Eglises d'Asie

LA POLITIQUE RELIGIEUSE DE LA CHINE : 1981 – 1999

Publié le 18/03/2010




Alors que la Chine célèbre le 50ème anniversaire de la fon-dation de la République populaire, il semble opportun de concentrer notre étude sur la situation religieuse et sur la liberté religieuse au cours de ces années sous contrôle com-muniste. Nous nous efforcerons de le faire en examinant divers documents officiels parus entre 1980 et 1999.

La liberté religieuse en Chine doit être comprise comme existant seulement dans les limites de l’idéologie communiste et à la convenance du Parti. En fait, la religion dans un régime communiste existe seulement dans le but de servir ce que le Parti lui-même considère comme étant bon pour le pays et sa société en général.

Ce n’est pas avant mars 1979, après de longs mois de discussion, que les autorités chinoises sont finalement parvenues à s’entendre sur une déclaration à propos de la politique de la Chine envers les religions, politique qui depuis est substantiellement la même. Cette politique a été incorporée dans la nouvelle Constitution de la République populaire de Chine de 1982, dans son article 36.

En parcourant la cinquantaine de documents sur la religion qui ont été publiés entre 1981 et 1999, nous verrons que le gouvernement donne un sens étroit à l’expression “liberté de religion”. Aucun gouvernement ne peut contrôler ce que les gens croient ou non dans leur esprit, mais il est possible de contrôler leurs activités religieuses. La plupart des documents visent à cela.

Essai de classement des documents

Nous souhaitons ici expliquer deux types de documents chinois : les politiques et les règlements, donner la liste des organismes qui émettent ces documents et expliquer leur importance relative, et enfin classifier les documents d’après leurs catégories spécifiques.

Documents, politiques et règlements

Le système légal de la Chine communiste est quelque peu unique. La politique du Parti prend la place de la loi de l’Etat et les “discours” des dirigeants sont supposés avoir un impact majeur sur la vie de la nation. Des documents privés ou confidentiels et des règlements traduisent la politique du Parti et les discours de la direction en lois. Il y a une différence entre un document et un règlement, même si souvent cette distinction n’est ni claire ni mise en pratique. Les documents sont là pour expliquer la politique et comment elle doit être obéie. Un document peut ou ne peut pas, suivant les cas, avoir force de loi. Les règlements interprètent la politique et n’ont pas force de loi. Certains règlements sont donnés par une lettre officielle d’un organisme juridique compétent. Les règlements peuvent être produits à un niveau national, provincial, ou local. Ils peuvent être publiés dans les journaux locaux, dans des journaux spécialisés ou bien, dans le cas des règlements ayant trait aux religions, dans les lieux enregistrés pour le culte. Les règlements au sujet des religions ont généralement trait à des situations locales déjà existantes que le gouvernement veut réglementer ou supprimer.

Les politiques et les documents sont beaucoup plus importants que les règlements. Les raisons et les explications des politiques individuelles sont souvent révélées dans des documents internes et confidentiels. Les directives indiquent aux fonctionnaires du gouvernement comment mettre les politiques en pratique. Les parties concernées sont ensuite informées. La circulation des documents suit une chaîne de commandement très spécifique sur le schéma : “les cadres avant les masses, l’intérieur du Parti avant le non-Parti”.

Les documents secrets sortent rarement de Chine. A travers le réseau d’espionnage de Taiwan, quelques documents de ce type arrivent à sortir et ils sont alors publiés dans les Annales de la Chine communiste.

Organismes qui émettent des documents, et leur impor-tance relative.

Les documents sont émis par une grande variété d’organes au sein du gouvernement. Ces documents ont le poids et l’importance de l’autorité qui les émet.

– Documents émis par le Comité central du Parti communiste chinois : ceux-là sont certainement les plus importants et ils peuvent être émis par trois différents comités : le Comité central du Parti communiste, le Comité consultatif et le Comité d’inspection de la discipline.

– Documents émis par le Conseil d’Etat (l’instance suprême du gouvernement) : ceux-ci sont de trois types et de trois degrés d’autorité : l’Assemblée du peuple, le Gouverne-ment, la Conférence consultative politique.

– Documents de la Commission militaire centrale.

– Documents du Bureau général (règlements qui appliquent les décisions du Parti et du Gouvernement).

– Documents des ministères et des comités centraux. Il existe plus de 100 ministères et comités dépendant des sept organisations centrales du Parti, du Conseil d’Etat et de la Commission militaire centrale déjà mentionnés.

En plus, il existe un grand nombre de “lettres”, d’ “informations” confidentielles et secrètes. Dans son article dans “Le journal de la Chine contemporaine”, Zhao Suisheng en mentionne une vingtaine. Parmi elles, deux publications sont “top-secret” : Mouvement de l’ennemi, compilé par le Bureau de la sécurité publique, qui donne des nouvelles des organisations souterraines, et les Nouvelles fractionnelles, publié par le Bureau de la sécurité de l’Etat. Cette dernière publication donne une information sur les forces internationales anti-chinoises et anti-commu-nistes, ainsi que sur les activités subversives poursuivies en Chine par la Russie, les Etats-Unis, Hongkong et Taiwan.

Xinhua, l’agence de presse officielle de la République populaire, recueille du matériel top-secret sur les affaires nationales et internationales pour les autorités.

Essai de classement des documents mentionnés ci-dessus

(i) Documents publics (Gongkai). Ils sont de deux sortes :

– Les documents ouverts, pour les citoyens chinois et les étrangers.

– Les matériaux de référence. Ces derniers sont en général gardés dans les bibliothèques et ils peuvent être obtenus seulement par quelqu’un qui appartient à une unité spéciale de travail intéressée par des recherches sur ce domaine particulier.

– (ii) Documents internes (Neibu). Ces documents spéci-fient qui a l’autorité pour les lire, et ils sont aussi de deux sortes :

– Pour toutes les personnes d’un département donné. Ils peuvent être publiés dans le journal interne du département, mais ils ne peuvent pas être communiqués à quelqu’un en dehors de ce département.

– Pour les chefs de département. Il est illégal de sortir de Chine ce type de document. En 1989, un prêtre étranger en visite a été détenu, interrogé, et interdit de séjour en Chine pour plusieurs années parce qu’un document de ce type a été trouvé en sa possession.

Généralement, il n’y a pas d’autre moyen pour quiconque en dehors de la Chine d’obtenir ces documents. La majorité des documents qui suivent, et qui maintenant sont briève-ment décrits ci-dessous, appartiennent à cette catégorie. Au sens strict, ils ne sont pas secrets, mais ils sont seulement réservés à un groupe particulier de personnes.

– (iii) Les documents secrets appartiennent à trois catégo-ries :

– Documents confidentiels

– Secrets (mimi) : chacun de ces documents est soigneu-sement numéroté. Personne n’est autorisé à les dupliquer.

– Top secrets (juedmi) : chaque copie et chaque page de ces documents est numérotée. Ceci rend plus facile la recherche de la source au cas où quelqu’un divulgue le contenu de ces documents. Ces documents s’arrêtent au plus haut niveau de l’autorité (nationale, provinciale ou locale, selon les cas).

