Eglises d'Asie

LA LIBERTE RELIGIEUSE DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR EN CHINE

Publié le 18/03/2010




Au moment où sur le continent on célèbre le cinquantième anniversaire de la République populaire de Chine, après vingt ans le démarrage de la politique d’ouverture et de réforme de Deng Xiaoping, examinons dans quelle mesure et comment le régime communiste de Pékin a mis en ouvre sa politique de liberté religieuse, inscrite dans la constitution du pays. Elle concerne une grande partie des citoyens, des millions de Han qui pratiquent le culte des ancêtres, (avec une dominante bouddhiste ou taoïste, selon les cas), des Tibétains lamaïstes, des Ouïgours musulmans, des membres des différentes familles ethniques (55 au total) qui ont chacune leurs traditions religieuses et leurs croyances. Il y a aussi une minorité de chrétiens, catholiques et protestants, dispersée dans le pays. Ce sont des gens déterminés qui ont souvent souffert, soit eux-mêmes, soit leurs parents, pour leur foi et qui ne sont pas prêts à faire facilement des concessions. N’oublions pas non plus des mouvements religieux tel le “Falungong” (Injustement appelé « secte”  dans la presse occidentale, il a été interdit sur le continent chinois en juillet 1999) qui naissent et se développent en Chine sans que les autorités réussissent à bien contrôler leur évolution. Cet article se limitera à examiner, sur le Continent chinois, la liberté religieuse dans l’enseignement supérieur qui est un secteur-clé pour l’avenir du pays. Quelle formation reçoivent donc les dirigeants et des intellectuels de la Chine de demain ?

Le ‘poids lourd’ de la politique chinoise

Commençons par considérer le rôle du Parti communiste chinois dans la vie du pays. C’est peu dire qu’il pèse d’un poids énorme sur le fonctionnement de la société. Il est en position de quasi-monopole si bien qu’il peut contrôler tous les secteurs d’activité du pays. Le secrétaire général du Parti dans une province est plus important que le gouverneur. Beaucoup de citoyens espèrent pouvoir adhérer au Parti pour obtenir une promotion, pour réussir dans leur métier, pour se libérer de tracas et d’ennuis que comporte immanquablement la vie quotidienne chinoise. Bref pour mieux se placer dans la compétition actuelle. Dans l’esprit de nombreux Chinois, l’adhésion au Parti a quelque chose de magique : elle est comparable au branchement d’une maison sur le réseau d’adduction d’eau. Ceux qui en bénéficient n’ont qu’à tourner un robinet pour obtenir tôt ou tard : informations, respect, meilleures positions, privilèges, pendant que les citoyens ordinaires doivent fournir beaucoup d’efforts pour aller chercher de l’eau à la fontaine: en clair, ils doivent lutter sans arrêt pour obtenir ces avantages ou les acquérir au prix fort. En fait, l’adhésion n’apporte pas si facilement le succès : il faut attendre de monter en grade pour obtenir des privilèges appréciables et ceux qu’il contribue à apporter, il les fait payer chers : fil à la patte, réunions hebdomadaires, fidélité inconditionnelle au Parti. Mais on ne peut pas nier que les membres du Parti et leurs parents directs bénéficient, dans la vie ordinaire, d’une supériorité réelle. Un étudiant en droit reconnaît que pour beaucoup de cadres du Parti arrivés à un certain grade, respecter la loi ne signifie plus grand chose.

Points d’appui du Parti dans la vie universitaire

Pour les étudiants, dans toutes les facultés et sections des universités et instituts du pays, il y a de nombreuses cellules du Parti communiste dirigées chacune par un moniteur de politique. Celui-ci choisit, parmi les étudiants, ceux qui sont autorisés à poser leur candidature pour adhérer au Parti. Après un examen méticuleux de la conduite du candidat, de son passé, de ses antécédents, après avoir consciencieusement étudié les constitutions du Parti, le candidat est admis et peut prêter serment. Cet engagement comporte trois volets : 1°) une obéissance sans faille au Parti et au gouvernement, 2°) l’obligation stricte de garder les secrets du Parti, 3°) le devoir de professer l’athéisme et de le répandre.

