Eglises d'Asie – Chine
DIALOGUER AVEC LA CHINE, A UN TOURNANT DE SON HISTOIRE, EN S’INSPIRANT DE MATTEO RICCI
Publié le 18/03/2010
Du 14 au 17 octobre 2001, un symposium international s’est tenu à Pékin, en souvenir du quatrième centenaire de l’arrivée de ce « sage de l’Occident » dans la capitale de l’empire chinois. (Avant lui, sous la dynastie Ming, le privilège d’habiter à l’intérieur des murailles de cette ville n’avait jamais été accordé à un étranger).
Organisé par le Ricci Institute de l’université de San Francisco (aux Etats-Unis) et par l’Institut des grandes religions de l’Académie chinoise des Sciences sociales (CASS), cette rencontre a eu lieu dans le moderne Centre international d’éducation à la communication qui se trouve près d’un Institut technologique de Pékin avec qui les universités des jésuites américains ont établi un projet de collaboration. Les questions traitées dans les 36 exposés présentés par les chercheurs venus de 18 pays embrassaient les aspects les plus variés de cette lointaine époque qui marque les ultimes splendeurs des Ming et l’ascension de la dynastie des Qing. Sept grands thèmes d’étude avaient été identifiés et groupés : des premières tentatives diplomatiques à l’impact du nouveau message sur les divers contextes locaux, à la conservation et l’utilisation des riches archives de l’époque.
A cette occasion, a été présentée à l’ambassade d’Italie une précieuse copie de la mappemonde offerte à l’Empereur par Matteo Ricci. Le titre du symposium – « Rencontres et Dialogues » – qui s’affichait sur la vaste salle décorée par un artiste moderne répondait à une série de peintures retraçant des thèmes ou des scènes chers à Ricci – ce qui paraissait inviter les 90 chercheurs présents (dont quatre seulement étaient italiens) à ne pas s’attarder sur le passé. En réalité, la situation actuelle, et ce qu’on peut en prévoir, n’a été abordé d’abord qu’à la dérobée, et surtout pas dans les discours officiels. Par ailleurs, en dépit du programme totalement apolitique, la conférence avait connu depuis trois ans une difficile période de gestation et, selon la pratique chinoise, la presse comme le grand public en étaient exclus.
L’évènement historique célébré à Pékin rappelle aussi le congrès organisé la semaine suivante (les 24 et 25 octobre) à Rome, à l’Institut italo-chinois et intitulé « Matteo Ricci : pour un dialogue entre la Chine et l’Occident » (1). L’initiative romaine, résultant de la visite en Chine, à l’automne dernier, du nouveau président de l’Institut fondé par le sénateur Vittorino Colombo, trouva son achèvement à l’université grégorienne pontificale où le P. Ricci lui-même et ses compagnons avaient été formés (la Grégorienne s’appelait alors le Collège romain).
Au cours de ces travaux à la Grégorienne ont aussi été abordés des thèmes proches de la réalité contemporaine. Et même si les interventions des professeurs Gu Weiming (Shanghai), Huang Shijian (Hanzhou), John Witch (Georgetown, USA) et Y. Camus (Macao) ainsi que celles des Italiens Piero Corrandini, G. Ricciardolo, F. Rurale et P. F. Fumagalli se sont limitées à des recherches universitaires sur la figure et l’œuvre de Matteo Ricci, l’intérêt pour la réalité contemporaine se manifestèrent par l’historien chinois Lin Jinshui (Fuzhou) et par l’Italien M. Nicolini-Zani qui ont exposé l’intérêt croissant du monde universitaire chinois pour les études faites par le P. Ricci et, d’une façon plus générale, pour le christianisme. Et le professeur Ren Yanli de la CASS a même parlé d’une nouvelle phase du dialogue entre la Chine et l’Occident, allant « de la querelle des rites à la voie chinoise’ en passant par le concile Vatican II ». Le président de l’Institut Romiti, et le sénateur Giulio Andreotti, président d’honneur du même institut, et auteur d’une récente biographie de Ricci, ont, par la suite, développé ce qui fait le lien avec le présent. Tous deux ont affirmé leur conviction qu’un dialogue fructueux entre la Chine et l’Occident est encore possible et souhaitable, s’inspirant justement de l’esprit de Matteo Ricci. Il faut dépasser la phase des échanges anonymes propres à une certaine économie « globalisante » et prendre appui sur les bases solides du nouvel équilibre mondial qui se fait jour, ce qui suppose une rencontre en profondeur des civilisations et un dialogue suivi sur les valeurs qui constituent la vraie richesse des peuples du monde entier.
La participation du cardinal Etchegaray a mis en valeur ce congrès de Rome. Le pape Jean-Paul II a voulu y donner une particulière importance par un nouveau message (2). Ses paroles, évoquant le grand nom de Matteo Ricci, reconnu aujourd’hui comme un véritable ami de la Chine, équivalent à la pleine reconnaissance du rôle que l’immense pays est destiné à jouer dans l’établissement d’un nouvel ordre mondial. Elles visent aussi à obtenir pour les catholiques chinois la possibilité de contribuer pleinement au progrès matériel et spirituel de leur patrie, en climat de paix et d’harmonie.