Les documents secrets sortent rarement de Chine. A travers le réseau d’espionnage de Taiwan, quelques documents de ce type sont parvenus à sortir et ils ont alors été publiés dans les Annales de la Chine communiste.

La distinction entre documents ouverts et confidentiels s’applique aussi à d’autres choses, par exemple aux publications de certaines organisations ou départements. Ainsi, l’Association patriotique des catholiques chinois a deux publications : L’Eglise catholique en Chine, qui est publiée au niveau national et aussi envoyée à l’étranger. Une autre, la Lettre des catholiques de Pékin, est interne, et restreinte à la ville de Pékin. Cette publication est adressée seulement aux abonnés et ne peut être envoyée en dehors de la ville. D’après les observateurs, celle-ci insiste sur une plus stricte observance de la ligne du Parti.

Documents traitant de la liberté de religion en Chine

Dans cette section, nous allons nommer et analyser briève-ment quelques uns des documents politiques religieux les plus significatifs émis depuis 1981. Nous disons “politi-ques” parce que le but de ces documents est précisément de gouverner et de contrôler le phénomène religieux.

31 mars 1982 : le Document 19. C’est le texte de base de la politique religieuse sous Deng Xiaoping. Il admet que le gouvernement a échoué à abolir la religion avec des décrets et par la force ; par conséquent, la religion doit être tolérée comme faisant partie de la réalité présente. La priorité du moment, c’est “le but commun de construire un Etat socialiste puissant et moderne”. Par conséquent, à ce stade, la différence entre le croyant et l’incroyant est secondaire. De plus, il est tenu pour évident que la religion disparaîtra naturellement lorsque le peuple sera suffisamment éduqué et comprendra les secrets de la science. Il est donc inutile de persécuter la religion comme cela a été le cas au cours de la Révolution culturelle. Le document 19 fournit au Parti à la fois une perspective à long terme et des directives pour le présent. Il appelle à un travail à la fois long et persistant sur la religion, sans l’ignorer, mais aussi sans mener de front un assaut global.

27 avril 1982 : l’Article 36 de la nouvelle Constitution. Contrairement aux préambules des Constitutions des pays qui jouissent de la liberté de religion, la Chine, dans ce texte, établit une nette distinction entre liberté de croyance religieuse et liberté d’activité religieuse.

L’article 36 a une longue histoire. Durant la période de la Longue Marche (1935-1936), en vue de gagner le plus de gens possible à leur cause, les dirigeants communistes ont ordonné à leurs partisans de respecter les fidèles des diverses religions. Durant la période du Yenan (1936-1945), le Parti a pris effectivement des mesures pour garantir quelques aspects de la liberté religieuse. Pendant la période de la guerre civile (1945-1949), aussi bien que durant la construction de la Chine nouvelle et socialiste (1949-1954), quelques activités religieuses ont été tolérées. Après cette période, les choses sont devenues plus difficiles et finalement, la Révolution culturelle (1966-1976) a mis fin à toutes les pratiques et activités religieuses. La religion réapparut petit à petit seulement à la fin de la Révolution Culturelle et avec la décision de Deng Xiaoping d’ouvrir la Chine au monde extérieur.

La politique de liberté de croyance religieuse est pleine de tensions. En un certain sens, elle contient une contradiction en ce qu’elle proclame l’athéisme mais tolère la religion. Le Parti répudie la religion, mais par commodité, il montre une volonté de compromis.

Cependant, la politique pratiquée à l’intérieur des directives édictées par l’Etat, accorde aux religions reconnues – bouddhisme, taoïsme, islam, protestantisme et catholicisme – une sorte de statut légal et protège les activités normales des croyants et de leurs chefs. Puisque le terme d’ “activité normale” n’a jamais été clairement défini, nous pouvons seulement supposer que ce qui est considéré par le gouvernement comme non opposé au programme de modernisation est toléré et donc normal ; ce qui pourrait porter atteinte à ce processus de modernisation peut être déclaré non normal, et donc illégal. L’article 36 stipule clairement que les affaires religieuses ne peuvent pas être dominées par des forces étrangères. Ceci est compris comme un avertissement au Vatican.

Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de croyance. Aucun organe de l’Etat, organisa-tion publique, ou individu, ne peut obliger un citoyen à croire ou ne pas croire en une religion, et ne peut faire une discrimination contre les citoyens qui croient ou ne croient pas en une religion. L’Etat protège les activités religieuses normales. Personne ne peut utiliser la religion pour mener des activités qui troublent l’ordre public, portent atteinte à la santé des citoyens, ou s’ingèrent dans le système éducatif de l’Etat. Les corps religieux et les affaires religieuses ne sont sujets d’aucune domination étrangère.

Septembre 1986. Il y a encore un fort élément gauchiste dans le Parti. Dans le journal officiel du Front uni, Jiang Ping, le vice ministre écrit : “Notre fameux dicton marxiste classique ‘la religion est l’opium du peuple’ n’est pas encore obsolète [.], le rôle négatif de la religion ne peut jamais être totalement éliminé [.]. Après la libération de notre pays, [.] la situation religieuse a considérablement changé [.]. Ces changements indiquent que les organisa-tions religieuses ont changé seulement en apparence, mais elles n’ont pas changé un iota dans leur idéologie sociale (ou vision du monde), ou leur idéalisme [.]. Nous n’avons pas d’autre choix que de limiter le degré et l’extension de leurs activités.” (Tripod, Mi Chenfeng, N° 95, p. 12)

1987 : Règlements pour la supervision administrative des activités religieuses

1987 : Constitution de l’Association patriotique des catholiques chinois

1er mai 1988 : Règlement du Guangdong n° 44 : Règlements pour la supervision administrative des lieux d’activité religieuse pour la province du Guangdong

17 février 1989 : Document n° 3 : Augmenter le contrôle sur l’Eglise catholique pour faire face à la nouvelle situation. Celui-ci est le premier document qui traite spécifiquement de l’Eglise catholique. Il affirme que la situation entre l’Eglise “officielle” et la politique religieuse du gouvernement s’est améliorée mais il menace aussi de prendre des mesures répressives contre l’Eglise “souterraine”. “Nous devons faire un exemple avec ces individus souterrains qui persévèrent dans leur opposition butée en dépit des efforts patients du gouvernement pour les convaincre.” On doit les traiter sévèrement, comme le prescrit la loi. Le document est très dur contre l’Eglise “souterraine” et contre le Vatican. Il répète que le Vatican n’a pas changé sa position depuis 1958 ; et qu’il doit d’abord rompre ses relations diplomatiques avec Taiwan avant que les relations sino-vaticanes puissent commencer à s’améliorer. De plus, il doit se tenir en dehors des affaires intérieures de la Chine. Cependant, le document permet aux catholiques de reconnaître la primauté spirituelle du Pape. C’est un document interne.

