Eglises d'Asie

LA CATECHESE DU PRETRE CHINOIS ANDRE LI (1692-1775) DANS LA PROVINCE DU SICHUAN

Publié le 18/03/2010




Le prêtre chinois André Li (1692-1775) a joué un rôle marquant dans l’histoire de la catéchèse en Chine. Formé au sacerdoce par les prêtres des Missions étrangères de Paris, il était conscient d’être lui-même un « missionnaire apostolique Son apport a été particulièrement important dans la province du Sichuan. Les missionnaires étrangers ayant dû quitter le pays, il s’est trouvé seul dans la province pendant plusieurs années au milieu du XVIIIe siècle. Les familles catholiques et petites communautés dispersées voyaient rarement un prêtre. Leur fidélité avait été mise à rude épreuve par les persécutions fréquentes. De nombreux fidèles ne gardaient de « catholique » que le nom.

André Li, à l’image de Saint Paul qu’il cite souvent, s’est efforcé d’instruire à temps et à contre-temps, soucieux de donner tout le sens et tout le respect voulu à la réception des sacrements.

Sa catéchèse s’inscrit dans une pastorale sacramentaire rigoureuse. La sainteté de sa vie et son rayonnement apostolique ont inspiré les missionnaires du Sichuan qui ont poursuivi sa tâche, en particulier Mgr Pottier et Saint Taurin-Dufresse. Le souci qu’avait André Li de bien préparer à recevoir les sacrements peut ainsi être considéré comme la préparation lointaine du Synode du Sichuan convoqué en 1803 par Mgr Dufresse.

Les objectifs de la Société des Missions étrangères de Paris

Les prêtres français François Pallu et Lambert de la Motte furent nommés vicaires apostoliques par le pape en juillet 1658. Ils reçurent les pouvoirs d’un évêque et furent envoyés en mission au nom du pape. Ils offraient leurs services au Saint-Siège pour trois raisons principales :

1.) Il y avait en France un groupe de laïcs et prêtres fervents qui désiraient avoir leur part dans la propagation de la foi jusqu’au bout du monde et qui ne souhaitaient pas laisser ce soin aux seules congrégations religieuses (jésuites, dominicains, franciscains).

2.) La Sacrée Congrégation de la Propagande fondée à Rome en 1622 voulait prendre directement en charge le soin de l’évangélisation dans le monde et se dégager du patronage des puissances séculières du Portugal et de l’Espagne. La France n’avait pas bénéficié de tels droits pour la propagation de la foi outre-mer. En outre, le coût financier pouvait y être assuré par des laïcs généreux, certains d’entre eux appartenant à la haute noblesse. Ils étaient organisés en une association spirituelle appelée La Compagnie du Saint-Sacrement’.

3.) Le jésuite français Alexandre de Rhodes, qui avait porté l’Evangile au Vietnam et qui avait souffert persécution en tant qu’étranger, préconisait la nécessité de nommer des prêtres et des évêques locaux si l’Eglise devait survivre et se développer en Asie.

Avant leur départ de France, les Vicaires apostoliques reçurent des instructions précises de la S. Congrégation de la Propagande : – créer un clergé local aussi nombreux et bien formé que possible ; – s’adapter aux conditions locales en évitant de se mêler d’affaires politiques ; – se référer à Rome pour les questions importantes, en particulier pour les consécrations d’évêques.

A partir de 1659, ils partirent pour l’Extrême-Orient et s’établirent d’abord au Siam où, en 1664, ils fondèrent un Collège pour la formation de prêtres asiatiques à Ayudhya. Au cours de l’histoire, ce Collège général devait déménager à Pondichéry en Inde et finalement à Penang en Malaisie. Sur une durée de 300 ans, de 1664 à 1964, mille prêtres et 70 évêques asiatiques ont été formés dans ce Collège.

Pallu dut surmonter de nombreuses difficultés en vue d’atteindre la Chine. Lors d’une étape de ses voyages, il recommanda vivement l’élévation à l’épiscopat du prêtre chinois de la province du Fujian Grégoire Luo Wenzao. Il atteignit finalement Taiwan après trois tours du monde et passa de là dans la province du Fujian où il mourut à Muyang le 29 octobre 1684.

A l’époque où la Société des Missions étrangères de Paris faisait ses débuts au milieu du XVIIe siècle, Saint Vincent de Paul venait de fonder la Congrégation de la Mission, appelée aussi les vincentiens du nom de leur fondateur ou encore les lazaristes, du nom de leur première implantation à Paris près d’un lazaret (hôpital) qui a aussi laissé son nom à la Gare St Lazare. A la différence des prêtres des Missions étrangères, les Lazaristes étaient des religieux et leurs membres pouvaient appartenir à différentes nationalités, y compris des Chinois. Des vicaires apostoliques et des prêtres de cette congrégation furent aussi envoyés en Chine. Quelques uns d’entre eux jouèrent un rôle important au Sichuan, mais leur champ d’apostolat principal fut au nord de la Chine, en particulier à Pékin où ils prirent la relève des jésuites après la dissolution de la Compagnie en 1773.

La situation religieuse dans la province du Sichuan au XVIIIe siècle

Les premiers missionnaires de la province du Sichuan furent les deux jésuites : Louis Buglio, qui atteignit Chengdu en 1640, et Gabriel de Magalhens, qui le rejoignit en 1642. Peu après au XVIIème siècle, d’autres jésuites firent des convertis dans la province voisine du Shaanxi. Le long du cours supérieur de la rivière Han, au voisinage des cités de Hanzhong et Chenggu, le jésuite français Etienne Faber acquit une renommée de thaumaturge et convertit au christianisme quelques villages de la région. C’est une famille catholique fervente de cette région qui donnera naissance au futur prêtre André Li.

