Eglises d'Asie

A QUI PROFITE LA PEUR ? Une des répercussions des attentats perpétrés aux Etats-Unis est la recomposition du paysage politique en Malaisie – au bénéfice du Premier ministre Mohamad Mahathir

Publié le 18/03/2010




Sa réaction aux attentats du 11 septembre à New York et à Washington a été quasi-identique à celle du Premier ministre Mohamad Mahathir. « Les attaques doivent être condamnées comme étant des actes de violence insensée, a déclaré l’ex-Vice-Premier ministre aujourd’hui en prison Anwar Ibrahim à la FEER par l’intermédiaire de son avocat Sankara Nair. Mais j’espère que les Etats-Unis réagiront avec justice et non par la vengeance ». Une telle unanimité témoigne du dilemme qui est celui de l’opposition en Malaisie, une opposition qui cherche à se présenter comme une alternative crédible à l’actuel gouvernement.

Trois semaines après que les avions détournés aient été précipités contre le World Trade Center et le Pentagone, Mahathir et sa coalition du Front national se sentent pousser des ailes tandis que l’opposition ne sait comment réagir. En faisant porter la responsabilité des attentats à des extrémistes musulmans, les Etats-Unis ont braqué les projecteurs sur l’opposition islamique, une opposition que Mahathir cherche depuis longtemps à portraiturer comme extrémiste. Les partis non religieux s’inquiètent tout à coup des questions que posent les membres du parti majoritaire au sujet des liens supposés que l’opposition entretient avec des groupes de militants islamistes en Asie du Sud-Est. Leurs inquiétudes se nourrissent du fait que beaucoup craignent que des militants extrémistes frapperont à nouveau au cas où les Etats-Unis ripostent militairement.

De telles inquiétudes se traduiront dans les bureaux de vote. Les élections législatives doivent avoir lieu normalement en 2004 mais certains s’attendent à ce que Mahathir provoque les élections dès l’année prochaine. Le 27 septembre dernier, le Front national a remporté 60 des 62 sièges du parlement mis en jeu lors d’élections organisées dans l’Etat de Sarawak, le plus grand des Etats de la Fédération. Les deux plus importants partis de l’opposition – le PAS (Parti Islam SeMalaysia) et le Keadilan, dirigé par Wan Azizah Wan Ismail, l’épouse d’Anwar Ibrahim – ont échoué à ne remporter ne serait-ce qu’un seul siège. Selon Kamaruddin Jaafar, député du PAS au parlement du Kelantan, Etat situé dans le nord de la péninsule malaise, cette mauvaise performance est à mettre au crédit du gouvernement et de sa politique visant à assimiler le PAS aux Talibans au pouvoir en Afghanistan.

Cinq jours avant les élections dans l’Etat de Sarawak, le Parti pour l’action démocratique (DAP), qui représente pour une large part l’électorat d’origine chinoise, a quitté le Front alternatif, la coalition de l’opposition dont le PAS et le Keadilan sont membres. Ce départ a été analysé comme le résultat de la frustration du DAP à l’égard du programme politique du PAS – la création d’un Etat islamique en Malaisie. Selon Chen Man Hin, membre de longue date du DAP, les attentats commis aux Etats-Unis ont été l’événement qui a servi de catalyseur. « Nous sommes inquiets face aux appels de ceux qui prêchent le martyre et par ceux qui sont prêts à mourir pour que soit mis en place un Etat islamique », a-t-il déclaré à des journalistes. Comme pour ajouter aux inquiétudes du DAP à la suite des attentats du 11 septembre, le guide spirituel du PAS, Nik Abdul Aziz Nil Mat, a déclaré qu’il était du devoir de tous les musulmans de venir en aide à toute nation musulmane attaquée.

Un Front alternatif affaibli sert les intérêts de Mahathir, chef de l’UMNO (United Malays National Organisation), le parti dominant au sein du Front national. En même temps, sa rapide condamnation et des attentats et du terrorisme en général a contribué à renforcer ses liens avec les Etats-Unis. Un tel rapprochement contraste avec ses diatribes passées lancées contre Washington et le coup porté aux relations avec les Etats-Unis par le limogeage d’Anwar Ibrahim en 1998 puis son emprisonnement pour abus de pouvoir et sodomie. « Depuis 1998, Washington avait révisé son appréciation à l’égard de la Malaisie de positif à négatif, affirme un diplomate asiatique. Désormais, cette appréciation est passée à neutre, voire à positif. »

Mahathir a également retiré un avantage de la répression qu’il avait déclenchée contre des militants islamistes justes quelques semaines avant les attaques commises à New York et à Washington. Au début du mois d’août dernier, la police a arrêté 10 personnes – dont certaines sont membres du PAS – en vertu de la Loi sur la sécurité interne, un texte qui permet de placer indéfiniment en détention des personnes sans les faire passer en jugement. La police affirme que ces personnes étaient membres du Groupe des moudjahidins de Malaisie et complotaient en vue de renverser le gouvernement. Le chef supposé de ce groupuscule est Nik Adli, fils aîné de Nik Abdul Aziz, le chef du PAS. Nik Adli, par l’intermédiaire de sa famille et de ses avocats, a nié les accusations portées contre lui. Mais il a été envoyé en prison pour deux ans – tout comme huit de ses compagnons. Les autorités ont affirmé que Nik Adli avait reçu une formation militaire en Afghanistan, passé commande d’armes en Thaïlande et appris comment confectionner des bombes auprès de rebelles musulmans philippins. En grande partie du fait du carnage commis aux Etats-Unis, les protestations de l’opposition contre ces détentions ont été très atténuées.

