Eglises d'Asie

SIDA ET CORRUPTION DANS UNE PROVINCE PAUVRE

Publié le 18/03/2010




DE LA REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

Village de Donghu (Chine) – Ce qui frappe le plus chez les gens de ce village, ce sont leurs habits usés jusqu’à la corde qui paraissent trop grands ainsi que le fait que presque tous ont le même regard hagard et désespéré. Voûtés et traînant les pieds, fragiles avant l’âge, des paysans qui devraient être au meilleur de leur force de travail sont incapables de cultiver leurs champs de blé ou de prendre soin de leurs enfants. Dans ce pittoresque village de 4 500 habitants, situé au centre de la Chine, chaque famille est touchée par des maladies redoutables : fièvres, diarrhées chroniques, plaies buccales, terribles maux de tête, perte de poids, toux caverneuses, furoncles inguérissables. Des dizaines de gens relativement jeunes sont morts ici ces deux dernières années. Pour le seul mois de décembre 2000, 14 personnes, âgées de 30 à 50 ans, sont mortes.

Le coupable qui a dévasté non seulement la santé mais l’âme même de cette contrée pauvre est quelque chose que les officiels ici, dans la province du Henan, ont souvent prétendu n’être pas un problème : c’est le HIV, le virus qui cause le sida. Tandis que l’écho de cette épidémie secrète a filtré l’an dernier en dehors de cette province reculée de Chine, l’ampleur de la tragédie et l’effrayant ravage qu’elle a provoqué dans des villages comme Donghu commencent seulement maintenant à émerger, des paysans désespérés et mourants ont commencé à parler.

A Donghu, les résidents estiment que plus de 80 % des adultes sont porteurs du HIV et que plus de 60 % souffrent déjà des symptômes du sida. Cela placerait ce village, et d’autres alentour qui lui ressemblent, en tête des plus hauts pourcentages de contamination par le sida dans le monde. Ils ajoutent que les autorités locales sont en grande partie responsables. Beaucoup de paysans dans le Henan ont contracté le HIV après avoir vendu leur sang à des officines publiques de collecte qui ne répondaient pas aux conditions d’hygiène nécessaire. Selon la procédure employée, le sang des donneurs était réuni pour en extraire le plasma, puis le produit restant était indistinctement réinjecté dans leurs veines. Souvent, ce sont les responsables des autorités locales qui encourageaient les paysans à venir ainsi vendre leur sang. A partir de là, le virus a continué à se répandre par d’autres chemins, parce que ces mêmes officiels ont bloqué toute étude ainsi que les campagnes d’éducation au sujet du HIV, toute chose qu’ils considéraient comme un embarras.

« Chaque famille a quelqu’un de malade, et beaucoup en ont deux ou trois », affirme Zhang Jianzhi, 51 ans, interviewée avec d’autres qui ont aussi contracté le virus dans une maison faite de briques de boue. « Je pense, poursuit Zhang, que plus de 95 % des gens de plus de 14 ou 15 ans ont vendu leur sang au moins une fois. Et maintenant nous sommes malades avec fièvres, diarrhée et furoncles. » D’ailleurs Zhang elle-même souffre de fièvres et de malaises.

Comme la Chine commence à reconnaître l’ampleur du problème du sida, il apparaît de plus en plus que les contaminations générales d’autres villages comme celui-ci sont probables, dans des proportions encore inconnues. Officiellement, le gouvernement chinois recense seulement 22 517 personnes, dans un pays de plus de 1 200 millions de gens, comme ayant contracté le virus du sida, la plupart d’entre elles étant des drogués ou des prostituées. Cependant, les responsables de la santé ajoutent qu’ils estiment que 600 000 personnes sont porteuses du virus dans le pays.

Mais certains docteurs chinois qui ont travaillé dans la province disent que probablement plus d’un million de gens ont contracté le virus en vendant leur sang dans le seul Henan, la province où le problème est le plus important. Ils ajoutent que, bien que la vente de sang ait cessé dans les villages les plus affectés, elle continue ailleurs dans une moindre proportion, dans le Henan et dans d’autres provinces.

Donghu est clairement un cas extrême, mais il n’est pas le seul à être désespéré. Les villageois de Donghu disent qu’il y a probablement une douzaine de villages affectés, rien que dans le même district de Xincai. Au cours des six derniers mois, des rapports de chercheurs et de paysans chinois ont aussi révélé un haut degré de maladie dans des villages des districts de Weishi, Shangcai et Shenqiu, dans le Henan.

« Je ne sais pas combien de villages ont un très grave problème, mais je sais qu’il y en a un bon nombre, déclare un docteur chinois qui travaille dans la province. Je suis docteur depuis de nombreuses années mais je n’ai jamais pleuré jusqu’au jour où j’ai vu ces villages. Même dans les villages où on n’a pas vendu du sang, vous pouvez trouver maintenant de ces cas à cause des migrations, des mariages, de la transmission par voie sexuelle. »

A Donghu, il y a des grands parents malades, et de même des parents et des enfants, parce que beaucoup de femmes qui portent le virus ont donné naissance à des enfants et les ont nourris au sein ces dernières cinq années. Il n’y a pas encore d’orphelins du sida, disent les villageois, mais cela va venir bientôt, étant donné que plusieurs couples sont déjà trop malades pour se lever du lit, tandis que dans d’autres familles, des parents sont morts, et d’autres sont malades.

