Eglises d'Asie

DANS LA TRADITION ET LA CULTURE CHINOISE

Publié le 18/03/2010




Récemment, des journaux ont relaté l’histoire épouvantable de parents assistant, témoins impuissants, au meurtre par noyade de leur nouveau-né par des agents du gouvernement. Ils avaient commis le crime d’enfreindre la politique de “l’enfant unique”. Ailleurs, il nous a été rapporté qu’une petite fille, elle aussi nouveau-né, avait été abandonnée, nue et quasi-mourante, gisant dans le caniveau d’une rue d’une grande ville de Chine continentale. Les passants faisaient à peine attention à l’enfant. Comment de telles choses peuvent-elles arriver dans une société civilisée ?

Le recensement de 1990 en Chine a révèlé que la proportion de garçons à la naissance était anormalement élevée (environ 114 garçons pour 100 filles). Dans des régions rurales ou dans des provinces très peuplées telles que le Guangxi, le Zhejiang, l’Anhui, le Sichuan, le Shandong et d’autres, le rapport atteignait jusqu’à 125, voire 132 et même 149 garçons pour 100 filles.

La nature a fixé le ratio du nombre de naissances de garçons par rapport à celles de filles. La nature dicte le fait qu’à la naissance, le nombre des garçons doit être légèrement plus élevé que celui des filles : de 102 à 106 garçons pour 100 filles. Les altérations que la Chine fait subir à la nature ont pour conséquence une augmentation continue du ratio des naissances masculines rapportées aux naissances féminines.

Selon la Commission des droits de l’homme en Asie, dans une ville de la province du Shandong, les estimations portent le nombre de naissances de garçons à 163,8 pour 100 filles. Qu’est-il arrivé aux filles qui manquent à l’appel ? Où sont-elles ?

Le nombre des filles “manquantes” en Chine se chiffre déjà par millions. Les causes d’un tel déséquilibre sont aisément identifiables. Il y a les nouveaux-nées qui sont victimes d’infanticides ; il y a les avortements qui sont opérés lorsque le sexe de l’enfant à naître est connu ; des nouveaux-nées sont abandonnées et ces abandons ne sont pas portés dans les registres d’Etat ; des petites filles enfin ne sont pas abandonnées mais leur existence n’est pas déclarée aux autorités.

Les femmes dans la Chine féodale et les préférences liées au sexe

En Chine, les préférences liées au sexe sont profondément enracinées à la fois dans la culture et dans la tradition. Pendant des siècles, la Chine a été une société féodale. Les sociétés féodales ont toujours été plus favorables au sexe masculin. Les vestiges de cette société, couplée avec le concept confucéen de la supériorité masculine, demeurent même aujourd’hui, profondément encrés dans la mentalité chinoise.

Dans la société féodale chinoise, avoir un fils était une nécessité absolue afin de pouvoir maintenir la lignée de la famille. Sur le fils reposait la responsabilité d’entretenir et de prendre soin des parents devenus âgés. Il était responsable de veiller à ce qu’ils aient les plus belles funérailles possibles et à faire des offrandes pour leurs besoins spirituels après leur mort. La fille, par contre, était destinée à se marier et à rester mariée, peu importe à quel point le mari choisi pouvait ne pas correspondre à ses désirs. Le divorce pour une femme était hors de question. Lorsqu’elle se mariait, elle quittait la maison de ses parents pour vivre et servir son mari et les parents de celui-ci. Elle était “perdue”, sans utilité pour sa propre famille.

Dans la société féodale chinoise, il était tenu pour évident que les femmes n’étaient pas assez intelligentes, ne disposaient pas de la maturité nécessaire, n’avaient pas les ressources nécessaires pour pouvoir s’occuper d’elles-mêmes. La femme était la propriété privée des hommes, elle était censée faire des fils pour son mari et faire selon la volonté de celui-ci.

Un symbole parlant de la soumission de la femme envers les hommes était la pratique du bandage des pieds des femmes, pratique introduite en Chine pour la première fois sous la dynastie des Tang (618-907). Cette pratique a duré pratiquement 1 000 ans, et durant les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911), une femme à qui les pieds n’avaient pas été bandés ne pouvait pas se marier.

