Eglises d'Asie

Sans consultation préalable avec le Vatican, cinq évêques de l’Eglise catholique « officielle » ont été consacrés à Pékin, entravant ainsi une éventuelle normalisation des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Chine

Publié le 18/03/2010




Jeudi 6 janvier, cinq prêtres de l’Eglise catholique « officielle » ont été consacrés évêques dans la cathédrale de Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception (aussi connue sous le nom de Nantang, l’église du sud), à Pékin, le jour même où Jean-Paul II a ordonné 12 nouveaux évêques de différents pays en la basilique Saint-Pierre de Rome. S’il est de tradition que le Saint-Père consacre de nouveaux évêques le jour de l’Epiphanie, fête de l’envoi en mission, les consécrations qui ont eu lieu dans la capitale chinoise sont intervenues de telle façon qu’elles ont porté un coup d’arrêt aux contacts pris entre Rome et Pékin en vue d’un éventuel établissement de relations diplomatiques (2).

La consécration de ces cinq évêques paraît en effet avoir été préparée dans le secret et sans concertation préalable avec le Saint-Siège. Dès le 4 janvier, le Vatican, par la voix de Joaquin Navarro-Valls, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, avait fait savoir « son regret » et « sa déception » à propos de « ce geste [qui] vient créer des obstacles entravant d’évidence un tel processus (de normalisation des rapports entre le SaintSiège et Pékin) ».

La cérémonie de consécration s’est déroulée devant une petite assistance de deux à trois cent personnes, dont de nombreux représentants de l’Association patriotique des catholiques chinois et du Bureau des Affaires religieuses. Une présence policière était visible à l’intérieur comme à l’extérieur de la cathédrale. Il semble que les autorités chinoises aient eu quelques difficultés à s’assurer de la participation de tous : la centaine d’étudiants du séminaire national « officiel », installé dans la banlieue de Pékin, qui avaient été requis pour prendre part à la répétition de la cérémonie la veille de celle-ci, ont refusé, jeudi 6 janvier, de servir ou même d’assister à la messe solennelle de consécration.

La célébration elle-même a été conduite par sept évêques de l’Eglise « officielle ». Mgr Liu Yuanren, évêque de Nankin et président de la Conférence épiscopale « officielle », présidait à la consécration. Il était assisté de Mgr Michel Fu Tieshan, évêque de Pékin et président de l’Association patriotique des catholiques chinois. Les cinq autres évêques présents étaient Mgr Tu Shihua, du diocèse de Hanyang (province du Hubei), Mgr Yu Chengcai, de Haimen (Jiangsu), Mgr Luo Juan, de Shuozhou (Shanxi), Mgr Paul Jiang Taoran, de Shijiazhuang (Hebei), et enfin Mgr Liu Jinghe, de Tangshan (Hebei). Environ trente prêtres ont pris part à la célébration eucharistique.

Selon certaines informations, les autorités chinoises auraient à l’origine cherché à organiser la consécration de douze nouveaux évêques, afin de correspondre exactement au nombre de nouveaux évêques consacrés par le pape à Rome. Cependant, neuf des candidats pressentis se seraient désistés sous un prétexte ou un autre tandis qu’il était fait pression sur deux candidats supplémentaires afin d’arriver au chiffre final de cinq nouveaux évêques.

Depuis 1958, quelques mois après la création de l’Association patriotique des catholiques chinois en 1957, des évêques sont élus et consacrés en Chine en dehors de l’autorité du Saint-Père. L’ordination de ces cinq nouveaux évêques n’est donc pas en soi exceptionnelle (3) ; cependant, il faut remonter à 1987 pour trouver l’ordination d’un tel nombre d’évêques en une seule fois. Les ordinations prévues pour la fête de l’Epiphanie font suite à des élections – sept au moins dans différents diocèses des provinces du Jiangsu, du Shandong et du Zhejiang – qui ont eu lieu dans les derniers mois de 1999. En octobre 1999, la Conférence des évêques « officiels » et l’Association patriotique avaient envoyé une lettre circulaire à de nombreux diocèses à travers le pays, les encourageant, là où cela était nécessaire, à élire et ordonner des évêques.

