Eglises d'Asie – Chine
UN TOURNANT DANS LES RELATIONS ENTRE LA CHINE ET L’ÉGLISE CATHOLIQUE
Publié le 18/03/2010
Tous les articles retenus pour cette discussion ont trait à l’unité de l’Eglise chinoise, ainsi qu’au problème des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine. En lisant ces articles nous constatons un changement évident : entre l’optimisme de Noël dernier et la déception de l’Epiphanie, entre les polémiques envers l’Eglise « clandestine » et l’étonnement après les ordinations de Pékin.
Le 24 décembre 1999, JCS publiait un article intitulé « Le pape, un ami de la Chine pour l’an 2000 ? ». Titre quelque peu équivoque : ce pape, tout comme ses prédécesseurs, n’a jamais cessé d’être l’ami du peuple chinois et des catholiques chinois. Nous ne devons pas confondre l’« amitié officielle » envers le régime avec le respect, l’attention, l’amitié et l’amour exprimés sincèrement par différents papes envers le peuple chinois, la civilisation chinoise et les catholiques chinois. Bon nombre de gens, moi-même inclus, ont été troublés par le ton de cet article : les catholiques de l’Eglise « clandestine », me semble-t-il, sont montrés du doigt comme l’obstacle majeur à une possible réconciliation, comme s’ils devenaient embarrassants le jour où la Chine et le Vatican signeront un accord.
Le rôle des « clandestins »
Je pense que, par leur attitude actuelle, les communautés clandestines jouent un rôle important, ce que l’article oublie de mentionner. Ces communautés ont non seulement souffert dans le passé, mais continuent de souffrir à présent. Elles ne s’opposent pas au gouvernement par principe. En fait, les clandestins ne sont pas des activistes politiques. Ils veulent simplement vivre leur foi dans sa totale intégrité. Ceci est leur droit et leur honneur, et nous devons les respecter grandement pour cela. Ce groupe a clairement compris qu’il n’y a pas de liberté religieuse en Chine. Depuis la politique d’ouverture de Deng Xiaoping, pour des raisons pragmatiques (et non au nom d’une conviction sincère), il y a eu plus de tolérance envers la religion ; cependant, l’oppression dictatoriale de base du régime chinois n’a pas changé. Même si les communistes ont changé certaines de leurs tactiques, le système reste le même que dans les années 1950, 1960 et 1970. Le fil conducteur qui unit les diverses campagnes politiques fanatiques des années 1950, la désastreuse Révolution culturelle entre 1966 et 1976 et le massacre de Tiananmen en 1989, ce fil est le même, c’est l’idéologie marxiste qui identifie le Parti communiste à l’Etat, qui substitue le bien du peuple à l’intérêt de ceux qui sont au pouvoir, qui substitue l’autorité de la loi à l’autorité sans contre-pouvoir d’un parti unique ou même d’une personne unique. Je ne pense pas que nous pouvons culpabiliser les catholiques de l’Eglise « clandestine » qui refusent un compromis avec un tel régime au détriment de leur foi.
La liberté de croyance religieuse
Il me semble que le sens de l’énoncé officiel de 1982 sur la religion mérite d’être clarifié. La Chine n’a pas réintroduit la « liberté de religion » mais a bien plutôt repris la formule ambiguë de « liberté de croyance religieuse » (art. 36 de la Constitution). Nous ne pouvons pas manquer d’en remarquer l’importance fondamentale. Un croyant peut penser ce qu’il veut mais certainement pas pratiquer librement sa croyance en toute liberté, comme c’est le cas dans la plupart des autres pays. Le principe de la liberté de croyance religieuse était déjà énoncé dans l’article 88 de la Constitution de 1954. De plus, l’article 36 de la Constitution du 27 avril 1982, même si ce n’est pas une nouveauté, doit être lu en parallèle avec le Document 19, publié quelques semaines plus tôt, le 31 mars 1982. Ce document qui demeure le texte de référence pour la politique religieuse de l’ère de Deng Xiaoping, n’accorde aucune valeur à la religion. Le gouvernement a fait une concession uniquement parce qu’il a réalisé qu’il n’avait pas réussi à abolir la religion par décrets et par la force. La religion doit être tolérée en tant que partie de la réalité présente, étant donné que la priorité du moment est « la construction d’un puissant Etat socialiste modernisé com–me but commun ». C’est un fait acquis, en regard du Docu-ment 19, que la religion disparaîtra d’elle-même quand les gens seront suffisamment éduqués et comprendrons les se-crets de la science. Il est donc inutile de se forcer à éliminer la religion comme se fut le cas pendant la Révolution culturelle. Ce n’est donc vraiment pas une politique de liberté religieuse mais plutôt une politique de convenance.
