Eglises d'Asie

Des moines bouddhistes organisent une marche sur Rangoun et se préparent à affronter la junte au pouvoir

Publié le 18/03/2010




Comme certains développements le laissaient pressentir depuis quelques mois (1), une partie du clergé bouddhiste birman est déterminée à manifester son désaccord face à la politique menée par la junte au pouvoir à Rangoun. Ces moines organisent pour cela une marche sur la capitale afin de commémorer le dixième anniversaire de la victoire, le 27 mai 1990, de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, victoire qui n’avait pas été reconnue par les dirigeants militaires du pays (2). Selon Ashin Khayamassara, président de l’Association des jeunes moines, la junte « ne peut pas écraser le mouvement des moines dont l’ampleur croît de jour en jour.  La Sangha a pleinement confiance », assuré que les trois cortèges distincts iront, sans rencontrer de difficultés, de Mandalay à Rangoun.

Au début du mois dernier, des moines de Mandalay ont fait circuler une lettre disant qu’ils étaient déterminés « à passer à l’action », précisant que les temples allaient être transformés en centres de protestation et qu’une marche de Mandalay à Rangoun serait organisée si aucun progrès n’était accompli entre la junte et la LND à la date du 25 mai. « Si les militaires décident d’utiliser la force contre les moines, les étudiants et les gens du peuple réagiront contre les militaires », prévient le moine Ashin Khayamassara.

Face à cette agitation, les autorités de Rangoun ont fait savoir qu’elles ne resteraient pas sans réagir. « Si les moines de Mandalay viennent en force, le gouvernement s’y opposera par la force », a averti une personnalité proche du pouvoir. Déjà, des moines de Mergui (Myeik), ville située à l’extrémité sud-est du pays, ont commencé le 5 mai une grève des activités religieuses en dehors de leur temple. Le 9 mai, ce boycott s’est étendu à six autres monastères. Le 12 mai, l’armée est intervenue pour arrêter 12 moines (certaines sources font état de 29 arrestations). Le même jour, dans tout le pays, les militaires ont édicté un ensemble de mesures destinées à contrôler les moines (interdiction faite aux laïcs de passer la nuit dans les monastères, obligation pour les moines de demander une autorisation avant de voyager hors de leur temple, etc.).

Quelques jours après, la radio d’Etat a annoncé que plus de 400 membres de la LND avaient démissionné de ce parti car ils « ne souhaitaient plus participer à la politique politicienne ». Mais Aung San Suu Kyi a réagi à ces propos en déclarant que ces démissions étaient le résultat des très fortes pressions exercées par les militaires et que le soutien populaire dont jouit son parti était intact.

Ce n’est pas la première fois que des moines prennent position contre le régime. En 1990, à la suite des élections générales, des moines engagés dans le mouvement en faveur de la démocratie avaient menacé d’excommunier les militaires, de ne plus célébrer les rites religieux pour leurs familles et de ne plus accepter leurs aumônes. L’armée avait alors répondu en occupant de nombreux monastères à Mandalay et à Rangoun (3). En 1996, dans une interview au Bangkok Post (4), Aung San Suu Kyi déclarait : « La tradition d’engagement des moines dans la politique est très ancienne et ne disparaîtra pas si facilement. Elle se manifeste plus ou moins ouvertement selon les circonstances et elle peut se réfugier dans la clandestinité» Les militaires, eux, cherchent à instrumentaliser le bouddhisme à leur profit. En multipliant cadeaux et dons en faveur des temples, ils tentent de s’attirer les bonnes grâces des moines hauts placés tout en se montrant bons bouddhistes aux yeux de la population. En surveillant les moines et en menaçant les religieux qui s’engagent aux côtés de la LND (5), ils évitent une alliance entre les partisans d’Aung San Suu Kyi et les moines bouddhistes, une alliance qui pourrait leur être fatale. On compte entre 250 000 et 350 000 moines bouddhistes en Birmanie.