Eglises d'Asie

LES CHANGEMENTS D’ATTITUDE DU GOUVERNEMENT CHINOIS A L’EGARD DE L’EGLISE CATHOLIQUE

Publié le 18/03/2010




Depuis le début de leur règne en 1949, une des principales erreurs commises par les dirigeants communistes à Pékin a consisté à maintenir une attitude d’hostilité à l’encontre des religions, tout particulièrement à l’encontre de l’Eglise catholique. Une telle attitude s’explique par une combinaison de philosophies politiques au sein même du pouvoir chinois. Premièrement, les dirigeants communistes étaient des marxistes athées. A leurs yeux, la vérité ne pouvait être que matérielle. Deuxièmement, ils étaient des nationalistes. Ils pensaient que la Chine n’avait rien d’inférieur comparée aux autres pays et que les Chinois non plus n’étaient pas inférieurs aux autres peuples, et surtout pas aux Occidentaux. De ce fait, il n’était pas très surprenant d’entendre Mao Zedong proclamer le 1er octobre 1949, place Tienanmen : « Le peuple chinois s’est levé. » Troisièmement, ils étaient collectivistes. Ils pensaient que l’intérêt personnel ne pourrait être garanti que lorsque l’intérêt collectif du pays tout entier serait restauré. Selon eux, il était justifié de demander, et même de contraindre, les individus au sacrifice pour le pays, ou, comme ils le disaient, « pour le peuple ».

Du fait de cette pensée politique, le gouvernement chinois s’est montré très antagoniste à l’encontre des religions en Chine. Cependant, vers la fin des années 1970, il a finalement compris qu’il s’était fourvoyé et qu’il ne devait pas se montrer si hostile à l’encontre des religions. Une telle attitude était non seulement futile mais même contreproductive. Le fait de prendre conscience de cela n’a cependant pas entraîné le gouvernement chinois à un réel changement d’attitude, quand bien même les premières mesures de « la politique d’ouverture » ont été mises en ouvre à partir de 1979. Ce n’est pas avant les années 1990, et plus précisément à partir de la tournée de Deng Xiaoping dans le sud en 1992, que le gouvernement a pris conscience qu’il ne devait pas se mêler trop étroitement des questions religieuses. Le pouvoir a alors commencé à changer son attitude envers les religions. D’une manière générale, on peut dire que le gouvernement chinois aujourd’hui fait de son mieux pour éviter les conflits avec les religions.

(La campagne de répression qui s’est abattue sur le mouvement Falungong n’est tant due tant au phénomène religieux qui est attaché au mouvement qu’au fait que de très nombreux cadres du parti y aient adhéré. Ainsi, soit dit en passant, si l’Eglise catholique souhaite éviter les problèmes, elle ne doit pas tenter d’attirer à elle des membres du parti, au moins pour le moment.)

Quelques signes du retrait du gouvernement en matière religieuse

Durant les années 1990, le gouvernement a fait beaucoup afin de mettre en ouvre une politique de retrait vis-à-vis des religions. Ainsi :

Le gouvernement a tenté d’apurer les comptes avec les institutions religieuses. Il a fait en sorte de régler les conflits avec les institutions religieuses en matière foncière, qu’il s’agisse de terrains ou de propriétés bâties. Les autorités gouvernementales ont entrepris des recherches pour retrouver les titres de propriété désignant formellement le propriétaire de nombreux biens de l’Eglise. Des accords ont été passés avec l’Eglise, que ce soit pour organiser le retour de ces biens dans le giron de l’Eglise ou que ce soit pour l’indemniser. Il semble que le gouvernement a agi pour faire en sorte de ne plus rien devoir aux institutions religieuses.

Le gouvernement a réinstallé l’Association patriotique à l’intérieur des structures de l’Eglise. Bien que l’Association patriotique, au niveau national, joue toujours un rôle certain à Pékin, les branches locales de l’Association ne sont plus considérées que comme faisant partie de l’Eglise, sans lien direct avec la structure gouvernementale locale.

Le gouvernement ne salarie désormais plus de membres de l’Eglise. A l’exception de quelques rares exceptions au plus haut niveau à Pékin, la plupart des membres salariés des branches locales de l’Association patriotique ont perdu leurs postes au sein des gouvernements locaux. Ils ne sont plus salariés par le gouvernement.

Le gouvernement a cessé de subventionner l’Eglise. Les séminaires régionaux ne reçoivent plus d’argent du gouvernement depuis plusieurs années déjà. Et il est dit que même le séminaire national à Pékin, qui pourtant était autrefois entièrement financé par le gouvernement, n’a rien reçu ces deux dernières années.

Le gouvernement redéfinit ses relations avec les religions sur la base de la loi et des règlements et il laisse de côté le débat idéologique. On peut prédire que, dans un proche avenir, de nouveaux règlements vont être publiés. Selon certains, ces règlements signifient que le gouvernement cherche à renforcer son contrôle sur les religions. Je ne le crois pas. Les autorités peuvent de toute façon faire ce qu’elles veulent, avec ou sans règlements. Les règlements publiés à propos des religions visent plutôt à redéfinir l’étendue du domaine dans lequel le gouvernement doit être impliqué, s’agissant de ses relations avec les religions.

