Selon Margaret Cheng, spécialiste des questions de santé, basée à Hongkong, ce revirement – fort tardif – des autorités chinoises devrait finalement permettre la mise en œuvre de la meilleure parade à cette épidémie : l’information. « Il s’agit d’une maladie dont la meilleure parade réside aujourd’hui dans l’information car nous n’avons pas grand chose d’autre », estime-t-elle.
Le défi pour la Chine est donc maintenant de réorienter sa lourde machine de propagande, de la faire passer d’une position où le problème posé par le sida était nié à une attitude d’ouverture. C’est là un changement majeur pour un gouvernement qui a pour habitude de contrôler étroitement l’accès à l’information. Toutefois, ce n’est qu’en permettant la circulation de l’information, destinée à alerter 1,3 milliard de personnes sur les dangers d’une épidémie potentiellement très dangereuse, que le programme éducatif de la Chine – inno-vateur à bien des égards – peut avoir des chances de succès.
La clé du plan officiel d’action réside dans l’utilisation des médias contrôlés par l’Etat. Il a été demandé à la presse écrite comme aux médias audiovisuels de commencer à diffuser articles et programmes au sujet des comportements à risque et des mesures de prévention à mettre en œuvre. La campagne comportera des informations au sujet de la nature de la maladie afin de la démystifier et de désarmer la peur et la discrimination dont sont souvent victimes les malades du sida et les porteurs du virus en Chine.
Margaret Cheng, qui est également médecin, pense que c’est là une campagne vitale, car aussi longtemps que les chercheurs effectuent des recherches pour élaborer un vaccin et des médicaments susceptibles de lutter contre cette maladie, la meilleure défense demeure d’éviter l’infection. « Si personne ne connaît les risques qu’il prend, alors personne ne peut prendre les décisions qu’il convient de prendre pour se protéger. »
Pour mener à bien ce plan, la Chine a prévu de dépenser 12 millions de dollars chaque année pour les mesures de prévention et de contrôle du sida, avec un effort exceptionnel cette année de 117 millions de dollars destiné à sécuriser le réseau de collecte du sang. La première mesure de ce nouveau plan est de tester tous les échantillons de sang utilisés pour un usage médical afin de détecter l’éventuelle présence du HIV. De plus, pour assainir la collecte du sang, tous les dons de sang devront désormais provenir de centres à but non lucratif ou bien d’hôpitaux agréés. Le gouvernement prévoit aussi d’augmenter le nombre d’institutions médicales autorisées à diagnostiquer et traiter les personnes atteintes par le virus HIV et les malades du sida.
La question demeure : pourquoi maintenant ? Le 25 juin dernier, Zhang Wenkang, le ministre chinois de la Santé, a déclaré, à l’occasion d’un sommet des Nations Unies à New York consacré au sida, que 600 000 Chinois était infectés par le HIV ou souffraient du sida. Une estimation que les experts s’accordent à dire sous-estimée. Les Nations Unies évaluent à environ 1,5 million le nombre des Chinois infectés. Toutefois, ce soudain accès d’ouverture de la part de la Chine était suivie le 23 août dernier d’une conférence de presse à Pékin au cours de laquelle le vice-ministre de la Santé, Yin Dakui, admettait qu’une crise se profilait à l’horizon, « la transmission de la maladie progressant rapidement ».
« Comme de nombreux autres pays, nous devons faire face à une très sérieuse épidémie de sida », a déclaré Yin. La majorité des observateurs ont accueillis positivement le plan d’action de la Chine, même s’ils remarquent que le budget annoncé est très inférieur à ce qui serait nécessaire. « Il y a beaucoup de bonnes choses qui vont être faites », estime Emile Fox, conseiller à Pékin pour le programme des Nations Unies sur le sida (UNAids).
Toutefois, nul n’est vraiment certain des raisons qui ont poussé Pékin à changer d’attitude. Pour une part, il est sûr que des voix multiples se faisaient entendre pour demander aux autorités de faire quelque chose. Mais cela n’empêchaient pas les autorités de qualifier le sida de « maladie occidentale » en dépit des évidences indiquant que l’épidémie était bien plus sérieuse dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Peut-être a joué un rôle la très large désapprobation internationale lorsque, en mai dernier, l’activiste et gynécologue en retraite Gao Yaojie s’était vue refuser la permission de se rendre aux Etats-Unis pour y recevoir une distinction récompensant son travail d’aide aux victimes du sida. Peut-être les autorités ont-elles éprouvé un certain embarras face aux informations parues à propos des réseaux de collecte de sang dans certaines régions rurales de Chine ; selon certaines estimations, plus de 100 000 personnes auraient été infectées après avoir vendu leur sang. Dans tous les cas, il est certain que les mises en garde de la communauté internationale n’ont pas manqué, comme l’an dernier, lors d’un symposium en Afrique du Sud, à Durban, lorsque Bai Bagasao, de UNAids, prévenait que le virus HIV et les maladies sexuellement transmissibles étaient une « bombe à retardement » pour la Chine.
« A la vue de tous les signes qui annoncent une explosion imminente du sida au sein des populations vulnérables à travers toute la Chine, il est nécessaire d’établir un parallèle avec les tremblements de terre, inondations et autres catastrophes naturelles qui appellent la mise en place rapide d’une gestion de crise », analyse encore Margaret Cheng. Dans tous les cas, le personnel de santé est rassuré et espère qu’avec le soutien des autorités se dessine la perspective d’inverser la tendance. Il est même permis d’espérer que les campagnes d’éducation publique reproduiront le succès de l’expérience thaïlandaise, laquelle s’était traduite, malgré une similaire réticence initiale des autorités à reconnaître le problème, par des efforts en vue de promouvoir une sexualité responsable et l’usage de seringues stériles, efforts qui ont réduits significativement le taux d’infection.
