Eglises d'Asie

Le tribunal de Lahore refuse de libérer sous caution un chrétien arrêté pour blasphème contre le prophète depuis le mois d’avril

Publié le 18/03/2010




Après la Haute Cour de Multan qui, le 25 juillet dernier, avait confirmé la condamnation à mort pour blasphème d’un chrétien, Ayub Masih (1), c’est au tour du tribunal de la Haute Cour de Lahore de prononcer un autre jugement défavorable contre un enseignant chrétien, Pervaiz Masih, lui aussi accusé de blasphème contre le prophète et donc passible de la condamnation à mort (2). Selon la loi Qanoon-e-Shahadat, la loi islamique de la preuve, il faut le témoignage de deux non-musulmans pour égaler celui d’un musulman. Or quelque cinquante musulmans sont venus témoigner de l’innocence de l’inculpé devant les juges de Lahore. Pourtant cela n’a pas suffi et ces derniers ont refusé, le 27 août dernier, d’accorder la liberté sous caution au chrétien. Ils ont déclaré que seul un imam (religieux musulman) pouvait apporter un témoignage susceptible de contrebalancer les accusations graves portées contre le chrétien. Cependant, selon le directeur d’un centre d’assistance juridique qui s’occupe de ce cas, la situation de l’enseignant chrétien n’est pas désespérée et l’on espère faire aboutir une autre demande de liberté sous caution dans les jours à venir.

Le cas de Pervaiz Mashi est particulièrement significatif de l’utilisation à des fins personnelles perverties de la disposition du code pénal prévoyant la peine de mort pour un blasphème proféré contre le prophète. Depuis 15 ans, dans son village de Chelay Kay près de Daska, l’actuel inculpé dirigeait, avec la collaboration d’une dizaine d’enseignants, une école fréquentée par 300 élèves pour la plupart musulmans. Tout se déroulait dans le calme et à la satisfaction générale jusqu’à ce qu’un retraité de l’enseignement public, Muhammad Ibrahim, décide d’ouvrir sa propre école privée à environ deux kilomètres de celle de Pervaiz. La nouvelle école ne rencontra guère de succès et son directeur en rendit responsable l’école déjà en place. En 1993, il porta plainte contre Pervaiz pour détention illégale d’armes, une plainte que la police refusa d’enregistrer après avoir reçu des témoignages de notables en faveur de l’enseignant chrétien. En 1997, un coup de feu est tiré contre Pervaiz, apparemment par un neveu de Muhammad Ibrahim, mais Pervaiz n’est pas touché. Enfin, en avril dernier, le directeur de la nouvelle école accuse son collègue chrétien d’avoir blasphémé contre le prophète en disant de lui devant ses élèves qu’il avait violé une fille de six ans. Des élèves venus étudier le Coran dans son école lui auraient rapporté les propos blasphématoires.

Les derniers jugements concernant des chrétiens, auxquels il faut ajouter la condamnation à mort pour blasphème, prononcée le 17 août dernier, contre un musulman, Shiekh Younas, docteur homéopathe, attirent de nouveau l’attention sur les graves abus auxquels donnent lieu l’application de la loi sur le blasphème depuis son adoption. Selon les militants des droits de l’homme, elle est devenue une loi qui contribue à créer des victimes plus qu’elle ne les protège. Les dirigeants du Pakistan sont conscients de la nécessité de réviser les dispositions du code pénal sur le blasphème. Le ministre des Affaires religieuses Mahmood Ghazi a même déclaré publiquement que la plupart des affaires ont pour origine la mauvaise volonté ou la volonté de porter un préjudice personnel. Cependant la pression des groupes extrémistes a, l’année dernière, conduit le gouvernement à effectuer un retour en arrière après avoir essayé d’introduire dans la procédure de la loi un changement consistant à exiger une enquête préalable à toute arrestation pour blasphème (3).