Eglises d'Asie

L’ARGENT : NERF DE LA GUERRE POUR UN CONFLIT SANS FIN

Publié le 18/03/2010




Madugahawatte, Sri Lanka – Dans ce village calme et luxuriant, aucun tir de mortiers ne vient troubler les nuits fraîches, et seules les étoiles et une lune claire et pleine illuminent le ciel. Les arbres croulent sous les bananes, les noix de coco et autres fruits de jaque. Mais cette nature généreuse va de pair avec des temps difficiles. Les bons emplois sont si rares que beaucoup d’hommes comme K. W. Perera sont partis s’enrôler à l’armée simplement pour jouir d’un salaire régulier. “Il a essayé les usines textiles, le BTP, les chantiers de construction”, raconte sa mère, “et puis il s’est engagé lorsqu’il n’a rien trouvé d’autre”.

Dix-huit années de conflit ethnique, mettant des Sri-Lankais aux prises à d’autres Sri-Lankais, ont fait de la guerre un mode de vie dans les villages de ce pays. La guerre a apporté un mieux-être aux familles des plus de 200 000 hommes et femmes, principalement issus de la majorité cinghalaise, qui se battent contre les séparatistes tamouls.

Tandis que les dépenses militaires sont passées de 1 % de l’économie au début des années 1980 à 6,8 % l’année dernière, de plus en plus de personnes vivent de ce conflit. Il y a aujourd’hui cinq fois plus de personnes qui vivent des opérations de sécurité que de personnes employées dans le secteur du tourisme. “La guerre est devenue une institution déclare un diplomate occidental basé à Colombo, la capitale. “Les riches se font de l’argent sur les commissions, en pots-de-vin, en vendant à l’armée ce dont elle a besoin. Et, finalement, les soldats sont assez bien payés. Tout le monde semble faire de l’argent. C’est un système hautement démocratique Bien que la guerre a tué 62 000 personnes pour une population totale de 19 millions, les foules ne descendent pas dans la rue pour exiger la fin des combats.

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les rebelles se montrent impitoyables ; ensuite, la population, lasse de la guerre, est dans une large mesure désespérée ; enfin, la population cinghalaise dans le sud est plutôt tenue à l’écart des carnages qui se produisent au nord. Mais certains disent que le rôle de l’armée, en tant que principal employeur, a miné l’opposition à la guerre dans les campagnes, là où vit la majorité de la population.

L’armée rencontre bien quelques difficultés pour recruter, les périodes d’engagement étant d’un minimum de douze ans, et les désertions sont un problème chronique ; mais les forces de sécurité – qui incluent l’armée de terre, les forces aériennes, la marine et la police – comptent toujours 215 000 membres, d’après un rapport du département d’Etat américain. Au nom du secret défense, les militaires sri lankais refusent de confirmer ces chiffres.

Les villageois ont leur propres idées sur le sujet. “Les soldats issus des villages forment le gros des troupes”, explique le caporal Gamini Premaranthna, qui a rejoint l’armée à l’âge de 19 ans, il y a onze ans. “Aucun rejeton des grosses huiles’ n’y va. Tous les politiciens qui clament que nous devons trouver une solution militaire à ce conflit n’ont pas de fils sous les drapeaux. Il n’y a que des garçons des villages. La guerre finirait plus tôt si les riches mourraient aussi 

Selon les critères locaux, les soldats sont plutôt bien payés et, alors que les usines textiles mettent régulièrement la clef sous la porte, la guerre, elle, se poursuit. Un soldat posté à Jaffna, la péninsule où certains des plus violents combats ont lieu, gagne environ 140 dollars US$ par mois, soit deux à trois fois plus que ce que gagne normalement un ouvrier dans le textile. S’il meurt au combat, son salaire sera versé à sa femme ou, si il n’est pas marié, à sa famille jusqu’au moment où il aurait atteint les 55 ans. Ensuite, sa femme ou ses proches continueront à toucher sa retraite.

Les deux fils de K. W. Gunesekera, un vieil homme vêtu du pagne traditionnel, se sont engagés. Il y a un ans, son plus jeune fils, le caporal Mahinda Dayawansa, 22 ans, a été tué lors d’une embuscade. La femme de M. Gunesekera a paru inconsolable après la perte de son fils. “Elle n’avait plus envie de vivre. Elle se lamentait toujours pour son fils. Un soir, elle est partie se coucher et elle ne s’est plus réveillée. J’ai perdu mon fils. J’ai perdu ma femme Le jeune homme n’était pas marié, et donc sa famille percevra son salaire pour les prochaines 32 années. Mais, selon M. Gunesekera, l’argent n’est d’aucun réconfort.