Eglises d'Asie

LETTRE D’UN JEUNE PRETRE DE L’EGLISE CATHOLIQUE “CLANDESTINE”

Publié le 18/03/2010




1°) Comme chacun sait, l’Eglise catholique en Chine, sur le continent, est divisée : il y a, d’une part, l’Eglise “souterraine” et, d’autre part, l’Eglise “officielle”. Ces divisions sont dues à des choix fondamentaux différents en ce qui concerne la route à suivre aujourd’hui et la direction à prendre pour demain. Sous l’autorité du gouvernement chinois, l’Eglise “officielle” a opté pour l’indépendance, pour avoir sa propre organisation et pour choisir elle-même et ordonner ses propres évêques ; elle a décidé de se séparer du Saint-Siège de Rome. Ces organes sont l’Association patriotique des catholiques chinois, la Conférence épiscopale chinoise et, organe suprême de décision, l’Assemblée des délégués catholiques, élus tous les cinq ans.

L’Eglise “souterraine” est formée de tous ceux qui refusent d’adhérer à l’Association patriotique, de tous ceux qui tiennent à la communion avec l’Eglise universelle, de ceux qui sont fidèles au pape, qui sont fidèles à la totalité de la foi. Ils ne veulent faire aucune concession dans le domaine de la foi. Pour cela, ils acceptent volontiers les persécutions et les contraintes liées à l’obligation de devoir emprunter la route de la clandestinité. Pour le gouvernement, l’Eglise catholique “souterraine” de Chine est une organisation illégale. Résultat, il l’opprime, cherche de toutes ses forces à la démanteler et à la supprimer. Les moyens de la persécution, son intensité varient selon les lieux et les époques. Pourtant, l’intention profonde du gouvernement ne change pas. I1 veut obliger les membres de l’Eglise “souterraine” à adhérer à l’Association patriotique ; il recherche et arrête les évêques, les prêtres, ferme les séminaires “clandestins”, disperse les communautés de religieux et religieuses et même il confisque les églises “clandestines” et les lieux où se tiennent les activités religieuses. A partir de 1996, toutes les églises clandestines de la région de Baoding [dans la province du Hebei] ont été fermées. Le gouvernement exige, soit que les catholiques adhérent à l’Association patriotique, soit qu’ils abandonnent leur foi. Au mois de novembre 1998, dans la province du Hebei, dans la région de Langfang (1), le père Li a été arrêté, puis les quatre lieux de cultes qu’il desservait ont été fermés. Finalement, le gouvernement a déclaré que si on ne voulait pas accepter le prêtre officiel, il n’y aurait plus d’activités religieuses.

Malgré les persécutions et l’oppression, l’Eglise clandestine a sans cesse formé les membres de son clergé et a toujours organisé le travail d’évangélisation, sans répit. Quand une église est fermée, le prêtre dit la messe et donne les sacrements au domicile des catholiques. Quand un prêtre est emprisonné, le responsable de la communauté continue d’exhorter les chrétiens. Les classes de catéchisme pour les enfants, les groupes de partage de Bible pour les jeunes, les différentes retraites pour les chrétiens, tout cela marche très bien et se développe sous l’autorité du prêtre ou du catéchiste local. Et de plus, nous avons chaque année de longues queues de non-chrétiens, ce sont des candidats à l’entrée dans l’Eglise. Nous croyons fermement à la promesse du Christ : Les portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur l’Eglise qui est établie sur cette Pierre’ » (d’après Mt 16, 16-18). Avec la grâce du Seigneur, nous ne craignons pas la persécution par les forces du mal. Nous le savons celle-ci est un privilège spécial accordé par Dieu. Quand on remonte l’Histoire de l’Eglise, on se rend compte qu’à toutes les époques, il y a eu des persécutions. Nous sommes fiers de pouvoir partager les souffrances de notre Seigneur.

2°) Mais de nos jours, l’Eglise clandestine subit une épreuve plus cruelle encore que la persécution du gouvernement. Cette pression nous égare, nous étourdit, et nous fait suffoquer : ce sont des façons de voir et des tendances à l’intérieur même de l’Eglise qui méprisent l’Eglise “souterraine” et voudraient l’étrangler. Je ne dis pas que les chrétiens font cela consciemment mais les décisions de l’Eglise à un très haut niveau et les actions de certains membres du clergé risquent de produire cet effet.

