Eglises d'Asie

COMMENTAIRE A PROPOS DU DISCOURS QUE LE PAPE JEAN-PAUL II A PRONONCE A L’OCCASION DU 400e ANNIVERSAIRE DE L’ARRIVEE DE MATTEO RICCI A PEKIN

Publié le 18/03/2010




Un pape catholique s’adresse officiellement à la Chine pour lui dire : “Je demande pardon”

Le 24 octobre 2001, le pape Jean-Paul II a prononcé le plus important discours de son pontificat au sujet de la Chine. Après toutes ces années durant lesquelles la Chine n’a eu de cesse de répéter ses accusations à propos de l’impérialisme de l’Eglise au cours XIXe siècle, le pape Jean-Paul II a humblement prononcé les mots suivants : “Je demande pardon”. Il a offert un rameau d’olivier, symbole de paix, à la Chine et demandé pardon pour les “erreurs” commises. Ce discours pourrait bien rester dans l’histoire comme le plus important discours à propos de la Chine jamais prononcé par un pape. Il peut être interprété comme le sommet du cheminement long de vingt ans de Jean-Paul II en direction de la Chine et le commencement d’une nouvelle – et, espérons-le, couronnée de succès – phase menant à la normalisation des relations (entre la Chine et le Saint-Siège). Pas uniquement la normalisation des relations diplomatiques mais aussi la normalisation de la vie de foi des catholiques en Chine. La Chine, après toutes les accusations qu’elle a portées contre le Saint-Siège durant tant d’années, la Chine est-elle désormais satisfaite ? Est-elle prête à répondre de manière positive à l’humble requête du pape ? L’interminable guerre froide qu’elle mène avec le Vatican touchera-t-elle enfin à sa fin ? Et, finalement, le pape réussira-t-il à réaliser le rêve qu’il a pour la Chine de son vivant ?

Contrairement à ce que certains journaux à Pékin ont écrit, la demande de pardon du pape ne renvoie absolument pas aux “erreurs” de la canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine l’an dernier, en 2000, demande de pardon que la Chine serait supposée avoir faite. Le pape a évoqué la “sorte de protection’ de la part de Puissances politiques européennes” qui “eut des répercussions négatives” et a “pu donner l’impression d’un manque de respect et d’estime pour le peuple chinois”. Le pape a déclaré : “J’éprouve une profonde tristesse pour ces erreurs et pour les limites du passé” et “pour tout cela, je demande pardon, compréhension et indulgence à tous ceux qui ont pu se sentir blessés d’une manière ou d’une autre par de telles actions de la part de chrétiens”. Rien de plus ! Nous savons tous, et la Chine le sait également, que ce sont ces “Puissances politiques européennes” qui ont été la cause réelle des humiliations subies par la Chine au XIXe siècle, bien que la Chine n’ait jamais demandé à ces puissances de s’excuser ou qu’aucune de ces puissances n’aient ressenti le besoin de le faire spontanément. En reconnaissant en toute candeur et générosité les “erreurs” auxquels il fait référence et en exprimant sa “profonde tristesse” à ce sujet, le pape fait la preuve qu’il est un grand responsable chrétien motivé par l’Evangile de Jésus et par un vrai respect pour la Chine. Les catholiques chinois seront certainement inspirés par l’attitude profondément chrétienne de notre bon vieux pape, même si, parmi les nombreux qui ont souffert à l’intérieur de la Chine durant les années de la Révolution culturelle, certains – et on le comprend – sont toujours amers à propos de ces “erreurs” qui les ont fait tant souffrir et pour lesquelles aucune excuse ne leur a jamais été présentée.

Les autorités de la République populaire de Chine restent silencieuses et divisées

La Chine avait été informée à propos de ce discours et savait même que le pape exprimerait une certaine forme de demande de pardon. Et pourtant, il a semblé qu’elle était comme déroutée et sans voix après avoir entendu l’humble geste d’amitié du pape. La Chine n’a su que répéter les mêmes vieilles et sempiternelles conditions à la normalisation des relations que son gouvernement réitère comme une rengaine depuis vingt ans, à savoir : le Saint-Siège doit rompre avec Taiwan et ne doit pas s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine.