La structure de la population du Sichuan au XVIIIe siècle a été analysée par Robert Entenmann dans sa thèse de doctorat : Migration and Settlement in Sichuan, 1644-1796 (1). Son étude met en relief la croissance rapide de la population du Sichuan par un afflux d’immigrants venant des provinces du sud et du centre, particulièrement du Hubei, du Guangdong, du Fujian et du Jiangxi. De deux millions en 1680, la population du Sichuan, estime-t-il, s’est élevée à 15 millions en 1760 :

« Ces migrants comme les indigènes, écrit-il, s’appuyaient sur des institutions qui offraient soutien mutuel, protection et appartenance pour assurer la sécurité de leur existence. Une affiliation religieuse, spécialement dans les religions organisées en communautés, leur fournissait souvent un sentiment d’appartenance, une aide mutuelle et un réconfort moral. Ils y trouvaient une société et une vision du monde qui, pour beaucoup, avait plus de sens que le confucianisme orthodoxe. Les religions populaires à base communautaire donnaient à leurs adeptes le sentiment d’appartenir à un peuple choisi et un substitut important à la perte de leurs liens claniques. C’était aussi la promesse d’une meilleure destinée en cette vie et du salut pour l’au-delà. La Secte du Lotus blanc était sans doute la plus populaire des religions au XVIIIe siècle, mais le catholicisme remplissait aussi ces fonctions. »

Les sources missionnaires mentionnent aussi la croissance parallèle de diverses sectes populaires. Bien que très différentes du christianisme, elles semblaient indiquer un manque de confiance de la population envers l’idéologie officielle. De fait, les convertis catholiques devaient lutter pour marquer leur différence des sectes religieuses.

La Secte du Lotus blanc était bien connue comme un groupe subversif condamnée par le gouvernement comme religion perverse (xiejiao) (2). La nouvelle religion chrétienne demandait aux croyants de s’abstenir des rites traditionnels jugés superstitieux. Les chrétiens pouvaient être accusés de manquer de piété filiale (xiao). Les parents des convertis et leurs ennemis pouvaient leur nuire en les assimilant à la Secte du Lotus blanc. Leurs dénonciations pouvaient aider à répandre la rumeur que le christianisme était une forme locale de la Secte du Lotus blanc.

La vocation de André Li

L’un des membres de la Société des Missions étrangères de Paris, le Lyonnais Jean Basset, écrit un long mémoire en 1702 à Chengdu sous le titre : Avis sur la Mission de Chine. Déplorant le triste état de l’Eglise au Sichuan après tant d’efforts passés, il ne voit qu’un remède : traduire la Bible et autoriser une liturgie en chinois. Ce fut, note-t-il, la pratique des apôtres et c’est le seul moyen de familiariser les Chinois avec le message chrétien.

En attendant une réponse à ses requêtes, Jean Basset recrute trois jeunes enfants au cours d’un voyage dans la province du Shaanxi. Comptant les préparer au sacerdoce, il confie leur instruction à son confrère La Baluère. Ce dernier commence à leur enseigner à la fois le latin et le chinois. Basset fait valoir qu’ils apprendront plus facilement en ne faisant d’abord que du chinois. En fait de méthode pédagogique, Basset rêve encore d’une réponse favorable à son projet de liturgie chinoise. Ironie du sort, l’un de ces enfants, André Li, est appelé à devenir l’un des meilleurs latinistes de la Chine. Seul prêtre au Sichuan pendant une décennie, il nous a laissé un volumineux Journal écrit entièrement en latin.

Lorsque Jean Basset l’invite à le suivre en 1703 au retour d’une visite à Xi’an, le petit André Li est un enfant de dix ans. Il appartient à une famille très chrétienne du district de Chenggu, dans cette région de Hanzhong évangélisée au temps des Ming par le thaumaturge Faber. Ayant à peine quitté sa famille, l’enfant tombe gravement malade. On craint pour sa vie, mais il se rétablit l’année suivante. André devra faire face à de nombreux ennuis de santé tout au long de son existence. Comme Saint Paul à qui on peut le comparer sous bien des aspects, c’est dans la faiblesse qu’il rayonnera la force de l’Evangile.

Après la visite de Mgr de Tournon muni des directives de Rome interdisant la pratique des rites chinois aux convertis, l’empereur Kangxi exige un certificat de loyalisme (piao) de la part des missionnaires qui désirent rester en Chine. Le piao portait les trois déclarations suivantes : 1/ le Dieu des Chinois étant le Dieu même des chrétiens, il est naturel de lui donner le même nom ; 2/ les cérémonies en l’honneur de Confucius ne sont pas incompatibles avec le christianisme ; 3/les hommages rendus aux ancêtres ne sont pas davantage inconciliables avec cette religion (3).

Les pères français, dociles aux directives de Rome, ne peuvent signer le piao et doivent quitter le Sichuan. Ils se rendent d’abord à Canton avec leurs séminaristes André Li, Etienne Su et Antoine Tang. Basset y meurt subitement en décembre 1707 après quelques jours de maladie. La Baluére doit se retirer à Macao comme tous les Européens qui refusent de se soumettre aux exigences du piao. Il y arrive en mars 1708 avec ses élèves chinois.

A Macao, André Li bénéficie pendant deux ans des instructions de Mgr de Tournon lui-même. Le légat décide alors de lui conférer la tonsure malgré l’opposition de la plupart des missionnaires étrangers : « C’est alors, conclut André Li, que le vénéré Légat, en dépit de l’opposition de son entourage, nous admit de grand cœur à la tonsure cléricale, et ouvrit à la nation chinoise les portes du sacerdoce catholique ! » (4).

La Baluère, expulsé de Macao par les Portugais en 1713, doit fuir à Pondichéry. Puis il retourne au Sichuan avec ses élèves. En février 1715, ils retrouvent à Chengdu le catéchiste Lin Chang qui a veillé seul sur les chrétiens de la région pendant leurs huit années d’absence. Quelques mois plus tard, La Baluère contracte une pneumonie en traversant un torrent pour se rendre chez un malade. André Li recueille ses dernières volontés : « Obéissez, André, au catéchiste Lin Chang que je vous donne pour chef… Souvenez-vous mes enfants des promesses que vous avez faites à Dieu. Appliquez-vous, je vous en prie, de tout votre cœur et de toutes vos forces, à l’étude des sciences et à la pratique de la piété… Je donne les œuvres de Cicéron à Antoine et à André. » (5)