A l’intérieur de la Chine féodale, les femmes n’avaient aucun rôle en dehors de la maison. Travailler en dehors des limites même de la maison était réservé aux hommes. Les femmes ne pouvaient pas hériter. L’homme, par conséquent, contrôlait tous les revenus qui pouvaient entrer dans la maisonnée. La femme ne jouissait d’aucun statut économique, et donc, était sans pouvoir.

Les femmes dans la Chine nouvelle : 1949-1979

La Chine nouvelle a tenté à grandes enjambées d’éliminer la discrimination et les préjugés envers les filles et les femmes. Ses lois ont souligné le fait que les femmes jouissent des mêmes droits que les hommes dans tous les domaines de la vie : droits à la naissance, droits de la famille, droits politiques, économiques, culturels et éducatifs et enfin droits sociaux. Les lois chinoises ont interdit les mariages arrangés. Les hommes comme les femmes ont été déclarés libres de choisir leur conjoint ; les veuves, à qui, auparavant, il était interdit de se remarier, en ont eu la possibilité. Les femmes ont pu hériter des biens familiaux et recevoir un salaire égal à celui d’un homme pour un travail similaire.

Malgré ces très bonnes lois et règlements, l’inégalité règne encore à la plupart des étapes de la vie, à commencer par la naissance, l’éducation, le lieu de travail, les postes dans la fonction publique et dans tous les lieux de décision. Le problème de préférence liée au sexe est plus aigu dans les zones rurales, ainsi que dans les régions les plus pauvres et les moins développées de la Chine. En effet, la morale et les conséquences démographiques des préférences liées au sexe cèdent le pas face à l’urgence, au pragmatisme et au désir de maintenir les traditions qui glorifient le mâle et qui déconsidèrent les femmes dans l’organisation sociale et familiale.

Un certain nombre de facteurs en Chine empêchent les femmes d’obtenir effectivement l’égalité de droits que les lois de l’Etat leur reconnaissent pourtant.

La politique de l’enfant unique

En janvier 1980, quand la population atteignaient presque le milliard, le gouvernement a produit le “Document n° 1” qui faisait mention d’une campagne nationale pour promouvoir la planification des naissances ainsi que des programmes à mettre en œuvre, d’un point de vue administratif et économique, pour limiter les couples mariés à n’avoir qu’un seul enfant. Un mélange de récompenses pour ceux qui signaient l’engagement à n’avoir qu’un enfant, et d’amendes pour ceux qui ne le faisaient pas, a fait baisser le taux de natalité à la fois dans les villes et dans les campagnes.

En instaurant la politique de “l’enfant unique” en 1980, le gouvernement avait dans l’intention de réguler la croissance de la population. Ce gouvernement, qui nourrissait toute la population de la Chine pour la première fois de son histoire, concevait l’expansion continue de la population comme un obstacle insurmontable à la réussite de son objectif, comme une nuisance pour la totalité de son programme de modernisation.

En promouvant la politique de l’enfant unique, le gouvernement n’avait pas l’intention de ressusciter les concepts féodaux et confucéens de l’infériorité du sexe féminin, ni de renforcer l’impératif absolu pour une femme mariée de mettre au monde un enfant de sexe mâle. Et pourtant, c’est exactement ce qui s’est produit. Si un couple ne peut avoir qu’un seul enfant, le sexe de cet enfant devient très important ; tellement important, en fait, que malgré le fait que le gouvernement ne le dit pas, la politique de l’enfant unique est responsable d’un nombre inconnu mais significatif d’infanticides en ce qui concerne les naissances de filles, la sélection des sexes par l’avortement et le moindre enregistrement des naissances féminines sur les registres d’état civil. Les efforts du gouvernement pour légiférer ou pour mettre en place des programmes organisés et convaincants pour lutter contre ces pratiques n’ont eu que très peu d’effets.

L’infanticide des petites filles

L’infanticide d’enfants de sexe féminin a une longue histoire en Chine. Les missionnaires ont rapporté de nombreux témoignages de cette pratique avant 1949, spécialement parmi la population rurale où les hommes sont considérés comme plus utiles que les femmes. Les résultats d’une étude publiée le 3 avril 2000 par des groupes bouddhistes, musulmans, catholiques et chrétiens sur les droits de l’homme, étude initiée par la Commission des droits de l’homme en Asie, montrent qu’entre 1970 et 1980, le nombre des infanticides concernant des nouveaux-nés de sexe féminin dans une seule partie de Chine atteignait le chiffre alarmant de 800 000 nourrissons de sexe féminin tués ou abandonnés.

