Eglises d'Asie

LE TAOISME EN CHINE AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




L’ouverture de la Chine aux investissements de capitaux et au commerce avec le monde extérieur a entraîné, en 1980, un retour partiel à la libre pratique religieuse. Les débuts d’une économie de marché dans un Etat socialiste supposaient également l’ouverture des sanctuaires, des temples et des montagnes sacrées de la Chine au tourisme – véritable source de profit se déversant dans les trésors des provinces et de l’Etat. L’intérêt des pèlerins chinois, des vacanciers, des touristes étrangers et des universitaires pour la religion chinoise traditionnelle s’est accompagné d’un effort soutenu pour reconstruire, moderniser et ouvrir au public tous les sites dont on peut espérer tirer quelque profit. Le taoïsme a largement bénéficié de cet intérêt économique pour la religion dans la Chine moderne.

La plupart des grands temples et monastères taoïstes sont maintenant ouverts aux étrangers. Certains permettent même à des universitaires et à des adeptes étrangers de passer de brefs séjours à l’intérieur des monastères, sur autorisation de la police locale.

Baiyunguan (‘Le temple du Nuage blanc’) à Pékin, Mao Shan au Jiangsu, Wudang Shan dans le Hubei, Quingcheng Shan dans le Sichuan, le temple de Xian à Baxian et celui qui est à proximité de Hua Shan tirent de bons profits des visiteurs qui viennent célébrer, étudier ou simplement regarder. Il y a des endroits où l’on fait payer les étrangers de trois à cinq fois plus cher qu’aux Chinois des « Certificats d’Echange avec l’Etranger » exorbitants qui accordent le privilège de pénétrer dans des sanctuaires taoïstes, bouddhistes et profanes.

Le résultat de ce vaste renouveau d’intérêt pour le taoïsme comme pour le bouddhisme, l’islam ou/et le christianisme, a produit une forte augmentation du nombre de jeunes gens et de jeunes filles cherchant à devenir sours, prêtres et moines. Les quatre « grandes » religions continuent à voir augmenter leurs effectifs – sans atteindre pourtant le taux de 400 % publié de source officielle en 1987 (1).

Des intérêts très divers

Surtout par la pratique des techniques de respiration qi, des arts martiaux et d’exercices physiques, le nouvel intérêt pour le taoïsme a une profonde influence sur la vie quotidienne de beaucoup en Chine aujourd’hui.

Le taoïsme populaire

La pratique de la respiration qi selon des formes plus raffinées ou classiques – comme la méditation du « champ inférieur du cinnabar » – est devenue un sujet prisé des best-sellers des éditions de poche. Dans chaque ville, village ou foyer en Chine, des groupes pratiquent dès le matin des exercices de qiqong, de taiji, de bogua ou des « figures libres » plus excentriques, avec un entrain qui délie le froid glacial en hiver et la chaleur torride en été. Les diverses formes d’arts martiaux comme le qiqong, le bogua, le taiji et le shaolin à la manière du nord ou du sud, provoquent un tel intérêt que des périodiques publiés par les divers centres de taoïsme sont vendus dans la rue et dans des points de vente reconnus par l’Etat. Le mensuel Arts martiaux de Wudangshan est, par exemple, en vente au kiosque de journaux tout près de l’entrée de l’Académie des sciences sociales dans la rue de la Tour occidentale du Tambour à Pékin. Des universitaires et des gens du peuple achètent pareillement ces revues.

Le gouvernement appuie également la publication d’enquêtes fort appréciables sur les religions actuelles en Chine. Certains journaux offrent maintenant des condensés simplifiés relatifs au taoïsme, au bouddhisme, au christianisme, à l’islam et aux religions populaires, en raison du vaste marché et des ventes lucratives que procurent ces titres. Une série de contes bouddhistes et de légendes populaires en dix volumes – et un ensemble comparable sur le taoïsme paru dans la collection Les cultures religieuses – est restée par exemple plusieurs années sur le marché (2). La qualité universitaire de ces ensembles n’est pas élevée mais le bénéfice tiré des ventes est à l’image du vaste marché que couvrent désormais ces publications en Chine.