M. Le Blanc, vicaire apostolique du Yunnan depuis 1696, prend soin des séminaristes. En 1717, il envoie sept Chinois, dont André Li, au Collège général du Siam. En 1718, cinquante élèves sont répartis en six classes où l’on enseigne la philosophie et la théologie, les humanités, le latin et les langues d’Extrême-Orient (6). Le succès même de ce séminaire semble avoir soulevé les jalousies portugaises. Le supérieur, M. Roost, accusé de jansénisme, est rappelé à Paris. Le jeune théologien André Li prouve alors sa maîtrise du latin en prenant hardiment la défense de son maître. La formation catéchétique qu’il reçoit dans ce séminaire est fondée sur le Catéchisme historique publié en 1683 par Fleury et traduit du français en latin par l’un des professeurs, M. François Lemaire (7). Fleury avait également rédigé en 1689 un Mémoire pour les études des Missions étrangères revu par Bossuet. Il recommande une approche progressive dans la présentation aux catéchumènes des vérités de la foi : dégager les obstacles qui gênent leur recherche de vérité, distinguer les faits réels des légendes, montrer les incohérences des croyances superstitieuses, aborder enfin la doctrine chrétienne (8). André Li retiendra de ces enseignements un grand souci d’honnêteté, d’intégrité et de rigueur dans ses instructions aux catéchumènes et aux chrétiens ignorants de leur foi. Au cours de l’année 1725, il est ordonné prêtre par Mgr De Cicé. Il est alors âgé de 33 ans.

Après un an au service du Collège, il rejoint Canton en septembre 1726 et se met à la disposition du procureur M.E.P., M. Guignes. Celui-ci lui fait prêter le serment anti-janséniste requis par la Bulle Unigenitus et l’envoie en mission au Fujian, à Hinghoa, un district encore administré par les Missions étrangères bien que l’ensemble de la province soit confié aux dominicains espagnols.

Une persécution sévit au Fujian en 1729. André doit se réfugier au sud de la province dans les districts de Lindong et Zhangzhou. Il tombe malade et doit se reposer à Canton en 1731. Avec Antoine Tang, il y instruit trois élèves destinés au Collège général.

En 1732, il est envoyé au Sichuan. Mais le vicaire apostolique Mgr Mullener, un lazariste, s’oppose à la venue de ce prêtre des Missions étrangères. André Li ne pourra atteindre sa mission que deux ans plus tard, après un séjour au Hubei. Son arrivée à Chengdu fin 1734 n’est guère engageante. Mgr Mullener lui fait dire par le P. Paul Sou qu’il n’est pas autorisé à avoir une maison à Chengdu. Il est seulement invité à visiter les chrétiens au sud-ouest de cette ville, sur un rayon de cent à deux cents kilomètres, de Qionglai à Pengshan, et jusqu’à Yazhou en direction du Tibet. André Li se met aussitôt en devoir de parcourir les petites communautés chrétiennes de cette région. Pendant trois ans, il instruit, baptise et affermit la foi des convertis plus ou moins fidèles.

En mars 1737, une réponse de Rome autorise le P. Martiliat et les M.E.P. à rester au Sichuan. Mullener confie alors à André Li ces districts où il a déjà rayonné ainsi que la ville de Jiading (Leshan) plus au sud, espérant le voir tenter une entrée au Yunnan. André Li s’oriente en ce sens. Il se fixe à Pengshan. Avec Martiliat et le catéchiste Lin Chang, il prépare l’ouverture de chrétientés à Kiatin (Jiading) et même plus au sud à Suifu (Yibin). Mais il assure aussi ses bases dans la capitale du Sichuan en achetant une maison à Chengdu pour 120 piastres.

Un service pastoral consciencieux, exigeant et réaliste

André Li porte le trésor de l’Evangile « en un vase d’argile mais la puissance de l’Esprit se manifeste dans sa parole, ses écrits et son souci permanent des communautés chrétiennes. Son ministère pastoral reflète une préoccupation constante d’instruire les fidèles, de les former à la prière et à la vie sacramentelle, de les reprendre avec une patience pleine de miséricorde lorsqu’ils abandonnent. Il agit avec fermeté, prudence et compréhension. A partir de 1740, il traduit en chinois le catéchisme du Concile de Trente et une catéchèse de Basset pour les néophytes. Il réglemente la célébration des funérailles chrétiennes en y intégrant les coutumes locales compatibles. Les circonstances le poussent à assumer toutes les responsabilités d’un chef de mission. Mgr Mullener meurt en 1742. Deux ans plus tard, c’est le tour de son successeur, Mgr Maggi, O.P. Les pouvoirs sont transmis à Martiliat qui a déjà été nommé vicaire apostolique du Yunnan en 1741. Lors de la persécution des années 1746-1747, Martiliat lui-même doit quitter la Chine. Il mourra à Rome en 1755.

En 1746, André Li reste seul au Sichuan. Soucieux de bien remplir son ministère en toute fidélité à l’Eglise, il entreprend la rédaction de son Journal. Il s’agit d’un compte-rendu de ses activités destiné à ses supérieurs. On peut y lire le détail de plus de quinze années d’apostolat, du 15 juin 1747 à la fin 1763. Il administre toutes les chrétientés de la province, quelle que soit la nationalité ou la congrégation qui s’en était d’abord occupé. Il regrette seulement de ne pouvoir donner le sacrement de confirmation aux néophytes.

En 1751, il met au point des directives sur le mariage. Il s’y montre assez large pour les mariages mixtes. Son souci du bien des personnes lui fait même hasarder des suggestions qui bousculent quelque peu les règlements canoniques : les jeunes femmes abandonnées par leur mari parti au loin pour toujours restent sans moyen de subsistance et exposées à bien des épreuves ; ne pourrait-on leur accorder la permission de se remarier ?

« Elles sont bien peu nombreuses, écrit-il, les femmes assez fortes, par une grâce spéciale de Dieu, pour vivre honnêtement en l’absence de leur mari ; enfin, lorsque le nécessaire leur manque, pour se nourrir ou se vêtir, perdant toute pudeur, elles se prostituent ou, ce qui est encore pire, elles se pendent ou s’empoisonnent…

Ces prémisses posées, conclut-il, il semblerait préférable que l’Eglise fixe avec précision un laps de temps au-delà duquel ces femmes, ne sachant ni si leur mari est encore vivant ni s’il est mort, pourraient convoler en secondes noces, plutôt que de rester ainsi privées de toute ressource et de tout secours, en grand danger de se perdre corps et âme. » (9)

Il réglemente aussi la réconciliation des apostats après pénitence publique. Plein de compassion et d’espérance, il fait tout pour sauver les fidèles en difficulté. Il est en même temps ferme sur l’essentiel et refuse les sacrements aux chrétiens qui ignorent tout de la foi.

