Eglises d'Asie

LE PHÉNOMÈNE ‘ FALUNGONG ‘

Publié le 18/03/2010




Le Falungong est essentiellement un mouvement de gymnastique respiratoire, imprégné de théories bouddhistes et taoïstes, qui prend appui sur les plus anciennes traditions culturelles chinoises. Ce terme de Falungong peut être ainsi traduit : « pratique de la roue de la loi (ou du Dharma) » (1).

Il s’agit là d’une forme spéciale du qigong, très ancienne pratique de méditation s’accompagnant d’exercices respiratoires visant à contrôler le qi ou force vitale. La presse internationale l’ayant fait connaître en 1999, le Falungong fut, trois mois plus tard, mis au ban de la nation par le gouvernement chinois. Depuis lors, les médias ne cessent de s’intéresser à la dure, incessante, inexorable persécution de ce mouvement, des condamnations à des peines de rééducation par le travail dans les camps de travaux forcés qui peuvent aller jusqu’à 18 ans n’étant pas rares. Le problème ne semble pourtant absolument pas résolu, étant donné l’extraordinaire résistance des adhérents à ce mouvement que le gouvernement chinois n’hésite pas à qualifier de « suprême défi au régime ».

Les centaines d’articles parus à son propos dans les quotidiens et revues du monde entier se fondent surtout sur les dépêches des principales agences internationales de presse qui disposent de correspondants à Pékin. Des informations relatives au Falungong peuvent être également transmises aujourd’hui par de nombreux sites Internet. Mais il est encore rare de trouver des études sérieuses sur ce phénomène trop récent (2).

Une telle recherche superficielle ne fait que rendre compte des événements les plus récents, sans se préoccuper de présenter de façon systématique la pratique du Falungong et la théorie qui l’informe ou d’exprimer à ce sujet une appréciation complète du point de vue thérapeutique ou philosophique. Bien qu’il s’agisse là d’un phénomène auquel le peuple chinois est particulièrement sensible, il met surtout en évidence la lutte à outrance menée par le gouvernement chinois contre ce mouvement, mais aussi les conséquences qu’il pourrait avoir dans le domaine des religions et dans celui de l’évangélisation.

Quand l’efficacité de la police chinoise est prise en défaut.

Plus de 10 000 personnes s’étaient donné rendez-vous aux premières heures d’une tiède matinée de printemps, le 25 avril 1999, dans les rues qui longent, à Pékin, le vaste ensemble résidentiel dénommé Zhongnanhai exclusivement réservé aux principaux dirigeants de la Chine, non loin de la Cité interdite, l’antique palais impérial. Assis en bon ordre, dans l’attitude de la méditation, en rangs serrés comprenant jusqu’à huit personnes, ils formaient une file ininterrompue de deux kilomètres de long. Ils ne faisaient usage ni de slogans ni de drapeaux, ni d’aucun signe extérieur de revendication. Si on interrogeait ces manifestants, ils répondaient qu’ils voulaient seulement obtenir une autorisation légale pour ces millions d’hommes qui, dans toute la Chine, pratiquent le Falungong. La police, nombreuse et vite accourue, se contentait de les observer, de leur conseiller de se disperser, et de leur distribuer des tracts pour les en persuader. Le soir, après 13 heures de manifestation silencieuse, cette foule se retira d’elle-même, ayant donné l’exemple d’une extraordinaire discipline.

La silencieuse présence de ces manifestants correspondait à leur instante demande faite précédemment d’être reçus par les plus hautes autorités de l’Etat. On sut, plus tard, que les principaux dirigeants du Parti et du gouvernement avaient été obligés d’interrompre une discussion sur une éventuelle participation de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour s’occuper de ce qui, par la suite, fut défini comme « un phénomène procédant des superstitions féodales » (3De fait, au cours des procès qui ont été intentés au Falungong, une des accusations portées a justement été celle d’avoir interrompu à plusieurs reprises les travaux des organes centraux de l’Etat. A ce propos, une agence de presse, citant une information émanant du Parti communiste, relatait qu’à une heure tardive du soir, le Premier ministre Zhu Rongji avait accepté de rencontrer une délégation de représentants du Falungong qui lui avaient demandé de pouvoir présenter leurs enseignements par le canal des moyens de communication et d’obtenir des espaces spécialement affectés à leurs réunions. Zhu aurait alors assuré que le mouvement Falungong n’était pas interdit (4). Ses interlocuteurs osèrent lui dire que c’étaient eux et non le communisme qui étaient en mesure de sauver la Chine et Zhu aurait répondu : « Je suis athée. Vous ne pouvez pas m’obliger à adhérer à vos doctrines ».

Le lundi 26 avril, l’une des rues qui délimitent Zhongnanhai était barrée. La presse internationale rapportait le regroupement de cette foule qui avait ainsi stupéfié le gouvernement et les forces de police. C’était là, remarquèrent divers journaux, « la plus grosse manifestation de rue qui se fut produite depuis la révolte de la place Tiananmen en 1989 ». Toutefois, les autorités avaient interdit tout récit ou commentaire de la mystérieuse manifestation de protestation. Un peu plus tard, cependant, un porte-parole du Bureau d’information du Conseil d’Etat déclarait que les dirigeants avaient chargé le personnel du Bureau des réclamations d’étudier et de discuter certains problèmes d’actualité. Il y avait été déclaré que les diverses activités de qigong n’étaient pas interdites et que toute controverse pouvait être résolue en passant par les structures normales mais qu’il avait été toutefois inutile et regrettable de se rassembler à proximité de Zhongnanhai et de créer ainsi des troubles à l’ordre public.

A la suite de cet incident, le président de la République et secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), Jiang Zemin, exaspéré par l’audace des manifestants (alors que même les étudiants, en 1989, n’avaient pas osé s’approcher de Zhongnanhai), adressa une vive réprimande aux responsables de la Sécurité publique qui s’étaient ainsi laissé surprendre, ce qui compromettait la campagne lancée depuis des mois contre le désordre. « Nous avions demandé, avant tout, la stabilité mais cette stabilité a été mise en échec. Nos dirigeants doivent se réveiller ! ». Une commission fut immédiatement constituée, sous la direction du vice-président Hu Jintao et de Luo Gan, membre du Bureau politique et responsable de la Sécurité publique, dont le premier objectif fut d’établir des listes de noms et d’infiltrer la secte (5). Ce travail silencieux dura trois mois et aboutit à la décision du gouvernement de défier des millions de citoyens, mettant le mouvement Falungong hors la loi.

Cependant, la presse internationale, étonnée d’une telle nouveauté, interrogeait diverses personnalités et des experts en sinologie sur l’extension et la signification de ce phénomène Falungong. Nancy Chen, anthropologue de l’université de Californie à Santa Cruz, qui a écrit un livre sur la vie urbaine, en Chine, affirme que tout Chinois vivant en ville connaît au moins quelque individu qui fréquente les parcs ou autres lieux de réunion où l’on cherche à se procurer la santé ou la longévité par la pratique des exercices qui sont à la base des gymnastiques thérapeutiques du Falungong et que l’on regroupe sous le terme de qigong. Cette forme de concentration sur soi-même et de mouvements bien réglés redevint populaire en Chine à la fin des années 1970 lorsque furent révoquées diverses interdictions culturelles. Le gouvernement a toléré jusqu’ici certaines écoles de qigong, alors qu’il en interdit d’autres, considérées comme « superstitieuses ». D’après Nancy Chen, l’abolition générale du qigong mettrait le gouvernement en opposition avec une importante partie de la population (6).

