Eglises d'Asie

LE PARTI DE L’ISLAM ? EN QUELQUE SORTE.

Publié le 18/03/2010




A Terengganu, la bataille fait rage. Aucune arme ne fait pourtant parler la poudre et les soldats de ce combat ne sont pas revêtus de treillis militaires ; ce sont des militants politiques. Ils conquièrent le terrain en organisant des meetings politiques, et pas en prenant part à des affrontements sanglants. Mais la lutte pour le contrôle de ce terrain est aussi sévère que s’il s’agissait d’un véritable affrontement armé. Ce qui est en jeu est considérable : ni plus ni moins que le pouvoir de former le futur gouvernement de la Fédération de Malaisie.

Depuis la fin 1999, date à laquelle l’opposition islamiste a prit le contrôle de l’Etat de Terengganu à l’occasion d’une victoire électorale incontestable, les magnifiques plages et les plantations de palmiers à huile sont devenues un enjeu politique majeure dont l’objet est la conquête des cœurs et des suffrages des Malaisiens.

D’un côté, le Parti Islam SeMalaysia (PAS) tente de projeter l’image d’un parti tolérant, efficace dans sa gestion des affaires, afin de démontrer aux électeurs à l’échelle du pays tout entier qu’il est un parti de gouvernement qui pourrait conduire la Malaisie sur la voie de la modernité tout en étant profondément fidèle aux idéaux islamiques. De l’autre côté, la coalition actuellement au pouvoir à Kuala Lumpur, menée par l’Umno (United Malays National Organization), fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher le PAS de parvenir à son but, mettant en évidence les divisions internes de celui-ci et tentant de convaincre les électeurs que voter pour le PAS est synonyme de troubles, particulièrement pour les non-musulmans, les femmes et la santé de l’économie.

« Nous nous sommes intéressés directement aux vrais problèmes des gens et nous sommes devenus une vraie menace pour l’Umno. Ils veulent maintenant nous ôter ce qui fait notre force », s’indigne Wan Muttalib Embong, une des principales personnalités du PAS à Terengganu. Pour sa part, le responsable de l’Umno à Terengganu, Abdul Rashid Ngah, confirme cette analyse mais insiste sur le fait que les efforts de son parti pour regagner la faveur des électeurs sont payants. « Petit à petit, nous avons répondu, mettant en évidence les faiblesses du PAS dans sa gestion de l’Etat et l’homme de la rue a commencé à réaliser qu’il a fait une erreur [en votant pour le PAS] », explique-t-il.

Une des principales mesures de rétorsion que l’Umno a prises a été l’an dernier, par un ordre du gouvernement fédéral, de tailler dans les importantes royalties que l’Etat de Terengganu percevait jusqu’alors pour le pétrole extrait au large de ses côtes. Ces fonds sont maintenant distribués directement par Kuala Lumpur aux écoles, hôpitaux et communautés diverses de Terengganu. Etant donné que l’argent tiré du pétrole comptait pour presque les quatre-cinquième du budget de l’Etat, cette mesure a constitué un vrai problème pour les plans économiques du PAS. « Nous avons été dépouillés », s’insurge Mustafa Ali, qui est responsable de la politique économique de l’Etat et qui est le n° 2 de facto du gouvernement formé par le PAS. « Ils ont fait cela pour un motif purement politique, afin de nous mettre en difficulté. » Le gouvernement fédéral se contente pour sa part d’affirmer que le changement était nécessaire pour s’assurer que ces fonds étaient correctement utilisés.

L’Etat de Terengganu a attaqué l’Etat fédéral devant les tribunaux à ce sujet et le dossier progresse lentement. En attendant, les plans de l’administration gérée par le PAS sont gelés. Pour répondre à cette situation, le PAS met désormais l’accent sur le développement du secteur privé afin de moins dépendre des projets financés par le gouvernement fédéral. Les hommes d’affaires disent que la nouvelle administration est plus transparente et se montre prête à aider les PME, mais les résultats de cette nouvelle orientation ne se traduise pas encore par une amélioration significative de l’économie locale.

La croissance de l’économie à Terengganu est pourtant un enjeu essentiel si le PAS veut conquérir le reste de la Malaisie. En effet, le PAS a besoin de réussir là afin de se démarquer de ce qui s’est passé dans l’Etat voisin de Kelantan, Etat où le PAS est solidement enraciné et au pouvoir depuis plus d’une décennie et dont l’économie stagne. Tandis que Kelantan est dirigé selon un principe de stricte observance des préceptes religieux de l’islam, Terengganu a adopté une ligne plus pratique en espérant que cela lui gagnera la faveur des électeurs, particulièrement celle de ceux qui habitent en zone urbaine et qui sont plus dépendant d’une économie en bonne santé et bien gérée.

Les dirigeants du Terengganu ont également pris un rôle moteur dans le repositionnement du PAS au niveau national, de manière à en faire un parti acceptable par tous. Lors de son assemblée générale au début du mois de juin 2001, pour la première fois une femme a été élue à siéger à son comité central ; tout un ensemble d’intellectuels et de modérés l’y ont rejointe. Des éléments modérés du PAS ont été mis en avant et envoyés visiter des églises chrétiennes et des temples bouddhistes afin d’élargir l’audience traditionnelle du parti, au-delà de la communauté malaise.