Des études faites plus tôt dans le courant des années 1980 ont révélé que de plus en plus d’hommes avaient du mal à trouver à se marier dans certaines provinces, par exemple dans l’Anhui. Or on a enregistré dans cette province depuis plusieurs années un très grand nombre de mort chez les petites filles. Tout porte à croire que beaucoup ont eu recours à la solution la plus fréquente pour se débarrasser des filles : les noyer peu après la naissance.

La sélection des sexes grâce au progrès technique

Une autre forme d’infanticide d’enfants de sexe féminin qui découle de la politique de l’enfant unique est la sélection des enfants à naître par l’avortement. Les nouvelles technologies, et tout particulièrement l’écographie introduite au milieu des années 1980, continuent de jouer un rôle important dans la sélection du sexe des enfants à naître. A l’origine, l’échographie était utilisée pour évaluer les maladies et s’assurer de la santé du fœtus, mais les femmes en Chine, par milliers, voire même par millions, conscientes qu’elles ne sont autorisées à n’avoir qu’un seul enfant, pratiquent une échographie pour déterminer le sexe de leur enfant à venir. Si les tests montrent qu’elles portent un fœtus de sexe féminin, elles choisissent souvent l’avortement. Ce qui leur permet d’avoir droit à mener une autre grossesse, en espérant qu’elles auront cette fois-ci un fils.

La politique de l’enfant unique n’est pas le seul facteur qui explique le recours à l’infanticide des nourrissons de sexe féminin en Chine, mais cette politique, conjuguée à l’usage des techniques médicales modernes, a provoqué une réaction culturelle, réveillant une tradition profondément enracinée selon laquelle il est préférable d’avoir un fils plutôt qu’une fille.

Des bébés de sexe féminin non déclarés à l’état civil ou bien abandonnés

Une autre raison de cette proportion faussée des naissances féminines par rapport aux naissances masculines peut être due au fait que des parents ne déclarent pas la naissance de leur fille. Nombre de parents ne peuvent pas s’imaginer tuer leur propre enfant. Ils préfèrent ne pas déclarer leur fille aux autorités en espérant entreprendre une autre grossesse dans l’espoir d’avoir un fils. Sans certificat de naissance, ces petites filles sont totalement privées de droits.

D’autres parents qui désespèrent d’avoir un fils abandonnent leur fille, souvent dans des endroits où elle pourra être trouvée et recueillie. En Chine, quelqu’un qui visite les “orphelinats”, que ceux-ci soient d’Etat ou bien tenus par l’Eglise, est frappé par la similarité entre les orphelinats chinois d’aujourd’hui et ceux du début du XXe siècle. Les orphelinats d’aujourd’hui comme ceux des années passées sont remplis de petites filles. Les rares garçons présents dans ces établissements sont handicapés. A partir du moment où le petit handicapé, de sexe masculin, ne peut plus remplir ses devoirs envers ses parents selon ce que prescrit la tradition confucéenne, il ne vaut pas plus qu’une fille. Infanticides de petites filles, sélection des sexes par l’avortement, abandons de petites filles et omissions de déclarations des naissances, tout cela est profondément enraciné dans l’histoire et la culture chinoise. Ils ne sera ni facile ni rapide de faire disparaître cela.

Poursuite de la même politique

D’après les nouvelles directives à propos du planning familial publiées le 7 mai 2000 par le Comité central du Parti communiste de Chine et le Conseil des Affaires d’Etat, “le gouvernement autorise une certaine flexibilité dans l’application de la politique de l’enfant unique”, explique Chen Shengli, porte-parole de la Commission d’Etat du planning familial. “Le modèle de la famille composée d’un seul enfant par couple”, dit-il, “n’a jamais été une politique de planning familial imposée à chaque couple, quelque soit l’endroit. Ce modèle est une ligne directrice …”

En fait d'”assurances”, une étude attentive du nouveau document montre qu’est repris avec force l’objectif d’une population qui ne dépasserait pas 1,4 milliards d’habitants en 2010. “Cet objectif”, déclare Chen, “sera atteint en maintenant la politique de l’enfant unique par famille, politique entreprise il y a 20 ans”.