Ces cellules veulent être le point d’appui du levier grâce auquel l’action du Parti devient plus efficace. On demande aux jeunes membres déjà admis d’être des exemples pour leurs “camarades” et on fait miroiter aux autres des avantages divers qu’ils pourraient acquérir s’ils étaient admis. L’impact de ces cellules de faculté est grand, surtout sur les étudiants les plus démunis (intellectuellement ou financièrement) qui voient ainsi pour eux le moyen de sortir vite de leur pauvreté en bénéficiant d’un vaste et puissant réseau de relations.

Les professeurs sont, en principe, libres d’adhérer au Parti mais, de fait, ceux qui n’en sont pas membres sont exclus des décisions et des postes de direction. Un vieux professeur conseillait à un jeune collègue : “Adhère, sinon tu seras toute ta vie considéré comme un larbin, un raté !” L’examen d’étudiant-chercheur (pour devenir enseignant) comporte une épreuve éliminatoire de connaissances ou plutôt d’orthodoxie politique. Celle-ci, contrairement aux autres, est corrigée au niveau de la province (ce qui évite les possibilités de fraude). Un jeune diplômé en allemand, des plus brillants, exprime le désir de devenir enseignant. Le doyen, pendant une réunion hebdomadaire de la section, pose à ses collègues la question suivante : “Pensez-vous que l’étudiant untel pourrait aider ses élèves à devenir de meilleurs communistes ?” Tout le monde répond : “non”. On arrête la discussion sans même avoir considéré ses résultats académiques.

Enfin, pour compléter la description du parfait équipement anti-religieux mis au point par le Parti, voici un dernier élément : pour être admis à l’université, il faut que le candidat fasse obligatoirement partie de la “ligue de la Jeunesse communiste”. Cela signifie, que déjà, au lycée, il doit y avoir adhéré. Ainsi, il a été l’objet d’un tri idéologique effectué parmi les adolescents de son âge et que seuls, ont été sélectionnés, les éléments dociles qui suivent la ligne officielle.

Pour l’épanouissement d’un nouveau type de citoyen

Les réunions hebdomadaires de formation politique sont obligatoires pour les étudiants et les professeurs (amendes pour deux absences non motivées). Elles permettent de leur faire comprendre et mettre en application les différents méandres ainsi que les nuances de la politique au quotidien. De plus, elles permettent de contrôler sur-le-champ le respect de la discipline. Ces réunions en temps normal ont peut d’impact sur les comportements. On y va pour faire son courrier ou y somnoler. Mais en temps de crise, elles jouent un rôle important. On a pu le constater pendant la crise qui a suivi le bombardement de l’ambassade de Chine en Yougoslavie. Le mouvement étudiant a commencé et s’est terminé au moment où le pouvoir l’avait décidé. Tout était parfaitement orchestré d’en haut.

La surveillance mutuelle s’est considérablement relâchée depuis la Révolution culturelle mais elle existe toujours. Même si beaucoup se sont rendu compte que dénoncer les autres était un exercice dangereux qui risquait, à long terme, d’apporter des ennuis, certains, pour bien se faire voir et pour obtenir une promotion rapide, n’hésitent pas à renseigner leurs supérieurs quand ils estiment que leurs “camarades” s’écartent du droit chemin. Ceux qui s’inté-ressent de trop près aux religions s’exposent dangereu-sement car leur entourage, immanquablement, finit par s’en rendre compte.

Cette surveillance mutuelle rend la vie difficile partout et tout particulièrement en milieu universitaire où il n’y a pas de vie privée. Des relations normalement simples sont parfois si compliquées : il y a des informations vraies à ne dire à personne et d’autres, fausses, qu’il faut essayer de faire croire ou faire semblant de croire. Et attention aux gaffes !