A partir de 1749, André Li a la joie d’accueillir deux confrères chinois, les PP. Luc Li et Etienne Siu , ordonnés à Macao en 1747. Un décret romain daté du 8 janvier 1753 confie la province du Sichuan aux Missions étrangères de Paris. Malheureusement, personne à cette époque ne songe à nommer André Li vicaire apostolique, alors qu’il en remplit en fait la fonction. Les Européens se considéraient seuls qualifiés pour diriger la vie de l’Eglise, même s’ils n’avaient personne sur le terrain. C’est François Pottier, un jeune prêtre français ordonné à Tours en 1753 et arrivé au Sichuan en 1756 qui prend en charge comme provicaire les cinq à six mille chrétiens dispersés dans la province. Ce nouveau venu est assez humble et avisé pour se mettre à l’école des prêtres chinois qui ont peiné seuls pendant dix ans. L’année même de son arrivée, il fait une description minutieuse des méthodes pastorales de André Li dans une lettre envoyée aux directeurs du Séminaire des Missions étrangères le 20 octobre 1756.

Une catéchèse de préparation aux sacrements

Le texte de ce rapport nous indique clairement comment la catéchèse d’André Li est essentiellement une préparation à recevoir la grâce sacramentelle avec beaucoup de respect et de sincérité :

« M. André a pour principes : 1° D’assister le soir aux prières communes, et immédiatement après, un écolier ou un autre chrétien interroge sur le catéchisme, et cela tout le monde étant présent ; on dit environ chaque fois six ou sept demandes et autant de réponses ; 2° Quand il doit administrer l’extrême-onction à un père ou à une mère de famille, il fait venir auparavant tous les enfants grands et petits, gendres, brus et autres inférieurs pour demander pardon à leur père ou mère de l’avoir offensé ; j’ai vu une fois cette cérémonie : les enfants pleuraient et le père de famille qui devait recevoir l’extrême-onction leur fit aussi en pleurant une exhortation ; cette cérémonie est véritablement touchante ; 3° Avant de sortir des maisons où il a habité pour administrer des chrétiens, il les bénit, et aussi les champs si cela se peut ; il bénit aussi les autres maisons s’il y est appelé ; […] 6° Il n’admet personne à la confession qu’il ne les ait instruits sur les dix commandements de Dieu et ceux de l’Eglise, sur le sacrement de pénitence ; après la confession, il ne les admet point à la communion qu’ils n’aient entendu l’instruction sur la communion, la messe, les indulgences, etc. 7° Comme la plupart des chrétiens ignorants et simples ne savent pas faire l’action de grâce, immédiatement après la messe, lorsqu’ils ont communié, le missionnaire fait son action de grâce tout haut, et les chrétiens qui ont communié la font avec lui en répétant ce qu’il dit… ; etc. » (10)

L’éducation de la foi est au centre des préoccupations de André Li. Il ne veut pas de rituel dépourvu de sens et tient à expliquer en doctrine toute pratique sacramentelle. C’est dans cet esprit qu’il rédige ou traduit quantité de petits opuscules servant de guide pour la confession, la communion, la messe, les cérémonies de mariage et d’enterrement. Il produit aussi des recueils de prière et fait imprimer chaque année un calendrier liturgique. Il écrit un livre apologétique donnant un aperçu sur les trois religions traditionnelles chinoises confrontées à la vérité des enseignements chrétiens. Il traduit des livres de méditation et rédige un traité de morale, soucieux en ceci de la formation des séminaristes et prêtres chinois.

Une lutte inlassable contre l’ignorance religieuse

Au chapitre 8 de son ouvrage sur André Li, Jean-Marie Sedes donne un aperçu des raisons profondes qui motivent son approche catéchétique. Il est frappé par la mauvaise conduite de nombreux chrétiens : « Beaucoup d’entre eux, écrit-il, ont de mauvaises mœurs, ils affichent des tablettes païennes, font des superstitions, ne prient presque plus… Les uns sont des apostats, les autres adonnés à l’ivrognerie, à la débauche, au jeu. » (11)

Le Journal d’André Li abonde en plaintes amères sur l’ignorance « crassissima c’est-à-dire la plus noire, de nombreux chrétiens concernant les commandements de Dieu et les exigences de l’Evangile. Il se lamente devant le scandale causé par ces chrétiens qui s’affichent comme « catholiques » mais qui se conduisent d’une manière pire que les païens en se livrant à tous les vices. En date du 23 avril 1746, le Journal porte ces lignes : « Outre les calamités extérieures qui nous accablent, nous avons à en souffrir à l’intérieur de beaucoup plus grandes qu’il vaut la peine d’indiquer brièvement ici. Les chrétiens dispersés loin d’ici ne daignent aucunement m’envoyer un messager et souhaitent encore moins m’accueillir pour recevoir la grâce des sacrements. Mais il en va de même des plus proches qui deviennent pires de jour en jour : certains persévèrent effrontément dans l’apostasie, d’autres se sont adonnés à l’ivresse, à l’orgueil, à la luxure, aux hasards du jeu, à l’entêtement, et à la haine de la vérité. Vous en trouverez peu, je le dis, et même très peu qui se préoccupent de leur salut. Jusqu’à ceux qui habitent gratuitement dans nos maisons, à part deux ou trois, ces gens se comportent à leur gré comme je viens de le dire et personne ne réussit à les maintenir dans les limites de la raison sans soulever leur colère et leur haine. Ils ne peuvent être jugés dignes d’accéder aux sacrements, à moins bien sûr qu’ils ne soient forcés à renoncer à leurs vices et à leurs mœurs corrompus. Pour tout conclure en un mot, la plupart préfèrent accélérer leur ruine éternelle par leurs crimes et leur turpitude plutôt que de détourner la vengeance de Dieu et de s’efforcer d’apaiser sa très juste colère par un sincère repentir du cœur et de dignes œuvres de pénitence. J’écris cela, non pour accuser les chrétiens, loin de là, mais pour montrer au lecteur quel grand ravage a provoqué la dernière persécution même parmi les fidèles et comment elle a fait tomber n’importe qui, voire les plus constants et les plus robustes dans la foi. » (12)