21 novembre 1989 : la Conférence de Sanyuan Shaanxi. Ceci est la date à laquelle les évêques de l’Eglise souterraine ont établi la Conférence épiscopale de Chine continentale. Tous les participants à cette conférence ont été arrêtés dans les mois qui ont suivi.

25 mai 1990 : Asia Watch publie un dossier à propos d’un évêque clandestin protestant de la province du Hebei et sur la énième fois où il a été condamné à la rééducation par le travail.

5 août 1990 : Note de mise en garde relatif à l’usage d’activités religieuses pour gêner l’éducation à l’école. Ceci est un document interne, peut-être secret, jamais publié en Chine (à Hongkong, il l’a été par Asia Watch. Il critique les organisations étrangères et leurs enseignements parce qu’elles “[.] propagent une idéologie religieuse et distribuent du matériel de propagande aux étudiants. Sous couvert d’enseigner une langue étrangère, ils enseignent en fait les classiques religieux, qui ne sont pas au programme des universités, ainsi que des matériaux d’enseignement [.]. Les jeunes sont encouragés à partir étudier dans des institutions religieuses à l’étranger. Les écoles à tous les niveaux et de tous types devraient renforcer l’éducation sur l’analyse marxiste de la religion et sur la pensée scientifique. L’éducation athée devrait être faite dans toutes les matières académiques de telle manière à ce que les étudiants développent petit à petit une vision correcte de la vie et du monde. Des activités extra-scolaires variées et intéressantes devraient être développées pour enrichir la vie des étudiants après la classe et remplir le temps après les classes avec des activités qui encourageront ‘des attitudes et une pensée correctes'”.

Août 1990 : Règlements provinciaux concernant les lieux utilisés pour des activités religieuses à Kunming (province du Yunnan).

Septembre 1990 : Règlements provinciaux pour l’adminis-tration des activités religieuses dans la Région autonome ouïgoure du Xinjiang.

31 octobre 1990 : Un règlement concernant la protection des activités religieuses normales dans l’Eglise chrétienne du Hunan.

5-10 décembre 1990 : Conférence nationale sur la religion. Li Peng, dans un discours adressé aux dirigeants religieux, a désigné le christianisme comme l’un des éléments majeurs parmi les forces étrangères ennemies, prêtes à détruire le communisme, à diviser et à occidentaliser la Chine. Le discours de Li Peng a été en substance repris par Jiang Zemin, Ren Wuzhi, du Bureau des Affaires religieuses, et par Ismail Amat, directeur du Comité pour les affaires des minorités ethniques. (Voir Béatrice Leung, “The Sino-Vatican Negotiations : old problem in a new age”, dans The China Quarterly, n° 153, 1998, p. 130)

1990 : Chen Yun écrit à Jiang Zemin et dit son anxiété au sujet de la religion qui sape la priorité du Parti et son autorité idéologique. “Cela a depuis longtemps été une technique établie par nos ennemis de classe, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays, que d’utiliser la religion pour nous arracher notre jeunesse.” “[La religion] est un élément qui contribue à l’instabilité sociale”. Les thèmes  “évolution pacifique” et “nous arrachant notre jeunesse” sont des expressions qui reviennent souvent dans les interventions des dirigeants.

Janvier 1991 : Prescriptions pour les villageois au sujet des activités religieuses normales. Ceci est un document interne publié dans un village dont le nom n’est pas indiqué. (En fait pour un village du district de Baoding de la province de Hebei). Il a été publié par Asia Watch. “Chacun a la responsabilité de lutter contre les forces souterraines catholiques. Des récompenses seront accordées à ceux qui les feront courageusement connaître [.] et des punitions infligées selon la loi à ceux qui les connaissent mais qui ne les ont pas dénoncées [.].” Le document continue avec d’autres normes du même genre.

30 janvier 1991 : Dans un discours aux chefs religieux à l’occasion du nouvel an, Jiang Zemin met de nouveau en garde contre les “forces étrangères hostiles”.

5 février 1991 : Document n° 6 : Quelques problèmes concernant une amélioration du travail envers la religion. C’est un document interne. C’est aussi le document le plus important sur la religion après le document n° 19 de 1982. Il ne parle plus du déclin naturel de la religion. Cependant, une “évolution pacifique” est condamnée, ainsi qu’une infiltration chrétienne étrangère qui “lutte contre nous pour conquérir les cours et les esprits de notre jeunesse”. Le document insiste sur le besoin de mettre en pratique la politique de la liberté de croyance religieuse soigneusement et complètement et de traiter toutes les affaires religieuses d’après la loi. Il donne toute liberté aux agents de la Sécurité publique pour s’assurer que personne n’utilise la religion pour mener des activités criminelles. “Les principaux coupables qui s’allient aux forces hostiles hors du pays pour mettre en péril la sécurité de la Chine doivent être sévèrement punis.” Son objet est aussi de renforcer le rôle du Parti dans le travail sur la religion.

1991. Suite à la parution du document 6, le gouvernement, en avril et mai, convoque à Pékin les évêques du sud de la Chine, en deux groupes, pour insister auprès d’eux sur l’importance de la politique religieuse du gouvernement.

15 mars 1991 : Vigilance contre l’infiltration par des forces religieuses venant de l’étranger. Ce document interne n’a jamais été publié, et peut peut-être être qualifié de document secret. Une copie écrite à la main est parvenu à Hongkong en 1991 et a été reproduite par Asia Watch. Ce document donne neuf exemples et modes d’infiltration de l’étranger. Nous donnons seulement les exemples qui intéressent immédiatement l’Eglise catholique.

– Les fonctionnaires des douanes ont confisqué 240 000 exemplaires de littérature religieuse et 3 332 matériels audiovisuels en 1989. Tous ces matériels étaient portés à la main ou envoyés par la poste. Dans les deux premiers mois de 1990, les douanes ont saisi 38 000 livres et 1 061 matériels audiovisuels.

– Des forces étrangères “utilisent les échanges académiques, envoient des enseignants étrangers en Chine, offrent des bourses à des étudiants chinois dans le but d’évangéliser notre jeunesse”. Sont nommés dans ce document la Société anglo-chinoise (protestante), la Fondation Ferdinand Verbiest en Belgique et l’Association Schall von Bell en Allemagne (toutes deux catholiques). “Ces organisations arrangent même pour les étudiants étrangers une visite du Vatican et une audience du Pape.”

– Dans un but d’évangélisation, les forces religieuses étrangères financent la construction d’usines, d’hôpitaux et d’écoles.

– Elles utilisent le tourisme ou des visites pour pratiquer des activités religieuses ; par ex., un Américain à Shanghai a créé un réseau de 400 personnes.

– L’ordination d’évêques clandestins avec l’accord du Vatican. « L’Eglise souterraine catholique émerge comme un pouvoir politique qui s’oppose au gouvernement.”

– Des forces religieuses étrangères apportent une aide financière au clergé.

10 avril 1991 : La publication officielle de l’Eglise “officielle”, l’Eglise catholique en Chine, souligne l’importance de l’éducation politique dans les séminaires.