Le schisme et le Saint-Siège
Dans des articles récemment parus dans The Sunday Examiner (3) et The Tablet (4nous lisons que « pendant des décennies le Saint–Siège a pensé que la communauté officielle était schismatique ». Le fait est que le Saint-Siège ne s’est jamais prononcé sur ce sujet. En fait, il a toujours fait preuve de retenue et de modération à cet égard. A une seule et unique occasion, et il faut revenir au 15 décembre 1958, on a pu entendre le pape Jean XXIII, à l’annonce du Concile, mentionner le mot . C’était juste après la première consécration illégitime d’évêques. Après que le pape eut été informé de la situation spéciale et complexe en Chine, de la valeur personnelle des évêques illégitimes, ni lui, ni ses successeurs n’ont utilisé le mot de schisme.
Ce que je voudrais souligner, c’est la contribution positive des membres de l’Eglise « clandestine » pour éviter que l’Eglise en Chine ne devienne schismatique. La permanence de communautés clandestines, malgré la politique religieuse « tolérante », a obligé le régime à être conscient qu’il n’avait pas résolu le problème catholique : l’Eglise catholique ne pourra jamais devenir indépendante. L' »Eglise clandestine » a poussé les membres de l’Eglise « officielle » à reconnaître la nécessité d’être confirmé par Rome pour obtenir le respect des fidèles. Sans cette Eglise « clandestine », je ne crois pas que la communion avec le pape et l’Eglise universelle aurait été un point important dans l’agenda de l’Eglise catholique en Chine et un tel souci pour les autorités. On doit reconnaître que l’Eglise « clandestine » a empêché l’Eglise « officielle » de succomber à la pression du régime pour prendre ses distances avec le pape et l’Eglise universelle.
Les ordinations de l’Epiphanie, un tournant
Les ordinations de l’Epiphanie à Pékin ont été un tournant comme l’indique l’effacement de l’Eglise « officielle » conduite par les dirigeants de l’Association patriotique. Ces dirigeants « patriotiques » conduisent les catholiques nulle part et capitulent devant le régime. Ils détruisent les jeunes prêtres en troublant les consciences des meilleurs et en les forçant à accepter des élections qu’ils rejetteraient plutôt. Ceci est certainement un signe que les membres de l’Eglise « clandestine » ont eu raison sur certains points. Le fait que 130 séminaristes du séminaire national de Pékin ont refusé de participer aux ordinations organisées comme propagande d’Etat a été interprété comme un signe de vitalité de l’Eglise « officielle » ; nous devons ajouter cependant, que suite à cette action, les séminaristes subissent maintenant une terrible pression et une « rééducation politique ». Qui viendra se porter à leur défense ? Tous les dirigeants de l’Eglise « officielle » vont-ils concourir à ce harcèlement dont sont victimes les séminaristes actuellement ?
Il est important de noter que les séminaristes du séminaire national ne représentent guère l’Eglise « officielle ». Ils forment plutôt une belle section de l’Eglise catholique en Chine, simplement et sans étiquette. La plupart viennent de familles catholiques traditionnelles dans des endroits où l’influence de l’Association patriotique est limitée ou même absente. Certains sont passé par l’Eglise « clandestine ». Ils sont clairement au courant du harcèlement politique dont sont victimes les membres de l’Eglise. Ils ne se font aucune illusion quant aux intentions du régime.
Le 6 janvier 2000 a vraiment été un tournant. Cependant, même dans cette regrettable circonstance, un optimiste a cru discerner trois « gestes d’amitié » émis par le régime en direction du Saint-Siège.