Il y a quelques années, j’ai entendu dire que Mgr Qian Zhi-chun (2) avait écrit à un évêque “clandestin” pour l’informer de certaines décisions du Saint-Siège ; parmi elles, on disait que les évêques du continent n’ont plus le droit d’ordonner de nouveaux évêques. Nous savons que cette décision a été prise dans le but de préparer l’unité de l’Eglise en Chine. Mais regardons maintenant le résultat : l’Eglise “clandestine” bien sûr, a obéi aux ordres du Saint-Siège, mais en ce qui concerne l’Association patriotique, c’est impossible d’obéir puisque leur slogan est de choisir et d’ordonner elle-même les évêques. Maintenant, observons la réaction du Saint-Siège quand un évêque “officiel” est ordonné : le Saint-Siège le reconnaît et le considère comme un évêque licite. Avec le temps, le nombre des évêques “officiels” augmente et l’Eglise “clandestine” ne peut plus aussi bien se développer. Son domaine d’activité se réduit progressivement.

Au sujet de la reconnaissance des évêques de 1’Association patriotique, je voudrais expliquer quelque chose : notre Saint Père le pape accomplit ces gestes dans l’espoir que les membres de l’Association patriotique deviendront des membres de la Sainte Eglise catholique et qu’ils pourront accepter la communion avec l’Eglise universelle pour finalement aboutir à une unité visible (3). Mais je sais également que le pape ne veut pas que les membres de l’Eglise “clandestine” abandonnent leurs principes fondamentaux et adhèrent à l’Association patriotique. Nous serions ravis d’accueillir en notre sein des évêques “officiels” pourvu qu’ils abandonnent l’Association patriotique et qu’ils acceptent de devenir évêques de la Sainte Eglise. Nous serions non seulement heureux de travailler avec eux mais, aussi, de leur obéir comme il faut. Mais ces dernières années, il y a un phénomène étrange sur le continent chinois. Les évêques “officiels” reconnus par Rome restent membres de l’Association patriotique, y assument des responsabilités et participent toujours à ses activités. Certains évêques alignent leurs déclarations sur celles de l’Association. Ainsi bien qu’ils aient été reconnus par Rome et soient devenus légitimes, ils continuent, en même temps, à faire partie de l’Association. Parmi les évêques “officiels”, à vrai dire, certains ont contribué à faire du bien à l’Eglise de Chine : certains ont réclamé les biens de l’Eglise (confisqués après la Libération (4)) et ont développé différentes ouvres d’Eglise. Mais il y a aussi des évêques qui se sont servis du mandat du Saint-Siège pour conforter leur position sociale et en tirer orgueil. Non seulement ils méprisent l’Eglise “clandestine” mais encore ils font appel aux forces du gouvernement pour étendre leurs pouvoirs et réduire l’espace de vie de l’Eglise “clandestine”. Ces évêques “officiels” ont un double statut : ce sont des évêques légitimes de l’Eglise et ils sont membres de l’Association patriotique. D’une part, ils sont fidèles au pape et, d’autre part, ils sont fidèles au gouvernement. Comme c’est merveilleux, cela donne satisfaction aux deux côtés ! Mais si on regarde cela d’un autre point de vue, on constate que ce style et cette attitude sont équivoques, vagues et, finalement, ne conviennent pas. Cette attitude trompe les catholiques bienveillants et sème le trouble dans la conscience des évêques. Jésus-Christ a averti : Que votre oui soit oui et que votre non soit non ». Considérant leur position ambiguë, nous ne pouvons que rester perplexes. Est-ce qu’au XXème siècle la position de Jésus serait devenue équivoque ?

Certains pensent qu’on est obligé d’agir ainsi à cause de la situation particulière sur le continent : sinon, ce serait impos-sible de développer l’Eglise chinoise. Est-ce qu’on doit sacri-fier la justice à la prospérité de l’Eglise ? Dans la Bible, Eléazar donne un bon exemple aux pasteurs de 1’Eglise. Antiochus Epiphane persécute le judaïsme. Il force des juifs à désobéir à Dieu. Quelqu’un veut forcer le vieux maître de la Bible, Eléazar, à manger du porc. Il marche vers le terrain d’exécution, acceptant d’avance sa punition. Ses gardiens le prennent à part et tâchent de le persuader de manger d’autres mets que du porc pour éviter la mort (en donnant l’impression qu’il a cédé). Mais il prend généreusement sa décision : Je ne veux pas tricher en raison de mon âge. Je ne peux pas risquer de donner aux jeunes un mauvais exemple qui les égarerait. Maintenant, en ce monde, je peux vivre ou mourir, éviter ce châtiment, mais je ne peux pas échapper à la main toute puissante de Dieu ». Son exemple a rayonné dans toute l’antiquité !