Malgré cette tragédie qui dure depuis longtemps, les villageois disent qu’ils n’ont pas été visités par des responsables de la santé de Pékin, même pas de la capitale provinciale, Zhengzhou. En fait, ils n’ont même pas vu de représentants de Xincai, le chef-lieu – bien que Donghu soit situé à côté de cette poussiéreuse cité rurale, là où les maisons au toit de tuiles, les routes goudronnées et les petits camions cèdent la place à des chemins de terre boueux. Les docteurs et les infirmières de l’hôpital de Xincai, Nanguan Yiyuan, dispensent des remèdes pour traiter les symptômes d’un mal qu’ils comprennent à peine. Une infirmière demandait : « Comment cette maladie se propage-t-elle ? »

Les patients meurent dans d’affreuses souffrances, avec des soins minimum. Et avec le peu de compréhension qu’ils ont de la maladie qui ravage leur village, ils peuvent très bien avoir répandu le virus HIV, non seulement à leurs femmes et à leurs enfants, mais aussi au-delà de leur province : la principale route chinoise nord-sud, où l’on peut trouver de proche en proche des lieux où des femmes font commerce d’elles-mêmes, traverse la partie la plus affectée du Henan.

Au début des années 1990, les sociétés chinoises fabriquant des produits pharmaceutiques – certaines d’entre elles avec des partenaires étrangers – commencèrent à s’appuyer sur la partie centrale du pays, pauvre et isolée, comme un endroit idéal pour obtenir du plasma propre et bon marché, le plasma étant la partie du sang qui est utilisée pour fabriquer certains remèdes. Les responsables de la santé dans la province devinrent souvent des intermédiaires enthousiastes et ouvrirent des lieux de collecte. Certains profitèrent personnellement du trafic, pendant que d’autres vivaient cela comme une manière inoffensive de faire rentrer de l’argent dans une région pauvre et sans ressources.

Les villageois de Donghu – qui recevaient chacun l’équivalent d’environ cinq dollars US pour 0,5 litre de sang – ont considéré cette petite somme comme de l’argent tombé du ciel, comme une manière de prendre part au miracle économique de la Chine. Henan est une des provinces les plus pauvres de la Chine, et Xincai en est l’un de ses coins les plus reculés, à six heures de voiture de la capitale. L’argent venant du sang servit à poser des toits sur des maisons aux murs de boue et à payer des frais scolaires.

« On n’avait pas besoin de recruter des gens, cela semblait être une grande chance », se souvient Gu Yulan, 46 ans, qui maintenant souffre de fièvres et de furoncles dans la bouche. « Souvent, la file d’attente était si longue qu’il était difficile d’obtenir un ticket. » Trois centres de collecte fonctionnaient à Xincai, disent les gens. Ils étaient tenus par des gens du cru mais gérés par des entreprises commerciales elles-mêmes contrôlées par le gouvernement.

Selon les experts, à cause des méthodes de collecte utilisées communément à ce moment-là à travers toute la Chine, même ceux qui ne donnèrent leur sang que de rares fois couraient un grand risque de contracter la maladie. Le sang de plusieurs dizaines de volontaires, rapportent les villageois, était mis ensemble dans une « énorme centrifugeuse » où il était traité pour obtenir le plasma désiré. Ce qui restait, c’est à dire surtout les globules rouges, était transfusé de nouveau dans les veines des donneurs, qui croyaient que le processus était avantageux, parce qu’il limitait ainsi la perte de sang.

Ce processus hautement dangereux signifiait qu’une fois qu’un donneur dans un village avait été infecté par le HIV ou l’hépatite, tout le reste du village contractait rapidement la maladie, puisque les virus des autres corps étaient réinjectés dans leurs veines en même temps que les globules rouges non désirés. Et puisque les donneurs ne perdaient pas de globules rouges à chaque don, et ainsi ne souffraient pas d’anémie sévère, la méthode signifiait que les paysans pouvaient vendre fréquemment leur sang, augmentant ainsi leurs chances d’être infectés.

Au milieu des années 1990, ils ont commencé à attraper des maladies terrifiantes que les hôpitaux ne pouvaient pas guérir. Ils ne comprenaient pas que le sida était causé par le virus, ou qu’il pouvait être contracté par relations sexuelles, ou par transmission de la mère à l’enfant, ou par les soins, ou même par l’usage de seringues non stérilisées dans les cliniques médicales. Ainsi, une seconde vague de transmissions a continué. Bien que quelques informations aient filtré jusque dans ce village isolé, jusqu’à maintenant il n’y a pas eu de programme d’éducation sur la santé.

Mais l’an dernier, des responsables de la santé à Pékin ont commencé à porter davantage d’attention au problème du sida dans le pays ; ils ont mis en place des stratégies pour le contenir et pour y consacrer davantage d’argent. A la mi-mai 2000, le ministre de la Santé a annoncé que le gouvernement allait redoubler ses efforts pour renforcer l’interdiction d’acheter du sang et pour imposer des règles sur sa collecte. Mais les autorités locales ont renâclé, offrant uniquement leur collaboration de temps à autre.

Le Henan a nommé à haut niveau quelques nouveaux responsables pour les questions de santé, et pour la première fois, un représentant de la province a récemment assisté à une réunion sur le sida sponsorisée par les Nations Unies, suggérant qu’il accepterait une assistance étrangère. Les experts notent aussi que la Chine est devenue plus ouverte ces dernières années dans la manière de traiter le sida chez les drogués et les prostituées. Mais en attendant, les villageois de Donghu continuent à être infectés et à mourir, la plupart du temps dans l’ignorance de la manière dont le virus se propage.