Trois « gestes d’amitié » examinés de plus près
Le premier « geste d’amitié » mérite d’être mentionné car il a trait à la promesse d’obéissance faite par les cinq évêques au successeur de Saint Pierre, en tant que dirigeant spirituel. Nous reconnaissons que cette promesse a bien été dite mais nous ne sommes pas sûrs que ce soit la première fois qu’une telle promesse ait pris place lors d’une cérémonie de consécration « officielle » en Chine. Cependant, lorsqu’il a été interrogé à ce propos, le président de la célébration a déclaré qu’il n’était pas sûr si cela s’était déjà produit ! Il ne fait pas de doute que cette réponse ambiguë enlève de sa crédibilité et de sa dignité à ce geste particulier.
Le second « geste d’amitié » est constitué par la mention faite du pape dans la prière des fidèles, et le troisième de ces gestes est une déclaration d’un porte-parole du gouvernement. Ces deux « gestes d’amitié » sont en fait difficilement qualifiables d’amicaux. La mention du pape durant la messe n’est pas une nouveauté. Elle a été largement pratiquée depuis plusieurs années. La déclaration de Zhu Bangzao, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères – « Nous voulons améliorer nos relations avec le Saint–Siège. Mais nous ne voulons pas que le Saint–Siège ne s’immisce dans nos affaires intérieures » – n’était rien d’autre qu’une répétition de la classique déclaration habituelle.
Je reconnais que ces ordinations épiscopales ne sont pas les premières consécrations illégitimes à prendre place en Chine. Cependant, ces cinq ordinations constituent un tournant malheureux et spectaculaire. Je voudrais illustrer la nature de cet événement en mentionnant trois « gestes inamicaux » qui ont caractérisé la cérémonie.
1.) Depuis plus de dix ans, les consécrations se limitaient à la consécration d’un seul évêque. Elles se tenaient dans les diocèses locaux, discrètement, en l’absence des médias et de la télévision. Le 6 janvier 2000, c’est une ordination « de masse » qui a été organisée dans la cathédrale de Pékin et elle a été mise en scène de façon tout à fait inédite, avec la présence des autorités civiles, de la police, de la télévision, des média et des dirigeants de l’Association patriotique qui donnaient des interviews télévisés.
2.) Au cours de ces plus ou moins vingt dernières années, les ordinations étaient une affaire ecclésiale, avec la participation réjouie de milliers de gens du peuple de Dieu. En comparaison, cette cérémonie fut froide, sans chaleur, mise en scène de l’Etat, avec seulement quelques fidèles sur les bancs de la cathédrale mais avec la présence de cadres du Parti communiste « protégés » (de qui ?) par un grand nombre de policiers.
3.) Pendant ces quinze dernières années, l’évêque désigné, élu, était autorisé, après ou même avant l’ordination, à demander discrètement l’approbation du pape. Cette fois-ci, les candidats ont été amenés en hâte à Pékin et mis sous une très forte pression pour accepter contre leur plein gré l’ordination. Cette cérémonie s’est révélée être une extraordinaire manifestation anti-pape et anti-Eglise, où rien ne fut religieux mais tout était politique.
Les dirigeants « patriotiques » de Pékin ont déclaré que les diocèses avaient besoin d’évêques. Pourquoi alors le peuple de Dieu était-il manifestement absent, et pourquoi ne s’est-il pas réjoui de ces consécrations ?
L’Eglise universelle pouvait tolérer ou même accepter les ordinations « illégitimes » pratiquées avant, parce qu’elles étaient encore un vrai événement ecclésial prenant place dans des circonstances et des contraintes particulières. Mais, pour l’Epiphanie de l’an 2000 à Pékin, nous avons été témoins d’une pure confrontation, ne tenant aucun compte des espoirs légitimes de l’Eglise, de sa théologie et de ses lois. C’est pour cela que je parle d’un tournant. Il est temps que nous révisions notre opinion sur l’Eglise « officielle » en Chine et sur nos relations avec ses dirigeants « patriotiques ».