La raison de la bien pauvre réaction de la République populaire de Chine au geste généreux et magnanime du pape s’explique par le fait que les dirigeants chinois ne sont pas d’accord entre eux sur ce dossier. Certains souhaitent normaliser les relations avec le Saint-Siège tandis que d’autres sont opposés à tout changement. En 1999, le président Jiang Zemin lui-même, de retour d’une tournée en Europe, était décidé à normaliser les relations. Les plus hauts dirigeants européens, certains d’entre eux appartenant à des partis de gauche, lui avaient recommandé d’entreprendre ce changement. Les responsables du Bureau chinois des Affaires religieuses avaient ensuite reçu pour instruction de rencontrer à tous les niveaux évêques et prêtres pour les informer de la nouvelle et préparer le terrain. A l’époque, certains d’entre eux nous avaient dit – sous le sceau du secret : “Bientôt, sous peu, les choses seront bien plus faciles pour votre travail en Chine car la Chine va normaliser ses relations avec le Saint-Siège.” Nos espoirs ont cependant rapidement été déçus. A la fin de l’année 1999, nous avons pris connaissance d’un document secret’ (daté du 17 août 1999) émanant du Parti communiste chinois et où l’on pouvait lire que la Chine normaliserait les relations mais que, dans le même mouvement, elle renforcerait la très officielle “Association patriotique des catholiques chinois” afin de garder un plein contrôle sur l’Eglise en Chine, contrecarrant ainsi l’influence du Vatican sur les affaires de l’Eglise en Chine. Afin d’affirmer leur politique, ils ont ouvertement fait subir une rebuffade au Saint-Siège à l’occasion de la fête de l’Epiphanie 2000 par l’auto-consécration de six évêques sans avoir en aucune façon obtenu l’accord de Rome. Nous savons que ce geste fut concocté par une groupe gauchiste en Chine qui désapprouvait le changement décidé par Jiang Zemin et qui réussit à le torpiller, au grand désappointement, semble-t-il, du président Jiang Zemin lui-même et également, j’en suis certain, du pape.

Puis il y a eu la canonisation de 120 martyrs de Chine par le pape Jean-Paul II en octobre 2000, suivie par une intense campagne contre cet événement en République populaire de Chine (animée par le même groupe gauchiste ?). Environ cent articles sont parus dans la presse, soigneusement rédigés par certains universitaires chinois – dont plusieurs avaient auparavant écrit d’autres articles favorables à Rome – et critiquant férocement aussi bien les martyrs que le Saint-Siège, usant de termes et de slogans que l’on n’avait plus vu depuis la Révolution culturelle. La guerre froide avec le Vatican était de nouveau d’actualité. Le simple mot “Vatican”, dans l’esprit de beaucoup de Chinois, est alors devenu synonyme d'”impérialisme”.

Ayant tout ceci à l’esprit, nous nous demandons tous aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, et même après le discours historique du pape : comment une atmosphère propice à la normalisation des relations entre la Chine et le Vatican pourrait soudainement se faire jour ? Et comment la Chine pourrait se montrer prête à un tel changement dans un proche avenir étant donné ses divisions internes sur ce sujet et le renouvellement des dirigeants qui doit intervenir en 2002 ? Certains récents commentaires de la part d’hommes politiques et de responsables de l’Eglise en Occident semblent indiquer que ces problèmes sont sous-estimés. Mais il y a plus grave.

Pour normaliser les relations, un accord doit d’abord être trouvé à propos du rôle de l’Association patriotique

Dans le courant du mois d’octobre dernier, deux colloques sur Ricci ont été organisés, l’un à Pékin (14-17 octobre) – auquel j’ai participé – et l’autre à Rome (24-25 octobre). Tandis que les préparatifs de ces deux colloques prenaient place durant le mois de septembre, un hebdomadaire de Hongkong et des agences de presse en Italie ont lancé l’information incroyable selon laquelle Rome et Pékin allaient normaliser leurs relations diplomatiques à cette occasion. D’autres médias de par le monde ont repris telle quelle la nouvelle. Selon ces articles de presse, une délégation italienne de haut niveau – comprenant l’ancien Premier ministre Andreotti et M. Janucci (le nom du cardinal Etchegarray a aussi été mentionné à une reprise) – aurait dû assister à la “commémoration Ricci” de Pékin. Un peu plus tard, un évêque chinois important (patriotique) se serait rendu à Rome pour assister à la “commémoration Ricci” organisée là. L’impression qui ressortait de la lecture de ces articles était que ces rencontres et échanges mutuels au plus haut niveau agiraient telle un coup de baguette magique pour normaliser les relations entre Pékin et le Vatican. Cela était-il bien réaliste ? De tels articles n’ont-ils pas plutôt et une fois de plus perturbés et finalement déçus les catholiques chinois en créant de faux espoirs ?

