Eglises d'Asie – Chine
QUELS PRÊTRES DEMAIN EN CHINE ? A la découverte des séminaires de l’Eglise catholique « officielle »
Publié le 18/03/2010
Avant de partir à la découverte de ces trois institutions, la visite de trois autres séminaires permet déjà de se faire une idée des difficultés de l’Eglise catholique dans la formation de son clergé. Direction Pixian à une vingtaine de kilomètres au nord de Chengdu (capitale de la province du Sichuan, la plus peuplée de Chine avec 130 millions d’habitants) : malgré des débuts très difficiles liés à des problèmes politiques et à des affaires de corruption, 52 séminaristes du Sichuan et du Yunnan (anciennes terres de mission des Missions Etrangères de Paris) se forment tant bien que mal, avec très peu de moyens et un encadrement peu formé lui-même, en vue d’un ministère ingrat dans des communautés ultra-minoritaires, âgées et très isolées. Le P. Ren Shaoqian, ancien de la maison et vicaire à la cathédrale de Chengdu, prouve par un rayonnement humain et spirituel indéniable que l’avenir n’est pas totalement compromis.
A l’opposé de cet extrême éloignement provincial, Pékin possède deux séminaires. Le premier est diocésain, en lointaine banlieue, et compte surtout des jeunes originaires du Hebei (province voisine). Les conditions de vie et de travail pastoral dans les paroisses de la capitale étant nettement plus « confortables » que celles de bon nombre d’évêques de diocèses ruraux, on ne peut s’empêcher de considérer le choix de ces jeunes comme légèrement ambigu. Quant au séminaire national, sa proximité (pas seulement géographique) avec le gouvernement appelle là aussi quelques réserves.
Une humilité prophétique
Simple et compétent à l’image de Mgr Li Du’an son évêque de 76 ans, le séminaire de Xi’an est installé depuis peu dans une ancienne école en proche banlieue. Visionnaire parce que lucide et attentif aux mutations de la société chinoise, Mgr Li « ose » faire étudier ensemble futurs prêtres et futures religieuses (un peu plus de soixante dans chaque cas), qui habitent toutefois dans des bâtiments séparés. Il n’hésite pas à envoyer de nombreux prêtres (et religieuses à un degré moindre) à l’étranger pour compléter leur formation. Même si certains quittent le ministère ou ne reviennent pas en Chine, les autres constituent le fer de lance d’une Eglise renaissante, à leur retour de France, Allemagne, Italie, Philippines ou Etats-Unis. C’est d’ailleurs de l’Ohio que revient le P. Stephen Chen Ruixue, nouvellement ordonné. Il était professeur d’anglais, avant d’entrer au séminaire et d’être envoyé aux Etats-Unis. Ayant obtenu un diplôme de maîtrise de théologie, il est maintenant chancelier du diocèse et professeur de Nouveau testament au séminaire. Nullement fasciné par des modèles étrangers, il aspire à construire une Eglise pleinement chinoise et catholique, c’est-à-dire ancrée dans la culture et surtout la société chinoise, tout en demeurant en communication et en communion constantes avec les autres Eglises locales du monde entier. Les conditions matérielles sont pourtant rudimentaires (comme l’évêque, il n’a qu’une petite chambre, l’eau dans la cour et les toilettes (!) de l’évêché en piteux état à l’extérieur), mais c’est bien là qu’il s’engage résolument avec la foi des bâtisseurs.
Des moyens contrastés
La province du Hebei est celle qui compte le plus de catholiques officiels (et le plus de « souterrains » !). Le séminaire flambant neuf de Shijiazhuang offre un contraste saisissant avec celui de Xi’an. La façade imposante écrase de sa majesté tout visiteur. Les 145 séminaristes ont maintenant des conditions de vie similaires à une université chinoise (chambrées de 6), mais les 6 millions de yuans (environ 4 millions de francs) dépensés par Missio (organisme caritatif des évêques allemands) auraient peut-être pu se repartir autrement. La flèche triomphante assure certes une visibilité aux yeux du monde extérieur, mais comment ne pas regretter l’absence de tout matériel informatique et laisser les professeurs et le P. Sun Junsheng, le bibliothécaire, se plaindre du peu de livres (3 000 volumes en comptant la littérature classique chinoise !) et d’un budget annuel de 3 000 yuans. Un trait spécifique de ce séminaire est la provenance des séminaristes : d’origine rurale comme dans presque toute la Chine, ils viennent aussi de villages souvent majoritairement, voire uniquement, catholiques.
Nouveau recteur depuis deux ans, Li Liangui, 38 ans, ne parle que chinois et, malgré un dynamisme certain, semble loin de maîtriser tous les enjeux d’une formation adaptée à la situation actuelle (3). Comme le reconnaît humblement le P. Zhang Wenxi, professeur de dogmatique, âgé de 28 ans, après quatre années de formation sur place et deux ans d’études d’anglais à Pékin, si les séminaristes ont en permanence des cours ou des temps de prière, c’est qu’ils ne sauraient pas quoi faire autrement, situation renforcée par le manque de livres de la bibliothèque.