5 juillet 1991 : Renforcement du contrôle des activités religieuses dans tout le district, gouvernement populaire du district de Taishung, province du Zhejiang.

5 août 1991 : Note pour mettre en garde contre l’utilisation de certains lieux pour mener des activités religieuses au détriment de l’éducation scolaire.

21 août 1991 : Supervision des lieux d’activités religieuses dans la province du Henan.

Octobre-décembre 1991 : Après la publication du document 6, les jeunes prêtres sont convoqués pour participer à un cours de trois mois à Pékin sur le marxisme, le socialisme et la politique religieuse.

Novembre 1991. Le Front uni de Guangdong publie des directives interdisant la célébration de Noël (lanternes, chants, lumières festives, etc.) hors des Eglises.

1991 : Règlements concernant la protection des activités religieuses normales dans l’Eglise chrétienne du Hunan.

1991 : Le Bureau de la Sécurité publique prétend que la religion est l’un des quatre principaux facteurs qui contribuent à l’instabilité sociale.

28 janvier 1992 : dans un discours aux responsables religieux, Jiang Zemin parle de “renforcer la supervision des activités religieuses”.

Mars-juin 1992 : Les jeunes prêtres sont à nouveau priés de passer trois mois à Pékin pour y étudier le marxisme, le socialisme et la politique religieuse.

11 septembre 1992 : Règlements provinciaux pour l’enre-gistrement et la gestion des lieux d’activités religieuses dans la province du Fujian.

1992 : Règlements pour la direction des activités reli-gieuses dans la province du Zhejiang.

4 mai 1993 : Règlements pour la direction des activités religieuses et la supervision des travailleurs religieux dans la province du Hebei.

16 octobre 1993 : Règlements pour la supervision des travailleurs religieux dans la province du Sichuan.

18 novembre 1993 : Règlements pour la direction des activités religieuses dans la province du Shandong.

Janvier 1994 : Li Peng signe deux importants décrets publiés par le Conseil d’Etat. Ce sont les documents n° 144, Décret du Conseil d’Etat de République populaire de Chine relatif aux activités religieuses des étrangers en Chine, et le décret n° 145, Décret du Conseil d’Etat de la République populaire de Chine relatif à la supervision des événements religieux en Chine. Ces deux documents constituent la pier-re angulaire du contrôle et de la supervision de la religion. En 1997, un étranger, qui se rendait fréquemment sur le continent, est expulsé de Chine pour avoir, selon la Sécurité publique locale, violé les articles 8 et 16 du décret n° 144 .

2 mars 1994 : Règlements pour la mise en application du document 145 relatif aux lieux de cultes.

Mai 1994 : Procédures d’enregistrement pour les événements religieux.

1995 : Le Bureau des affaires religieuses commence la publication de La religion en Chine.

Août 1995 : La Conférence des évêques “officiels” publie sa première lettre pastorale au sujet des femmes.

30 novembre 1995 : Règlements du Bureau des Affaires religieuses de Shanghai.

1995 : Liu Peng, de l’Académie des sciences sociales, lors d’une conférence à l’université de Hongkong, donne l’une des meilleures et plus claires descriptions de la politique de contrôle et de manipulation de la religion de la Chine : “[.]la religion est acceptée par l’Etat pour autant qu’elle reconnaît l’autorité politique de l’Etat, accepte sa prééminence dans toutes les sphères de la société et applique sa politique. Les administrations publiques dirigent les organisations religieuses qui ne sont pas impliquées dans le travail de l’administration, dans le système judiciaire ou l’éducation. Le rôle de la religion dans la société est strictement délimité. [.] Même les organisations patriotiques doivent accepter le rôle dirigeant du Parti communiste et du gouvernement. Le gouvernement central a rappelé cette position dans le document n° 6, en 1991. Ces prises de position officielles indiquent que la nature des relations entre le Parti communiste chinois et l’Etat d’une part, les organisations religieuses d’autre part, est une relation de dirigeants à dirigés. [.] Ces groupes religieux sont dirigés par le gouvernement et doivent mettre en ouvre les politiques du Parti et du gouvernement. Si les groupes religieux sont bien indépendants dans leur administration et leur organisation, ils ne diffèrent pas d’un point de vue politique des institutions qui sont placées sous le contrôle direct du gouvernement. [.] Ceci signifie que les religions en Chine n’ont pas le droit de s’impliquer dans les domaines de l’administration, des affaires judiciaires et dans le système éducatif (que ce soit par le biais d’écoles, de cours par correspondance ou dans les médias) [.] En fonction de cette analyse, les relations entre l’Etat et l’Eglise en Chine sont de nature ‘l’Etat domine la religion’. [.] De toute évidence, cette politique de liberté des croyances religieu-ses n’est pas fondée sur la conscience d’un quelconque théisme ou sur le concept de valeurs religieuses, mais plu-tôt sur des considérations réalistes et pragmatiques selon lesquelles la religion peut servir les buts politiques du Parti et de l’Etat.” (Tripod, Vol. XV, n° 88, 1995, pp. 5-18)

14 mars 1996 : Le China Daily publie un article signé par Ye Xiaowen, directeur du Bureau des Affaires religieuses à Pékin. Les points principaux en sont les suivants : application de la politique religieuse du Parti, renforcement de la supervision des activités religieuses, adaptation de la religion au socialisme. A propos de la religion, appliquer les “quatre protections” : protéger la dignité de la loi, protéger l’intérêt populaire, protéger l’unité des nationalités et protéger l’unité nationale. Cet article est un texte relativement ouvert, avec de nombreuses idées et ambiguïtés, qui peut être aisément manipulé (Tripod, Vol. XVI, n° 95, 1996, pp. 44-51).

1996 : Discours de Ye Xiaowen, directeur du Bureau des Affaires religieuses, à l’école centrale du Parti. La religion chrétienne est un des principaux outils de l’Occident utilisé afin de mener à une évolution pacifique de la Chine. Le but de ces forces hostiles est de parvenir, par le biais de cette évolution pacifique, à l’occidentalisation et à la division de la Chine. A propos de la religion, l’objectif à long terme du gouvernement est d’éliminer l’impact de la religion en Chi-ne (Document interne, trad. Beatrice Leung, op. cit. p. 132).

D’autres documents internes de la même année évoquent l’Occident capitaliste qui cherche à diviser et à transformer la Chine, à lier les affaires de la religion avec la dissidence interne et les forces clandestines (les évêques “clandestins” rentrent dans cette dernière catégorie). Ces mêmes documents disent qu’il y a des théoriciens qui maintiennent que le problème de la religion se trouve au sein du peuple. Etant donné que c’est un problème interne au peuple, il peut être résolu par des consultations pacifiques (les contradictions seront dépassées par le processus dialectique). Mais d’autres théoriciens, plus radicaux, ont des vues différentes. Ils voient en la religion un ennemi, un instrument des puissances occidentales, qui soutient des mouvements politiques et séparatistes et qui doit être traitée comme un ennemi. (Document interne de Neibu Wenjian, n° 5, 1996, traduit par Beatrice Leung.) (Luo Shu-gang est un de ces théoriciens radicaux.)