Divers dirigeants du PCC s’accordent à reconnaître qu’il s’agit là d’un mouvement discipliné et bien organisé, même s’il prétend n’avoir aucune hiérarchie, et cela les déconcerte. Pour certains, on peut le rattacher aux anciennes sociétés secrètes à caractère semi-religieux qui visaient à discréditer des empereurs injustes. D’après Wang Shan, auteur et commentateur politique bien connu, les autorités devraient agir avec prudence vis-à-vis de ce groupe. Ces « sectes superstitieuses » qui ont été combattues par le passé étaient constituées par une importante masse paysanne. Elles s’imposent aussi désormais dans les grandes villes où les chômeurs sont déjà très montés contre le gouvernement. Wang-Kai, un officier responsable du qigong dans l’administration d’Etat du sport assure que le Falungong était depuis longtemps objet d’étude et qu’à ce sujet, on n’était encore parvenu à aucune conclusion. Il n’hésitait pas à déclarer qu’il pratiquait lui-même le Falungong ajoutant que, si ces exercices connaissaient une large diffusion, le gouvernement épargnerait des millions de dollars en frais médicaux. Et, d’après Wang Kai, la sérénité des personnes qui se conforment à ces pratiques plaide en leur faveur, les rend meilleurs. « Ils s’adonnent avec joie à leur travail et peuvent contribuer à la reconstruction du pays » (7

L’aventure de Li Hongzhi

La publicité faite au mouvement Falungong par la manifestation du 25 avril a porté au pinacle Li Hongzhi, l’homme qui a fondé le mouvement sept années plus tôt, en Mandchourie, et qui actuellement vit en Amérique. Des millions de personnes dans le monde et surtout en Chine le vénèrent comme un « maître » incontesté. Mais il est justiciable d’une condamnation à mort par les autorités de Pékin qui l’ont déclaré « criminel numéro un ».

Li Hongzhi était fonctionnaire en Chine septentrionale avant de se lancer dans cette grande aventure. Fils d’un médecin et d’une gynécologue, il est né à Gongzhu Ling, petite ville industrielle de la province de Jilin, le 7 juillet 1952, et a fait de sommaires études dans la capitale de cette province, Changchun. Puis s’étant engagé dans l’armée, il a été affecté, de 1970 à 1982, à divers services réservés aux non-gradés. Par la suite et jusqu’en 1991, il a travaillé comme gardien assermenté dans une grosse entreprise de céréales et d’huile. Après quoi, il a démissionné pour s’adonner aux arts martiaux. Il a étudié le bouddhisme et le taoïsme, a-t-il déclaré, dès la plus tendre enfance, de maîtres qui vivaient sur les montagnes de Mandchourie. Ayant appris deux des formes les plus spécifiques du traditionnel exercice qigong, il a été reconnu maître en cet art et, développant son propre mouvement auquel il a donné le nom de Falungong, il a commençé à l’enseigner en mai 1992. Se servant avec intelligence des moyens modernes de communication et par une sorte de capillarité, la pratique du Falungong se répandit rapidement. Pour l’activer, Li a très vite fondé la Falun Dafa (FDF) dont il a pris la présidence. Le but de cette structure « de recherche » était évidemment de contrôler le développement du mouvement mais aussi d’en accréditer le sérieux (8). L’attitude de tolérance de la part de nombreux dirigeants et idéologues de l’Etat en a facilité la pénétration jusque dans les milieux officiels, les quatre premiers vice-directeurs de cette société « de recherche » étant membres du PCC. En peu de temps ont été mis sur pied 39 centres provinciaux d’enseignement du Falun Gong, comportant 1 900 salles d’instruction et plus de 28 000 espaces destinés aux exercices de groupe qui doivent se pratiquer selon les indications de la FDF.

Alfredo Fava, un entrepreneur italien de Biella, qui opérait en Chine, relate qu’il a rencontré Li Hongzhi en décembre 1995 et qu’il était devenu son disciple. D’après Fava, Li avait commencé à parler à de grandes foules, sur des terrains de sport, dès l’année 1993. Des milliers de personnes venaient, pendant une durée de neuf jours prendre contact avec lui et se faisaient ensuite ses prosélytes (9). On invitait Li un peu partout et ses leçons étaient reproduites et diffusées par des livres et les vidéocassettes, ce qui supposait évidemment d’importants moyens financiers. Les autorités, cependant, restaient relativement indécises quant au Falungong. Il fut un temps, d’après les médias officiels, où le gouvernement aurait retiré à Li Hongzhi la qualification de maître de qigong, l’accusant de répandre la superstition, étant donné qu’il se comparaît, entre autres figures célèbres de l’histoire, à Jésus-Christ et à Siddarta et Gautama. Dans ces années, diverses autres écoles de qigong qui proliféraient dans le pays étaient également sous enquête.

En 1994, Li se procura une nouvelle carte d’identité où était changée sa date de naissance, la faisant coïncider avec une fête de Bouddha dont il se disait être une réincarnation. (Interrogé par Newsweek, il ne nia pas que ce changement ait eu lieu mais prétexta qu’il était dû à une erreur bureaucratique). Li était accusé, bien sûr, d’avoir amassé une fortune considérable, en vendant des livres, des cassettes audio… depuis 1993, sans autorisation. En 1996, son livre Zhuan Falun fut interdit en Chine. Toutefois, la diffusion de cet ouvrage et des autres écrits de Li continua, comme par le passé, clandestinement : on pouvait les trouver partout. Mais, en 1997, sujet à tant de pressions, Li fit une demande de visa pour les Etats-Unis et, l’année suivante, il put quitter la Chine. En une longue interview publiée par l’hebdomadaire Time, il s’expliquait en ces termes : « Le gouvernement n’avait pas pris sur la question une position claire mais les ministres de la Sécurité publique étaient préoccupés du nombre de nos adhérents. Quand nous tentions d’organiser des réunions, elles n’étaient pas approuvées car on craignait une trop grande affluence de foule » (10

Li Hongzhi réussit à retourner à Pékin peu de temps avant la fameuse manifestation du 25 avril. Il se présentait comme homme d’affaires et repartit très vite pour l’Australie, après un court arrêt à Hongkong. Ce fut, pour la police, un brûlant affront. Mais, lors d’une conférence de presse qui eut lieu, peu après, à Sydney, précédant une assemblée de 2 000 participants du Falungong, Li prit soin de minimiser la signification des événements survenus à Pékin. Il les attribuait au désir de faire rendre justice aux adhérents de Falungong qui avaient été sauvagement maltraités à Tianjin. Et il avait grand espoir que les autorités finiraient par approuver la pratique du Falungong. Il répéta, à l’intention des médias internationaux, dont les représentants l’entouraient, qu’il n’avait jamais eu de visées politiques ni d’opposition au PCC tout en réaffirmant cependant la valeur du mouvement qu’il avait créé.

Quand, le 22 juillet se déclencha l’offensive contre le Falungong, Li Hongzhi en fut la toute première cible. Et, le 29 juillet 1999, l’agence de presse officielle Xinhua annonçait qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt pour lequel on faisait appel à la collaboration d’Interpol. Le ministère de la Sécurité publique publia d’ailleurs sa photographie, pour faciliter son arrestation, établissant que : « Il a comploté et organisé des réunions et des manifestations et entrepris d’autres activités, troublant l’ordre public, sans avoir demandé les autorisations qui sont exigées par la loi ».

Par ailleurs, le Quotidien du Peuple, organe officiel du PPC, consacrait le même jour une bonne partie de la première page à la « solennelle bataille de politiques et de pensée », accusant Li de se comporter comme un dieu et d’avoir cherché à se substituer au gouvernement, ainsi que d’avoir trompé le peuple et provoqué la mort de centaines de personnes en s’opposant à la science et à la médecine.