Parmi les initiatives récentes, notons la constitution d’un groupe de réflexion sur la vie et la spiritualité jésuites, avec le projet de restaurer cette forme de vie religieuse. Jusqu’à présent en effet, par interdiction du gouvernement, les jeunes n’avaient pas d’autre alternative que le ministère diocésain paroissial.
La colline inspirée de Sheshan
Couronnant la plus haute des neuf collines de la région de Shanghai, Notre-Dame de Sheshan (le lieu de pèlerinage le plus important en Chine), veille sur le plus grand séminaire du pays, lové dans les pentes couvertes de bambous. Cou-pés de l’effervescence de la capitale économique de la Chine (malgré le voisinage d’un parc d’attraction nautique ultramoderne), 170 séminaristes prient et étudient sous la conduite d’une douzaine de prêtres à peine plus âgés qu’eux, à une exception près. La rencontre de trois d’entre eux suffit à caractériser la situation actuelle des formateurs. Le P. Qu Jinsheng, 84 ans, polyglotte et très cultivé, profes-seur de théologie morale compétent mais à moitié sourd et aveugle, est fuit par les séminaristes lors des confessions en raison de sa sévérité. Le P. Xing Wenri, 35 ans, recteur du séminaire et vicaire général du diocèse, ne parlant que chi-nois, n’a pas pour l’instant de véritable projet si ce n’est ce-lui de continuer le système de formation mis en place il y a une dizaine d’années et qui a pourtant montré ses limites. Le P. Tian Yuanxiang, 30 ans, professeur de théologie fon-damentale depuis un an après cinq années d’études à Paris, est parfaitement conscient de ses propres lacunes, des limi-tes du système actuel, et surtout des enjeux d’une formation qui devrait préparer des prêtres pour la nouvelle société chi-noise, plus visible dans cette région de Shanghai qu’ailleurs.
A la différence des autres séminaires de Chine, plusieurs séminaristes sont ici des convertis, avec une expérience de travail ou des études universitaires. Certains sont même des enfants uniques et leur consécration religieuse manifeste alors une liberté et une résolution évidentes. Ce phénomène nouveau modifie la vie du séminaire dans son ensemble et est de bon augure pour l’Eglise de demain en Chine, un peu à l’image des séminaires européens, ou plus proche et plus « chinois » comme à Singapour.
Un défi majeur
Le peu de jeunes prêtres (44 à Xi’an, 43 à Shanghai, mais 4 dans le diocèse de Yibin et 3 dans celui de Xichang au Sichuan) empêche les évêques (tous ont de 75 à 88 ans) de bâtir un projet stable. Mgr Li Du’an a choisi comme priorité la formation du personnel et la structuration du diocèse avec l’établissement de services comme l’officialité, la chancellerie. Pour Mgr Jin Luxian, 84 ans résidant Shanghai, ces domaines sont essentiels mais il est très préoccupé par la présence, ou plutôt l’absence, de l’Eglise catholique dans les milieux intellectuels (160 étudiants catholiques dans les 40 universités de la ville !) ; ce qu’il considère comme un des enjeux les plus importants et les plus problématiques, autant aujourd’hui que dans un avenir proche. N’hésitant pas à prononcer un terrible constat : « En Chine, l’âme est vide. » Lorsque la quête du sens s’oriente vers le christianisme, on constate une tendance à rejoindre de préférence les groupes chrétiens évangéliques qui baptisent tout de suite, plutôt que l’Eglise catholique qui impose un catéchuménat de 6 mois (alors qu’il est de 2 à 3 ans dans tous les autres pays !).
Ce voyage au cour des séminaires chinois fait surgir une question encore plus difficile. Comment préparer ces futurs pasteurs afin qu’ils aident les fidèles à harmoniser leur foi et leur vie dans cette société en pleine mutation où le matérialisme de l’esprit de consommation a supplanté le matérialisme marxiste ? Il ne s’agit donc pas d’abord des lacunes parfois énormes de la formation intellectuelle, mais avant tout de modifier le système actuel, plus proche d’un noviciat religieux ou monastique, adapté pour des consacrés vivant en communautés mais pas pour des prêtres de parois-ses souvent assez isolés.
Cette question est probablement la raison principale de l’abandon de leur ministère par de nombreux jeunes prêtres, qu’ils soient formés à l’étranger ou uniquement en Chine. D’une manière paradoxale, on pourrait affirmer que l’Eglise en Chine traverse aujourd’hui une crise due à la confrontation avec la modernité, crise similaire à celle qui a frappé les Eglises en Europe de l’Ouest dans les années 1970. Même si une évolution avait lieu dans la surveillance exercée par le gouvernement (par le biais d’un Bureau des Affaires religieuses), ce qui maintient et « encourage » l’existence de communautés plus ou moins clandestines, ces problèmes et enjeux ne seraient pas résolus pour autant. Le renouveau ne pourrait donc surgir que d’un enracine-ment plus profond dans le Christ et les communautés célé-brantes, afin de vivre dans une foi renouvelée, sans crainte ni complexe face aux évolutions du monde moderne.