1996 : Document interne : Certains problèmes d’actualité à propos de notre travail sur les religions

1er janvier 1996 : Règlements concernant les personnels religieux extérieurs qui viennent à Jingxian (province du Hebei) pour y mener des activités ou distribuer des dons et des cadeaux

1996 : Méthode pour l’inspection annuelle des lieux d’activités religieuses

20 novembre 1996 : Document n° 42 de la province du Jiangxi : Procédure pour l’éradication des activités religieuses illégales de l’Eglise catholique. Ce document apporte la confirmation que “mettre un frein au développement des activités illégales de l’Eglise catholique clandestine est une tâche politique critique et décisive”. Les objectifs de cette campagne sont fixés avec des dates précises, particulièrement afin d’empêcher la célébration de Noël. Parmi les choses à mettre en place, on peut lire : “ouvrir un dossier pour chaque fidèle catholique, forcer les catholiques à rédiger des lettres de repentance, à reconnaître la politique d’indépendance et d’autonomie et à prendre part aux activités religieuses légales [.]. Si un séminaire clandestin est découvert, il doit être absolument et complètement détruit [.]. Interdire et éliminer avec fermeté les grands rassemblements tels ceux qui sont organisés pour le 25 décembre [.]. Personne n’est autorisé à quitter le village ou la ville à la date du 25 décembre [.]. Infiltrer les écoles [.]. Détruire les lieux de culte illégaux [.]. Les problèmes à caractère religieux doivent trouver une solution comme ils étaient de nature non religieuse”. Cette dernière phrase indique bien ce qui se cache derrière les fréquentes prises de position des autorités selon lesquelles “personne en Chine n’est arrêté pour ses convictions religieuses”. A la fin du document suit une liste de noms, noms de ceux qui doivent prendre part à la campagne et une description du rôle qui leur est attribué. (source : Fondation du cardinal Kung)

27 février 1997 : Document interne de la ville de Tongxiang (province du Zhejiang) intitulé : Opinion concernant les actions destinées à mener à bien la lutte spéciale visant à mettre fin aux activités illégales des chrétiens protestants et catholiques selon la loi. Ce document est signé et publié par le Département du travail du Front uni municipal de Tongxiang et par le Bureau de la Sécurité publique de la Commission municipale du Parti communiste chinois de Tongxiang.

Quelques jours plus tard, le 4 mars, de la même ville, et par le biais des mêmes organes, un document semblable est publié par les villes de Donglai dans le Jiangxi. Ce document décrète le déclenchement d’une lutte contre les activités illégales. D’autres documents semblables existent pour les provinces du Hebei, du Heilongjiang et, ainsi que nous venons de l’écrire, pour le Jiangxi à propos des Procédures pour mettre fin aux activités illégales de l’Eglise catholique non officielle. Les objectifs sont les suivants :

Détruire l’organisation villageoise de l’Eglise clandestine.

Empêcher les contacts avec les gens de l’étranger.

Détruire les lieux de rassemblement illégaux.

Détruire les instruments de propagande religieuse.

Renforcer la civilisation spirituelle et les organisations de base (syndicats de travailleurs, jeunesses communistes, ligues des femmes, etc.).

Coordonner le travail des forces de sécurité.

“Infiltrer les écoles”, empêcher que la religion ne s’ingère dans l’éducation. Augmenter le pouvoir des instituteurs dans les villages chrétiens.

Punir ou renvoyer les instituteurs qui s’adonnent à des pratiques religieuses illégales.

Ne permettre aucun travail missionnaire dans les écoles.

Ne permettre à personne d’étudier la religion ou de participer à quelque activité religieuse que ce soit.

Ne pas permettre aux étudiants de porter un signe religieux, ni de posséder aucun matériaux de nature religieuse. (source : Fides)

A Baoding, dans la province du Hebei, le gouvernement a mis sur pied une commission administrative pour les affaires religieuses dans chacun des 111 villages du district. Les activités de ces commissions sont bien décrites dans le Sunday Examiner : expulsion des responsables de groupes catholiques et enregistrement forcé des parents sous peine de voir leurs enfants renvoyés de l’école.

Nous voulons aussi ajouter que, même si cela n’est pas mentionné dans ces documents, se pose le problème de la façon dont “la politique de contrôle de la population” est imposée. Cette politique inclut le recours à l’avortement forcé, la démolition des maisons de ceux qui ne se plient pas à cette politique et de lourdes amendes. Selon un observateur catholique, tout ceci “fait reposer un lourd fardeau sur la conscience des catholiques”.

11 avril 1997 : Trois documents internes concernant le Hebei, le Liaoning et le Henan, évoquent la suppression des activités clandestines des catholiques et des protestants, lesquelles sont devenues importantes.

26 août 1997 : A l’occasion du 40ème anniversaire de la fondation de l’Association patriotique des catholiques chinois, Qian Qichen donne un discours. Evoquant les origines de l’Association, il présente celle-ci comme issue d’une initiative spontanée des catholiques, comme le fruit de la réflexion de ces derniers sur la situation de l’Eglise. Il assigne les tâches suivantes aux catholiques :

le patriotisme ;

la coopération avec le Parti et l’Etat afin d’appliquer la politique religieuse contre les forces extérieures qui, sous couvert de religion, cherchent à infiltrer et à détruire la Chine ;

l’approfondissement de la formation idéologique en renforçant la ligne de Front uni.

Sur la question du Vatican, il répète la ligne dure : “Laissant de côté la question de l’amélioration des rela-tions entre la Chine et le Vatican, l’Eglise catholique chinoise doit tenir bien haut la bannière du patriotisme, affirmer les trois autonomies et enfin sélectionner et ordon-ner ses propres évêques. Cela est notre position de base.”

A cette occasion, dans un discours dur, Fu Tieshan, le nouveau responsable de l’Association patriotique (dont il est alors le président exécutif) a cherché à justifier les trois autonomies comme la volonté de Dieu. Evoquant les missionnaires d’autrefois, il les a accusé d’avoir maintenu l’Eglise chinoise dans un statut colonial ; il a loué le socialisme pour avoir libéré la Chine. Il a poursuivi en accusant des forces étrangères de placer des obstacles sur la route vers l’autonomie. A n’en pas douter, ce discours n’avait pas été préparé par lui, mais sûrement écrit par un des nombreux employés du bureau central de l’Association patriotique à Pékin. Cependant, les observateurs de l’Eglise ont apprécié la chose suivante : “Sous les termes d’Eglise autonome avec sa propre administration, nous parlons des aspects politiques, de l’économie, des affaires ecclésiales et administratives, et pas des dogmes à croire, ni des préceptes de l’Eglise à mettre en pratique. L’Eglise chinoise en termes de foi est égale à toutes les autres Eglises à travers le monde, partage la même foi, administre le même baptême et est fidèle à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Les évêques, les prêtres et les fidèles en Chine sont semblables aux évêques, aux prêtres et aux fidèles dans le reste du monde ; ils prient quotidiennement pour le Saint Père”. (Asia News et Mondo e Missione Supplement, n° 10, 1997, pp. 51-58)

16 octobre 1997 : Livre blanc sur la liberté religieuse : la liberté de religion garantie, les droits religieux bien protégés. Le 16 octobre 1997, le Bureau d’information du Conseil d’Etat de la République populaire de Chine a publié un Livre blanc sur la liberté religieuse en Chine, un document de 10 000 caractères (6 000 mots), rendu public 10 jours avant la visite de Jiang Zemin aux Etats-Unis. De ce fait, ce document valait à la foi comme une déclaration politique et comme un outil de propagande.