A la fin de juillet, une importante revue bi-hebdomadaire, Seeking Truth, consacrait un numéro spécial à « démasquer les mensonges » de Li Hongzhi et surtout ses contradictions entre les trois principes qu’il prêche à ses adeptes et les choix de sa propre vie. Quelques jours plus tard, le Beijing Evening News annonçait que sa tête avait été mise à prix, un prix de 6 000 dollars américains. Il était assimilé aux « wanted criminals » (11C’est en vain que les autorités de Pékin demandent aux Etats-Unis de l’arrêter et de l’extrader et protestent contre le gouvernement britannique qui refuse d’interdire à Li Hongzhi un séjour en Angleterre (12). Ils tentent aussi de faire déplacer une conférence organisée à l’ONU par les adhérents au Falungong pour les correspondants de presse (13). Li demeure, en général, assez réservé, mais ses collaborateurs s’activent dans les relations publiques.

Une doctrine éclectique et fantaisiste

En Chine, jusqu’à l’année dernière, les conférences et conversations de Li étaient diffusées non seulement par les moyens audiovisuels des communistes mais aussi par divers sites Internet. Aujourd’hui, tout cela est remplacé par la massive et hostile propagande du gouvernement (14). A l’extérieur, on peut toutefois accéder à divers programmes qui présentent la praxis du mouvement et les explications qu’en donne le maître Li (15).

Il n’est pas facile de se faire une idée claire des théories de Li Honzhi, de comprendre ce qu’il vise, ce qu’il ambitionne par son Falungong On reste franchement déconcerté par certaines de ses affirmations qui ne peuvent être assimilées à aucune des grandes écoles du taoïsme ou du bouddhisme chinois. Sa pensée, il faut en convenir, a mûri dans le contexte d’une culture si éloignée de la nôtre que des paramètres qui nous semblent fondamentaux comme le principe de contradiction semblent s’y dissoudre. Le symbole du Falungong consiste en une représentation miniaturisée de l’univers physique.

Au centre, une svastika, le tai ji (suprême réalité) avec les deux éléments opposés et complémentaires, yin et yang, propres à l’antique cosmologie chinoise. Puis, de nouveau, le symbole de la svastika qui se déroule sur elle-même. Le tout placé en un cercle coloré de rose.

Renata Pisu, spécialiste de culture chinoise, observe que les enseignements de Li Hongzhi se situent à deux niveaux : dans le premier, on y enseigne la pratique du qiqong qui améliore l’état général de santé, guérit des maladies, aide à dominer le stress et la dépression. Au niveau supérieur, les messages de Li sont des plus variés. Il s’agirait, en somme, de « quelque chose qui jaillit du ventre profond de la Chine, un amalgame post-moderne mais non post-chinois, d’archaïsmes réévalués par la défiance de la science et de la société » (16

Je me limite à citer ici quelques expressions typiques, utilisant les interviews accordées par Li Hongzhi aux revues américaines qui ont déjà été citées (17). On trouve dans ses enseignements des éléments de taoïsme, de boudhisme et de confucianisme et une part y est faite aux notions de réincarnation et de karma. A la base de tout, on trouve le très ancien exercice chinois qigong, cet art martial basé sur la méditation et sur des techniques respiratoires permettant de contrôler et d’utiliser les forces occultes de notre organisme. En une seconde interview au magazine Time (9/8/99), Li Hongzhi reconnaît qu’il y a différentes formes de qigong, pratiquées en Chine ou en d’autres pays, mais toujours dans un même but : améliorer la santé et guérir les maladies. La maladie est en effet causée par le mal, et l’on peut s’en libérer.

Mais, d’après lui, le soin de la santé appartient à un niveau inférieur de qigong qu’il a déjà dépassé. Le Falungong est proposé par lui comme une croissance spirituelle qui mène à la « liberté de la condition terrestre ». « J’enseigne, affirme t-il, un degré plus haut de qigong, embrassant un contenu plus vaste. C’est comme le Tao ». Celui qui parvient à cette perfection possède des pouvoirs spéciaux. « Tandis qu’en Occident, on pense que la perfection ne peut être atteinte qu’après la mort, au paradis, nous autres, Orientaux, pouvons, même encore en vie, parvenir à un état divin en pratiquant cette croissance spirituelle ». A cet état d’illumination et de perfection correspondent, assure Li Hongzhi, des pouvoirs extraordinaires. Pour y parvenir, il demande à ses disciples de mettre en pratique les trois principes : Zhen (la vérité), Shan (la compassion) et Ren (la tolérance). Il peut aider ses disciples à réaliser cet idéal en plantant la « roue de la loi » (une miniature du cosmos qui tourne indéfiniment, aspirant et émettant le cosmos). Si on lui demande comment la chose serait possible, il répond : « Je peux solliciter mon esprit pour agir sur toutes choses et faire qu’elles se réalisent ». Est-il encore sur terre, lui demande-t-on ? Il s’en défend : « Je ne veux pas parler de moi comme d’un être d’un niveau supérieur. Les gens ne comprendraient pas ». Et, au cours d’une autre interview : « Je suis le seul, aujourd’hui, dans le monde entier, à enseigner la loi. Si j’ouvre votre oil céleste, vous posséderez des pouvoirs surnaturels, vous pourrez voir à travers un mur » (18

Pour Li, les considérables développements des sciences et de la technologie font courir à l’humanité des risques mortels. Dès les premières années du XXe siècle, la terre a été envahie par des extra-terrestres, qui ont substitué aux hommes des clones. Ces êtres qui nous sont étrangers ont introduit dans notre monde les ordinateurs pour nous corrompre et ils s’introduisent dans nos corps humains pour créer un monde de clones. « De fait, ils contrôlent déjà la culture et l’esprit des hommes. On croit que les savants manifestent dans leurs inventions leur propre initiative. En réalité, leur inspi-ration est manipulée par les extraterrestres ». Si on lui demande de décrire de tels êtres, il répond : « Ces extraterrestres ressemblent aux humains, toutefois leur nez est constitué par un os ». Dans la campagne de dénigrement lancée par le gouvernement en juillet dernier sont citées d’autres idées « ridicules » de Li : il aurait prédit que la fin du monde est proche, que l’humanité sera détruite, que la science moderne ne peut rien faire pour sauver le monde : la seule espérance ne se trouve que dans le Falungong et Li est l’unique personne susceptible d’expliquer les mystères de l’univers. Les gouvernements sont inutiles de même que se sont montrées inutiles les lois. Le Falungong est l’unique idéologie d’une valeur universelle, réduisant à néant les gouvernements et la loi (19).

Une extraordinaire diffusion

En dépit de toutes ces incohérences, et peut-être même à cause d’elles, le Falungong et le Falun Dafa enregistrent un nombre impressionnant de disciples qui professent une absolue loyauté à leur gourou, tels les adeptes des sociétés secrètes. Même après l’interdiction du mouvement (peut-être même à cause de cette interdiction), on pouvait trouver dans les rues de Pékin un certain nombre de ces disciples tenant à la main les écrits de Li, au point que le plus fameux de ses livres Zhuan Falun (‘En faisant tourner la roue de la loi’) a été comparé au petit livre rouge de Mao (20). Une femme, à l’autel du Parc du Soleil à Pékin, distribuait des feuillets qui exaltaient les enseignements du « grand maître Li » qui protège ceux qui le suivent de sorte « qu’ils n’ont rien à craindre des maux venant de l’extérieur » (21Les adhérents de Falungong en parlent avec enthousiasme. Ils répètent que leur mouvement n’est pas une religion et qu’elle n’a pas d’objectifs politiques, n’étant qu’un engagement au développement personnel dans les vertus de vérité, bienveillance et patience. Et même après la condamnation du mouvement, Li a fait preuve de la plus grande assurance. « Ils peuvent mettre les gens en prison, a-t-il dit, mais il ne peuvent emprisonner leurs cours » (22

L’estimation numérique du mouvement est très variable. Li Hongzhi affirme que 100 millions de Chinois environ pratiquent le Falungong. Parmi eux, 60 millions résideraient en Chine, représentant un nombre supérieur à celui des membres du PCC. De son côté, la police, après la manifestation du 25 avril, aurait estimé à 30 millions les adhérents de Falungong (23). Plus tard, les médias officiels avançaient ces chiffres : de la Falun Dafa, de Pékin, dépendent 1 900 centres d’instruction, 28 263 centres de pratique, animés par 2 100 000 adeptes (24). Enfin, selon le vice-ministre des Affaires civiles, ses zones de diffusion les plus importantes sont le Nord-Est et la province du Hebei (25).