Vérité officielle et vérité objective

Ces deux vérités font mauvais ménage. Le beau slogan lancé par Deng Xiaoping : “Rechercher la vérité à partir des faits” ne stimule pas la recherche philosophique et spirituelle de la vérité. Il reste lettre morte dans les universités parce que les seuls livres qui traitent ces sujets, dans les bibliothèques, sont des ouvrages qui réfutent l’enseignement des religions ou, au mieux, qui ignorent l’existence de celles-ci. Il en est de même dans les médias : quand on aborde des questions touchant à des croyances c’est seulement pour souligner les nuisances qui en découlent. Si bien que ceux qui cherchent à répondre aux questions fondamentales de la vie sur l’existence de Dieu, le mal, la mort, n’ont à leur disposition que des ouvrages terriblement négatifs, qui ne cherchent qu’à renforcer le matérialiste athée de la ligne officielle. Est-ce qu’une telle unanimité paraît suspecte et éveille les soupçons des lecteurs ? La plupart du temps “Non”. Est-ce que les étudiants rejettent les vues simplistes qu’on essaie de leur imposer ? “Rarement 

Y a-t-il plus d’objectivité dans la partie académique des études ? Malheureusement, la réponse est encore une fois négative. L’Histoire enseignée est celle vue à travers le prisme de la Révolution et du nationalisme : elle exalte le “vaillant peuple chinois” malmené par des gouvernements contre-révolutionnaires, discrédite systématiquement tout ce qui ne va pas dans le sens de l’histoire et insiste sur le rôle négatif joué par les religions au cours de l’Histoire, en particulier quand elles se sont opposées au développement des sciences. “Celles-ci ne se sont développées qu’en luttant contre les forces obscurantistes et conservatrices que cherchent à promouvoir les responsables des religions”. Les théories transformistes de Darwin sont quasiment élevées au rang de ‘dogme’ dans certains manuels scolaires. Une étudiante musulmane interrogée sur sa foi en Dieu répondait : “Après tout ce qu’on m’a raconté à l’université, je ne sais plus ce que je crois, ni même si je crois encore”. Certains ‘débats’ sur les campus sont tristes à en mourir car, quand on intervient, les arguments doivent obligatoirement être en faveur de la thèse défendue par le conférencier. Les séminaristes ou novices qui font des études dans les universités chinoises (psychologie, littérature, langues étrangères) cachent leur identité et évitent de parler de foi chrétienne sur le campus même, qu’ils soient de l’Eglise officielle ou souterraine. Ils n’ont pas peur de porter témoignage mais sont sur la défensive car ils savent qu’en cas d’accrocs, on leur donnerait automatiquement tort.

Vers un avenir meilleur

Comme on peut le voir, l’éducation idéologique en Chine est musclée. Tout a bien été boulonné pour éviter les déraillements, en clair : pour que les étudiants ne dévient pas de la voie qu’on veut leur faire suivre. Contrairement à d’autres secteurs de l’enseignement supérieur, la propagande politique, véritable fléau de la Chine nouvelle, bénéficie d’un ample budget plus que suffisant. Elle cherche à constituer un nouvel environnement favorable à l’épanouissement du socialisme de demain. Dans ce nouveau milieu de vie, il n’y aura plus de place pour les « vieilleries « dont font partie les religions. Le matérialisme athée n’est qu’un des volets de l’ensemble de l’éducation socialiste mais il est important. D’abord, il fait partie intégrante de l’enseignement de Marx mais, de plus, les dirigeants ont constaté que les croyants, qui dépendent d’autorités religieuses, sont moins dociles et plus critiques à l’égard du gouvernement et du Parti que les autres citoyens. Tout a donc été bien conçu pour contenir les religions et, qu’en même temps, l’athéisme se répande et se renforce au fil des années ; en particulier, parmi les intellectuels que le gouvernement craint par-dessus tout.

Les brèches de l’édifice

Finalement, y a-t-il encore place pour la liberté des étudiants et professeurs dans une forteresse aussi bien conçue, aménagée et défendue ?