Ce document est divisé en cinq parties :

La situation des religions en Chine, statistiques et information. Cette partie affirme que la situation religieuse en Chine est en ligne avec les pratiques internationales de liberté religieuse.

La liberté religieuse est protégée par la loi. La Révolution culturelle est décrite comme un désastre national et ses aberrations sont condamnées. Le livre déclare que la liberté religieuse en Chine aujourd’hui est en ligne avec la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies.

Administration et supervision de la liberté religieuse selon la loi. Pour expliquer l’enregistrement obligatoire des activités religieuses auprès du gouvernement, le livre affirme que de telles procédures sont normales dans de nombreux pays. (Ce qui n’est pas mentionné, bien entendu, est que dans la plupart des pays, cet enregistrement auprès des autorités est conçu pour garantir la liberté de religion et des activités religieuses, pas pour les contrôler.)

Le gouvernement chinois soutient l’indépendance et l’autonomie dans la gestion des affaires religieuses. Ce point est argumenté tout au long d’un important développement rappelant comment les missionnaires étrangers aux XIX et XXème siècles ont été utilisés par les impérialistes et ont été eux-mêmes des instruments d’agression. Les missionnaires sont décrits comme ayant pris part au commerce de l’opium, à la rédaction des Traités inégaux et ont servi de guides et d’interprètes lors de la révolte des Boxers en 1900. Ils sont aussi accusés d’avoir pris avantage de l’extraterritorialité et d’avoir renforcé le pouvoir des puissances étrangères sur la Chine en se servant de cas d’attaques à leur encontre. Plus même, à la fin de 1949, selon ce Livre blanc, les Eglises catholiques et protestantes étaient dominées par des éléments étrangers hostiles à la Chine. Le Livre blanc enfin ne ménage pas le Vatican, rappelant la reconnaissance diplomatique donnée à l’Etat du Mandchoukouo et l’accusant de s’être opposé à la naissance et à la libération de la Chine nouvelle.

Le gouvernement protège le droit des minorités ethniques à la liberté de croyance religieuse. L’accent ici est porté sur la liberté dont “jouissent” les peuples du Tibet et des minorités musulmanes.

Il est dommage que ce document ne reconnaisse aucune valeur à l’action des missionnaires de cette époque. Des chercheurs au sein d’institutions du gouvernement ont fait montre d’une approche beaucoup plus positive. L’Académie des Sciences sociales a organisé en 1994 un premier colloque à Pékin à propos de Martino Martini et un second la même année sur le thème “Chrétienté et modernisation”. Un certain nombre d’articles ont paru dans les journaux de Chine continentale décrivant la contribution des missionnaires, tout particulièrement au cours des dynasties Ming et Ching. Parmi les missionnaires souvent mis en valeur dans les études chinoises, on trouve Matteo Ricci (dans le China Daily du 15 janvier 1986), Ferdinand Verbiest (dans le China Daily du 1er mai 1986), Michael Boym (dans le China Daily du 1er juin 1997) et Giuseppe Castiglione (dans le China Daily du 14 juillet 1988). Ces missionnaires ont été salués pour la conscience qu’ils ont eu du besoin de l’inculturation et pour avoir partagé leurs connaissances scientifiques. Le travail auprès des orphelins et des enfants abandonnés, dans les domaines de la santé et de l’éducation ainsi que d’autres formes de travail charitable ont aussi été soulignés.

Le Livre blanc semble avoir été rédigé par des politiques plutôt que par des experts. Quelque chose de plus nouveau et différent est attendu d’un document public publié à un moment clé des relations extérieures de la Chine. Le contenu de ce Livre blanc a été une déception pour pratiquement tout le monde. C’est bien dommage étant donné que le gouvernement a sans doute voulu ce document dans le but de rassurer l’opinion publique aux Etats-Unis et à travers le reste du monde de la situation positive de la religion dans la Chine d’aujourd’hui. Un document écrit dans un style plus nuancé aurait été plus crédible et plus satisfaisant en termes de relations publiques.

22 octobre 1997 : Règlements à propos de la supervision des activités religieuses dans la province du Henan

28 décembre 1997 : Règlements des activités religieuses dans la ville de Guangzhou. L’Assemblée populaire de la province du Guangdong a approuvé ce document. Il a été appliqué à partir du 1er mars 1998. Il reprend tout ce qui a été déjà écrit ailleurs au sujet du contrôle direct par le Bureau des Affaires religieuses de toutes les activités des organisations religieuses. Il ajoute des amendes monétaires tout spécialement à l’attention de ceux qui reçoivent des fonds de l’étranger sans en avoir reçu au préalable l’auto-risation du Bureau des Affaires religieuses. Les amendes vont de 10 000 à 50 000 Rmb, une petite fortune en Chine. Une forte amende est aussi prévue pour quiconque célèbre ou assiste à une messe non autorisée. Ce document a été publié dans Tripod (Vol. VXIII, n° 103, 1998, pp. 35-45).

17 janvier 1998 : rapport de Fu Tieshan à propos de l’Association patriotique des catholiques chinois et de la Conférence des évêques, rapport lu lors de la sixième Assemblée nationale des représentants catholiques. Dans ce discours, il insiste sur la chose suivante : “A propos de ceux qui ne comprennent pas ou conservent des idées erronées sur l’Association patriotique, nous devons mener un patient travail de propagande parmi eux pour leur expliquer la politique du gouvernement et les implications de l’indépendance, de la souveraineté et de l’autonomie, pour éliminer les incompréhensions et les préjugés, pour construire la solidarité, pour s’attacher à adopter une perspective plus large [.].” (China Study Journal, Vol. 13, n°1, 1998, pp. 50-60).

17 janvier 1998 : discours de Ye Xiaowen, directeur du Bureau des Affaires religieuses, au sixième Congrès national des représentants catholiques. A cette occasion, Ye souligne trois points : tenir bien haut la bannière du patriotisme et poursuivre sur la voie vers une Eglise indépendante, autonome et autogérée ; s’adapter à la société socialiste de façon à contribuer à la stabilité et au développement du pays ; renforcer le rôle des associations patriotiques afin de développer leur fonction de lien avec le Parti et le gouvernement.

Sans aucun doute, de nombreux autres textes et documents ont échappé à notre attention, mais cet échantillon donnera aux lecteurs une idée de la fréquence avec laquelle, au cours de ces dernières années, le gouvernement s’est soucié de divers aspects relatifs à l’exercice de la religion. De par le monde, il est difficile de trouver un autre gouvernement qui ait produit autant de textes sur la religion en un laps de temps si court.

