Eglises d'Asie

PEKIN EST PRET A RECONNAITRE AUX RELIGIONS UN PLUS GRAND ROLE DANS LA SOCIETE POUR AUTANT QUE LES AUTORITES PUISSENT EXERCER UN MEILLEUR CONTROLE SUR ELLES

Publié le 18/03/2010




« Plus près de toi, mon Dieu » n’a jamais fait partie des slogans attitrés du Parti communiste chinois. Toutefois, parce que la stratégie des dirigeants chinois actuels est d’élargir au maximum les soutiens sur lesquels le Parti peut compter et de renforcer le contrôle exercé sur la société, Marx et Dieu tout à coup ne paraissent plus incompatibles.

Une réunion de travail au plus haut niveau au sujet des questions religieuses s’est tenue le 10 décembre 2001 à Pékin. D’une durée de trois jours, cette réunion a rassemblé les sept membres du Comité permanent du Politburo et est considérée par des diplomates et les milieux religieux com-me particulièrement importante. Le Quotidien du Peuple lui a consacré une large couverture et elle est analysée comme faisant partie intégrante de la politique du président Jiang Zemin qui vise à étendre l’influence du Parti jusqu’aux sec-teurs les plus dynamiques et porteurs de la société chinoise.

Selon des diplomates et des sources appartenant aux milieux religieux, un résultat concret de cette conférence est qu’il va devenir plus facile pour les Eglises et autres organisations religieuses de s’enregistrer auprès des autorités étatiques. L’objectif recherché est d’amener les groupes religieux, qui agissent aujourd’hui de manière indépendante, dans la sphère de contrôle de l’Etat ; ainsi, quelques-uns des millions de membres des Eglises « clandestines » pourraient être officiellement enregistrés comme « croyants ». Cela pourrait permettre de réduire le risque d’être pris et arrêté lors des campagnes menées par les autorités à intervalles réguliers et qui visent à empêcher les rassemblements religieux non autorisés. Mais, simultanément, cela pourrait aussi signifier un très net accroissement des risques que courent ceux qui sont laissés en-dehors du champ officiel.

Bien que les cinq grandes religions officiellement reconnues en Chine soient concernées par la réunion du 10 décembre, ce sont les Eglises protestantes qui devraient en être les principaux et immédiats bénéficiaires. Aux termes de la législation actuelle, les communautés catholiques et protestantes doivent être respectivement enregistrées auprès de l’Association patriotique des catholiques chinois et auprès du Mouvement des Trois autonomies. Mais l’histoire des relations entre les Eglises « officielles » et « clandestines », faite, entre autres, d’acrimonie, a créé des barrières quasi infranchissables, de nombreux membres des communautés « clandestines » considérant que l’enregistrement auprès de ces Associations patriotiques est synonyme de reddition. Dans le cas des protestants, des dénominations particulières sont comme dissoutes au sein du Mouvement des Trois autonomies. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas s’enregistrer parce qu’ils craignent que les caractères spécifiques de leur dénomination soient dilués dans le Mouvement. Désormais, les nouvelles règles proposées permettraient leur enregistrement en tant qu’entités distinctes auprès du Bureau des Affaires religieuses – sans avoir à s’enregistrer auprès de l’Eglise officielle. Cela devrait donc leur permettre de conserver leur statut propre en tant que dénominations particulières.

Ce projet de règles nouvelles est destiné en premier lieu aux Eglises protestantes mais, selon certains observateurs, il pourrait également concerner ceux des catholiques « clandestins » qui refusent de sortir au grand jour pour s’enregistrer auprès de l’officielle Association patriotique mais seraient prêts à être enregistrés directement auprès du gouvernement. Dans l’éventualité d’un rapprochement entre Pékin et le Vatican, ces nouvelles règles pourraient contribuer à guérir les blessures nées de la division de l’Eglise catholique en Chine. La Chine a expulsé tout le clergé missionnaire et rompu ses relations avec le Vatican dans les années 1950.