Première constatation que l’on peut faire sur place : l’éducation au matérialisme athée donné dans les établissements de l’enseignement supérieur en Chine ne forme pas des étudiants athées mais stérilise les esprits. Cette véritable ‘marée noire’ qui pollue l’enseignement de la jeunesse chinoise depuis cinquante ans n’engendre pas des intellectuels perspicaces et responsables mais des indifférents et, surtout, des ignorants. Beaucoup de jeunes, après s’être déclarés athées, avouent rapidement qu’ils ignorent tout du rôle, de l’importance et du message proclamé par les différentes religions qu’ils prétendent rejeter. Ils les confondent souvent avec les superstitions (même si, officiellement, en haut lieu, on fait maintenant une distinction entre religions et superstitions). De plus, la profondeur des convictions acquises n’est pas proportionnelle au nombre d’heures passées à écouter les moniteurs de politique. On s’aperçoit vite que beaucoup ne suivent la ligne officielle que par conformisme opportunisme ou manque d’imagination. Les acquis d’un nombre incalculable d’heures de cours, de réunion et de lecture sont très fragiles. Ils vacillent dès qu’ils sont confrontés aux moindres objections.

Ce qui frappe quand on vit dans le milieu universitaire, c’est l’absence de débats. Il n’y a pas d’idées qui s’affrontent, de conceptions différentes de la vie qui s’entrechoquent puis se fécondent. Les étudiants ne sont pas habitués à construire une argumentation ou à défendre leur point de vue. L’unanimité désirée par le pouvoir rime souvent avec manque d’esprit critique, médiocrité et indifférence. Une majorité de jeunes ne croit plus au Communisme depuis longtemps en Chine mais cet idéal étiolé n’a été remplacé par rien. Un redoutable vide spirituel règne dans l’esprit de beaucoup. On cherche à le combler en consommant des produits toujours nouveaux ou en s’amusant dans les bals ou les karaoké très à la mode en ce moment. Mais en vain. Ainsi, dès qu’ils en ont l’occasion, les étudiants commencent par essayer de connaître les religions qu’on leur a si longtemps cachées et, parfois, y découvrent des trésors spirituels. Ils prennent des risques pour eux-mêmes, leur famille et leur carrière. Malgré cela, certains n’hésitent pas à s’engager sur cette route. Pour cela il leur faut mettre à profit les brèches de l’édifice idéologique. Voici, de l’avis de beaucoup, les quatre principales :

1.) La littérature et les arts sont ouverts sur le monde entier. Différentes ouvres témoignent de la foi de nombreux écrivains et artistes. Quand les étudiants les découvrent, ils cherchent à comprendre et à percer l’intention des auteurs, le canevas sur lesquels ces compositions ont vu le jour, les idées maîtresses qui sous-tendent leur élaboration. Les commentaires officiels qui accompagnent ces ouvres constituent des ‘perles’ qu’on ne peut s’empêcher de collectionner. Voici quelques exemples pris dans la littérature française : on exalte “la philosophie matérialiste et l’esprit athée de Diderot en avance sur Darwin et Lamarck”. Blaise Pascal, “malgré ses prévisions scientifiques, fut amener à tomber dans l’agnosticisme et à exalter la toute-puissance de Dieu”. Paul Claudel est décrit comme “un poète hanté par la Vierge et les saints… trop épris du passé pour se délecter des exigences de l’avenir”. Heureusement, de telles niaiseries n’influencent pas profondément les étudiants, surtout si ceux-ci étudient les textes dans leur version originale. Ils trouvent dans les ouvres étudiées une diversité impressionnante de parcours de vie et parfois tombent sur des témoignages profonds, de recherches spirituelles intenses. Et c’est ainsi que certains se mettent en route.