Mais, probablement, plus que du nombre des fidèles du Falungong, le gouvernement se préoccupe de sa capacité de mobilisation et d’organisation efficace. L’agence officielle Xinhua (24/7/99) n’était sans doute pas loin de la vérité quand, tout en dénigrant le mouvement, elle en expliquait ainsi la diffusion : a) il s’appuie sur le désir et le besoin de guérir les maladies ; b) il a exagéré les dangers que présentent certains problèmes et maux de la société qui préoccupent le pays ; c) il a fait l’éloge des principes de vérité, bienveillance et tolérance, principes appréciés de tous, s’en servant pour tromper le peuple. Il s’agit, en effet, d’une phase névralgique dans la crise que connaît actuellement la Chine nouvelle, fondée par Mao Zedong, crise qui, depuis 20 ans, aboutit à ramener le capitalisme. Le commun du peuple est gravement préoccupé par l’état de la société, par le nombre croissant des chômeurs, par une assistance sociale déficiente et par la corruption qui se généralise, endémique notamment dans le PCC, ce qui engendre le mépris du « gouvernement du peuple ». Les soins médicaux sont de plus en plus coûteux et beaucoup en sont désormais privés, spécialement quand il s’agit d’interventions chirurgicales. L’idéal de la médecine gratuite pour tous, vanté par le régime, devient de plus en plus un mirage ce qui favorise le recours aux traditionnels exercices thérapeutiques et à la médecine traditionnelle.

Parmi les centaines d’écoles de qigong qui prolifèrent aujourd’hui en Chine, certaines ont l’approbation du PCC. Telles Puti (ou Boddhi) Gong, Chanmigong (ou Zen-gong), Jiugonbaguogong et Xianggong, tandis que d’autres font l’objet de suspicion ou sont clairement condamnées (26). D’après l’anthropologue Nancy Chen, en 1990, les autorités avaient ordonné à ceux qui pratiquaient le qigong de se faire enregistrer, mais avec peu de succès. Plus récemment, le gouvernement a pris des mesures pour contrôler les groupes de qigong mais sans imposer de nouveaux enregistrements ce qui semblerait donner à ces groupes une certaine légalité. C’est ce qu’affirme le responsable des organisations du ministère des Affaires sociales, Wu Zhongze, cité par le Journal de la jeunesse chinoise, qui justifie ces mesures étant donné que les groupes de qigong diffusent des idées féodales des superstitions et une pseudo-science (27).

L’autorité constituée a toujours été préoccupée par l’existence de sociétés secrètes et de sectes. Elles ont jalonné l’histoire millénaire de la Chine et sont perçues comme un épouvantail. Dans les années 1950, le régime de Mao Zedong avait lancé une systématique et dure campagne tendant à éliminer toute secte et mouvement religieux, toute société secrète étant assimilée à une association de criminels. La répression du mouvement Yiguandao (‘doctrine de l’unité’) avait été particulièrement sévère. Après 1979, du fait de l’ouverture économique, la pression gouvernementale s’était relâchée. C’est alors, dans ce climat un peu détendu qu’avaient pu se développer les écoles qigong et le Falungong lui-même (28).

En 1985, un rapport secret du ministère de la Sécurité signalait que les sectes traditionnelles se multipliaient. Mais, tandis qu’après l’insurrection de la place Tiananmen en 1989, la répression a visé de petites initiatives politiques comme le Parti démocratique, il n’est pas facile de lutter efficacement contre des phénomènes qui englobent de vastes mouvements de masse. Depuis 1996, les autorités ont supprimé 10 000 associations secrètes dans la seule province du Hunan où l’un des dirigeants de ces associations a été récemment exécuté. En 1998, la police a arrêté 15 600 personnes accusées d’avoir « troublé l’ordre public par leurs superstitions » (29). En 1998, le gouvernement a encore renforcé la législation relative au droit d’association. Les sociétés à but non lucratif doivent être sponsorisées et agréées par les agences du gouvernement. Toutes les associations doivent être enregistrées.

Ce qui alarme les dirigeants chinois, c’est le profil de la plupart des adhérents de Falungong. Il ne s’agit pas d’étudiants comme ceux qui se sont soulevés en 1989, mais surtout de personnes d’âge moyen, parmi lesquelles beaucoup de retraités et un grand nombre de femmes. Peu d’opposants proprement dits, sans doute, mais des chômeurs de 40 ans et plus, des officiers et membres du Parti à la retraite, des groupes, en somme, qui semblent n’avoir pas été touchés par la marche de la Chine du XXe siècle vers l’institution du libre marché. Huang Pin, vice-directeur de l’Institut de sociologie, à Pékin, reconnaît que les rapides changements sociaux de la Chine en cette période de transition tendent à détruire certaines vieilles valeurs morales, de sorte que beaucoup en sont déconcertés et ne réussissent pas à s’adapter à la société actuelle (30). Un commentateur politique, Nang Shan, explique que le Falungong n’est pas facile à vaincre parce qu’« il représente la force du prolétariat ». Il ajoute que « la Chine est en train de vivre une révolution par l’adaptation à l’économie de marché. Elle prend la voie du capitalisme. Et quand un régime est à la tête d’une révolution capitaliste, il rencontre la résistance du prolétariat. C’est ce que nous constatons aujourd’hui ».

Après la manifestation du 25 avril 1999, une vingtaine d’intellectuels de la République populaire de Chine (RPC) ont rencontré des représentants de l’université Columbia à New York et Wang Juntao, qui fut l’un des leaders du mouvement chinois pour la démocratie, a déclaré qu’il n’avait aucun doute sur la matrice de ce phénomène de masse, coïncidant avec une période de transition sociale où le peuple subit une intense pression et éprouve le besoin de s’adonner à quelque autre forme d’idéologie pour répondre au vide spirituel et neutraliser l’anxiété. Le Falungong exprime l’aspiration des Chinois à combler ce vide. Mais, dans la pratique, il ne voit pas dans le Falungong un projet politique. Certains adhérents y trouvent des motivations religieuses, pour d’autres, plus simplement, une forme d’exercice physico-respiratoire (31). Il n’est pas étonnant que le mouvement de Li Hongzhi qui procure un sensible mieux-être physique et psychologique et donne aussi une nouvelle vision de la réalité, soit accepté par des millions de Chinois comme un idéal de vie. C’est tout ceci qui constitue un défi à l’idéologie du régime.

Le régime communiste qui, depuis un demi-siècle, travaille à donner au peuple de la Chine nouvelle une vision scientifique du monde fondée sur le matérialisme théorique et pratique, se trouve donc obligé d’affronter, malgré lui, une résurgence sans précédent de superstitions de tout genre. L’extraordinaire histoire du Falungong est à situer dans le contexte de ces phénomènes populaires que l’idéologie au pouvoir ne peut tolérer mais qu’elle ne parvient pas à détruire. Un protagoniste bien connu dans la lutte contre la superstition, Si Manan, définit ainsi le Falungong : « Li Hongzhi n’est que la partie apparente d’un iceberg » (32). Il n’est pas surprenant, pense-t-il, que la condamnation du Falungong soit survenue au cours de la campagne nationale contre la superstition qui a débuté au milieu de 1998, et où furent dénoncées de façon répétée, certaines pratiques très populaires comme le fengshui, la géomancie et la prédiction de l’avenir.