De la prudence

Les études taoïstes qui émanent de l’Association taoïste parrainée par l’Etat ont généralement tendance à suivre les profits des ventes plutôt que les exigences universitaires ou spirituelles de la formation personnelle. Le gouvernement est encore sensible aux nombreux problèmes qu’engendre la politique de liberté religieuse parallèlement à la ligne marxiste doctrinaire – ce conflit est profond au sein des cercles du Parti. On comprend que l’on soit maintenant plus prudent à Pékin quand il s’agit d’élargir le libre accès des laïcs au service des temples bouddhistes ou taoïstes.

Les temples bouddhistes à Pékin ne sont, par exemple, ouverts au public que le 1er et le 15 de chaque mois lunaire. Les temples taoïstes ne sont ouverts pour des célébrations rituelles qu’à l’occasion de fêtes particulières que chaque temple annonce avec l’accord du Bureau national ou provincial des affaires religieuses. Des temples comme celui de Baiyunguan à Pékin sont ouverts six jours par semaine (un peu comme les musées), fermés le lundi. Les gens sont libres d’acheter et de brûler de l’encens qui, dès le départ du fidèle, est recueilli par le gardien taoïste et mis de côté.

Cette politique ouverte et pourtant restrictive envers le taoïsme et le bouddhisme fait que les études taoïstes proposées par l’Association taoïste témoignent d une certaine prudence, le profit l’emportant parfois sur la prudence. Aussi les universitaires chinois ont-ils tendance à éviter l’étude du champ de la tradition liturgique chinoise pour se concentrer sur la recherche textuelle.

Au sujet de travaux d’universitaires chinois

En dépit de la politique gouvernementale du « bâton et de la carotte », de remarquables publications ont vu le jour grâce à la collaboration d’universitaires chinois reconnus, des services de l’Etat et de la presse. Ren Jiyu, Zhu Yueli – un universitaire du Front taoïste unifié – et d’autres ont publié des études sur la littérature canonique taoïste. Des membres du Centre pour l’étude des religions du monde et de l’Académie chinoise des sciences sociales ont publié des études qui méritent vivement d’attirer l’attention des universitaires.

L’un d’eux a ainsi découvert que des documents et des pratiques manichéens sont toujours en vigueur dans la province du Fujian. Des recherches chimiques en alchimie, le rituel taoïste de la dynastie Tang, le taoïsme populaire de la Chine du sud-est et d’autres sujets sont examinés par le centre d’études taoïstes de l’Académie. On peut trouver un résumé de ces travaux dans le volume de 812 pages intitulé Histoire du taoïsme en Chine (3). Parmi les contributions de l’ensemble des dix-neuf chapitres, figurent deux études du professeur Jin Zhengyao sur l’alchimie. Celui-ci a entrepris des expériences chimiques et essayé de donner une formulation scientifique aux textes alchimiques de l’ère Tang, provenant du nord comme du sud. Une chronologie du taoïsme a été utilement compilée dans une annexe.

Le professeur Li Yangzheng, qui fait autorité comme vénérable spécialiste du taoïsme, vient de publier une étude sur Le taoïsme dans la Chine contemporaine (4). Ce travail peut être une source d’information pratique sur les taoïstes, les monastères taoïstes et les universitaires en Chine.

Des travaux par des étrangers en Chine

L’ouverture de la Chine aux capitaux occidentaux et à l’économie de marché a également causé l’arrivée en nombre limité d’universitaires étrangers dans le secteur de la recherche livresque et sur le terrain. La fiabilité et le pouvoir de « l’unité de travail » parrainant la recherche sont ici décisifs. Les universitaires en Chine bénéficient de l’opportunité si désirée de quitter la Chine et d’étudier à l’étranger grâce à des échanges avec leurs homologues en Europe, au Japon et aux Etats-Unis. L’universitaire chinois qui part à l’étranger n’a pas nécessairement l’autorité ou l’influence nécessaire pour aider l’universitaire étranger avec lequel l’échange a lieu, à entreprendre sans obstacle des recherches en Chine. C est particulièrement vrai des études sur le taoïsme.

Les étudiants diplômés ou les professeurs qui se rendent en Chine grâce à une bourse de recherches trouvent fréquemment que leurs allocations sont lourdement imposées à des taux élevés ; ils n’ont par ailleurs qu’un accès restreint aux bibliothèques et peu de soutien pour des recherches sur le terrain. Ce n’est pas toujours imputable à un manque de bonne volonté de la part de l’organisation de parrainage à qui il peut arriver d’avoir promis à l’universitaire étranger plus que ne saurait assurer l’échelon local ou provincial en Chine. Tout voyage en province requiert l’autorisation du Bureau des affaires religieuses de la province en question pour que celui-ci aboutisse. Il est souvent arrivé à des étrangers de se rendre dans des temples ou des monastères et d’avoir commencé leurs recherches pour s’apercevoir ensuite que la police locale n’avait pas au préalable donné son accord. Les cas où les recherches sur le terrain ont dû être limitées ne sont pas rares.