Certains livres présentant les diverses religions du monde ont pu paraître moyennant quelques corrections et un rappel du point de vue marxiste dans l’introduction. Il semble que la ligne actuelle consiste à être plus tolérants tout en restant ferme sur le fond et sans perdre la face. Pourquoi, par exemple les ouvres de Simone Weil (philosophe d’origine juive, tourmentée par la foi, décédée pendant la dernière guerre mondiale) ont-elles été traduites en chinois ? C’est difficile à expliquer : sa recherche spirituelle, sa quête de Dieu ne cadrent pas du tout avec l’enseignement officiel ? Est-ce que les responsables de la censure ont compris la profondeur du message ? Ont-ils été tout simplement négligents ? Un dictionnaire de la Bible a également vu le jour. Cela crée un étrange mélange dont bénéficient les étudiants curieux ; même si les ouvrages en question ne se trouvent pas dans les bibliothèques des universités.

2.) Le témoignage de parents et amis croyants : dans l’entourage de certains étudiants, il y a des croyants. Ces derniers n’ont pas toujours pu transmettre leur foi aux plus jeunes mais, souvent, ils lui ont, au moins, préparé un terrain favorable. Les jeunes qui ont des croyants dans leur entourage se mettent volontiers en recherche, s’intéressent plus que d’autres aux religions et, finalement, restent toute leur vie plus ‘vulnérables’ aux différents messages spirituels qu’ils rencontrent.

3.) La présence de croyants étrangers en Chine : elle introduit de fait un certain pluralisme dans la vie et dans les échanges en Chine. Ces étrangers sont souvent des gens hautement compétents recrutés par le gouvernement ou qui viennent dans le cadre d’échanges avec l’étranger (jumelage, études universitaires, échanges commerciaux). Ils donnent l’exemple de croyants venant de pays moderne, ayant une formation scientifique et qui, pourtant, tiennent profondément à leur foi. Par leur seule présence, ils démentent les affirmations de la propagande qui proclame que les religions appartiennent à un autre âge, que la foi tient de l’obscurantisme ou de l’ignorance. C’est pourquoi, le gouvernement tient à l’oil les étrangers qui font de longs séjours en Chine. Ils sont surveillés 24 heures sur 24. De plus, les enseignants ne peuvent, en principe, rester au même poste plus de deux années scolaires consécutives. Il est écrit en toute lettre dans leur contrat qu’ils ne doivent pas s’engager dans des “activités incompatibles” avec les lois de la République populaire de Chine. S’ils sont pris en train de faire de la “propagande religieuse”, ils devront payer une amende qui dépasse leur salaire annuel. Ces mesures n’empêchent pas les contacts d’avoir lieu. Chaque année, les protestants surtout, mais aussi les catholiques et les mormons, dans une moindre mesure, facilitent ou provoquent la conversion de nombreux étudiants ou stagiaires.

4) Les stages d’études à l’étranger : nombreux sont les jeunes Chinois qui vont faire des études à l’étranger : certains, parce qu’ils ne trouvent pas en Chine l’enseignement spécialisé qui les intéresse, d’autres dans le cadre de programmes d’échanges, mais beaucoup y vont tout simplement pour sortir de Chine et mieux connaître les réalités du monde. Certains rencontrent, durant leurs études, d’authentiques croyants qui leur font découvrir leur foi sous des aspects qu’ils ne soupçonnaient pas. D’autres se rendent compte à l’étranger que le gouvernement chinois traite ses citoyens comme des enfants en décidant à leur place des grandes options de leur vie. Ils constatent aussi que les religions jouent dans la société où ils sont un rôle très positif : accueil des étrangers, éducation des jeunes, aide aux plus pauvres etc. Ainsi ce couple de professeurs d’université, tous deux membres du Parti, est revenu des Etats-Unis bouleversés par les témoignages de vie spirituelle entendus. Ils se sont fait baptiser aussitôt revenus en Chine et vivent maintenant leur foi dans une semi-clandestinité car on ne démissionne pas du Parti, pas plus qu’on ne peut se montrer dans les églises. Ce couple a déjà une influence profonde sur leurs étudiants.

