Eglises d'Asie

A l’approche du 1er octobre et de la canonisation à Rome de 120 martyrs de l’Eglise en Chine, les échanges entre le Vatican et Pékin, par communiqués interposés, se font plus vifs

Publié le 18/03/2010




Durant les quelques jours qui ont suivi le retour du cardinal Etchegaray à Rome, après une visite d’une semaine en Chine, jusqu’au dimanche 1er octobre, jour de la canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine place Saint-Pierre (2), les échanges entre le Vatican et Pékin se sont faits plus vifs. La Chine accuse le Saint-Siège de procéder à la canonisation de « criminels » et interprète ce geste comme un complot du Vatican visant à regagner le contrôle de l’Eglise catholique en Chine. Le Saint-Siège se défend d’ourdir un tel plan machiavélique et assure que la portée de ces canonisations est uniquement religieuse et ne doit pas être interprétée sur un plan politique.

Tout au long de sa visite en Chine, du 14 au 21 septembre, le cardinal Etchegaray a pu entendre ses différents interlocuteurs se plaindre amèrement du choix fait par l’Eglise de canoniser ces 120 martyrs. Lors d’un entretien d’une heure et demi avec Ismail Amat, vice-premier ministre du gouvernement chinois, en charge des affaires religieuses et ethniques, le prélat français a entendu son interlocuteur lui dire que la plupart de ces 120 martyrs « avaient été condamnés à mort pour avoir enfreint les lois chinoises à une époque où le colonialisme et l’impérialisme envahissaient la Chine ». « La canonisation de ces missionnaires qui ont commis des crimes monstrueux » doit être reconsidérée « si le Vatican ne veut pas voir mis en danger les efforts que les deux Etats ont entrepris pour améliorer leurs relations », peut-on lire dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères chinois, en date du 22 septembre. Le choix de certains de ces martyrs déplaît particulièrement aux autorités chinoises : en dénonçant ceux parmi les missionnaires qui se sont rendus « complices des impérialistes », la Chine fait sans doute référence, entre autres, au P. Auguste Chapdelaine, prêtres des Missions Étrangères de Paris dont la mise à mort en 1856 a servi de prétexte à Napoléon III pour intervenir, aux côtés de l’Angleterre, contre la Chine lors de la seconde guerre de l’opium et obtenir de nouvelles concessions.

A ces accusations, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Joaquin Navorro Valls, a répondu le 26 septembre en déclarant que ces canonisations ne revêtaient aucun caractère politique. « Les accusations lancées contre ces témoins [de la foi] sont le résultat d’une lecture unilatérale de l’histoire et d’une mystification, si aucune preuve concrète [de la culpabilité de ces martyrs] n’est fournie », a-t-il affirmé, ajoutant : « Comment peut-on imaginer que le Saint-Siège canonise des personnes coupables de grands crimes ? »

Mis à part le choix des personnes retenues pour ces canonisations (la Chine mettant en avant les 33 missionnaires et « oubliant » les 87 Chinois canonisés dimanche 1er octobre), la date retenue pour cette cérémonie oppose le Saint-Siège et la Chine. Pour le Saint-Siège, cette date coïncide avant tout avec la fête de sainte Thérèse de Lisieux, patronne des missions et dont l’intérêt pour la Chine est connu. Pour les autorités chinoises, le 1er octobre étant le jour-anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, la canonisation des martyrs ce jour-là dénote la volonté du Vatican « d’encourager les catholiques chinois à se dresser contre leur gouvernement ». Dans l’entretien qu’il a accordé à Radio-Vatican à son retour de Chine, le cardinal Etchegaray a admis que la concomitance des deux événements était « fort regrettable », qualifiant même l’incident d’« accident de parcours ».

En lisant attentivement les communiqués des uns et des autres, les observateurs peuvent noter que, au-delà des mots utilisés, les deux parties semblent vouloir éviter une rupture totale. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, le 26 septembre, a évoqué, à propos de ces canonisations, « le plan que certains au Vatican essaient de mettre en place afin de regagner le contrôle de l’Eglise catholique ». Le fait de dénoncer « certaines » personnes au sein du Vatican et non l’ensemble du Vatican laisse entendre que la volonté de négociation du gouvernement chinois en vue d’une normalisation de ses relations avec le Saint-Siège n’est pas entamée. D’autre part, le cardinal Etchegaray est revenu de sa visite en Chine relativement optimiste pour l’Eglise en Chine. Selon lui, le temps rend les frontières « de plus en plus poreuses » entre la partie « officielle » et la partie « clandestine » de l’Eglise. Tout en affirmant que la question de l’ordination des évêques est un point crucial « pour l’Eglise et pour l’Etat [chinois] », il a déclaré que l’histoire montre que « des solutions raisonnables » peuvent être trouvées « sous tous les climats politiques ».

Par ailleurs, différents témoignages en provenance de l’Eglise « officielle » montrent que nombre de catholiques « officiels », laïcs, prêtres, religieuses et évêques confondus, ne suivent pas l’Association patriotique et la Conférence épiscopale « officielle » dans leurs prises de position hostiles aux canonisations. Dans les provinces du Hebei, du Shanxi et du Shaanxi, convoqués à des réunions politiques, des prêtres ont refusé de critiquer les canonisations du 1er octobre. Un évêque « officiel » a déclaré que les canonisations étaient « une chose glorieuse » et ne constituaient pas « une ingérence dans l’Eglise en Chine ». Selon un jeune prêtre du Hebei, tous les 1er octobre, l’Eglise organise des célébrations spéciales à l’occasion de la fête de sainte Thérèse et de la fête nationale et cette année ne fera pas exception, « la tradition de l’Eglise ne devant pas être considérée d’un point de vue politique ».