Ne pas faire des « déistes » mais former de vrais fidèles de Jésus crucifié

Les persécutions récurrentes expliquent sans doute que de nombreux chrétiens mal enracinés dans leur foi aient succombé aux peines subies dans les tribunaux et aux pressions exercées sur eux par leurs parents et amis païens. Certains pourtant ont témoigné de leur foi avec beaucoup de courage. C’est une minorité. André Li se demande pourquoi l’évangélisation a produit de si médiocres résultats et pourquoi la foi chrétienne annoncée en Chine depuis plus de cent ans n’a pas plongé de racines dans les cœurs des Chinois.

« Je crois, dit-il, en discerner une double cause : vice de méthode d’abord. Au lieu d’imiter les apôtres et les fondateurs de l’Eglise qui, à l’imitation du Christ, l’ont fondé dans la souffrance et dans les larmes, un trop grand nombre de missionnaires ont sacrifié plus que de raison à la prudence humaine… Seconde raison qui tient à la première : l’ignorance profonde des vérités religieuses. On fait des déistes plutôt que des chrétiens… » (13)

Le texte latin du Diarium apporte un certain éclairage sur ces erreurs de la « prudence humaine » : « Pour la plus grande part, les ouvriers de l’Evangile qui ont autrefois œuvré en Chine se sont appuyés sur leur prudence plutôt que sur la droite du Très-Haut. Par la pompe, les honneurs et les faveurs des hommes, ils ont tenté superficiellement de fonder l’Eglise en Chine sur le sable. Quoi donc d’étonnant si, l’esprit mauvais soufflant, les cœurs des fidèles vacillants ne soient submergés par les flots et les tempêtes » (14).

A qui André Li pense-t-il en critiquant ces missionnaires qui se sont confiés en leur prudence humaine plutôt qu’en la croix de Jésus-Christ ? On ne voit guère qui pourrait être visé par ces critiques dans l’histoire missionnaire de la province du Sichuan. Il est vrai que de nombreux catholiques du Sichuan étaient des migrants qui pouvaient venir du Shaanxi, du Jiangxi et même du Fujian. André Li pense-t-il à son expérience apostolique dans la province du Fujian ? Il y avait dans cette province une tradition de controverse entre les convertis des jésuites, en particulier les disciples du P. Aléni, et les convertis des dominicains, franciscains ou prêtres des Missions étrangères. Les convertis des jésuites étaient plus tolérants des traditions rituelles chinoises et de la sagesse du pays, tandis que les autres annonçaient d’abord la croix du Christ, la faiblesse humaine due au péché et le salut par grâce. La présence des jésuites à la cour impériale de Pékin et leurs relations amicales avec de grands mandarins pouvaient provoquer des réactions amères et hostiles de la part des missionnaires qui œuvraient clandestinement dans les provinces et qui appliquaient strictement les directives de Rome interdisant aux convertis la pratique des rites traditionnels chinois. André Li avait pu s’imprégner de cet esprit lors de son séjour au Fujian. Le vicaire apostolique de cette province depuis 1687, Charles Maigrot de Crissey, avait eu de nombreux démêlés avec les jésuites qui rejetaient son autorité. Il avait pris rigoureusement position contre la pratique des rites chinois dans son mandement daté du 26 mars 1693 publié à Changle.

La deuxième cause de la défection des chrétiens, d’après André Li, c’est une « ignorance crasse de leur foi et de ses exigences Il tente de qualifier cette ignorance en introduisant une distinction insolite entre « déistes et chrétiens Dans le texte original du Diarium, il s’exprime ainsi : « La seconde cause n’est pas très différente de la première : c’est cette ignorance crasse de leur religion dans laquelle versent les fidèles, au point qu’il faut considérer ceux qui s’appellent chrétiens aujourd’hui comme des déistes ou, comme disent les Espagnols des « hombres lavados », plutôt que comme de vrais chrétiens » (15).

Le terme « déiste » est familier des milieux intellectuels du XVIIIe siècle en Europe. Les philosophes de l’Encyclopédie qui se rattachent à la religion naturelle d’un Dieu qui ordonne l’univers et garantit la bonne morale sont qualifiés de « déistes L’image idéale de la Chine diffusée par les jésuites a pu être utilisée en ce sens par les penseurs occidentaux. La catéchèse des jésuites, inspirée au départ par le Tianzhu shiyi de Matteo Ricci, faisait une belle part à la tradition confucéenne en y décelant les traces d’une foi en Dieu et en ses lois. Les normes morales de la tradition chinoise pouvaient paraître bien proches des normes chrétiennes. Des théologiens soupçonnèrent les jésuites de laxisme. Si les Chinois sont naturellement chrétiens, pensaient-ils, ont-ils encore besoin du salut en Jésus-Christ ? Au début du XVIIIe siècle, des propositions tirées des écrits des jésuites, en particulier du P. Lecomte, sont condamnées en Sorbonne. Les théologiens des Missions étrangères de Paris n’ont pas ménagé leurs efforts pour obtenir ce résultat. Leurs griefs contre les jésuites n’étaient d’ailleurs pas uniquement théologiques. Mais, pour en rester à ce domaine théologique, Mgr Maigrot de Crissey, vicaire apostolique du Fujian, avait été accusé par les jésuites de jansénisme. Plus tard, au temps où André Li faisait ses études au Collège général de Ayudhia, ses supérieurs avaient également été qualifiés de jansénistes par des jésuites. André Li crut devoir prendre leur défense. Est-ce là qu’il découvrit le terme de « déiste » pour dénoncer une croyance purement rationnelle en un Dieu qu’on pouvait confondre avec l’ordre de l’univers, un Dieu gardien de la loi morale mais sans miséricorde pour l’homme esclave du péché ?