A la recherche d’une légitimation

Une des données qui a alimenté tant d’événements décisifs a été une certaine allergie à la critique. En réalité, les partisans de Li ont toujours démontré peu de patience à l’égard des médias. Ils réagissent vivement à tout écrit où ils sont cités, par des coups de téléphone et par des visites aux directeurs des publications. Un journal chinois affirme qu’il a reçu d’innombrables protestations parce qu’il avait répandu cette nouvelle qu’un membre du Falungong était devenu fou. Et le correspondant à Pékin de la BBC fait remarquer qu’après avoir donné des informations sur le groupe, il a reçu plus de critiques que n’en a motivé aucun autre article au cours de sa carrière (33).

Selon l’agence Xinhua (12/08/99), en mai 1998, la télévision d’Etat à Pékin avait été assiégée pendant plusieurs jours par plus de 1 000 manifestants, pour avoir transmis un programme critique à l’égard du Falungong. Déjà, en août 1996, des membres du Falungong avaient « fait le siège » devant un autre quotidien connu, le Guangming Ribao, et depuis lors, ils ont organisé 78 manifestations illégales, toutes avec plus de 300 manifestants (34). La plus grave accusation, qui fait partie de l’éditorial dans lequel l’organe officiel du PCC déclarait que le Falungong est une « secte pernicieuse », qui « séduit, fait du lavage de cerveau, fait du chantage… » n’a pu être vérifiée sur d’autres sources.

Comment expliquer cette hypersensibilité des adhérents ? Il faut se rappeler que, contrairement à ce qui se passe dans nos démocraties où le pluralisme des opinions et les informations est considérée comme un droit fondamental, la RPC se fonde sur une idéologie totalitaire et est encore guidée par un régime de « dictature du prolétariat ». Les médias sont considérés comme les instruments du pouvoir en place et doivent toujours refléter la voix qui vient d’en haut. Il est significatif que les grandes purges de l’ère maoïste étaient précédées d’habitude de soi-disant « débats » dans les journaux, dans lesquels on attaquait l’un ou l’autre personnage pour de prétendues « déviations » de la ligne qui à ce moment là prévalait au comité central.

Elle est donc compréhensible la crainte que des voix critiques recueillies par la presse ou d’autres organes de communication soient le prélude à une attaque systématique à laquelle il ne serait pas possible de répondre. Le mouvement de Li Hongzhi s’étant toujours soucié d’exprimer en chour son désaccord en certaines occasions, cette attention semble avoir fonctionné pendant quelques années. En réalité, aux plus hauts niveaux, il n’était pas encore apparu de position idéologique claire sur cette expression culturelle qui plonge ses racines dans d’antiques croyances populaires et met en valeur les exercices respiratoires classiques du qigong. Quant, en 1996, parut un livre critiquant la possibilité de contrôler et d’utiliser des énergies paranormales à travers la pratique du qigong, un idéologue connu qui en écrivit la préface crut opportun de signer sous un pseudonyme, Du Jiwen (35). On sait que même un scientifique du nom de Chen Shu-shan adhérait à ces théories qui reconnaissent et valorisent les forces occultes. Du reste, du moment qu’il s’agissait d’une croyance populaire qui a imprégné toute l’histoire millénaire de la civilisation chinoise, il pouvait apparaître impopulaire de se prononcer contre l’existence de ces « énergies spéciales » dont beaucoup affirmaient qu’ils en avaient fait l’expérience. Il est intéressant de noter que Li Hongzhi, alors qu’il n’hésite pas à donner un jugement négatif sur la science et la technologie moderne, tient à proposer une cosmologie d’inspiration taoïste, offrant une conception personnelle du créé de l’histoire. Il tente de donner ainsi à son système de croissance personnelle une justification sur le plan des sciences tant physiques qu’historiques. C’est pourquoi il se présente comme « le Maître » qui pénètre et connaît toute vérité. Cette aura de crédibilité du Falungong a favorisé sa diffusion dans les classes moyennes et même dans les rangs du Parti communiste. Jusqu’à un tiers des membres du Falungong auraient été membres du PCC, selon un diplomate occidental qui citait un document officiel confidentiel (36). Or, au sein du Bureau politique lui-même, tous n’auraient pas été hostiles au Falungong. Quand le directeur du Bureau des Affaires religieuses, Ye Xiaowen, tint une conférence de presse au Palais du Congrès, il l’accompagna de citations de discours de Li Hongzhi projetés sur un écran géant qui mettaient en évidence sa prétendue infaillibilité : « En Chine, je suis la seule personne qui peut porter les gens à un plus haut niveau. Je suis l’homme le plus vieux de l’Univers : j’ai produit mes propres parents ». Et il concluait : « S’il y a une leçon que le gouvernement aurait dû tirer de tout cela, c’est que nous aurions dû le mettre hors la loi avant » (37). La manifestation du 25 avril a accru chez les membres du Falungong la conscience de pouvoir compter sur un fort soutien populaire. L’académicien bien connu, He Zuoxin, un physicien qui dans les années 1960 contribua à réaliser la bombe H chinoise, parlant à la télévision d’Etat, a dénoncé le Falungong comme un « vrai danger pour la société », soulignant le fait qu’il recommande à ses adhérents de ne pas faire usage de médicaments (38). Un article le critiquant a paru au début du mois d’avril dans une revue de jeunes de l’université normale de Tianjin. Dans cet article, comme l’expliquèrent plus tard les publications officielles (39), le professeur He mettait en doute, entre autres, une affirmation selon laquelle un ingénieur pratiquant le Falungong aurait pu entrer dans une fournaise pour le traitement de l’acier et observer de ses yeux les transformations chimiques qui se produisaient au niveau des atomes et des molécules. Le 19 avril, un groupe d’adhérents de Falungong en colère fit irruption dans les bureaux de l’université, exigeant des excuses de la part du journal. Ne les ayant pas obtenues, ils entreprirent auprès de la Faculté qui abrite la revue un sit-in qui devait s’intensifier le 21. Le jour suivant, les manifestants auraient été 2 000, arrivant à 6 000 le 23, tandis que 2 à 3 000 personnes se présentaient devant le palais de la municipalité. La version officielle est que, pendant ces jours, il n’aurait été procédé à aucune arrestation, tandis que les agences occidentales disent que le samedi 24, la police aurait malmené et arrêté quelques personnes (40).

Un défi au système

Le 24 avril, durant le bras de fer à Tianjin, les dirigeants de Falungong dans les provinces du Hebei, Shandong et Liaoning auraient invité leurs adhérents à converger vers la capitale pour protéger le « Falun Dafa ». Dans les dénonciations et les procès des mois suivants, quatre des organisateurs de cette épreuve de force ont été identifiés. Ceux-ci auraient eu, avant leur arrestation, la possibilité de s’aboucher avec Li Hongzhi lui-même, de passage à Pékin, qui les aurait exhortés à être prêts à sacrifier jusqu’à leur vie pour sauver et protéger le Falungong, et gagner ainsi l’immortalité (41). Déjà, dans la soirée du 24, commencèrent à arriver dans la capitale des gens du Hebei, en train ou autobus. Les demandes préparées pour la rencontre avec les autorités du gouvernement étaient au nombre de trois : libération de ceux qui avaient été arrêtés à Tianjin, facilités pour la pratique du Falungong, permission de publier pour le Falungong.

Ce défi lancé au gouvernement le 25 avril semble n’avoir pas provoqué de drames et la masse de la population chinoise n’en eut probablement pas connaissance. Mais, sur les dirigeants du Parti et du gouvernement, il produisit un violent impact et ils crurent avoir perdu la face devant l’opinion publique mondiale. L’année 1999 était en effet particulièrement délicate et importante pour le régime et pour le pays : c’était l’année du quarantième anniversaire de l’occupation du Tibet (le 10 avril 1959), le dixième anniversaire de la tragique répression de la place Tiananmen (le 10 avril 1989), et enfin le cinquantième anniversaire de la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Zedong (le 1er octobre 1950). Depuis longtemps, la police était en alerte du fait des manifestations d’ouvriers licenciés et de paysans accablés d’impôts. Le président Jiang Zemin avait parlé alors d’une « nouvelle menace » provenant des « sectes » et de leur cohésion quasiment religieuse.

