Eglises d'Asie

LA CRISE DU BOUDDHISME EN THAILANDE

Publié le 18/03/2010




LA THAILANDE DE DEMAIN : UN BOUDDHISME DE CONSOMMATION

Il y a un phénomène très clair dans les milieux bouddhistes de notre pays ces derniers temps : c’est le nombre d’institutions (pagodes, centres de formation, etc.) qui parlent de devoirs à accomplir mais qui se montrent aussi comme autant de “points de vente” destinés à attirer les fidèles. La diversité prévaut à l’intérieur d’une même institution : on y trouve un syncrétisme de plus en plus visible ; plusieurs institutions acceptent des symboles et des traditions liturgiques d’autres religions ou groupes religieux ; on trouve ainsi dans le même endroit le Mahayana (Mère Kwan Ou), le Watcharayana (Dame Tara), le confucianisme (Kwan Im), l’hindouisme (Siva) avec Phra Arahaut (le Bouddha) et d’autres maîtres à penser de diverses pagodes.

Ce syncrétisme au sein d’une même institution reflète le phénomène qui est en train de se développer chez beaucoup de fidèles : le respect et l’accueil de religions ou croyances différentes chez la même personne.

Ainsi plusieurs personnes professent la branche Thammakaya, vénèrent l’acharu cha, Khoenko et Kuan Im. D’autres se disent bouddhistes mais vénèrent Siva et Saibaba tout à la fois, ou bien vénèrent et Kuan Im et Rama V, mais récitent les formules bouddhistes. Certains sont disciples de Mère Bongkhot et d’autres maîtres. A première vue, ces gens ne diffèrent guère de leurs ancêtres qui vénéraient tout à la fois Bouddha, les esprits et tenaient aux croyances brahmaniques. Mais dans l’ancien temps, les villageois tenaient Bouddha, les esprits et Brahma comme une seule et même religion ou un seul et même système de croyance. Et si l’on croit que ces trois élément sont séparables, on dira que le bouddhisme est la base (même si l’on fait des cérémonies brahmaniques, on se dit bouddhiste). Plusieurs personnes, cependant, professent plusieurs religions et savent que ces religions ne sont pas une mais bien plusieurs religions.

Notre époque accepte toutes les religions non pas parce qu’on veut en faire l’expérience ; mais cela devient plus de la “consommation de religion” qu’autre chose. Ce syncrétisme ressemble au comportement du consommateur qui prend plusieurs produits à la fois, comme on écoute de la musique pop, du jazz, des chansons classiques et des chansons thaïes, alors que naguère ces divers groupes de chansons avaient différents groupes de clients. Maintenant une même personne mettra des pantalons jeans ou des pantalons de soie ou ambres alors qu’auparavant cela dénotait l’appartenance à tel ou à tel groupe social ou métier. Il y a plusieurs personnes dans une maison thaïe : elles prennent un petit déjeuner à l’américaine ; au volant de leur voiture, elles écoutent du jazz ; leur bureau est aménagé selon les règles huang jui. De retour à la maison, elles écoutent de la musique classique et, pendant leurs loisirs, regardent leurs bouddhas miniatures qui servent d’amulettes.

Les goûts qui auparavant dénotaient le groupe, la race, le rang social sont maintenant complètement mélangés chez une même personne sans aucune difficulté. Ce genre de mélange peut se voir dans l’art moderne du collage : un mélange de plusieurs images venant de différents contexte réunis dans un seul et même tableau (comme les affiches publicitaires Thailand). Si ce genre d’image et de consommation est considéré comme le symbole de l’ère post-moderne, la religion bouddhiste des Thaïs est le symbole de l’avènement de cette ère.