Dans son ouvrage intitulé Le Prêtre André Ly, aux origines du clergé chinois, Mgr Olichon rattache les remarques de André Li à la « puissante polémique pascalienne Pascal écrit dans ses Pensées : « Le déisme est presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme. » « Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments… Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu des chrétiens est un Dieu d’amour et de consolation » (16).

Le « Ciel » de la tradition chinoise peut être compris comme la « Nature L’homme moral s’efforce de vivre en harmonie avec les lois du Ciel. Cette quête d’harmonie, souvent exprimée sous forme rituelle, peut voiler la réalité du mal et du péché des hommes. L’histoire du salut centrée sur le sacrifice de la croix et sa force libératrice est un élément nouveau en contexte culturel chinois. C’est dans la logique de cette histoire de salut que les missionnaires invitent les personnes à reconnaître leur péché et à mettre toute leur confiance dans le Fils de Dieu sauveur. La grâce de salut qui est libération du mal est un don du Père miséricordieux et ne dépend pas d’un effort de perfectionnement personnel. Mais une foi sincère en Jésus sauveur implique un partage de ses souffrances dans la lutte contre le mal en vue d’avoir part à sa résurrection. André Li est imprégné de cette vision paulinienne du salut par grâce. Depuis son enfance, ses maîtres lui ont enseigné la valeur de la souffrance acceptée en union avec le sacrifice rédempteur du Christ.

Fin juin 1753, le Journal d’André Li aborde à nouveau cette question de l’ignorance de la foi qui fait des catholiques des déistes plutôt que des chrétiens : « Etant l’hôte des chrétiens de cette région pendant une vingtaine de jours, je découvrais peu à peu au cours de mes visites combien les jeunes aussi bien que les vieux des deux sexes étaient ignorants des éléments de la religion chrétienne. Ils ne sont pas en petit nombre ceux qui, ayant été régénérés depuis l’enfance par l’eau du baptême et ayant ensuite reçu les sacrements de pénitence et de l’eucharistie au cours des années passées, ne savent rien de Dieu, de l’incarnation, de la rédemption, de l’immortalité de leur âme, et qui vivent suivant les mœurs les plus corrompus des païens. Ce sont ces gens que les Espagnols ont coutume d’appeler « déistes » et non pas disciples du Christ. Ces rustres ignorent cette parole immortelle de la Vérité suprême que Jésus-Christ Fils de Dieu prononça dans sa prière à son Père : Ceci est la Vie éternelle qu’ils te connaissent, Toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus Christ.' » (17)

L’appellation de « déiste » est ici attribuée aux Espagnols. Il est possible qu’André Li l’ait apprise des dominicains et franciscains espagnols qu’il côtoyait dans la province du Fujian avant de se rendre au Sichuan.

En date du 23 août 1760, le Journal comporte une longue réflexion sur la lourde tâche à laquelle André Li doit se consacrer en vue de reprendre l’instruction des « déistes Il pense, qu’à la manière de Saint Paul, sa tâche est de donner l’image de Jésus crucifié par sa parole et son action et d’inviter ainsi les fidèles à suivre l’exemple de Jésus-Christ : « Jésus-Christ enseigne : apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Pour cette raison, je pense qu’il n’y a pas de meilleure image à offrir aux fidèles les plus humbles que celle du crucifix » (18).

Dans son rejet des moyens humains trop intéressés comme dans son propos d’annoncer la croix de Jésus-Christ, André Li applique fidèlement les conseils donnés par les fondateurs des Missions étrangères dans leur Monita ad Missionarios écrit en 1665 : « Le missionnaire doit donc se recommander, non par un pompeux apparat mais par son application à l’humilité, non par la recherche des honneurs mais par la fuite des dignités, non par l’abondance des richesses mais par l’amour de la pauvreté. » (article 4)

« Le missionnaire, convaincu que sa prédication trouve toute sa solidité dans la vertu de la Croix, ne rougira pas de prêcher, en paroles et en actes, Jésus crucifié. Quand il devra préparer des catéchumènes au baptême, il ne leur cachera jamais la passion de Notre Seigneur, ni en considération de leur faiblesse, ni à cause du scandale qu’ils pourraient en éprouver. » (19)

Annoncer le Christ en paroles et en actes

En mars 1753, André Li rend compte de la manière pratique dont il refait l’instruction des fidèles devenus simples « déistes Il se trouve alors à Fuzhou, c’est-à-dire probablement Fuling sur le Yangzi Jiang, à proximité de Chongqing.

« Voici ce que je m’efforce de transmettre de jour en jour : un commentaire du petit catéchisme de Basset, les préceptes du décalogue, les préceptes de l’Eglise, les sept péchés capitaux, le sacrement de pénitence, et finalement le sacrement de l’Eucharistie. Ces instructions étant faites, je prépare à la confession et j’étudie quels sont les plus dignes de recevoir l’Eucharistie… Que l’esprit du Seigneur Jésus-Christ qui a guidé les apôtres d’autrefois me dirige en tout de sorte que je ne communique aux âmes des fidèles rien d’autre que Jésus-Christ et Jésus crucifié en qui est le salut, la vie et la résurrection. C’est ainsi que je viens de baptiser 25 enfants des deux sexes, une adulte et que j’ai écouté les confessions de cent personnes dont 90 ont pu recevoir le sacrement de l’Eucharistie. » (20)

En novembre 1753, il établit son calendrier pour l’année 1754, réfléchit aux difficultés rencontrées dans son labeur apostolique et rédige une série de conseils à l’usage de ceux qui sont engagés comme lui dans la mission. Il invite les ouvriers apostoliques à se faire tout à tous, à l’image de Saint Paul, en sachant mettre leur enseignement à la portée des plus humbles : « Le missionnaire apostolique choisi par Dieu sait que sa propre vocation et les dispositions de ses supérieurs le conduisent à évangéliser les pauvres, à porter la paix à ses hôtes, à manger ce qu’ils lui offrent et à annoncer le royaume de Dieu qui est l’Evangile de Jésus-Christ crucifié. La population chrétienne vivant dans cette province est par ailleurs en majorité occupée depuis l’enfance aux travaux agricoles ou au commerce, peu d’entre eux ayant fait des études qui leur permettraient d’apprécier des raisonnements subtils ou de longs discours et encore moins une rhétorique élégante. Que l’ouvrier apostolique s’accommode donc de leur pauvreté, de leur frugalité, de leur bêtise et que le prêtre s’adapte à eux par des règles de sobriété et de prédication, se faisant, comme l’apôtre, tout à tous, pour les gagner tous au Christ ; qu’il ne domine pas sur son troupeau mais qu’il adopte lui-même la forme de son troupeau. » (21)