Le gouvernement décida alors d’employer la manière forte. Sur ordre du président, des groupes de travail se mirent à pratiquer des rondes d’inspection dans les parcs fréquentés par le Falungong ; des filatures d’individus, le contrôle des téléphones et autres appareils électroniques, ainsi que l’incitation à la délation furent établis. Cependant, en juin, plus de 13 000 membres du groupe avaient envoyé au gouvernement une lettre ouverte demandant qu’on fasse cesser la répression contre eux. Par ailleurs, la télévision diffusait une circulaire du Conseil d’Etat, l’organe exécutif du pouvoir chinois, où l’on niait que le groupe ait été déclaré illégal. On assurait que ses membres pouvaient continuer à exercer leurs pratiques, mais on les mettait en garde de répandre des nouvelles infondées et de fomenter des divisions (42). Cependant, vers le milieu de juillet, sans rien qui le laissât prévoir, tout était en place pour une offensive massive. D’après le Centre d’information sur les droits de l’homme, organisation généralement reconnue comme sérieuse et dont le siège est à Hongkong, dans la nuit du 19 au 20 juillet, la police arrêtait dans leurs maisons au moins une soixantaine de personnes plus ou moins responsables du mouvement en diverses provinces. On confisquait les livres de la secte et divers objets y ayant rapport et jusqu’au buste de Li Hongzi (43). Selon d’autres informations, 2 000 responsables furent arrêtés dans toute la Chine, ce 20 juillet (44).

Grâce aux moyens audiovisuels, la nouvelle d’un imminent péril se répandit rapidement jusqu’aux villes les plus éloignées, incitant à une mobilisation générale. Des milliers d’adhérents se rassemblèrent alors pour protester auprès des autorités civiles locales contre les arrestations. Les agences internationales, recoupant diverses informations, apprenaient que le 21 juillet plus de 25 000 personnes s’étaient présentées aux centres du gouvernement en au moins une dizaine de villes, pour expliquer les motivations de leur mouvement et protester contre les récentes arrestations. A Shanghai, les centaines de personnes qui s’étaient réunies dans le « People’s square » se sont retirées pacifiquement et sans incidents, de même à Dalian. A Taiyuan, s’étant présentées déjà le 20, 50 personnes ont manifesté. 500 autres avaient fait le siège du palais du gouverneur pendant deux jours, à Weifang (province du Shandong). A Guangzhou, on a pu évaluer à 10 000 les manifestants, et à Shenzen, à partir de 9h 00 du matin, 800 autres firent un sit-in, mais beaucoup d’entre eux furent arrêtés et transportés dans un stade, et placés sous étroite surveillance. A Pékin, lorsque le 22 juillet, la télévision nationale annonça la condamnation du mouvement, de 700 à 1 000 membres du Falungong se rassemblèrent, déterminés mais en bon ordre, non loin de la résidence des dirigeants. La police n’eut d’ailleurs aucune difficulté à les faire monter dans de nombreux autobus qui les transportèrent dans des stades à la périphérie de la ville. Au cours de la semaine, 30 000 membres du Falungong avaient été arrêtés dans toute la Chine (45).

Je me trouvais à Pékin, chez un ami italien, ce soir du 22 juillet, quand le mouvement fut officiellement condamné. Le journal du soir, à la télévision, fut totalement consacré à présenter les accusations retenues contre Falungong et son fondateur. « Ce dernier a exercé une activité illégale, était-il dit. Il a favorisé la superstition, fomenté des troubles et mis en danger la stabilité sociale ». Ces accusations étaient étayées par une longue série d’interviews, de dénonciations et de confessions qui occupèrent toute la soirée. Cette campagne systématique contre le mouvement Falungong s’est poursuivie, tout au long des semaines suivantes, accompagnée d’interrogatoires et d’intimidations. Le gouvernement était décidé à ne courir aucun risque pour les célébrations du 1er octobre qui se déroulèrent, de fait, de manière impeccable. 500 000 personnes y défilèrent, en un ordre parfait. Puis commencèrent les procès prévus. Ils eurent un grand retentissement dans la presse internationale tandis qu’en Chine ne perçaient que des rumeurs de condamnations.

Une idéologie en crise ?

Je me contente ici de rapporter quelques commentaires. Et d’abord, que la réalité du Falungong a suscité les plus grands étonnements. Ainsi « parmi les leaders de la manifestation du 25 avril se trouvaient de hauts fonctionnaires à la retraite d’importants ministères et même un général retraité. L’un des chefs arrêté la semaine dernière avait été directeur d’une section de la Sécurité publique justement chargée d’éliminer les dissidents » (46). Et un peu plus tard, une circulaire du PCC dénonçait que « des membres communistes du Falungong en étaient arrivés à manifester de l’opposition au Parti et au peuple, cela à un moment crucial et causant ainsi des torts graves à la cause de leur parti ».

Après la solennelle condamnation du 22 juillet était publiée une circulaire du comité central du PCC qui sanctionnait les membres du Parti qui auraient pratiqué le Falungong. La participation de certains membres du Parti à ces activités illégales, y affirmait-on, a entaché l’image du PCC. Ceux qui l’ont pratiqué jusqu’ici doivent se dissocier du mouvement et rompre de façon décisive avec son idéologie. Ceux qui ont participé à ce mouvement mais s’en dissocieront ne seront pas inquiétés. Quant à ceux qui ont participé aux organisations et ont fait activement de la propagande, ils ne seront pas non plus réputés coupables s’ils désavouent le passé et dénoncent les erreurs du Falungong. Ceux des membres du Parti qui ont exercé le rôle de véritables dirigeants, commettant ainsi de graves erreurs, méritent des sanctions, mais s’ils se repentent ou donnent des preuves de leur vraie valeur, la peine sera réduite. Mais qui ne se repent pas devra quitter le Parti ou en être expulsé. Les quelques-uns, par ailleurs, qui ont « comploté derrière les coulisses et ont été les vrais organisateurs », seront résolument expulsés. Tout le Parti doit être éduqué contre ce mouvement qui a propagé une quantité de faussetés malfaisantes, corrompant gravement les esprits. « Dénoncer et attaquer Li Hongzhi et son Falun Dafa, constitue une lutte politique des plus sérieuses », affirme la circulaire (47). Car il y a là une tumeur maligne qui menace la société (48). L’organe officiel précise : « Il faut tirer des leçons de cette campagne et se demander pourquoi tant de gens se sont laissés tromper par le Falungong, alors qu’il s’oppose à la science, à l’humanité, à la société et au gouvernement » (49).