Mahathir doit cependant agir avec prudence. Son principal réservoir d’électeurs est formé par la population malaise du pays, soit presque 60 % de la population totale de la Fédération ; or, du fait du traitement que le Premier ministre a réservé à Anwar Ibrahim, une partie des Malais ont retiré leur soutien à l’UMNO. Les Malais toutefois se montrent ambivalents dans l’appréciation qu’ils portent aux Etats-Unis. D’une part, ils estiment que les Américains ont une attitude ambiguë, sinon négative, vis-à-vis des problèmes intéressants les musulmans, en particulier au Moyen-Orient. D’autre part, presque tous déplorent les attentats du 11 septembre, mais ils se montrent également opposés à une guerre totale contre l’Afghanistan, pays musulman et ruiné.

Si les Malais ont le sentiment que leur gouvernement se range servilement derrière Washington, il pourrait se produire une réaction brutale. Le Premier ministre semble conscient de cela. Des responsables de l’UMNO ont déclaré qu’à l’occasion d’une réunion du Conseil suprême du parti tenue le 28 septembre dernier, il avait été décidé que la Malaisie partageait la position de consensus arrêtée par l’Organisation des pays musulmans (OIC) au sujet de la guerre que les Etats-Unis ont déclaré au terrorisme.

Le principal perdant dans le paysage politique du pays pourrait être le PAS, qui, à l’occasion des précédentes élections législatives de 1999, était ressorti comme le principal parti de l’opposition, tirant profit de ce qu’il avait décrit comme les mauvais traitements imposés à Anwar Ibrahim par Mohamad Mahathir. Dans le contexte d’alors, celui de la crise économique asiatique, il avait aussi accusé le gouvernement de corruption et de favoritisme, pratiques contraires à l’enseignement de l’islam.

Cependant les diplomates occidentaux s’accordent à dire que le cas posé par Anwar ne pose plus autant de problèmes aujourd’hui qu’hier. Ces dernières années, le PAS avait réussi à attirer à lui les faveurs d’une partie de l’électorat non musulman du fait de ses liens avec le Keadilan, un parti largement malais, et le DAP. Le DAP ne faisant désormais plus partie de la coalition de l’opposition, le PAS se retrouve contraint de dépendre du vote des seuls Malais.

Entre temps, les non-Malais et une partie importante des Malais modérés se sentent mal à l’aise avec le discours alarmiste – alimenté par les médias contrôlés par le pouvoir – des autorités à propos du radicalisme croissant des milieux islamistes en Malaisie. Le PAS a d’ailleurs contribué à cela en apparaissant abandonner un discours jusqu’ici assez modéré. A la suite des attentats du 11 septembre, dans les colonnes du Harakah, le journal officiel du PAS, on a pu lire un virulent éditorial sous le titre « La guerre à venir est une croisade contre l’islam » (1).

De tels propos inquiètent le Malais moyen. Un homme d’affaires malais qui a voté pour l’opposition lors des dernières élections déclare : « Tous mes amis pensent que le PAS a dépassé les bornes ». Mustafa Ali, un haut responsable du PAS, affirme que l’éditorial du Harakah « ne reflète pas nécessairement nos vues » mais concède que « Mahathir a sans doute retiré un gain politique de la parution de cet article ».

Le gouvernement a toujours pris soin de décrire la Malaisie comme étant un pays où l’islam était modéré et où le gouvernement s’exerçait selon un mode séculier. Mais, depuis les attaques du 11 septembre, Mahathir a martelé ses propos des « dangers de l’extrémisme » – pointant du doigt, par exemple, les horreurs des conflits interreligieux à Aceh, en Indonésie (sic). Syed Azman Syed Ahmad, député PAS de l’Etat de Terengganu, reconnaît que l’opposition fait face à un problème. « Nous sommes dépeints comme étant des extrémistes et, après les attaques aux Etats-Unis, le propos porte, particulièrement auprès de la communauté d’origine chinoise. Nous devons travailler trois fois plus dur pour regagner leur soutien », commente-t-il.

Mais là n’est pas le seul danger, ajoute-t-il. « Ce n’est pas seulement une question domestique. Si l’actuel gouvernement peut convaincre la communauté internationale que nous sommes des extrémistes, alors ce sera à lui qu’iront tous les soutiens. »

(1)NdT : la citation exacte tirée du bi-mensuel Harakah est la suivante : « La perception commune dans le monde musulman est, sans aucun doute, que la guerre qui se prépare sera une guerre totale contre l’islam, une croisade ainsi que Bush lui-même l’a décrite. »