Le journal nous apprend aussi quantité de détails pratiques touchant aux cas particuliers des personnes rencontrées, aux difficultés causées par les persécutions, à la pénurie des moyens financiers, et, en ce qui nous concerne ici, aux instruments utilisés pour la catéchèse. En juin 1757, André Li note ce qu’il fait pour accroître la petite réserve de livres destinés à la catéchèse : « Ces jours-ci, je me suis consacré à réparer les plaques détériorées de notre catéchisme et à en imprimer plusieurs exemplaires pour répondre à une requête plusieurs fois répétée de M. Pottier. M’étant donc astreint presque vingt jours à ce travail, j’ai produit trois cents exemplaires que chacun d’entre nous pourra distribuer à l’occasion aux chrétiens de son district. Cette affaire a coûté 1 630 sapèques ».

Bien que souvent désolé de l’état des chrétientés et rebuté par les difficultés de sa tâche, André Li ne manque pas de rendre grâce à Dieu dès que son apostolat produit quelque fruit. C’est ainsi qu’en septembre 1758, il se réjouit des résultats obtenus dans la chrétienté déjà ancienne de Jintang à quelque 40 km au nord-est de Chengdu : « Cette chrétienté de Jintang a été fondée il y a déjà cinquante ans par Jean Basset et François de la Baluère et développée par Mgr Jean Mullener et Louis Maggi. Puis, pendant une vingtaine d’années, l’ivraie a été semée dans le bon grain par l’ennemi irréconciliable du genre humain et, sous son impulsion, les tempêtes des persécutions ont écrasé au sol cette communauté qui, telle une vigne dévastée où les plantes se desséchaient, demeurait infertile. Et voici que cette année, tout s’est mis à germer, à pulluler et à fleurir. En l’espace de six mois, le Dieu qui répand tout bien a béni le labeur des ouvriers de l’Evangile. Répandant la rosée céleste et les pluies bienfaisantes dans les cœurs des mortels, il a permis dans sa miséricorde qu’une vingtaine de personnes de l’un et l’autre sexe et de tous âges méritent la grâce de la régénération, que 700 personnes s’efforçant d’expier leurs fautes reçoivent le sacrement de pénitence et que 500 d’entre elles soient rassasiées de l’Eucharistie, que six ou sept familles groupant presque 100 personnes se détachent de l’idolâtrie et soient rappelées au sein de l’Eglise catholique et que plusieurs apostats retournent à Dieu… Ici, je t’en prie, cher lecteur, crie au Seigneur Jésus : la moisson est abondante, mais les ouvriers bien peu nombreux. Prions le maître de la moisson et ses intendants jusqu’à ce qu’il daigne envoyer plusieurs ouvriers à sa moisson. » (22)

Le 25 juillet 1760, André Li répond à une série de questions qui lui ont été posées par la Sacrée Congrégation de la Propagande sur l’état de son district du Sichuan occidental. On trouve d’abord dans ce texte son propre curriculum vitae, à la manière de Saint Paul retraçant l’itinéraire de sa vocation et de sa mission. En réponse à la question 46, il explique quels documents il a pu utiliser pour la catéchèse. Il signale d’abord l’apport de Jean Basset au début du siècle : des opuscules manuscrits utiles à la mission et la première partie d’un petit catéchisme allant jusqu’au baptême mise sous presse et utilisée dans les chrétientés de la province. Egalement une traduction chinoise du Nouveau Testament, depuis l’Evangile de St Matthieu jusqu’au premier chapitre de l’Epître aux Hébreux. Il en vient ensuite à sa propre contribution : « Moi enfin, le dernier et le plus indigne de tous les anciens ouvriers apostoliques de cette province, suivant les intentions et la mission spéciale confiée par mes prédécesseurs, j’ai composé la série et l’ordre des prières devant être récitées le matin et le soir, les dimanches et fêtes, et dans les assemblées conduites par le catéchiste en l’absence d’un prêtre célébrant la messe ; une courte explication du décalogue, des quatre préceptes de l’Eglise, des sept péchés capitaux, de l’eucharistie et de la pénitence. J’ai aussi ajouté à la première partie du catéchisme de Basset de courtes instructions sur les sacrements de confirmation, eucharistie, pénitence sur le Saint Sacrifice de la messe et sur l’extrême onction. En outre, j’ai traduit du latin en chinois l’ordinaire de la messe avec toutes les oraisons indiquées à la fin du missel romain. Tous ces textes ainsi que tous les opuscules que j’ai pu composer ou que je composerai sont soumis au jugement et à l’autorité de mes supérieurs » (23).

En tout ce qu’il entreprend et écrit, André Li se comporte en fidèle serviteur de l’Evangile. Olichon lui décerne le titre de « mainteneur de la foi Il mérite sans doute davantage. C’est vrai qu’il ne cherche pas à innover, mais il entend faire vivre en vérité toute la richesse de l’Evangile et il se réjouit d’accueillir de nouveaux catéchumènes. S’il semble surtout préoccupé de ramener à la foi et à la discipline chrétienne les mauvais catholiques, c’est qu’il veut en faire de vrais témoins du Christ. Il sait que le champ est mûr pour la moisson et l’une de ses préoccupations constantes est de former des catéchistes et des prêtres chinois. Il y consacre les dernières années de sa vie en se retirant dans deux chaumières à Fenghuangshan dans les environs de Chengdu. Il y réunit une dizaine d’enfants. Ce « Séminaire de la nativité » a été l’humble semence des futurs collèges établis au Sichuan pour la formation de prêtres chinois. C’est là que le P. André Li termine sa longue vie de labeur incessant en 1775, à l’âge de 83 ans. Comme le grain de blé tombé en bonne terre, il a porté beaucoup de fruit. L’Eglise au Sichuan a connu un bel essor dans les deux dernières décennies du XVIIIe siècle. Le synode du Sichuan convoqué par Mgr Dufresse en 1803 marque le couronnement de ce que André Li avait toujours recherché : une préparation sincère à la réception des sacrements et la formation de prêtres courageux et responsables, apôtres à la manière de Saint Paul.