Deux chercheurs à Zhangzhou dans la région du Fujian ont été, par exemple, invités par des taoïstes à assister dans un village à un rite de renouveau « Jiao ». Quand la police se mit à les interroger, les universitaires quittèrent la région, ne comprenant pas que la police condamnerait le temple et ses adeptes taoïstes à une amende de 10 000 yuan pour avoir permis à des universitaires de venir et de partir sans l’autorisation de la police. Un autre universitaire vit tous ses films confisqués par la police et son permis d’étudier dans la région lui être retiré. Ce double incident aurait pu être évité si l’autorité supérieure compétente avait fourni aux chercheurs des lettres de recommandation et l’aide d’un fonctionnaire qualifié pour s’occuper des contraventions arbitraires de la police.

La recherche universitaire est possible presque partout en Chine, même dans les montagnes les plus reculées chères aux taoïstes et les temples tibétains, à condition que le chercheur s’acquitte des formalités à l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin. Des antennes de l’Académie, parmi lesquelles celles de Shanghai, Kunming et d’autres régions du sud-est de la Chine, sont plus efficacement abordées si l’on dispose au préalable de l’autorisation du bureau central « yuanbu » de l’Académie de Pékin.

L’Académie de Pékin compte trois sections distinctes. Il s’agit 1.) du monolithe de quinze étages à Changanjie (Jianguomennei), 2.) de l’école supérieure au nord-est de Pékin, 3.) de la maison d’édition (158 Gulouxidalie, Pékin 100720). Ce dernier endroit est le plus prisé pour faire en Chine des études supérieures et sur le terrain, en raison de l’ouverture de son personnel aux étrangers qui procèdent à des recherches et de son lien avec le bureau des affaires étrangères, « Yuanbu », qui est habilité à délivrer des permis pour étudier partout en Chine. La recherche comporte l’étude des langues, la conduite des thèses et l’accès aux bibliothèques et/ou au travail sur le terrain partout en Chine. La bibliothèque au huitième étage du bâtiment de Changanjie possède ainsi une des collections les plus riches pour les études religieuses en Chine.

Le taoïsme dans les religions des minorités

De récentes recherches sur les rituels « Dongba » des Naxi et des Muosuo et sur diverses pratiques tibétaines « Bon » constituent l’un des secteurs les moins connus des études consacrées aujourd’hui au taoïsme sur le continent chinois. Le recours à des textes « taoïstes » écrits en caractères chinois par les Yao et d’autres minorités du sud-ouest de la Chine est connu des universitaires occidentaux mais peu de recherches comparatives avec les textes taoïstes canoniques et populaires ont jusqu’à présent paru. Des exemplaires des rites Naxi et Muosuo ont été récemment publiés avec les caractères phonétiques et hiéroglyphiques de la culture « Dongba » ; ils montrent qu’il y a des similitudes structurelles et conceptuelles entre eux et les rituels populaires taoïstes « roux » du sud-est de la Chine.

Des chercheurs de l’Académie ont récemment découvert à la frontière du Yunnan, du Tibet et du Sichuan un lot de manuscrits tibétains « Bon » des XIe et XIIe siècles, rédigés avec les mêmes caractères hiéroglyphiques. Les rites de guérison trouvés dans ces manuscrits – il s’agit d’une liturgie d’exorcisme de 360 démons propageant la peste – sont de quelque manière semblables aux rites Wangye sur le littoral du Fujian et à Taïwan. On compose puis on détruit des effigies en papier des esprits de la peste. On rencontre des cas de possession effectués par des médiums, selon les rites « roux » Ngawa de la province d’Amdo (Qinghai) : se percer les joues, se cisailler le front et le dos, souffler de la trompe, recourir au bandeau rouge et à la sonnette en forme de trident en sont les composantes. L’un des secteurs les plus intéressants de la recherche récente en Chine consiste en l’étude des similitudes entre les coutumes des minorités « Dongba », « Bon » et d’autres du sud-ouest, avec les pratiques populaires du style « roux » (non pas « Zhengyi 

