Eglises d'Asie

Loi contre le blasphème : le chef de l’Etat renonce à un changement de procédure qu’il avait annoncé lui-même

Publié le 18/03/2010




La loi sur le blasphème, dénoncée depuis longtemps aussi bien par les minorités religieuses du pays que par les organisations internationales des droits de l’homme, demeurera inchangée. Le général Pervez Musharraf, le chef du régime militaire au pouvoir dans le pays, a, en effet, cédé à la pression des groupes musulmans et décidé d’abandonner le projet d’amendement de la loi, qu’il avait annoncé le 21 avril dernier lors d’une convention des droits de l’homme réunie à Islamabad (22). « C’est à la demande unanime des oulémas et du peuple que j’ai décidé de retirer les changements de procédure proposés », a déclaré le général le 16 mai dernier.

La proposition d’amendement de la loi sur le blasphème à laquelle vient de renoncer le chef de l’Etat prévoyait notamment que les plaintes pour blasphème envers le prophète Mahomet ne pourraient être enregistrées par la police qu’après une enquête préliminaire menée par un haut responsable de l’administration du district. Aucune action policière ne pourrait être entreprise auparavant. Selon l’ancienne procédure qui, après la dernière décision du général Pervez Musharraf, restera donc en vigueur, n’importe quel plaignant peut directement faire enregistrer une plainte dans un quelconque commissariat de police ou déposer un premier rapport d’information. Dès qu’elle détient ce rapport, la police a la possibilité de procéder à une arrestation (23). Cette disposition peut prêter et a effectivement prêté, de très nombreuses fois, à un usage abusif de la loi. Celle-ci peut être à tout moment invoquée par des personnes sans scrupule, ne serait-ce que pour assurer leur propre impunité en accusant leurs victimes de blasphèmes. « Tout musulman hostile à un chrétien peut l’accuser de blasphème a récemment déclaré Mgr Pereira, le plus haut représentant de l’Eglise catholique au Pakistan.

Il faut dire que, depuis l’annonce d’une éventuelle révision de la loi favorable aux minorités religieuses, l’opinion publique musulmane avait fait peser sur la plus haute autorité de l’Etat une pression considérable. Les groupes musulmans ont organisé une série de mouvements de protestation. Le Jamat E Islami, un des partis politiques islamiques les plus structurés du pays, ainsi que d’autres associations musulmanes, avaient organisé le 28 avril un rassemblement dans la province du Sindh, au cours duquel il avait été dit que le changement de procédure avait été annoncé sous la pression des puissances occidentales et des ONG. Le 8 mai suivant, quarante responsables d’associations islamiques, réunis dans une « Conférence pour la protection du caractère définitif de la doctrine de Mahomet ont publié un communiqué dans lequel ils appelaient tous les musulmans à la grève générale pour le 18 mai afin d’exiger du pouvoir que le contrôle de l’islam s’exerce sur les affaires nationales avec plus de rigueur. Entre autres revendications, le communiqué exigeait l’introduction de dispositions islamiques à l’intérieur de la constitution de 1973, le retrait du projet d’un nouveau système d’électorats conjoints, l’interdiction des ONG créées par des « sionistes » et des associations chrétiennes, la cessation des mesures prises contre les séminaires islamiques et les associations dites de « Jihad » (guerre sainte). Le communiqué proclamait que les changements proposés faisaient partie d’un complot contre l’idéologie du Pakistan. Le lendemain de la publication du communiqué, le ministre des Affaires religieuses avait déjà fait remarquer que le projet présenté par le général Musharraf ne concernait qu’un changement de procédure et ne concernait en rien le contenu de la loi contre le blasphème.

Malgré l’abandon par le gouvernement de l’amendement projeté, les groupes musulmans ont continué leurs actions et maintenu l’ordre de grève générale qui a été observé à l’échelon national dans la journée du 19 mai. Les organisateurs avaient encore élargi leurs revendications. Ils réclamaient encore d’autres ajustements de la loi à l’islam et le rejet de plusieurs réformes envisagées par le gouvernement. Il était demandé d’établir le vendredi comme jour férié et d’abandonner certains projets de loi en cours, comme par exemple, celui concernant l’émancipation des femmes.

Le revirement du chef de l’Etat a semé la consternation dans les milieux chrétiens qui voyaient dans le projet annoncé en avril la marque du début d’un changement d’attitude à l’égard des minorités religieuses. Dans un commentaire concernant l’abandon de l’amendement de la loi sur le blasphème, Cecil Chaudhry, secrétaire du Forum national de l’Action chrétienne, fait remarquer qu’en annonçant un changement de procédure et en revenant ainsi sur ce projet sans raison valable, le gouvernement se crée à lui-même un immense problème. Il a jouté que le projet maintenant abandonné n’était d’ailleurs pas suffisant. « C’est l’abrogation de la loi que veulent les chrétiens. Rien de moins a-t-il précisé.

Actuellement deux catholiques, Rashid Masih et son frère Saleem de Pasroor à 100 km de Lahore, sont en prison depuis le mois de juin 1999, accusés de blasphème par un marchand de crèmes glacées avec qui ils ont eu un différend. Ils ont fait appel d’une première condamnation leur imposant 35 ans de prison et 75 000 roupies (1 400 dollars) d’amende. A Faisalabad, un jeune catholique de 24 ans, Kungri Masih, converti à l’islam puis revenu à sa première foi, a été placé sous la garde de la police, un mois et demi après le jour où il aurait proféré des propos incorrects sur le prophète.