Les oppositions internes au gouvernement

Le retrait du gouvernement du champ religieux ne signifie pas pour autant que l’Eglise catholique à l’avenir ne va pas rencontrer de difficultés. Si le gouvernement dans son ensemble ne souhaite pas entrer en conflit avec les organes religieux, ce n’est pas le cas de certains de ses responsables. Des dirigeants que l’on peut qualifier de pragmatiques, comme le Premier ministre Zhu Rongji, souhaiteraient faciliter les relations que le gouvernement entretient avec les religions mais d’autres, plus idéologues, tels que Deng Liqun, voudraient mettre à l’épreuve ces relations. Fort heureusement, de tels idéologues « gauchistes » forment au somment du pouvoir chinois une minorité.

Pourquoi y a-t-il un tel groupe d’idéologues conservateurs ? Il semble que ce qui est en jeu ici n’est pas un vrai problème idéologique mais plutôt une simple lutte de pouvoir. Les théoriciens gauchistes ne peuvent conserver leurs positions éminentes au sein du gouvernement qu’en soutenant des vues d’extrême-gauche. Aussi longtemps que le gouvernement chinois prétendra être un gouvernement marxiste communiste révolutionnaire, ces idéologues de gauche peuvent prétendre à un rôle important dans le gouvernement.

L’attitude du gouvernement à l’égard des dirigeants de l’Eglise « officielle » n’est guère différente de celle qu’il a adoptée à l’égard des dirigeants de l’Eglise « clandestine »

Il est intéressant de noter que l’attitude du gouvernement à l’égard des dirigeants de l’Eglise « officielle » et celle qu’il a envers l’Eglise « clandestine » sont plus ou moins semblables. Le gouvernement ne se soucie pas trop de savoir si les dirigeants de l’Eglise sont clandestins ou pas, pourvu qu’ils acceptent de coopérer avec lui.

Permettez-moi de citer l’exemple de Mgr Han Jide, du diocèse de Pingliang, afin d’illustrer ce propos (1). Mgr Han a été secrètement consacré coadjuteur de ce diocèse par Mgr Philippe Ma Qi (Ma Ji), évêque de Pingliang, en septembre 1996. Mgr Ma est décédé en février dernier. Plutôt que d’attendre qu’une élection soit organisée par le gouvernement, Mgr Han a lui-même publiquement annoncé sa qualité d’évêque de Pingliang. En échange de la reconnaissance de cet état de fait, le gouvernement lui a demandé de coopérer avec lui pour le futur. On peut rappeler que le nouvel évêque de Pingliang, Mgr Han, était autrefois prêtre de l’Eglise « clandestine » de la province du Shaanxi.

Une définition intéressante de l’Eglise « clandestine »

Selon les termes de l’évêque « clandestin » du diocèse de Fengxiang, dans la province du Shaanxi, Mgr Lucas Li Jingfeng, la définition du gouvernement de l’Eglise « clandestine » est la suivante : « L’Eglise clandestine est formée des catholiques placés sous l’autorité des prêtres ordonnés par des évêques nommés par le pape. »

Il semble que le gouvernement ne se soucie pas trop de savoir si les dirigeants de l’Eglise appartiennent ou non à l’Eglise « officielle ». Dans certains cas, et l’Eglise « officielle » et l’Eglise « clandestine » sont enregistrées [auprès des autorités chinoises]. Par exemple, dans le Shaanxi, le Gansu, la Mongolie intérieure, le Hebei et le Nord-Est, la plupart des Eglises « clandestines » sont enregistrées. (Elles sont enregistrées auprès du Bureau local des affaires religieuses et le Bureau des affaires civiles et non auprès de l’Association patriotique.)

Le gouvernement a déjà connaissance du fait que la plupart des dirigeants de l’Eglise « clandestine » sont prêts à coopérer avec lui, pourvu qu’ils ne soient pas forcés de rejoindre l’Association patriotique. Seule une poignée de dirigeants de l’Eglise « clandestine » refuse tout contact avec le gouvernement. Parmi ceux-ci, on trouve certains évêques « clandestins » des provinces du Hebei, du Henan et du Heilongjiang.

En fait, non seulement les dirigeants de l’Eglise « clandestine » mais aussi certains dirigeants de l’Eglise « officielle » font leur possible pour se débarrasser de l’Association patriotique. En ce sens, les dirigeants de l’Eglise « clandestine » et ceux de l’Eglise « officielle » partagent le même combat contre un ennemi commun.

Si nous essayons d’analyser la situation, nous pouvons proposer les catégories suivantes :

Catégorie 1 :

« Clandestins » extrêmes : ils refusent de prendre part à quelque système que ce soit dès lors que celui-ci est approuvé par le gouvernement. On peut, par exemple, placer le diocèse « clandestin » de Qiqihar du Heilongjiang dans cette catégorie.