Maintenant, en Chine, les mensonges et les attitudes fausses se répandent partout dans la société. Sans mentir, on ne peut pas gouverner. Sans tromper les gens sur la marchandise, on ne peut pas gagner d’argent. Pourtant, la Sainte Eglise ne peut pas se permettre de mettre en étalage une tête de mouton alors qu’elle vendrait de la viande de chien [proverbe qui signifie : tromper les gens sur la qualité]. Je me permets de donner un conseil aux évêques qui ont le double statut : nous connaissons bien votre situation mais aussi, vos difficultés. Pour le bien de l’Eglise, est-ce que vous ne pourriez pas démissionner de l’Association patriotique ? Est-ce que vous ne pourriez pas rejeter les masques honteux du mal qui entache la réputation de l’Eglise ? Est-ce que vous ne pourriez pas proclamer que vous êtes en communion avec l’Eglise universelle ? Si vous le faisiez, nous vous soutiendrions ! Nous vous soutiendrions par toute notre vie et avec tout notre sang.

Je voudrais que le Saint-Siège, avant d’approuver les évêques chinois, réfléchissent davantage. Si quelqu’un veut rester membre de l’Association patriotique et s’assoupit dans une sé-curité trompeuse, il s’exclut lui-même du troupeau car il appar-tient ouvertement à une organisation en rupture de communion avec l’Eglise universelle. Incapable de respecter les principes fondamentaux de l’Eglise, est-il digne de devenir un pasteur ? De telles personnes, quand elles reçoivent le pouvoir de l’Eglise, sont-elles capables d’en faire bon usage ? J’espère que les gens concernés par ces décisions réfléchiront bien avant de se décider.

3°) Beaucoup d’étrangers veulent aider 1’Eglise du continent. Par exemple, ils envoient des prêtres et des religieuses enseigner dans les séminaires chinois. Ceux-ci s’efforcent d’aider à former des prêtres. Nous les remercions de leur bienveillance et de leurs efforts. Mais la plupart d’entre eux vont enseigner dans les séminaires “officiels”. Ils vont rarement dans les séminaires “clandestins”, parce que nos conditions de vie sont plus modestes et qu’il est difficile d’assurer leur sécurité. On a donc l’impression que, malgré elles, les Eglises locales de l’étranger soutiennent l’Association patriotique et cette dernière exprime une satisfaction de plus en plus grande en disant : Il y a beaucoup d’amis étrangers qui nous soutiennent, donc nous avons raison ». Un séminariste se vante : Ce personnage important nous a enseigné la théologie, il est mon ami» J’espère de tout mon cour que l’enseignement de ce spécialiste pourra aider leur foi, leur espérance et leur amour, ces trois vertus théologales. Mais il n’est pas exagéré de dire qu’ils méprisent l’Eglise “clandestine”. Pendant que j’étais au séminaire, un prêtre “officiel” est venu voir notre groupe. En voyant un livre d’anglais entre mes mains, il s’est montré préoccupé à mon sujet. Il m’a dit : Tu devrais plutôt étudier le catéchisme » A ses yeux, un séminariste “clandestin” ignorait tout. Nous étudions au séminaire pendant sept ou huit ans mais, d’après les prêtres “officiels”, notre niveau n’atteindrait même pas à celui d’un catéchumène.

Bien que nous n’ayons pas de professeurs de théologie réputés, nous avons bien appris, grâce à une éducation systématique. Beaucoup de gens trouvent que le niveau d’éducation des prêtres “clandestins” est très bas. Si l’on considère le problème sous un autre aspect, on peut dire qu’à part les cours que nous n’avons pas eu avec des professeurs étrangers, nos manuels et notre savoir sont au même niveau que ceux des séminaires “officiels”. Selon certaines opinions, notre niveau de connaissance est bas ainsi que nos capacités. En fait, c’est un point de vue erroné. Pour un prêtre, le savoir est nécessaire mais la vie spirituelle est également très importante. Quand Jésus attribue à Pierre l’autorité sur toute l’Eglise, il lui demande s’il l’aime et non si son savoir est suffisant. L’Eglise “clandestine” forme consciencieusement un clergé qui met l’accent sur la vie spirituelle. Elle insiste sur les connaissances mais, en même temps, encourage les séminaristes et novices à cultiver les vertus, et à sanctifier leur vie. C’est la bonne ligne à suivre. La plupart des prêtres et des diacres formés sont fervents, ce sont de bons exemples.