Même pour les experts de la question, les relations entre le Vatican et la Chine sont un ensemble complexe. Les relations diplomatiques que le Saint-Siège entretient avec un pays particulier doivent être au service de l’Eglise locale du pays en question. Si ce n’est pas le cas, quelles sont donc leurs raisons d’être ? Dans le cas de la Chine, le cœur du problème, ce qui est en jeu, n’est pas simplement la normalisation des relations diplomatiques mais la normalisation de la vie de foi des catholiques chinois dans la Chine communiste. C’est cela qui est la raison de cet article, ce qui nous motive pour l’écrire car c’est cela qui est important pour l’Eglise. Mais la normalisation de la vie de foi de l’Eglise catholique en Chine présuppose d’importants changements par rapport à la situation qui prévaut aujourd’hui et, pour parvenir à cela, les diplomates communistes et ceux du Saint-Siège auront besoin de longuement discuter, dialoguer à propos des sujets qui affectent directement la vie de foi des catholiques chinois, comme, par exemple, comment élire et nommer les évêques et leur permettre d’être les vrais dirigeants spirituels de leur Eglise locale ? Sur la question de l’élection, les droits de l’Eglise locale et la liberté religieuse ainsi que les droits des autorités civiles du pays doivent être respectés. Le Saint-Siège a conclu des dizaines d’accord à propos de la nomination des évêques dans des dizaines de pays différents, y compris avec des régimes communistes. Cela nous permet de croire que Rome sera à même de conclure un accord avec Pékin relativement facilement sur cette question. Mais les deux parties doivent aussi s’accorder sur le rôle futur de l’Association patriotique des catholiques chinois et c’est là un sujet épineux, sur lequel un accord est beaucoup plus difficile. Accepter et confirmer le rôle de cette organisation tel qu’il a été pratiqué jusqu’à présent – et tel qu’il a été redéfini par les communistes dans un document daté du 17 août 2000 – serait un désastre pour l’Eglise catholique locale. Les évêques ne seraient plus des évêques et l’Eglise ne serait plus une Eglise catholique. On peut s’attendre à ce qu’avant d’aboutir à un accord sur ce point, beaucoup de dialogue et de consultation entre les deux parties soit nécessaire. Nous croyons qu’un tel accord est possible. Mais si aucun accord n’est conclu, alors à quoi bon normaliser les relations ?

La hardiesse du pape Jean-Paul II

Le pape Jean-Paul II est resté tel qu’il est, imperturbable, par les événements de l’Epiphanie 2000 et l’agitation créée contre les canonisations. Fidèle à sa priorité de toujours, qui est de parvenir à la normalisation des relations avec la République populaire de Chine, et malgré le contexte actuel, il n’a pas hésité à prononcer son discours pour exprimer clairement et publiquement son désir de dialogue avec la Chine populaire pour aboutir à la normalisation des relations diplomatiques. Un de mes amis chinois – qui pourrait bien appartenir au Parti communiste même s’il s’en défend – a estimé que notre bon pape semble un petit peu trop désireux de normaliser ces relations. “Pourquoi le pape devrait-il quémander la normalisation des relations ? En agissant ainsi, il affaiblit sa propre position dans les négociations avec la Chine populaire ?”. Il ajoutait : “Les communistes vont chercher à tirer parti de çà !” Je pense que sa remarque est sensée et j’admets que j’ai eu, au départ, la même réaction que lui. Mais, d’un autre point de vue, je pense que le pape Jean-Paul II a atteint l’objectif historique qu’il s’était fixé. Par ce discours candide et magnanime, il a pris les devants, sinon l’avantage, dans le processus menant à la normalisation des relations entre la Chine et le Vatican, laissant Pékin non seulement sans voix mais aussi incertaine quant à la réponse à apporter. Les dirigeants chinois se retrouvent comme le dos au mur après ce discours. En se plaçant de leur point de vue, ils ne réalisent trop bien que la normalisation des relations entre Pékin et le Vatican aurait pour conséquence la fermeture de la seule ambassade que Taiwan entretient officiellement en Europe, que cette normalisation ne pourrait qu’améliorer l’image de la Chine sur la scène internationale et servirait les intérêts de la République populaire de Chine à l’heure où le pays vient d’entrer dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et se prépare à accueillir les Jeux olympiques en 2008. Mais leurs divisions internes les empêchent d’accepter le rameau d’olivier que leur offre le pape et les changements que cela implique.

