace de la droite religieuse. Dirigeant étudiant charismatique, admiré par les jeunes Malais pour ses convictions islamiques, il aidait Mahathir à se prémunir des attaques des milieux islamiques, offensés par ses initiatives. Mais, une fois Anwar remercié, des groupes qui étaient jusqu’alors restés neutres, tels que certaines ONG islamiques, et jusqu’à des groupes qui avaient fait alliance avec l’Umno, tels que les Jeunesses islamiques malaisiennes, sont entrés en scène aux côtés de l’opposition. « Anwar était une pièce cruciale pour Mahathir car il était le seul dirigeant au sein de l’Umno perçu par l’opinion comme ayant de vraies références islamiques, » explique Farish. « C’est sa présence qui a permis à l’Umno de repousser sans grande difficulté les critiques venues du Pas« . La menace est prise au sérieux par le gouvernement : dans certaines mosquées financées sur fonds publics, des imams et des uztads (professeurs de religion) ont été remerciés pour avoir suscité des sentiments anti-gouverne-mentaux. D’autres dignitaires ont bénéficié de voyages tous frais payés à Kuala Lumpur où ils ont pu voir de leurs yeux les résultats de la politique du gouvernement en faveur de l’Islam – la Banque islamique, l’Université islamique et la grande mosquée de Putrajaya, nouvelle capitale au sud de Kuala Lumpur. Cependant, même ceux qui critiquent Mahathir reconnaissent qu’il est le seul au sein de l’Umno qui a le courage de faire face aux extrémistes religieux. « S’il y a bien une chose à faire, c’est de désamorcer la menace islamique fondamentaliste, » dit un avocat malais qui pourtant ne porte pas le Premier ministre dans son cour. « Et Mahathir est le seul qui le puisse« .