Quand les prêtres étrangers viennent sur le continent chinois, ils concélèbrent avec des prêtres “officiels” en public. Cette façon de faire met sur un pied d’égalité les prêtres de l’Association patriotique et ceux de la Sainte Eglise catholique. Les prêtres, diacres et catholiques “clandestins” ont du mal à comprendre. En 1988, j’ai lu la déclaration en huit points du Saint-Siège concernant l’Eglise de Chine. Selon l’un de ces huit points, on ne doit pas concélébrer avec des membres de l’Association patriotique ou avoir avec eux une communication dans les sacrements (5). Nous obéissons toujours à cette règle. En ce qui concerne le reste, nous pouvons travailler ensemble avec les membres de l’Eglise “officielle”, mais nous n’osons pas concrètement, surtout dans le domaine des sacrements. Nous n’osons pas changer les principes fondamentaux de l’Eglise dans le seul but d’obtenir une satisfaction sentimentale ou de faire un pas en avant vers l’unité.

En analysant les faits qui se présentent à eux, quelques prêtres “souterrains” se réunissent pour étudier, l’un soupire et dit en plaisantant : Pourquoi fautil qu’un grand schisme affecte l’Eglise de Chine ? Qui est responsable de ces tourments ? S’il n’y avait pas l’Eglise clandestine, si l’Eglise chinoise était dirigée par le gouvernement et par l’Association patriotique, quelle chance ! Nous participerions à l’Association patriotique, alors que maintenant notre vie est dans une impasse totale» Pourtant, je crois profondément que l’Eglise n’est pas une entreprise. Si elle n’était que cela, nous pourrions utiliser tous les expédients pour atteindre notre but. Mais l’Eglise, c’est une communauté de foi. Notre responsabilité fondamentale est d’être fidèle aux principes de l’Eglise et à notre conscience.

4°) Le jubilé de l’an 2000 est imminent. Notre Saint Père le pape appelle les catholiques du continent à l’unité (6). Celle-ci est le souhait le plus ardent de chaque catholique chinois. Nous prions ardemment pour que cette unité puisse se réaliser au plus tôt. La pierre d’achoppement est que l’Association patriotique veut se séparer de l’Eglise universelle, qu’elle ordonne ses évêques et dirige l’Eglise elle-même. Il suffirait qu’un certain nombre de responsables d’Eglise fassent tomber un masque sans aucune valeur. Et qu’ils expriment publiquement leur fidélité au Saint-Siège et l’on pourrait achever l’unité de l’Eglise de Chine. Il faudrait donc que les évêques reconnus par Rome déclarent leur foi en public et démissionnent de l’Association patriotique. Le personnel d’Eglise venu de l’étranger doit aussi aider l’Eglise “officielle” à avancer courageusement pas à pas. Il y a cinquante ans, l’Eglise de Chine n’avait pas cette organisation et elle vivait dans l’unité. Il suffirait maintenant de la supprimer et nous pourrions retrouver l’unité. J’espère ardemment voir le jour où cette unité sera retrouvée.

Ces derniers mois, grâce à un télégramme venu de l’étranger, j’ai appris que la normalisation entre la Chine et le Vatican avait fait des progrès (7). J’espère que les deux pays établiront des relations diplomatiques mais, en même temps, beaucoup doutent profondément de la possibilité de cette normalisation. Si l’établissement des relations entre les deux pays pouvait apporter de vraies libertés à l’Eglise en Chine, si cela pouvait permettre de faire respecter les droits de l’Eglise : d’une telle normalisation, nous en rêvons. Mais si les droits de l’Eglise sont toujours restreints par le gouvernement, nous n’accepterons pas cela. Pour moi, je n’accepterai pas une liberté limitée à l’espace d’une cage à oiseaux. Mieux vaudrait pour moi rester encore en prison et être persécuté pour ma foi. Cela me permettrait de connaître une joie encore supérieure [littéralement qui vaut encore plus la peine d’être possédée] !

le 29 juin 1999