Lors de sa session d’automne, l’Assemblée nationale populaire (le parlement chinois) a discuté de l’opportunité de promulguer une loi « anti-secte », et, à ce propos, un député a défini le Falungong comme « un défi sans précédent dans l’histoire du communisme » (50). On peut lire, dans un éditorial du Quotidien du Peuple, qu’« il est impératif, pour sauver les lignes fondamentales du Parti, de rééduquer et transformer » ceux qui adhèrent encore au Falungong. « Il s’agit, affirme ce journal, d’une entreprise difficile, car il faut agir sur un grand nombre de personnes, opérer des sélections, éviter des simplifications et des généralisations. Ceux qui pratiquent le Falungong, seulement pour se tenir en forme et sans connaître le fond de sa nature perverse doivent être considérés comme des victimes » (51). Selon un autre éditorial, toutes les unités de base du Parti doivent bien comprendre la nature anti-scientifique, anti-humanitaire, anti-sociale et anti-gouvernementale du Falungong car il s’agit là d’engager une lutte serrée « dont dépend le destin du Parti et de la Chine » (52). Pour les dirigeants, maintenir « la pureté et le rôle d’avant-garde » du PCC signifie éliminer le Falungong qui se présente comme un possible concurrent, capable de promouvoir ces idéaux moraux nécessaires à la construction d’une nation. Ils rejettent même, ce qui est étonnant, les aspects moraux du Falungong. « En réalité, disent-ils, les principes de vérité, de bienveillance et de tolérance prêchés par Li Hongzhi n’ont rien de commun avec l’éthique socialiste et avec les progrès culturels que nous nous efforçons de promouvoir ». On peut noter ici la même tendance schizophrénique qui, au cours des années 1980, fit lancer la campagne pour « une civilisation socialiste spirituelle » et qui amena les dirigeants à réfuter cette hypothèse que les religions, même celles qui sont officiellement reconnues, puissent contribuer à la régénération de la société qui, alors, affrontait l’aventure de l’économie de marché. La diffusion de ce nouveau mouvement de qigong qui se pare d’éléments pseudo-religieux et qui s’appuie fortement sur la moralité publique, fait craindre aux autorités qu’il puisse se proposer comme une alternative au pouvoir constitué. Dans une correspondance de Pékin à un quotidien italien, Luoyan Shen écrit : « Pour la première fois, depuis qu’il a pris le pouvoir, en 1949, le Parti connaît, à l’intérieur du pays, une organisation secrète, pyramidale et répandue sur tout le territoire, dont le but est de lancer au gouvernement un défi sans précédents et à long terme » (53). Un autre quotidien italien commentait ainsi la situation : « Il est difficile de dire si la secte est un danger pour le pays… Ce n’est certes pas parce qu’elle répand des superstitions, mais bien plutôt parce que, pour la première fois, le PCC est confronté à une forme d’organisation non autorisée et très résolue qui pourrait s’infiltrer, en quelque sorte ‘transversalement’ dans la société et, ce qui est pire, dans l’administration de l’Etat et dans le Parti lui-même » (54).

Même si, jusqu’ici, la police n’a pu démontrer qu’il y avait eu une conspiration politique propre-ment dite, le Falungong de Li Hongzi épouvante les dirigeants chinois qui savent que mysticisme et religion ont souvent été des composantes de rébellion dans l’histoire de la Chine. Sous la dynastie Quing, la secte bouddhiste du Lotus blanc constitua une importante force de déstabilisation, de mê-me que le mouvement Taiping et la révolution xénophobe des Boxers. Au début des années 1950, les membres de la secte Yiguandao, considérée comme une dérivation de la société secrète des Ming, appelaient les membres du PCC « race du diable » et le socialisme « le royaume du mal ».

En 1997-1998, le gouvernement dispersa la secte de « l’Esprit suprême » où il décelait des influences chrétiennes, et son leader, Liu Jiaguo, fut fusillé sous l’inculpation de s’être enrichi au dépens de ses adeptes, d’avoir fomenté une rébellion contre le gouvernement et abusé de jeunes femmes (55). Dans un contexte de confusion sociale et économique alors qu’augmentent le chômage et la corruption, les Chinois ordinaires embrassent facilement de nouvelles idéologies comme d’antiques croyances depuis longtemps abolies. Le sinologue Arthur Valdrom l’affirme : « Le communisme, en tant que foi, est mort et a laissé derrière lui un grand vide que quelque autre foi de masse devrait remplir ». Merle Goldman, de l’université de Boston, remarque que la campagne de répression « démontre la fragilité et l’épouvante du gouvernement » tandis qu’un académicien de Pékin, anonyme, critique la politique du gouvernement qui « transforme ce mouvement en une cause anti-gouvernementale. C’est une politique stupide. On se crée des ennemis là où il n’y avait pas d’ennemis » (56).

Apparaît particulièrement significatif un éditorial d’un quotidien de langue anglaise, le Hongkong Standard, qui n’est cependant pas particulièrement critique du gouvernement de Pékin : même si le PCC persiste à répéter que la secte Falungong n’est condamnée que pour sauvegarder la santé et la vie d’individus innocents, beaucoup de commentateurs pensent que sa vraie préoccupation est de sauver le Parti (57). On a pu constater au cours des 15 dernières années, en Chine, une perte de foi dans le marxisme léninisme-communisme et il en résulte un vide idéologique à combler, ce à quoi s’efforcent divers systèmes philosophiques, diverses croyances. Pratiquer une répression aussi dure, c’est insuffisant et préoccupant. Que les adhérents au Falungong soient 100 millions ou 200 millions, il ne compte qu’un petit nombre d’individus véritablement engagés, comme c’est le cas dans toute réalité sociale à large base. Tous ces groupes qui se réclament d’une foi ou d’une idéologie s’appuient sur certains de leurs membres qui portent leurs idées à l’extrême. Et tandis que le gouvernement chinois n’est pas apprécié dans le monde pour sa façon de traiter les groupes minoritaires, l’arrestation de ces gens paisibles qui méditent tranquillement ne lui fait pas honneur.

Répression et résistance

Comme il est de règle en Chine, tout de suite après la condamnation du 22 juillet, les déclarations d’approbation se sont multipliées, émanant des institutions officielles, à commencer par les diverses structures du Comité central du PCC. S’associent à la condamnation le ministère du Personnel et tous ses fonctionnaires, la Ligne des Jeunesses communistes, le quartier général des Forces Armées. Le ministre de la Science et la Technologie, Zhu Lian, en collaboration avec le président de l’Académie chinoise des sciences de la nature, Lu Yongxiang, convoque immédiatement un « forum de dénonciation » comprenant une quarantaine de médecins et d’intellectuels. L’administration centrale d’Etat de la Presse et de la Publication diffuse une circulaire qui interdit de publier, copier, ou distribuer tout matériel propre à la secte. « Les journaux et revues devront cesser de publier des articles et des photos sur les activités du Falungong ». De son côté, le vice-ministre des Affaires civiles, Li Baoku, lors d’une conférence de presse, assure que « ceux qui pratiquent normalement le qigong et d’autres exercices physiques pourront continuer à le faire s’ils obéissent aux lois » (58).

Cependant, la chasse à tout matériel provenant de la Falun Dafa prend de l’ampleur. Les journaux rapportent des informations selon lesquelles, dans tout le pays, plus d’un million et demi (on parlera plus tard de deux millions) d’objets ont été saisis. Ces objets devaient être confisqués ou détruits par les soins du personnel de la campagne anti-pornographie. 300 000 livres étaient ainsi confisqués et détruits à Pékin, de même que 130 000 copies de livres et 27 000 cassettes audio et vidéo-cassettes. La télévision présente aux informations de vieux tracteurs utilisés pour détruire tout ce matériel et les autorités locales, en différentes villes, célèbrent ce qu’ils appellent « des victoires ». Les nouvelles de ce genre, transmises par les ondes, sont relatées en 30 minutes. On y consacre désormais toute une heure, présentant des déclarations d’ex-membres du parti condamné qui répètent qu’ils ont été trompés et accusent les dirigeants. Le spectre de la Révolution culturelle resurgit alors à la mémoire de ceux qui l’ont vécue.

Le 25 juillet, la province de Zhejiang avait déjà fermé 47 centres de formation et 456 espaces d’activité du Falungong, confisqué 48 000 livres audio et vidéo-cassettes, des photographies, des tableaux et des drapeaux, tandis que les autorités y avaient arrêté plus de 100 leaders. A Shijiazhuang, on prévoit que 3 000 officiers subalternes seront arrêtés et, dans une ville du nord de la province, sont enfermés dans une école. Environ 1 200 agents du gouvernement, accusés d’appartenir à Falungong, sont enfermés dans une école dans une ville du nord. On les oblige à lire de la littérature du Parti et à déclarer par écrit leur dissociation d’avec le Falungong (59). D’après le Quotidien du Peuple, au 31 juillet 1999, 99,4 % de ceux qui avaient adhéré au mouvement Falungong dans cette province, auraient abjuré, mais on n’en spécifie pas le chiffre exact (60). Un autre rapport du même journal officiel assure qu’à Pékin, 98,9 % des anciens adeptes du Falungong y ont renoncé, mais là encore on ne donne pas de chiffre exact.