Comme pour les autres réunions au plus haut niveau du Parti, la pleine signification de cette réunion n’apparaîtra véritablement qu’au fur et à mesure que les discours à venir du président Jiang et du Premier ministre Zhu Rongji permettront aux cadres d’étudier à tous les niveaux de la hiérarchie la signification et la portée de ces nouvelles mesures. Si les notes et études politiques qui ont circulé avant la réunion du 10 décembre survivent telles quelles, sans que leur contenu soit altéré, cela pourrait bien former « le développement le plus significatif en matière de politique religieuse depuis la fin de la Révolution culturelle », estime Jason Kindopp, de la Brookings Institution et spécialiste des questions religieuses en Chine.

Il semble évident qu’en mettant l’accent ainsi sur le rôle de la religion en Chine, Jiang Zemin poursuit l’élaboration de la vision du Parti de demain qu’il a ébauchée avec ses « Trois représentations ». Le 11 juillet dernier, à l’occasion d’un discours prononcé pour le 80e anniversaire du Parti, Jiang Zemin avait introduit cette nouvelle théorie, ouvrant la porte du Parti aux entrepreneurs privés. Il avait aussi loué les anciens ennemis de classe du Parti pour leurs contributions à la société.

Dans le discours qu’il a prononcé lors de la réunion de travail sur la religion, Jiang Zemin a loué le rôle dans la société des « grandes masses de croyants » et souligné les contributions sociales des religions, y compris dans le domaine des aides d’urgence aux régions touchées par des catastrophes naturelles. En écho à ses propos, on pouvait lire dans le Quotidien du Peuple du 12 décembre le commentaire suivant : « Les travailleurs, les paysans, les intellectuels, les techniciens et les scientifiques de différentes croyances religieuses travaillent dur à leurs postes respectifs de travail. »

Dans leurs discours lors des trois jours de réunion de décembre dernier, Jiang Zemin et Zhu Rongji ont appelé à la formation d’organisations du Parti parmi les croyants de base des religions, au renforcement du rôle dirigeant du Parti sur le travail religieux et à une gestion plus étroite des affaires religieuses en zone rurale. « L’approche de Jiang Zemin sur ces questions est similaire à celle qu’il avait développée au sujet du secteur privé dans son discours de juin, analyse un observateur étranger. Il s’agit d’exercer un contrôle. Le fait qu’un grand nombre de Chinois, et de Chinois influents, se trouvent en-dehors du giron du Parti, est considéré comme dangereux pour le Parti. »

L’attention portée au plus haut niveau aux religions découle en partie du désir de séparer ce que le Parti considère comme les religions légitimes qui peuvent contribuer à la stabilité sociale des mouvements tels que le Falungong, étiqueté par les dirigeants chinois comme « secte maléfique » et qu’une très sévère répression cherche à éradiquer. Pékin semble également motivé par des événements tels que ceux du 11 septembre aux Etats-Unis et la guerre menée en Afghanistan qui a suivi – événements qui sont analysés comme entretenant un lien avec une pratique religieuse extrême. « Leur compréhension des questions religieuses est que la religion est source de conflits. Par conséquent, ils tiennent à conserver un œil attentif sur ces questions », commente une source appartenant aux milieux religieux.

Les nouveaux textes régissant l’enregistrement des groupes religieux donnera au gouvernement un meilleur contrôle sur les groupes ecclésiaux mais ils ont aussi des conséquences importantes sur la position du Mouvement des Trois autonomies, lequel va voir son monopole remis en question dans de nombreuses régions. « Dans certaines régions, [les fidèles des Eglises protestantes « clandestines »] sont largement supérieurs en nombre aux membres du Mouvement des Trois autonomies ; ils peuvent parfois se montrer dominants », affirme une source religieuse. Cela pourrait, à terme, signifier la ré-apparition de réelles distinctions au sein des différentes dénominations protestantes.

De fait, cela fait plusieurs années que des enregistrements distincts ont lieu dans nombre de villes. A Yanji, par exemple, ville proche de la frontière avec la Corée du Nord, un séminaire protestant est enregistré de façon distincte de l’Eglise protestante rattachée au Mouvement patriotique des Trois autonomies. Dans certains districts de la province du Yunnan, il n’existe pas de représentation officielle de l’Eglise et pourtant plusieurs Eglises chrétiennes sont directement enregistrées auprès du Bureau des Affaires religieuses, rapporte une source religieuse. Il apparaît que le gouvernement cherche à adapter sa politique aux réalités du terrain.