Le taoïsme vu de l’intérieur

Les thèmes favoris des universitaires étrangers d’Europe, du Japon ou des Etats-Unis ne concordent pas toujours avec les intérêts des universitaires chinois ou des taoïstes eux-mêmes. On peut trouver les travaux de recherche des taoïstes et des universitaires de l’Association taoïste sur la tradition liturgique ou méditative dans le bulletin mensuel que publie l’association taoïste attachée à Baiyunguan, à Pékin. Intitulé Taoïsme chinois, ce bulletin constitue également une source importante pour étudier la croissance du taoïsme religieux, la politique officielle de l’Etat à l’égard de chacun des centres taoïstes et les activités des taoïstes à l’intérieur de l’unité que forment le temple et le monastère.

La politique officielle

En 1992, le [bulletin] Taoïsme chinois a reproduit un rapport établi par Fu Yuantian, directeur de l’Association taoïste chinoise, lors de la quatrième assemblée générale des directeurs de l’association (5). Fu Yuantian est également à la tête de l’association taoïste de la municipalité de Chengdu et du monastère taoïste Qingcheng Shan dans le Sichuan. Homme politique averti autant que taoïste qualifié, il a fait de la communauté taoïste de Qingcheng Shan une communauté autosuffisante, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, et il a contribué à restaurer le vaste complexe monastique après les ravages de la Révolution culturelle. Son rapport résumait l’évolution et les changements survenus ces cinq dernières années, c’est-à-dire entre 1987 et 1992.

Fu Yuantian rappelle que les chefs des cinq grandes religions (bouddhisme, taoïsme, islam, christianisme protestant et catholique) ont été invités par Jiang Zemin à un rassemblement extraordinaire à Zhongnanhai, en janvier 1991 et le 28 janvier 1992. On leur promit que la politique de liberté religieuse ne changerait pas. Comme Fu le souligna, le travail de l’Association taoïste et de ses directeurs concordait avec les directives de l’Etat pour former les croyants au patriotisme et au socialisme. L’Association taoïste appliqua les directives de l’Etat publiées en juin 1989 et le 1er juillet 1991 (lors du 70e anniversaire de la fondation du Parti communiste), relativement à l’étude des nouveaux documents produits par Deng Xiaoping, Li Peng et Jiang Zemin.

Le rapport de Fu Yuantian esquisse les activités publiques relevant du Baiyunguan à Pékin et des autres centres taoïstes qui ont reçu l’approbation de l’Etat (par le biais du Bureau des affaires religieuses). Celles-ci ont comporté : 1.) l’accueil de divers groupes taoïstes de Hongkong et de Taïwan qui ont accessoirement contribué financièrement au travail de restauration des temples taoïstes du continent ; 2.) la restauration du rite « shoujie » de l’école Quanzhen qui concentre les voux et les règles monastiques de la tradition canonique ; 3.) à Jiangxi, l’ouverture de Longhu Shan (‘la Montagne du Dragon-Tigre’) aux visiteurs taoïstes de Taïwan, de Hongkong et de l’Asie du sud-est afin qu'[y] soient reçus les Registres taoïstes Zhengyi (6) ; 4.) la promulgation d’une enquête nationale sur les divers lieux sacrés taoïstes et la normalisation de leurs réglementations ; 5.) la perspective d’une politique générale encourageant les études taoïstes et les pratiques taoïstes traditionnelles Zhengtong.

Un taoïste de renom

Cette politique a immédiatement profité au rétablissement de la Tradition canonique en permettant que soient formés de nombreux jeunes gens et jeunes femmes qui manifestent le désir de devenir taoïstes. Baiyunguan à Pékin est devenu le modèle de cette restauration. L’éminent maître taoïste Min Zhiting de Hua Shan et du temple de Baxian au Xian a été nommé professeur principal de liturgie pour les jeunes taoïstes venus de tout le pays étudier à Pékin. Min Zhiting (de son nom taoïste : Yuxi Daoren) est né en 1924 dans la région de Nanzhao, dans le Henan. A 18 ans, il décida de se faire taoïste ; il se rendit à la grotte Maonü de Hua Shan et devint disciple du célèbre maître taoïste Liu Lixian. Sous la direction du maître Liu, il étudia les textes sacrés taoïstes, il hérita des registres de Beiji Wudangshan, Quingwei Wuleifa ainsi que les liturgies « Zhengyi » alors en vigueur à Hua Shan (7). Il devint également un expert en calligraphie, un artiste et un musicien, spécialiste de cithare chinoise ancienne.