Remarques sur la politique religieuse du gouvernement

Dans la partie précédente, nous avons donné quelques exemples des textes et règlements produits par le gouvernement chinois pour contrôler l’exercice des religions. La plupart de ces documents sont en grande partie identiques. Et, étant donné qu’ils sont presque tous à usage interne et secret, on peut présumer qu’il en existe d’autres dont nous n’avons pas connaissance. Dans cette partie, nous souhaitons donner un aperçu général de la politique religieuse de la Chine au cours des deux dernières décennies de ce siècle.

Les années 1980 : Deng Xiaoping voulait se servir de tous les moyens sociaux afin de mener à bien les “Quatre modernisations”. Il souhaitait pour cela éradiquer les conflits qui avaient paralysé le pays durant la Révolution culturelle. La religion, dans les années 1980, a été intégrée dans la politique de Front uni. Le Front uni est un organe du Parti composé d’un groupe de personnes d’horizons très divers et convaincus de soutenir la modernisation socialiste. Son slogan est : “Rechercher l’unité tout en maintenant les différences”. L’objet originel du Front uni découle d’un mot de Lénine, “Nous devons nous unir avec nos ennemis mineurs afin de combattre nos ennemis majeurs”.

Le Bureau des Affaires religieuses, par ailleurs, est un organe du Conseil d’Etat. Ces deux organes sont en liaison constante et ont pour tâche de mettre en ouvre les politiques religieuses du gouvernement. Dans la définition de ces politiques, le Front uni a la préséance sur le Bureau des Affaires religieuses.

Bien que la répression n’ait pas vraiment cessé tout au long des années 1980, il ne semble pas que la religion ait été un objet de préoccupation majeure pour le Parti. Les documents produits au cours de ces dix années sont finalement assez rares.

Deng Xiaoping était indifférent à l’égard de la question religieuse et ne considérait pas le christianisme comme une menace. Il n’a pas non plus cherché à améliorer l’image de la Chine à l’étranger en utilisant la religion. Lors de son voyage triomphal aux Etats-Unis en 1979, à l’occasion duquel il reçut un diplôme Honoris Causa à l’université de Harvard, ni lui, ni personne n’a soulevé la question religieuse. L’impression commune était que la religion en général et le christianisme en particulier avaient disparu de Chine. Ceci mis à part, Deng a été accueilli comme un réformateur et un dirigeant ouvert.

Les années 1990 : Dans certaines régions de Chine, la situation s’est, semble-t-il, améliorée. Les gens ont même pris plus de libertés que celles qui leur étaient effectivement concédées. D’une situation de persécution, on est passé à une situation de discrimination : “Aujourd’hui, il y a vraiment peu de persécution mais beaucoup de discrimination. Lorsqu’il devient connu qu’une personne est chrétienne, cette personne perd automatiquement certains droits. Il devient plus difficile d’obtenir un emploi, une bonne éducation, de voyager à l’étranger, etc. L’explication de cet état de fait est que la société est principalement dirigée par le Parti communiste et l’idéologie qui y est attachée.” (Ibid., Asia Watch)

Les persécutions religieuses ont considérablement diminué depuis l’époque de la Révolution culturelle. Il y a environ 50 millions de chrétiens en Chine et on estime généralement qu’une centaine d’entre eux sont aujourd’hui en prison (bien que certains estiment ce chiffre grossièrement sous-estimé). Mais cela n’empêche pas que les chrétiens soient victimes de discrimination dans de nombreux secteurs de la société. A l’université, par exemple, – et c’est particulièrement vrai dans les disciplines les plus sensibles -, il est très difficile à un chrétien de mener une carrière académique brillante.

Au cours des années 1990, l’Etat a semblé être plus sur la défensive et inquiet que durant les années 1980. En conséquence, les organes principaux de l’Etat ont produit tout un tas de documents, règlements, et autres mémos au sujet de la religion. Le cadre, suscité, déclarait ainsi à Asianews : “Les années 1990, et plus particulièrement au milieu de cette décennie, on a pu noter une régression significative qui s’est traduite par plus de répression et de discrimination à l’encontre des croyants.”

Y a-t-il des politiques divergentes ? Si oui, à quel degré ?

Selon plusieurs personnes que nous avons consultées, on peut déduire deux politiques divergentes de l’étude de divers documents.

Il y a une politique sous-jacente, une politique à long terme du Parti communiste. Cette politique vise à l’élimination de la religion. Le document 19, la déclaration de Jiang Ping en 1986, le fait que persiste un fort courant d’extrême gauche au sein du Parti démontrent aisément ce point. La plupart des observateurs estiment que ce courant d’extrême gauche forme une petite minorité. Selon Mi Chengfeng, au contraire, ils sont la majorité mais Deng Xiaoping les a réduits au silence.

Puisque la religion existe, il faut l’utiliser pour renfor-cer le pouvoir du Parti. Selon certains, il n’y a qu’une seule politique mais celle-ci a deux faces : “côté pile” et “côté face”. Un observateur informé, s’appuyant sur certains témoignages qu’il a recueillis en Chine, explique la chose suivante : “Dans sa relation avec les autres organisations, le Parti et le gouvernement jouent constamment à deux niveaux : ‘au-dessus de la table’ pour le grand public et ‘sous la table’, à un ni-veau qui ne peut être perçu que difficilement et au prix d’une longue familiarité avec les façons de faire du Parti. Les documents secrets tombent dans cette der-nière catégorie. Dans sa façon de traiter un problème, le Parti produit le plus souvent deux documents : l’un pour le public (de la poudre aux yeux) et l’autre pour les membres du Parti (sa véritable politique).”

Cet observateur poursuit : “Les documents ‘au-dessus de la table’ sont des documents publics. Ils traitent de la liberté religieuse, de la protection juridique dont jouissent les croyants chinois et du devoir des religions de contribuer à la stabilité de l’ordre social. Les documents ‘sous la table’ sont internes au Parti et décrivent les mesures vigoureuses à prendre pour forcer les croyants à se plier à la politique religieuse du gouvernement.”

“Nous savons, poursuit-il, que ces documents secrets contiennent les instructions suivantes : infiltrer l’Eglise clandestine ; faire savoir aux membres des communautés clandestines qu’ils ont été dénoncés par des membres des communautés officielles et vice-versa ; frapper fort sur les clandestins et attiser les divisions internes.”

Crise au sein du Parti et crainte du christianisme

Pourquoi tant de campagnes contre l’Eglise clandestine et tant d’accusations décrivant le christianisme comme un instrument de l’Occident visant à une lente, progressive et pacifique occidentalisation et division de la Chine ? Sans doute parce que le Parti essaie désespérément de trouver une légitimité à son propre pouvoir alors même qu’il se trouve confronté aux difficultés suivantes :

une crise de foi à l’intérieur du Parti ;

une idéologie communiste affaiblie et illusoire.