Cette campagne contre le Falungong connaît donc un grand succès, assure-t-on. Ainsi, dans la région de Shijiazhuang, plus de 20 000 membres du PCC s’étaient engagés, en 3 572 groupes de travail, pour visiter à fond bureaux, centres d’activité et entreprises. Ils y avaient constitué des groupes d’étude, fait des conférences, et donné à lire les documents gouvernementaux qui critiquent le mouvement interdit. Mais on ne dit pas combien d’ex-adhérents ont abjuré (61). Le Quotidien du Peuple donne une particulière importance au cas d’une femme de 48 ans, Chen Shasha, membre du PCC et l’un des chefs d’un centre de formation, qui avait participé à une manifestation le 31 décembre au palais du gouvernement provincial et, le 25 avril, à Zhongnanhai. Elle aurait abandonné la secte et avoué que Li Hongzhi a souvent conseillé à ses membres de faire pression sur le gouvernement (62). Comme on peut le penser, on fait seulement état des bulletins de victoire, mais une longue séquence de la télévision nationale du soir reconnaît que la manifestation silencieuse du 25 avril fut « l’incident le plus sérieux » qui ait fait du dommage à la Chine depuis 1989 (63). La propagande nationale utilise aussi contre Falungong de grandes affiches, tandis que la télévision et les autres médias multiplient les récits de personnes qui ont perdu la vie ou se sont suicidées (il est question de 2 000 morts) pour s’être affiliées à la secte (64). Un commentaire de l’agence Xinhua du 19 septembre, repris par toute la presse, dit que la lutte a connu le succès et que la majorité des contrevenants a renoncé à ses erreurs, mais, ajoute le rédacteur, si la tumeur a été enlevée, il reste que les virus n’ont pas tous été détruits, éliminés.

Le très important nombre d’arrestations prouve la forte résistance du mouvement en question. « Je n’ai pas peur. Tant que Li Hongzhi est avec nous, nous n’avons peur de rien ». Voilà ce que s’écriait une femme d’un moyen âge qui, avec 2 000 personnes, protestait contre l’arrestation de plusieurs leaders, la dernière semaine de juillet (65). La masse des adhérents au Falungong pense que la condamnation du gouvernement est injuste. Sofia Xiao, âgée de 35 ans, qui travaille dans une banque, à Hongkong, a pratiqué le Falungong pendant deux ans et dit qu’elle y a trouvé réponse à ce qu’elle avait cherché toute sa vie. « Je souris constamment aujourd’hui et n’ai plus aucun problème ». Elle avait grandi dans l’atmosphère schizophrénique de la Révolution culturelle. Son père, accusé de déloyauté vis-à-vis de Mao, en était devenu comme fou et déchargeait sa rage sur sa femme et sa fille. Xiao était devenue fermée, obstinée, égoïste, s’en prenant à elle-même. Puis le père mourut. La mère, toujours un peu malade, eut connaissance du Falungong et après l’avoir pratiqué, sembla se porter mieux. Elle donna à sa fille un livre de Li et cette dernière commença à pratiquer les exercices du mouvement avec un groupe d’une maison voisine et maintenant elle va parfaitement bien. « Ces exercices te changent, dit-elle. Laisse tomber tant de désirs humains, deviens paisible et tu ne craindras plus rien. C’est cela, peut-être, que le gouvernement chinois craint par-dessus tout » (66). Décrivant les manifestations qui ont fait suite à la condamnation du mouvement, Lujian-Shen affirme que les adhérents au Falungong font preuve d’un esprit de « martyrs ». Assemblés par milliers dans le stade de Fengtai, au sud de la capitale, « ils semblaient aller à une fête et criaient « Falun Dafa, la grande méthode du Falun ». Ces croyants démontraient qu’ils ne s’étaient pas laissé intimider par les arrestations des jours précédents » (67).

La date fatidique du 1er octobre approchant, il était impératif de montrer que tout était paisible et sous contrôle. Mais l’agence Xinhua informait que 20 membres du Falungong avaient été arrêtés à Nanchang, capitale du Jiangxi, alors qu’ils se préparaient à organiser des manifestations de protestation (19.9.99). Quoi qu’il en soit, peu après la magique célébration du cinquantième anniversaire de la « Libération », l’offensive contre le mouvement reprenait. Une information diffusée par le Falungong sur Internet faisait savoir qu’une femme, Zhao Jinhua, de 42 ans, était morte à Zhangxing, dans le Shandong après avoir été interrogée par la police. D’après sa famille, ne voulant pas renoncer au Falungong, elle aurait été torturée. Mais un porte-parole de la police déclarait qu’elle était bien morte mais non en état d’arrestation. « Nous l’avions convoquée seulement pour une session d’éducation » (68). Mais, d’après le bulletin International, du 22 octobre 1999, l’autopsie a révélé que la mort avait été causée par des coups donnés avec des instruments contondants.

Un article du Quotidien du Peuple contient une menace claire concernant les employés de l’Etat : ceux qui n’abandonneraient pas le Falungong seraient licenciés. Ce qui signifie que beaucoup de sections et de gouvernements locaux ne sont pas encore arrivés à résoudre le problème (69). Et, peu après, Xinhua rapporte que sept organisateurs du Falungong, dans l’île méridionale de Hainan, sont sous accusation pour avoir vigoureusement manifesté, dans la ville de Changchun, après le décret d’interdiction du Falungong. L’un de ces manifestants était directeur d’une grosse entreprise de construction à Hainan (70). D’après le centre d’information sur les droits de l’homme et la démo-cratie de Hongkong, les autorités ont condamné cinq membres du Falungong à un an de travaux forcés dans la ville de Changchun, vers le 1er octobre, pour « avoir troublé l’ordre public ». Ils avaient en effet refusé de participer à la grande réunion de Pékin. Au moins 500 adhérents auraient été arrêtés par la police et gardés en prison, de 15 jours à un mois, en 11 villes y compris Pékin. Sept d’entre eux furent arrêté à Chengdu pendant qu’ils faisaient leurs exercices dans un parc (71).

Une « secte pernicieuse »

Les adhérents au Falungong sont préoccupés par le projet de discussion d’une nouvelle loi à la session d’automne de l’Assemblée nationale populaire. Une douzaine d’entre eux ont été arrêtés, alors qu’ils stationnaient en silence devant le palais, dans la capitale. L’agence Xinhua a annoncé que 13 responsables du mouvement interdit ont été arrêtés et inculpés pour avoir diffusé des « secrets d’Etat » : il s’agirait de 59 documents internes au Parti et relatifs à la répression en cours contre Falungong (72). Par ailleurs, la prestigieuse université Qinghua a suspendu six étudiants (parmi lesquels un chercheur déjà diplômé), pour avoir pratiqué le Falungong (73). Les universités menacent d’expulser les étudiants qui s’adonnent à ces pratiques. Il y en aurait environ 10 000 selon les reportages diffusés à la télévision. Le Quotidien du Peuple et les autres organes officiels dénoncent le Falungong comme une « secte ». Ce terme, en chinois xiejiao, caractérise une « doctrine hérétique, dangereuse ». Le titre de l’article de première page du journal du Parti le précise : « Falungong est une secte. Il séduit. Il pratique le lavage de cerveau. Il fait du chantage ». Comme on peut le démontrer, il ne s’agit pas d’une simple organisation illégale, mais d’une secte, dans le sens fort et péjoratif du mot. Il en a les caractéristiques : structure hiérarchique et absolue dévot