A la fin du conflit avec le Japon, il voyagea beaucoup jusqu’aux montagnes sacrées taoïstes, il découvrit des méditations et des liturgies à l’école de divers maîtres Zhengyi et Quanzhen et travailla énormément le canon taoïste. A partir de 1951, il devint maître taoiste au temple de Baxian au Xian et retourna fréquemment au temple tout proche de Hua Shan où on le tenait pour un maître savant. De 1966 à 1978, pendant la Révolution culturelle, il repartit comme ouvrier dans sa région natale dans le Henan. A l’annonce de la liberté religieuse en 1978-1979, Min Zhiting retourna à Hua Shan. On le nomma professeur de liturgie et de musique à Baiyunguan en 1985. Nul choix ne pouvait être probablement meilleur en raison de la profondeur et de l’étendue de l’expérience et des connaissances de ce taoïste exceptionnel. Il passe la plus grande partie de l’année à Baiyunguan, retournant à l’occasion au temple de Baxian au Xian pour des rassemblements et du chant liturgique.

Deux ouvrages de Min Zhiting méritent une mention particulière. Le premier est son manuel qu’il utilise à Baiyunguan pour former les jeunes taoïstes à la liturgie. Ce livre de poche de 314 pages, intitulé Daojiao Yifa (manuel de rituel taoïste), est une contribution importante à l’étude de la tradition rituelle orale. Le second ouvrage est une biographie des fondateurs de l’école taoïste Quanzhen, qui offre une vue d’ensemble précise de cette puissante école (8).

Dans l’ouvrage de Li Yangzheng, Le taoïsme en Chine aujourd’hui (9on peut trouver une liste d’éminents taoïstes qui pratiquent et enseignent dans la Chine de l’ère moderne ; quelques trente maîtres et temples y sont répertoriés. Il est possible de ménager des visites à ces maîtres taoïstes contemporains par le biais de l’Académie chinoise des sciences sociales ou par celui d’associations taoïstes provinciales ou municipales. Outre la consultation de listes officielles, on peut également se rendre directement dans des monastères taoïstes qui se trouvent dans des montagnes reculées ou des endroits éloignés et y rencontrer souvent un accueil chaleureux. Aux visiteurs et aux universitaires qui cherchent à fréquenter plus longtemps des maîtres taoïstes, que ce soit pour l’étude ou la pratique, il est encore nécessaire d’avoir l’appui d’une université ou de l’Académie.

Un ensemble de règles

Le 8 août 1992, I’Association taoïste a publié un ensemble de règles entérinant ces aspects du taoïsme populaire Zhengyi qui concordaient avec la loi constitutionnelle et la politique du gouvernement chinois (10). Le taoïsme Zhengyi – ce nom est spécifique des formes du taoïsme de Longhu Shan, relatives au « maître céleste » – a été étendu à tous les taoïstes de Mao Shan – l’ancienne école Shangqing -, de Gezao Shan – l’école Lingbao -, de Longhu Shan, et à tous ceux qui, pratiquant le taoïsme dans les cités, les villes et les maisons en Chine, n’appartiennent pas à un monastère particulier (comme l’école sectaire de Quanzhen). Bien qu’erroné du point de vue du taoïsme canonique traditionnel, ce règlement simplifie pour l’Etat la question du contrôle d’une large gamme de pratiques qui existent hors des monastères sous surveillance de l’Etat.

D’après les règlements du 8 août 1992, il est recommandé aux taoïstes Zhengyi : 1.) d’obéir aux directives des chefs du Parti communiste, de se conformer au système socialiste et d’obéir à la loi dans un esprit patriotique ; 2.) de suivre « le Tao, les textes sacrés et les [enseignements] des maîtres » du taoïsme Zhengyi. On est autorisé : 3.) à mémoriser et à psalmodier « les hymnes du matin et de la nuit ainsi que les textes sacrés » ; 4.) à pratiquer les rites Jiao et les liturgies [de renouveau et de bénédiction] ; 5.) de prononcer des voux et de suivre avec discipline les règles de la pratique taoïste.