Le bouddhisme comme signe qui s’affiche

Le fait d’adhérer à ce bouddhisme syncrétiste, sans attache réelle, vient peut-être de l’espoir de pouvoir s’appuyer sur les “choses saintes” (les forces surnaturelles) de chaque institution ou courant plutôt que du fait de mettre en pratique son enseignement dans le comportement quotidien. Mais une autre force d’attraction a de plus en plus d’influence : c’est le besoin d'”expérience”. La force de l’expérience est ce que les gens veulent toucher du doigt, veulent “posséder” : c’est pourquoi le tourisme est une activité si florissante à notre époque et que ses affaires prospèrent à toute vitesse.

Hors l’expérience dans une forêt dense ou sur une haute montagne, l’expérience religieuse, en particulier l’expérience spirituelle, est une chose qui semble mystérieuse, représente un défi et mérite qu’on s’y adonne. C’est pourquoi telle secte ou tel courant de pratique religieuse ou spirituelle peut attirer beaucoup de ces clients.

Quant aux sectes ou nouveaux groupes religieux qui naissent, il y a en général une certaine expérience spirituelle – ou le contact avec des forces mystérieuses dans l’univers – mais ils ne sont eux aussi que des “points de vente”.

Une autre force de persuasion qui attire beaucoup de gens vers le bouddhisme est le besoin de progresser et de se montrer ce qu’on est, le besoin de professer et de se déclarer bouddhiste. Cela peut naître en même temps que le désir de se manifester comme Thaï, par exemple. Ce besoin de se montrer est un résultat de la mondialisation qui fait que beaucoup de Thaïs s’alignent sur la culture occidentale, d’où la naissance du sentiment d’être étranger à ou éloigné de ce qui est thaï. Au fin fond d’eux-mêmes, beaucoup de gens, même s’ils se réjouissent de la culture occidentale, se font du souci pour leur identité thaïe qui pourrait être en train de disparaître. Il est certain que pour beaucoup de Thaïs, se montrer thaï, garder son identité thaïe est aussi se montrer bouddhiste et garder son identité bouddhiste.

Il est très probable que, quand le courant de la mondialisation deviendra plus impétueux, beaucoup de gens auront soif de leur identité thaïe et s’efforceront de la garder et de se montrer thaï plus encore qu’auparavant et cela en partie en recherchant davantage le bouddhisme.

On peut dire que le succès de la Wat Phra Thammakaya et du centre Santi Asok tient à ce que non seulement ces derniers répondent aux besoins des gens qui veulent être bouddhistes, qui s’efforcent d’être méritants, de suivre les commandements, de méditer. Ces deux institutions répondent encore aux gens qui veulent être Thaïs et proclamer leur identité thaïe. Ceci en se servant de signes qui montrent cette identité, par exemple : des vêtements thaïs, la politesse thaïe, la célébration des journées importantes du pays (par exemple, les anniversaires du roi et de la reine).

Il faut remarquer, à propos de l’identité thaïe et de l’identité bouddhiste, que beaucoup de gens se montrent tels en acceptant les modèles, les cérémonies en suivant les préceptes. On le voit, par exemple, ils s’habillent thaï, mangent thaï, acquièrent des mérites en donnant de la nourriture aux bonzes le matin, en devenant nonnes, tous les actes qu’il font de temps à autre. Dans l’esprit de ces gens être Thaï et être bouddhiste n’est pas un chemin de vie en harmonie avec la façon de penser et de donner un but à sa vie, mais ce sera seulement un “déguisement occasionnel” pour s’autoproclamer comme tel ou tout au plus, ce n’est qu’une partie d’un style de vie qui vient ajouter quelque chose à sa façon de vivre le goût de la consommation pour montrer qui il est.

Professer le bouddhisme sous cet angle ne diffère en rien de porter des vêtements comme ornements ou même si on le pratiquait de manière suivie jusqu’à devenir un style de vie, ce ne serait au plus qu’une histoire de se montrer au lieu d’être une formation personnelle en vue d’un changement spirituel, ce qui est le but authentique du bouddhisme.