Le Synode du Sichuan, Chongqingzhou, septembre 1803

En 1803, il y avait 17 prêtres chinois au Sichuan. Mgr Dufresse jugea nécessaire de les convoquer à une assemblée spéciale où seraient tracées des directives pastorales sur la base de leur expérience et de leurs difficultés dans leur tâche d’évangélisation. L’assemblée prit place dans le village de Huangjiakan, à 25 kilomètres de la petite ville de Chongqingzhou (24). Dans les séances du synode, la langue utilisée fut le chinois. Le texte final fut rédigé en latin et envoyé à Rome. Plus tard, Mgr Dufresse le traduisit en chinois et fit imprimer ce texte chinois en 1814. Il en envoya une copie à Penang et une autre à Macao (25). Une approbation officielle fut reçue de Rome en 1825, avec quelques précisions (26).

Les directives formulées par le synode étaient réparties en dix chapitres dont neuf portaient sur la bonne administration des sacrements : 1. Les Sacrements en général ; 2. Le Baptême ; 3. La Confirmation ; 4. L’Eucharistie (communion) ; 5. L’Eucharistie (la messe) ; 6. La Confession ; 7. L’Onction des malades ; 8. Le Sacerdoce ; 9. Le Mariage. Le chapitre 10 donnait des orientations aux prêtres pour leur vie spirituelle et leur ministère pastoral.

Les directives pastorales du synodes étaient claires et réalistes. Elles devaient être suivies non seulement dans les provinces du sud-ouest mais aussi en d’autres régions de Chine jusqu’au Concile général de l’Eglise catholique en Chine à Shanghai en 1924.

Certains des prêtres chinois présents au synode avaient connu André Li. Tous avaient entendu parler de son action pastorale, de ses suggestions pratiques pleines de bon sens, et de son immense respect pour les sacrements. Prêtres chinois aussi bien que missionnaires français portaient tous dans leur cœur le souvenir de ce prêtre pénétré de l’exemple de Saint Paul, prêt comme lui à souffrir pour l’Evangile, confiant comme lui dans la puissance de l’esprit qui se manifeste dans la faiblesse même de l’apôtre, soucieux d’avoir part aux souffrances du Christ de façon à partager la joie de sa résurrection. Les directives du synode reprennent des préoccupations vécues par André Li pour formuler des directives pastorales qui seront diffusées dans toute la Chine. Plus encore que ses quelques écrits d’intérêt pratique, c’est la personne même d’André Li qui a été une catéchèse vivante. Plus que nul autre, il appliquait la recommandation faite au cours de la cérémonie d’ordination : « imitamini quod tractatis » : Faites dans votre vie ce que vous célébrez dans les sacrements. Imitateur du Christ et de l’apôtre Paul, il instruisait les fidèles en étant lui-même un modèle du troupeau.

Notes

(1)Robert Entenmann : Migration and Settlement in Sichuan, 1644-1796 (Harvard University, 1982)

(2)Note sur le Bailian jiao in Liu Yusheng, Biographies des Bienheureux Martyrs de Chine, Taiwan, 1977, p. 9

(3)Adrien Launay, Mémorial des Missions étrangères, La Baluère, p. 340

(4)Journal, p. 221, cité par Olichon, Aux origines du clergé chinois : le père André Ly, missionnaire au Setchoan (1692-1775), Paris 1933, p. 125

(5)Ibid, p. 130

(6)D’après Paul Destombes M.E.P., Le Collège général de la Société des Missions étrangères de Paris,1665-1932, Hongkong, Nazareth,1934, p. 41

(7)François Lemaire, M.E.P., né à Paris vers 1675, arrivé au Siam en 1722, professeur puis supérieur du Collège général. Ne pas le confondre avec Charles Lemaire, originaire du diocèse de Cambrai, évêque coadjuteur de Jilin et supérieur général des Missions étrangères (1900-1995).

(8)Jennes, Four Centuries of Catechetics in China, p. 78 & 79

(9)A.Launay, Histoire des Missions de Chine, Mission du Se-Tchouan, Paris, Téqui, 1920, p. 304

(10)Cité par Launay, ibid., p. 297 & 298

(11)Jean-Marie Sedes Une grande âme sacerdotale, Le prêtre chinois André Ly (1692-1775), Desclée de Brouwer, p. 121

(12)Traduit du texte latin du Diarium (Journal d’André Li, publié par Launay), p. 58

(13)Sedes, ibid., p. 122, résumant un texte du Diarium p.205

(14)Diarium, p. 205 : Lettre à Eugène Piloti, vicaire apostolique des provinces du Shaanxi et Shanxi

(15)Diarium, ibid., p. 205

(16)Mgr Armand Olichon Aux origines du clergé chinois : le père André Ly, missionnaire au Setchoan (1692-1775), préface de S.E. Mgr de Guébriant, Paris, 1933, p. 276

(17)Diarium, p. 245

(18)Diarium, p. 521

(19)Archives des Misssions Etrangères, Monita ad Missionarios. Instructions aux Missionnaires de la Sacrée Congrégation de la Propagande, pp. 45-47.

(20)Diarium, p. 234

(21)Diarium, p. 266, n° 5

(22)Diarium, p. 466

(23)Diarium, p. 512

(24)Zhang Ze Le Catholicisme durant la période de son interdiction sous les Qing, 1992, pp. 174 & 175

(25)Launay, Histoire des Missions de Chine, Mission du Setchoan, t. 2, Paris, Téqui, 1920, p. 93

Texte latin des travaux du synode : Synodus vicariatus sutchuensis habita in districtu civitatis Tchong King Tcheou. Anno 1803. Diebus secunda, quinta et nona septembris. Typis Sacrae Congregationis de Propaganda Fide, Romae MDCCCXXII, in-12, pp. 168. Un Appendix ad Synodum, in-8, pp. 40, fut imprimé l’année suivante. Une traduction manuscrite a été rédigée par le P. Grasland.

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