Pour les observateurs de l’Eglise en Chine, les nominations d’évêques au sein de l’Eglise « officielle » ces derniers mois ne sont pas une grande surprise, le gouvernement chinois donnant l’impression depuis quelques mois qu’il cherche à renforcer les structures de l’Eglise « officielle » avant un éventuel établissement de relations diplomatiques avec le Vatican. Mais la soudaineté, le nombre et la nature des sièges pour lesquels ces évêques ont été ordonnés montrent, selon Mgr Joseph Zen Zi-kiun, évêque coadjuteur du diocèse de Hongkong, que la Chine « n’a pas réellement l’intention de se réconcilier avec le Vatican ».

Sur les cinq prêtres qui ont été ordonnés évêques, trois sont de jeunes prêtres, âgés de 36 à 39 ans, et deux ont été nommés évêques « officiels » de diocèses qui sont connus pour être des bastions de l’Eglise « clandestine » : le P. Zhan Silu, 39 ans, à Mindong, dans la province du Fujian, et le P. Su Changshan, 74 ans, à Baoding, dans la province du Hebei. Mgr Xie Shiguang, évêque « clandestin » du diocèse de Mindong, ainsi que plusieurs de ses prêtres, sont en résidence surveillée depuis la mi-juillet 1999 (4). On est sans nouvelles de Mgr Jacques Su Zhemin, évêque « clandestin » du diocèse de Baoding, et de son évêque auxiliaire, Mgr François An Shuxin, depuis la date de leur arrestation, le 8 octobre 1997 (5).

Selon Anthony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint Esprit à Hongkong, « la question de la nomination des évêques est un point clef dans les négociations entre le Vatican et la Chine en vue de l’établissement de relations diplomatiques. Etant donné que le SaintSiège peut ne pas être d’accord avec ces récentes nominations, [leur ordination le 6 janvier] pourrait compliquer et retarder les pourparlers en cours. »

Selon Mgr Zen Zi-kiun, « le Vatican doit être prêt à faire des concessions et à passer des compromis mais pas à abdiquer sans contrepartie ». L’évêque coadjuteur de Hongkong a précisé : « en posant ainsi des faits accomplis (procéder à ces ordinations sans consultation avec le Vatican), les Chinois indiquent clairement qu’ils n’ont pas de réel désir de parvenir à un accord » avec le Saint-Siège. Il a aussi précisé : « Nous comprenons la pression qui s’exerce sur ces jeunes évêques élus, mais nous espérons qu’ils seront suffisamment sages [pour voir] plus loin que le moment présent. »

Par ailleurs, selon un autre observateur de l’Eglise en Chine, « la décision de procéder à ces ordinations le 6 janvier est grave et va à l’encontre du désir des deux parties de renouer un dialogue. Ce n’est sûrement pas un bon signe et cela peut mettre un coup d’arrêt aux pourparlers entre le Vatican et la Chine ». Selon certains observateurs, ces consécrations qui s’apparentent à une provocation, indiqueraient qu’une ligne dure a repris le dessus au sein des instances dirigeantes du Conseil d’Etat et du Bureau des Affaires religieuses à Pékin.

Outre les deux prêtres qui ont été ordonnés pour les sièges de Baoding et de Mindong, les trois autres sont le P. Pierre Fang Jianping, âgé de 39 ans, pour le diocèse de Tangshan (dans la province du Hebei), le P. Lu Xinping, âgé de 36 ans, pour le diocèse de Nankin (dans la province du Jiangsu), et le P. Jin Daoyuan, âgé de 71 ans, pour le diocèse de Changzhi (dans la province du Shanxi). Ce dernier doit être ordonné ordinaire de son diocèse et les quatre autres auxiliaires de leurs diocèses respectifs.