Face à cela, les médias nationaux, largement dominés par la coalition au pouvoir, mettent régulièrement en avant l’application rigoriste des lois religieuses par le PAS. Cependant, on peut constater que les récents reportages que l’on a pu voir à propos de Terengganu sur les files d’attente séparées hommes – femmes devant les caisses des magasins, sur l’interdiction des salons de coiffure unisexe et sur l’interdiction de l’alcool, sont en grande partie exagérés. Dans les enclaves non musulmanes de cet Etat, la bière est facilement accessible. Et, dans la capitale de l’Etat, Kuala Terengganu, l’hôtel Primula, pourtant détenu par le gouvernement local, on peut se rendre dans un salon de coiffure qui accueille aussi bien les hommes que les femmes. Il est vrai que le PAS a promulgué un décret instituant ces files d’attente séparées devant les caisses mais il n’est pas appliqué.

Cette confusion quant aux intentions réelles du PAS s’ex-plique sans doute parce qu’à Terengganu, les avis sont divergents sur de nombreux points centraux, particulièrement sur le rôle même de l’islam. Des modérés, comme Syed Azman Syed Ahmad, membre du PAS et député à l’assemblée locale, déclarent que le PAS n’appliquera pas une forme de gouvernement totalement islamique et que les femmes sont les bienvenues dans l’administration. Mais d’autres, comme Wan Muttalib, haut responsable dans l’administration de l’Etat, affirment que les femmes ne devraient pas participer à la vie politique et souhaitent que soit mis en place un code complet conforme au droit coranique.

« Du simple fait que le PAS est un parti d’opposition, il re-groupe tout un ensemble de points de vue parfois divergents et il ne lui est pas aisé de maintenir une politique cohérente », commente un diplomate occidental en poste à Kuala Lumpur. « Vous pouvez faire un parallèle avec les Verts en Allemagne, où les Grünen rassemblent des personnes qui ont fondamentalement des vues différentes mais qui appartiennent pourtant au même parti. »

Rien n’illustre mieux cette lutte parfois confuse que la statue représentant une tortue géante qui se trouve au milieu d’un rond-point depuis 25 ans à Kuala Terengganu. L’Etat, depuis qu’il est contrôlé par le PAS, en a ordonné l’enlèvement au motif que cette statue constituait une insulte à l’islam. Lorsque les médias nationaux ont rapporté l’affaire, établissant un parallèle entre cette décision et la destruction par les Talibans des statues de Bouddha en Afghanistan, les modérés du PAS ont déclaré que la décision des autorités était motivée par des considérations liées à l’amélioration de la circulation routière. Le projet a été discrètement enterré. Une autre statue de tortue orne le hall d’entrée de l’hôtel Primula et il n’existe pas de plan pour l’en enlever.

« Nous estimons que nous nous devons de donner du temps à la nouvelle équipe au pouvoir afin qu’elle puisse s’ajuster à la situation », déclare Su Lim, vice-président de la Chambre de commerce chinoise de Kuala Terengganu. « Mais la question centrale est de savoir quel modèle cet Etat islamique va suivre et comment il abordera les questions liées au bien-être des non-musulmans. »

Les non-musulmans – principalement des Malaisiens d’origine chinoise ou indienne – représentent plus d’un tiers de la population de la Fédération de Malaisie. Bien que l’Etat de Terengganu soit musulman à 95 %, dans les zones urbaines du pays, de la nation toute entière, on trouve d’importantes concentrations de non-musulmans et leurs voix sont essentielles si jamais le PAS veut véritablement devenir un jour une force nationale.

D’une manière générale, la communauté chinoise a dans les grandes lignes approuvé la nouvelle administration mise en place à Terengganu. Les diverses autorisations nécessaires à faire des affaires sont plus facile à obtenir qu’autrefois ; des titres de propriété foncière réclamés depuis longtemps ont été promis aux résidents chinois dans un village nommé Kampong Pulai ; et les taxes levées par la précédente administration contrôlée par l’Umno à propos d’une arche décorative qui orne le quartier chinois de Kuala Terengganu ont été supprimées.

Tout n’a pas été toutefois si facile. A la grande inquiétude de la communauté chinoise des affaires, la nouvelle administration a tenté d’interdire aux femmes de sortir la nuit ; un compromis a pu être trouvé, les femmes devant désormais être raccompagnées chez elles une fois sorties du travail. Des concessions pour élever des cochons ont été accordées à la communauté chinoise (la viande de porc étant interdite par l’islam) mais les très nombreux critères auxquels devaient se plier ces élevages font qu’il est quasi impossible de maintenir de tels élevages. « Les autorités de l’Etat vous autorisent à faire des choses qu’en fait vous ne pouvez pas faire. C’est comme ça qu’ils essaient d’obtenir le soutien des non-musulmans », commente Wong Foon Neng, personnalité reconnue du milieu chinois des affaires à Kuala Terengganu.

Néanmoins, à en juger par le taux de participation aux réunions politiques qui se tiennent le soir dans l’Etat, le PAS bénéficie d’un large soutien populaire. Deux récents meetings politiques à Kuala Terengganu ont rassemblé des foules de plusieurs milliers de personnes ; les stands vendant les journaux du parti, ces magazines et ces CD vidéo ne désemplissaient pas. A travers tout le pays, le PAS continue de gagner des militants. Ses plus fervents partisans affirment qu’une victoire aux élections législatives de 2004 est dores et déjà une réelle possibilité. Même des membres de l’Umno concèdent que d’autres Etats de la Fédération de Malaisie pourraient bien passer sous le contrôle du PAS lors de ces prochaines élections.