Par ailleurs, les progrès réalisés au début de cette année à propos de la question des relations entre le Vatican et la Chine semblent marquer le pas. « La politique et l’attitude [des autorités] sont les mêmes. Nous n’avons pas noté de changements fondamentaux dans ce domaine », assure un universitaire chinois. Des sources de l’Eglise catholique font part de leur déception face à la réponse de la Chine aux excuses du pape Jean-Paul II pour les erreurs commises par des membres de l’Eglise par le passé en Chine. En insistant sur le fait que le pape doit demander pardon pour la canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine le 1er octobre 2000, jour anniversaire de la prise du pouvoir par les communistes en 1949, Pékin semble vouloir pour l’heure s’en tenir au statu quo. Ces canonisations « ont été un camouflet à la figure des autorités chinoises et un désastre tant politique que diplomatique pour l’Eglise en Chine », assure un prêtre basé à Pékin.

Mais la demande de pardon formulée par le pape à l’occasion de la célébration du 400e anniversaire de l’arrivée du jésuite Matteo Ricci à Pékin a donné au gouvernement chinois tout ce qu’il voulait, sauf des excuses pour les canonisations, analyse un diplomate. Selon certaines informations, le Vatican a fait part, via de discrets canaux de communication, de ses regrets pour le choix de la date retenue pour ces canonisations mais Pékin demande des excuses officielles pour les canonisations elles-mêmes, un geste qu’il serait de toute évidence très difficile au pape de faire.

Il y a eu des signes avant-coureurs que Pékin cherchait à freiner le processus d’amélioration des relations avant même que cela ne devienne évident. Une délégation composée de l’ancien Premier ministre italien Giulio Andreotti et de délégués du Vatican était attendue à Pékin et devait assister à un colloque organisé à propos de Matteo Ricci, et ce deux semaines avant la tenue du colloque à Rome où le pape a prononcé son discours d’excuses à la Chine. Mais, selon des sources de l’Eglise catholique, Pékin, craignant que les événements ne s’enchaînent trop rapidement à son goût, fit savoir que Giulio Andreotti et les délégués du Vatican n’étaient pas les bienvenus et que leur visite était par conséquent annulée. Des sources de l’Eglise catholique en Chine sont désormais nettement moins optimistes quant à une éventuelle normalisation imminente des relations entre le Saint-Siège et la Chine qu’elles ne l’étaient avant la célébration de l’anniversaire de Matteo Ricci.

Et pourtant, les contacts se poursuivent entre la Chine et le Vatican. Un article publié en novembre dans la revue chinoise – et très officielle – La Vie hebdomadaire donne du crédit à une information d’origine française selon laquelle l’ambassade de la République populaire de Chine à Rome et le Vatican auraient eu plus de 20 contacts l’an dernier. Des sources proches de l’Eglise catholique et des diplomates affirment qu’un diplomate de haut rang en poste à Genève a été impliqué dans les négociations. Ces mêmes sources font aussi référence au rôle d’émissaire joué par deux prêtres chinois qui étudient en ce moment à la bibliothèque vaticane.

Dans le même temps, l’établissement de liens entre la partie « officielle » et la partie « clandestine » de l’Eglise catholique en Chine se poursuit, malgré ce que certains analystes décrivent comme l’opposition très amère de certains éléments de l’Eglise « clandestine ». Le Vatican incite les membres de l’Eglise « clandestine » à se réconcilier avec ceux de l’Eglise « officielle » dans l’espoir que cela rendra plus aisée la conclusion d’un accord avec Pékin. Des discussions ont eu lieu entre les deux parties dans des diocèses de Chine récemment. Des sources de l’Eglise catholique estiment qu’au moins 70 % des évêques [« officiels »] chinois sont à la fois reconnus par la Conférence épiscopale « officielle » et par le Vatican et qu’un nombre de plus en plus important cherche à obtenir l’aval du pape avant de recevoir l’imprimatur de Pékin.