Problèmes de compatibilité

Nombreux sont les musulmans qui ne voient pas d’incompatibilité entre l’adhésion au Parti et leur croyance en Dieu. Pour eux, la foi n’est pas un choix personnel de vie mais un héritage familial essentiel qu’une adhésion au Parti, pour des raisons de convenance ou d’opportunisme, ne remette pas en cause. Chez les chrétiens, les positions varient selon la profondeur de leur engagement. Certains étudiants, fraîchement convertis, adhéreraient volontiers au Parti, attirés par la noblesse de la cause qui leur est proposé. D’autres considèrent qu’il n’y a pas de relations entre la vie spirituelle, personnelle, profonde et sincère, et la vie professionnelle dure et pleine de concurrence où tous les coups sont permis pour gagner. Une étudiante s’est étonnée d’être refusée au baptême parce que, pendant le catéchuménat, elle avait adhéré au Parti. “Mais je ne vois pas de relation entre ces deux engagements !”, a-t-elle dit en protestant. On l’aura compris, le Parti et les Eglises chassent sur le même terrain ; ils sollicitent la générosité des gens. I1 est inévitable qu’il y ait des conflits. Comme on faisait remarquer au responsable d’une communauté protestante qu’il y avait parmi ses fidèles des étudiants candidats à l’adhésion au Parti, celui-ci répondit : “Dans ces conditions, croyez-vous que le serment d’athéisme qu’ils vont faire ait une quelconque valeur ?” Les chrétiens plus engagés, eux, refusent d’adhérer, non seulement à cause du serment mais pour rester libres de pratiquer leur foi et de garder la possibilité de dire “non” aux ordres dans les cas graves. Ils considèrent qu’il n’y a pas de compatibilité possible entre les deux engagements. Ce faisant, ils se privent de postes de commandement dans leur travail, obligent leur famille à vivre dans des conditions financières très modestes et se mettent légèrement à l’écart de l’ensemble de la société.

Conclusion

Croire en Chine n’est pas facile, c’est un combat de chaque jour qui oblige à beaucoup de détermination et de renoncement. Les étudiants qui s’intéressent aux religions s’en rendent bien vite compte. Les obstacles sont à tous les niveaux et beaucoup sont dus l’hypocrisie du gouvernement en matière de liberté religieuse. Il faudrait dépolitiser les universités chinoises et promouvoir une réelle neutralité officielle qui respecterait toutes les positions philosophiques et religieuses. Est-ce qu’une telle “laïcité” un jour pourra voir le jour en Chine ? Peu de Chinois se rendent compte de l’archaïsme que constitue ce parti pris si idéologique de leur gouvernement. Pour le moment, on n’est pas convaincu de l’urgence que constituerait une telle “déconfessionnalisation”. On préfère s’en tenir aux acquis actuels et faire l’éloge du Parti qui a réussi à faire l’unité de la Chine. Mais est-ce que cette façade d’un autre temps, embarrassante pour un gouvernement qui se dit progressiste, pourra tenir longtemps ? Il serait temps de moderniser les institutions chinoises en ouvrant le pays sur tous les courants philosophiques et spirituels du monde.

En attendant, les étudiants qui s’initient à une foi religieuse doivent se démener pour réussir à trouver la Bible, le Coran ou le catéchisme qu’ils cherchent puis, très soigneusement, les cacher dans leurs affaires, écouter à la sauvette les émissions religieuses des radios de Hongkong, loin des oreilles et des regards indiscrets de leurs camarades (de 6 à 8 par chambre). S’ils participent à des rencontres, ils devront faire varier leurs horaires pour ne pas qu’on remarque leur absence à intervalles réguliers. Finalement, ils devront également faire preuve d’une grande retenue en famille car leurs parents, craignant les ennuis et les critiques, s’efforceront de les dissuader “de s’engager dans cette impasse obscure et dangereuse”. C’est à rude école que sont formés les croyants des universités chinoises !