Des observateurs répètent que le pape est plus que désireux de réaliser à tout prix, de son vivant, cet événement historique que constituerait la normalisation des relations entre la Chine et le Vatican. Mais le pape sait mieux que quiconque combien est complexe la solution des problèmes évoqués ci-dessus. Il peut être fort désireux, il n’en est pas pour autant naïf. Après avoir cheminé durant ces vingt dernières années sur cette route désertique et stérile qui mène à Pékin, essuyant régulièrement des accusations au sujet de “l’impérialisme du passé” et de l’ingérence aujourd’hui dans les affaires internes de la Chine, le pape Jean-Paul II a désormais pris date, à la face du monde, en prononçant cette demande de pardon inspirée de l’Evangile et en faisant part très explicitement de son désir de normaliser les relations diplomatiques. En faisant cela, il semble que le pape veuille dépasser toute la rhétorique et les slogans politiques et étaler sans ambages et le plus honnêtement du monde ses intentions. Le rameau d’olivier qu’il offre parle plus fort que tous les slogans type “guerre froide” de la Chine au sujet de l’“impérialisme”. Plus que quiconque le pape a regretté que les efforts entrepris par le président Jiang Zemin en 1999 aient échoué. Après cet échec, j’imagine, il réalise qu’il ne pourra jamais voir de ses yeux la “terre de ses rêves chinois”, parce qu’il voit les difficultés qui restent encore à surmonter. Mais son discours en toute candeur place ses intentions à la vue de tous sur les tables de l’Histoire. S’il ne peut réaliser son rêve, il le laissera à son successeur, avec dans son cœur le profond regret que non seulement le Saint-Siège a manqué une chance en 1999, mais qu’il en a été de même pour la Chine. Et la Chine le regrette aussi, mais elle ne peut se permettre de l’admettre.

Dialoguer est une preuve de courage et non de faiblesse

Tandis que le Saint-Siège maintient ouverts les canaux du dialogue avec la Chine populaire, nous, au sein de la communauté catholique chinoise, devons faire de même, pour le bien de la communauté catholique chinoise au sens large. Nous avons confiance que, même sur l’épineuse question de l’Association patriotique, une solution satisfaisante pour les deux parties peut être élaborée. Tout en demeurant fermes sur nos principes fondamentaux, nous sommes favorables à l’ouverture, évitant de brouiller l’atmosphère du dialogue. Promouvoir la canonisation d’une autre série de martyrs de Chine à l’heure actuelle – comme cela a déjà été proposé – ferait plus de mal que de bien. Canoniser des martyrs est un acte de foi de la communauté des fidèles guidés par le pape. Un tel projet demande plusieurs années supplémentaires pour mûrir. Si les canonisations sont utilisées comme un instrument de confrontation, elles perdent toute leur signification. Et si nous permettons – ne serait-ce qu’une seule fois – qu’un outsider instrumentalise les canonisations pour atteindre un objectif politique, nous commettrions une offense envers les martyrs eux-mêmes.

L’évangélisation se comprend aujourd’hui dans le dialogue. Notre faculté à dialoguer est mise à l’épreuve en Chine : dialogue avec la société, avec les autres religions et également avec les athées. En offrant un rameau d’olivier à la Chine, le pape Jean-Paul II a montré que le dialogue n’est pas une preuve de faiblesse mais un acte de courage.