Cependant, nous voyons de plus en plus de gens se tourner vers le bouddhisme de cette façon, en particulier dans les couches moyennes de la société ou ceux qui sont pris par la mondialisation.

Consommer le bouddhisme

Que l’on recherche le bouddhisme parce qu’on a besoin d’une expérience ou pour se montrer persona grata, on adopte une base pour un style de vie, tout cela n’est qu’actions qui ne diffèrent en rien de la consommation de produits.

De ce qui a été écrit plus haut, on peut dire que la “consommation de religion” laisse présager que cela se propagera encore plus. Beaucoup de gens se tournent vers la religion avec les mêmes comportements que ceux qui vont faire leurs courses et consomment des produits. Ces comportements sont la liberté pleine et entière de choisir l’idéologie, la croyance ou la ligne de conduite qu’il désirent et ils peuvent en essayer plusieurs sortes en même temps (comme on achète plusieurs produits de différentes marques pour voir quel est le meilleur) ou bien ils choisissent uniquement la partie qu’ils aiment ou qui leur plaît (comme on écoute quelques chansons qui, dans un album, correspondent à notre goût). Et cela sans qu’il y ait la moindre piété qui les lie à telle ou telle idéologie, croyance ou ligne de conduite. Ainsi, il y une tendance à ne rester que peu de temps dans telle ou telle institution ou centre ou ligne de conduite ; on peut quitter facilement si cela ne plaît plus, ou si on n’a pas obtenu le résultat escompté. Ceux qui ont besoin de l’expérience spirituelle d’une science ou veulent un effet plus rapide (comme on veut du café instantané) manquent de persévérance ; ils n’ont pas la patience d’attendre ; ils ne veulent pas se donner la peine de pratiquer et préfèrent donner de l’argent. Et les institutions ou centres qui demandent de l’argent plutôt que de la pratique sont très courus. Comme l’argent est un facteur important pour la société de consommation, ainsi les gens qui espèrent de l’argent sont-ils un facteur pour le développement de la religion ! Comme nous achetons des produits pour répondre à nos besoins, aussi beaucoup choisissent une religion ou une croyance qui répond à ce qu’ils sont : ils ne professent pas pour combattre leurs penchants mauvais ou essayer de s’améliorer. Une religion qui donne l’espoir du bonheur et de la richesse ou le succès dans ce monde est estimée (et si elle donne l’espoir d’obtenir et la richesse et le ciel, elle n’en aura que plus d’adeptes !).

Les gens choisissent de prendre la partie la plus simple, celle qui se fait le plus facilement, pour se satisfaire, mais ils rejettent l’enseignement abstrait ou les pratiques difficiles (sauf bien sûr les points qui répondent à leurs besoins spirituels du moment ou cadrent avec leur propre opinion).

Et quand on parle de telle ou telle partie, on ne parle pas seulement de cérémonies, de symboles religieux ou d’habits mais aussi de devoirs et de commandements. Les religions ou croyances qui ont un système de commandements, de règles ou une éthique bien clairs, où on entre facilement sans avoir à penser beaucoup et où les pratiques sont faciles, se propageront vite, comme par exemple la Wat Phra Thammakaya ou la secte Kuan Im.

La liberté dans la consommation de religion, telle qu’on l’a décrit plus haut, pouvait être une chose difficile naguère, mais actuellement c’est facile, en partie parce que, sur ce “marché”, il y a un vaste choix de religions. De plus, la religion est désormais quelque chose de personnel et non plus une chose fixée dès la naissance par les parents, la communauté ou bien une chose dépendant de la race, du terroir, du statut ou de la classe sociale. L’adhésion à une religion avec cette attitude de consommateur fait que la religion devient un produit : le commerce bouddhiste en ce moment n’est pas limité au commerce d’objets pieux ou d’amulettes seulement. La méditation et les diverses liturgies (comme les longues prières) vont bientôt devenir des denrées qu’il va falloir de plus en plus troquer pour de l’argent.