« De fait, passer de la volonté politique à l’action sur le terrain peut se révéler être chose difficile, mais, d’une façon générale, la position adoptée est bien meilleure, déclare James Patterson, coordinateur à Kunming d’un projet d’aide aux malades du sida dans le cadre de l’organisation internationale Médecins Sans Frontières. L’objectif est de faire changer les comportements ». Toutefois, avant de pouvoir mettre en œuvre leur projet, les responsables du programme d’action ont besoin de connaître l’étendue du problème. Parce que la population chinoise est fort importante et parce que les données relatives aux taux d’infection et de transmission du virus sont insuffi-santes, il est difficile de mettre au point une réponse adéquate.
Dans sa lutte contre le sida et le virus HIV, le premier défi posé à la Chine se situe dans la province méridionale du Yunnan, frontalière avec la Birmanie, un des principaux producteurs d’opium au monde. Là, les échanges d’aiguilles de seringues parmi les drogués font augmenter le taux d’infection. Tandis que la consommation de drogue a augmenté dans toute la Chine ces dernières vingt années, période de changements socio-économiques rapides, l’usage multiple de seringues contaminées est devenu l’un des principaux facteurs de la dissémination du virus du sida. Selon les statistiques du gouvernement chinois, 70 % des personnes déclarées séro-positives sont des consommateurs de drogue par injection, mê-me si certains experts relativisent ces données en affirmant que ce groupe à risque est davantage testé que les autres. Dans tous les cas, ce sont les conséquences du scandale des réseaux de vente de sang dans les campagnes chinoises qui ont véritable-ment attiré l’attention sur la maladie et l’inaction des officiels.
A la fin des années 1980 et au début des années 1990, dans certaines régions de Chine, particulièrement dans la province du Henan, les gens étaient payés 5 dollars US pour chaque don de sang. Les collectes étaient sales’. Les aiguilles étaient réutilisées et les responsables centrifugeaient le sang afin d’en extraire le plasma qui était revendu à l’industrie pharmaceutique. On réinjectait ensuite le sang aux donneurs qui pouvaient ainsi effectuer des dons plus fréquents. Les donneurs, essentiellement des villageois pauvres, « partageaient » ainsi leur sang – et les maladies qu’il contenait. Parmi d’autres, se trouvait le HIV. Au milieu des années 1990, alors que les villageois commençaient à mourir du sida et que la presse chinoise envoyait des reporters enquêter sur le scandale, les collectes de sang ont été arrêtées. Dans certains villages du Henan, le taux d’infection de la population à atteint les 65 %. Selon de récentes analyses, dans le village de Wenlou, 43 % de ceux qui ont donné leur sang sont désormais contaminés par le HIV.
En 1996, Gao a rencontré sa première patiente en provenance du Henan, une personne qui avait été contaminée par du sang provenant des stocks des réseaux de collecte de sang. Elle a rapidement découvert que bien d’autres personnes étaient contaminées dans cette province et elle a commencé une campagne d’information et d’aide aux malades du sida. Alors qu’elle persistait dans ses efforts d’information, Gao, âgée aujourd’hui de 74 ans, affirme avoir fait l’objet d’intimidations et de menaces de la part des autorités. Toutefois, signe que les choses ont changé, ces intimidations ont cessé et elle peut désormais poursuivre son travail. « La plupart des paysans qui meurent du sida sont trop pauvres pour se procurer les soins médicaux nécessaires. Et ils sont encore moins avertis des mesures à prendre pour prévenir l’infection par le HIV. Lorsqu’ils meurent, ils ne savent pas quelle genre de maladie ils ont », a récemment écrit Gao dans un article.
Aujourd’hui, le gouvernement reconnaît que la vente du sang a été à la source de graves problèmes mais le pouvoir chinois refuse de concéder que tout ceci s’est fait avec l’accord, sinon les encouragements, des autorités. Ce qui inquiète désormais les responsables des questions de santé est que, maintenant que le virus du HIV est bien présent en Chine, la transmission du virus par voie sexuelle représente une menace très importante pour l’ensemble de la population étant donné les changements sociaux et les mouvements de population induits par le développement de l’économie du pays. On estime à 100 millions le nombre des Chinois qui vont et viennent sur le territoire chinois en quête de travail et d’opportunités à mesure que le secteur étatique se rétrécit et que le secteur privé se développe. Ce mouvement sans précédent intervient à une époque de liberté croissante dans le domaine sexuel. Ajoutez à ceci l’ignorance très largement répandue des conséquences d’une sexualité irresponsable et l’usage fort peu fréquent par les Chinois du préservatif. Les statistiques l’indiquent : la transmission du virus HIV par voie sexuelle est en augmentation.
Margaret Cheng pense que le défi pour la Chine est de passer de la reconnaissance du problème au recours à une aide étrangère afin de préparer un programme d’éducation public. « Le sida est une maladie mondiale et là où vous avez recours à une aide internationale, les progrès sont présents », affirme-t-elle. Les récentes demandes de conseils, de la part de Pékin, au Centre américain pour la Prévention et le Contrôle des maladies, montrent que les autorités sont en train de réaliser que la Chine aura besoin de tous les soutiens, d’où qu’ils viennent.