Catégorie 2 :

« Clandestins » mais enregistrés auprès du gouvernement. Par exemple, le diocèse de Fengxiang dans la province du Shaanxi.

Catégorie 3 :

« Officiels » et enregistrés auprès du gouvernement. Par exemple, le diocèse de Liaoning.

Catégorie 4 :

« Officiels » et enregistrés auprès du gouvernement et de l’Association patriotique. Par exemple, l’Eglise à Pékin sous l’autorité de Michel Fu Tieshan.

Les interactions entre les dirigeants de l’Eglise « officielle » et de l’Eglise « clandestine »

De fait, presque partout, les dirigeants de l’Eglise « officielle » et ceux de l’Eglise « clandestine » coopèrent ensemble. Pour la jeune génération, le conflit qui les sépare n’est pas si sévère. Parfois même, les conflits à l’intérieur de l’Eglise « officielle » sont plus importants. La plupart des jeunes prêtres peuvent parfaitement travailler avec leurs confrères de l’autre côté. Cette impression a été confirmée lors de mon dernier voyage dans le Nord-Est, en août dernier.

Ce sont les évêques qui, en fait, souvent créent des difficultés. Les problèmes surgissent lorsque deux détenteurs ou plus de l’autorité travaillent dans le même diocèse. Le diocèse de Wenzhou, dans la province du Zhejiang, est un de ceux-là. Cependant, à la lecture des statistiques, ces doublonnements de l’autorité à l’intérieur d’une même circonscription ecclésiastique ne sont pas si fréquents que cela dans l’Eglise de Chine. A la mi-99, 67 évêques appartenaient à l’Eglise « officielle » et 44 à l’Eglise « clandestine » ; ce qui fait un total de 111 évêques pour 115 diocèses recensés en Chine. Cela n’empêche pas que, dans les diocèses où il y a un évêque « officiel » et un évêque « clandestin », les problèmes de rivalité et d’identité doivent être résolus.

A bien observer la situation présente de l’Eglise en Chine, on peut distinguer quatre modèles ou cas de figure afin d’aider l’Eglise « officielle » et l’Eglise « clandestine » à dépasser leur division.

Modèle 1 :

L’Eglise « officielle » et l’Eglise « clandestine » parviennent à un accord tacite selon lequel, à l’intérieur de leur propre territoire pastoral, les deux parties distinguent deux sous-territoires à l’intérieur desquels chacun est respectivement responsable des activités pastorales. Ils y exercent leur autorité sans que l’une ou l’autre des parties soient subordonnées à l’autre. Par exemple, au début des années 1990, le diocèse de Xingtai dans le Hebei a compté trois évêques. Mgr Hou Jinde de l’Eglise « officielle » s’est occupé du district de Weixian, Mgr Xiao Liren, de l’Eglise « clandestine », de la ville de Xingtai et Mgr Raimond Wang Chonlin, également de l’Eglise « clandestine », du village de Biancun, dans le district de Ningjin. Chacun de ces trois évêques a fait en sorte de ne pas empiéter sur le travail pastoral des deux autres.

Modèle 2 :

Si l’évêque de l’Eglise « officielle » est légitime (au sens de l’Eglise universelle), il devient l’évêque officiel du diocèse. Les autres évêques « clandestins » peuvent travailler comme évêques titulaires. Bien entendu, il n’existe pas pour l’heure de tel titre d’évêque titulaire en Chine. Mais la situation de Mgr Li Chongjie à Hohhot ressemble à cela.

Modèle 3 :

Il existe aussi le cas de figure où l’évêque de l’Eglise « clandestine » ne parvient pas à s’entendre avec l’évêque de l’Eglise « officielle » et le Vatican n’est pas impliqué dans l’affaire. Les deux parties vont se disputer le pouvoir. Si l’évêque de l’Eglise « officielle » n’a pas été légitimé, alors l’évêque « clandestin » se trouve en meilleure position. Le conflit peut durer aussi longtemps qu’un terrain d’entente n’est pas trouvé. On trouve de tels cas dans le Fujian, le Hebei et le Henan.

Modèle 4 :

Le dernier cas de figure afin de résoudre les conflits est celui où les évêques des deux parties parviennent à créer une atmosphère de confiance mutuelle et travaillent ensemble pour prendre en charge les tâches pastorales à l’intérieur d’un même diocèse. L’évêque « clandestin » démissionne de sa fonction mais continue à remplir sa mission sans en avoir le titre. A Wuhan, dans le Hubei, ce modèle fonctionne.

Finalement, au-delà de leurs différences, l’Eglise « clandestine » et l’Eglise « officielle » appartiennent toutes deux à la même Eglise. Elles sont simplement les deux faces d’une même Eglise catholique. Pour l’heure, on doit admettre que peu de choses peuvent être entreprises. Prions pour l’Eglise en Chine et, avec la grâce de Dieu, on peut espérer qu’un jour l’unité de l’Eglise sera pleinement restaurée.