Tous les taoïstes Zhengyi sont tenus de se faire inscrire au Bureau communal ou provincial des affaires religieuses et de déclarer qu’ils sont eux-mêmes des taoïstes pratiquants en lien avec l’association taoïste locale. Dans les lieux où aucune association taoïste n’a été créée, ils doivent s’adresser au Bureau des affaires religieuses le plus proche et s’organiser en un groupe sous la juridiction de l’Etat. Les taoïstes qui pratiquent en privé ne sont pas autorisé à célébrer des liturgies dans leur résidence privée, mais ils doivent trouver un temple ou un sanctuaire également ouvert au public en vue de services religieux. Ils peuvent avoir recours aux temples Quanzhen dans ce but. Ils ne peuvent organiser des activités religieuses que s’ils ont reçu au préalable l’autorisation du Bureau communal ou régional des affaires religieuses.

Les pratiques taoïstes traditionnelles exécutées à l’intérieur de la sphère rituelle sacrée du taoïsme Tan, comportant les rites de la psalmodie, de la prière commune du matin et du soir, les rites Zhaï-Jiao (à savoir les rites d’enterrement et de renaissance) ainsi que le Daochang, reçoivent l’approbation explicite de l’Etat. Des pratiques comme l’écriture automatique, les cas de transe et de possession sous l’influence d’un médium, la prédiction de l’avenir sous toutes ses formes, l’exorcisme et la géomancie sont néfastes à la société et à la santé publique, superstitieuses et interdites par la loi.

Les pratiques

Les taoïstes peuvent accepter, en accord avec les directives, que leurs prestations soient rémunérées quand elles sont exécutées selon les procédures préconisées par l’Etat pour l’organisation des services religieux. Ils ne peuvent pas exécuter de services rémunérés pour des gens extérieurs à la juridiction de l’association taoïste locale, des Chinois expatriés ou des étrangers, ni permettre que ceux-ci organisent de semblables services. Les taoïstes doivent également verser un pourcentage des salaires qu’ils gagnent afin de financer l’organisation taoïste locale et le Bureau des affaires religieuses. Ils doivent dénoncer aux autorités tout écart par rapport à ces règles. C’est aux taoïstes Zhengyi pratiquant en privé qu’il revient d’amener ceux qui accomplissent le moindre des actes interdits énumérés ci-dessus dans le champ des pratiques Zhengyi autorisées (11).

Très précisément formulées, ces règles sont néanmoins appliquées de façon arbitraire par les agents locaux de la sécurité, à l’égard des taoïstes qui pratiquent en dehors des grands centres monastiques. Beaucoup de taoïstes des régions lointaines de la Chine et du sud-ouest ne se font pas recenser. Les monastères qui sont sous la surveillance de l’Etat, comme Baiyunguan à Pékin, Mao Shan, le temple Baxian au Xian, etc., reçoivent des visiteurs de Hongkong et d’autres communautés chinoises de l’extérieur. Les rites taoïstes sont exécutés au [temple] Baiyunguan à Pékin pour de riches hommes d’affaires de Hongkong et de Taïwan qui visitent la Chine ou y travaillent.

A quelques restrictions près dans les grandes villes et dans certains monastères, le taoïsme est globalement florissant dans la Chine contemporaine. L’ouverture des grands temples et des monastères aux touristes et aux pèlerins, l’édition de matériaux religieux par une presse soucieuse de profits et la présence d’un grand nombre de maîtres taoïstes traditionnels dans des centres agréés par l’Etat comme dans des villes et des villages moins connus – tout cela a gardé vivante, dans la République moderne du peuple, cette tradition purement chinoise. Le fait que le taoïsme Zengyi soit tenu pour une forme légitime de pratique a concrètement provoqué la restauration d’autres formes de rituels traditionnels comme les méditations Shangqing du « canon de la cour jaune », les rites du tonnerre qingwei et les méditations de « l’étoile polaire ».

C’est au bénéfice du renouveau du taoïsme en Chine que ces écoles moins connues et rarement étudiées restent sous la dénomination Zhengyi entérinée par l’Etat, jusqu’à ce qu’un nombre croissant de jeunes gens et de jeunes femmes rejoignant les ordres taoïstes aient pleinement assimilé leurs rituels complexes et leurs pratiques de méditation.

Peut-être est-ce en raison de la relation maître-esclave dans la tradition religieuse taoïste que le taoïsme est vivant et prospère en Chine aujourd’hui.