Certains événements ont aussi sapé la confiance que le Parti pouvait avoir en lui-même (Tienanmen ; l’amenuisement du poids de l’Etat dans l’économie et la perte d’influence qui en découle ; la corruption et les abus de pouvoir qui règnent chez les jeunes “princes” ; le retour en Chine des étudiants qui ont étudié à l’étranger).

Le Parti communiste chinois craint les religions parce que les religions offrent une alternative en se montrant à même de combler le vide présent et en défiant l’autorité des enseignements du Parti. En réalité, d’un point de vue interne, le Parti perd son autorité idéologique et, en-dehors du Parti, les religions gagnent du terrain.

Le christianisme est particulièrement craint du fait de la croissance continue du nombre de ses fidèles. Certaines études chinoises évoquent “la mania pour le christianisme, un mouvement sans précédent en Chine” (Liu Peng) ou “la fièvre chrétienne” (Bi Ming du Centre de recherche sur l’Eglise en Chine, à Hongkong, et bien d’autres encore). Tripod a consacré un numéro entier à la Fièvre chrétienne en Chine (Vol. XIV, n° 83, 1994). “Le christianisme gagne du terrain avant tout parmi la jeunesse éduquée . Pour la génération à qui on a asséné que la religion avait été éradiquée, cette résurgence est ressentie avec gêne et embarras” (Asianews). Les études en Chine même à propos du christianisme se sont également multipliées (voir à ce sujet deux dossiers dans Asianews et Mondo e Missione, respectivement, du 4 avril et du 5 mai 1998) et les chrétiens culturels (voir l’Institut d’études sino-chrétiennes, à Hongkong, 1997).

Le christianisme, enfin, est craint parce que toute personne qui croit en une religion, ou appartient à une organisation forte et structurée, ne peut pas conserver une loyauté sans partage au Parti et au gouvernement. La crainte ici est que la religion ôte aux croyants toute loyauté face au Parti. Il faut se souvenir que les cadres du Parti ont reçu une éducation marxiste et athéiste, que souvent, ils ont été formés en Union soviétique dans les années 1940 ou 1950, où la religion était considérée comme une aberration.

Les moyens de contrôle des religions

Les religions doivent être contrôlées par le biais d’une série de règlements nationaux, provinciaux et locaux. Les comités de voisinage et les bureaux de rue occupent une place importante dans ce dispositif (voir Anthony Lam dans Tripod, Vol. XIV, n° 83, pp. 31-39). A côté du Bureau des Affaires religieuses et de la Sécurité publique, le gouvernement a aussi recours à des organisations telles que les syndicats, les mouvements de jeunesse et les associations féminines (op. cit., Liu Peng).

Les séminaires enfin sont placés sous étroite surveillance. Le cursus réserve une place à l’endoctrinement politique. Selon des informations concordantes, tout indique que dans certains couvents et séminaires, quelqu’un doit rapporter au Bureau des Affaires religieuses des visites, dons et événements survenus au cours du mois écoulé. Pour être ordonnés à la prêtrise, les séminaristes doivent passer un examen politique fondé sur le Document 6 (Asia Watch).

Les trois façons dont le gouvernement instrumentalise la religion :

Comme une organisation au service du gouvernement : le gouvernement estime le degré selon lequel les entités religieuses acceptent sa politique. Le gouvernement est particulièrement attentif à utiliser une force non gouvernementale, comme les associations patriotiques, pour mettre en ouvre et propager sa politique.

Comme une organisation qui entretient des liens avec l’étranger et donne une légitimité à la Chine auprès du monde extérieur : des contacts et des échanges avec les Chinois vivant hors de Chine sont menés au nom d’une commune appartenance religieuse ou ethnique. Les échanges avec l’étranger donne enfin une meilleure image de la Chine, plus moderne et ouverte.

Comme une source de revenus à l’échelon local : les touristes visitant temples et monastères représentent des rentrées de devises, des revenus et des taxes levées pour l’enregistrement des lieux de culte. Dans le cas de l’Eglise catholique, les rentrées d’argent proviennent des différents projets financés par les agences internationales, comme, par exemple, lors de la construction ou la rénovation d’églises, de subsides pour les séminaires et les couvents, la construction d’hôpitaux, de cliniques, d’écoles ou d’autres services comme le creusement de puits, etc.

La conception de la religion aujourd’hui

Que pensent aujourd’hui les dirigeants et les idéologues de la religion ? Croient-ils toujours, ainsi que l’indique le Document 19, que la religion va disparaître d’elle-même avec les progrès du socialisme, de l’éducation et des sciences ? Ils sont très probablement bien peu encore à croire cela.

Les dirigeants actuels souhaitent-ils voir disparaître la religion ? En théorie, en bon et sincère marxiste, il n’y a pas de nécessité à persécuter les religions puisque celles-ci vont disparaître d’elles-mêmes. Les dirigeants actuels sont-ils de vrais marxistes ? Beaucoup ne le sont probablement pas. Il y a bien certainement des théoriciens qui doivent, qu’ils le veuillent ou non, s’accrocher aux concepts marxistes, mais, aujourd’hui, c’est bien le pragmatisme qui a cours.

En guise de conclusion

Le Parti ne peut tolérer quoique ce soit qui ne soit pas parfaitement intégré dans le système du Parti unique ou qui fonctionne en dehors de lui. L’Eglise catholique, une société dotée d’une organisation interne et internationale, est crainte tant parce qu’elle est une organisation que du fait de son objet final.

L’actuel gouvernement semble incapable de mener une évaluation claire et équilibrée du phénomène religieux en Chine aujourd’hui, et en particulier du christianisme. Le gouvernement ne fait pas la distinction entre, d’une part, le fondamentalisme religieux et les sectes qui créent des problèmes non seulement en Chine (où ces phénomènes ne sont pas très forts) mais dans d’autres parties du monde et, d’autre part, l’activité non officielle des grandes religions. Une approche plus constructive avec les grandes traditions religieuses, qui ont déjà fait la preuve qu’elles sont des facteurs de développement social et culturel, créerait une atmosphère différente, plus paisible.

Le gouvernement en Chine n’a pas réellement de politique religieuse. Il y a une politique gouvernementale (au sens de contrôle) envers les religions. En d’autres termes, le gouvernement ne considère pas les religions comme un élément positif dans la société, mais comme quelque chose qui doit être toléré et contrôlé. Le Parti n’accepte pas que la foi et la libre expression de cette foi soient toutes deux des droits de la personne humaine, ni que la libre expression de la foi participe de l’essence même de la foi.

Les associations patriotiques ne sont pas des organisations nées spontanément, ainsi que veut le faire croire le Livre blanc. Elles sont des instruments du Parti et font partie intégrante du Front uni. L’Association patriotique est bien indépendante de Rome, mais pas du Parti.

La politique menée à l’égard des religions en Chine limite sévèrement les activités de la communauté catholique. Toute l’impressionnante série de directives et règlements, qui pour la plupart sont apparus ces dernières années, ainsi que les nombreux cas de répression réelle et les expériences vécues par de nombreux amis en Chine, tout cela indique une réalité plus paradoxale.