Pékin – le Vatican : l’heure du réalisme
Cet appel ouvre-t-il finalement la porte à un dialogue clair et constructif ? Au début d’octobre, un hebdomadaire bien connu de Hongkong publiait une correspondance émanant de Pékin et très amplement diffusée par un communiqué de presse (3). Se référant à d’imprécises « sources diplomatiques et ecclésiastiques on y affirmait que « se prépare un grand triomphe pour le président Jiang Zemin et pour le pape Jean-Paul II
La Chine et le Vatican se préparent à combler les différences historiques qui les séparent et pourraient même arriver à établir de complètes relations diplomatiques. D’après l’auteur de l’article en question, Pékin y serait poussé en raison de considérations politiques, visant à isoler Taiwan, dont le statut n’est reconnu en Europe que par le Saint-Siège et qui est très affaibli par la reconnaissance de cet Etat par une demi-douzaine de pays latino-américains. Deux conférences, de Pékin et de Rome, auraient donné lieu à cette sensationnelle conclusion où l’auteur de l’article voit « une série de déclarations et de rencontres méticuleusement orchestrées Mais les prévisions de la revue, valables du point de vue économique mais non pas également du point de vue religieux, ont été démenties par les faits.
D’autre part, un chercheur bien connu de Pékin, le professeur He Guanghu, dans un article diffusé sur Internet, commente l’anniversaire de l’entrée de Matteo Ricci à Pékin observant que, si la Chine résout la question des relations du Saint-Siège avec Rome, qui représente la tradition occidentale, il en résultera, pour les deux partis et pour la communauté humaine toute entière, des avantages incontestables. Le professeur He n’a pas pris part à l’organisation du symposium et, depuis plusieurs semaines, a quitté l’Académie des Sciences sociales pour enseigner à l’université du Peuple (représentant une structure académique du parti). Eh bien, il déclare que, des deux côtés, l’avenir des rapports entre le Saint-Siège et la Chine demande plus de réalisme. Il rappelle aussi que, historiquement, l’épineuse « querelle des Rites » fut résolue, quand, de la part de Rome (en 1939), il fut reconnu qu’il s’agissait, là, d’un point de vue culturel plutôt que de la défense de l’intégrité de la foi. Ainsi, le gouvernement nationaliste d’alors, admettant la séparation de la politique d’avec la religion, reconnut la liberté religieuse sans contre-partie politique.
De récents commentaires apparus dans la presse italienne (4) remarquent également que l’avenir des relations entre la Chine et le Vatican exige des deux côtés plus de réalisme. Le gouvernement chinois doit re-considérer sur quels sujets il espère pouvoir entamer un dialogue avec l’Eglise catholique, tandis que, pour le Vatican, il faudra, probablement, faire un effort pour tenir compte de l’histoire et d’une réalité destinée à durer encore longtemps.
La Chine en présence de nouveaux protagonistes internationaux
En cherchant à faire le point sur la situation, nous y distinguons plusieurs aspects à prendre en considération.
L’an dernier, à l’occasion de la canonisation des 120 martyrs de Chine, une violente campagne de mises en accusation se déversait sur l’immense pays, mettant en question par tous les moyens de communication et contraignant les représentants des communautés et même ceux des autres religions à prendre position. On y dénonçait la prétendue offense à la dignité nationale et reprenait les vieux « clichés » présentant la totalité de l’activité missionnaire du passé comme une intolérable agression culturelle.
Depuis lors, une année est passée et bien des choses ont changé dans le monde. La Chine, quant à elle, a affirmé un poids prépondérant – et pas seulement dans le domaine économique – dans l’équilibre mondial, aux côtés des Etats-Unis et de l’Europe. Ces jours derniers, entre les deux conférences traitant de Ricci, a eu lieu à Shanghai un important meeting pour relancer l’économie de la zone Asie/Pacifique et rappeler aussi une commune volonté de combattre le terrorisme. Le président chinois Jiang Zemin n’hésitait pas à s’engager dans ce sens (5).
Depuis bien des années la Chine est un énorme chantier, non seulement au sens littéral du mot (les constructions y transforment la physionomie de toutes les villes) mais aussi par l’effort de faire concorder la législation et le système judiciaire à plus de légitimité et de transparence. Le gouvernement de Pékin, dans le passage progressif à l’économie de marché, doit faire face aux conséquences qui dérivent de la privatisation et de la fermeture d’entreprises désuètes. Aussi doit-il procéder à des investissements massifs pour créer de colossales infrastructures, afin d’employer des millions de chômeurs. Les priorités qui alourdissent l’agenda des dirigeants de Pékin sont multiples – ne serait-ce que par suite de l’étonnante contradiction entre le pouvoir officiel et le parti unique. D’ailleurs, la surprenante ouverture du parti communiste à la nouvelle classe du capitalisme, récemment annoncée par Jiang Zemin (6), n’a pas manqué de susciter de fortes réactions internes. Cela n’a pas empêché Jiang Zemin d’affirmer, au cours d’une longue interview accordée aux dirigeants du New York Times : « Je ne crois pas que, lorsque je me retirerai de la scène politique, il y aura des changements dans la direction que nous avons établie » ; il ajoutait ceci : « Ce qu’il importe de faire, c’est une combinaison des principes fondamentaux du marxisme avec les conditions de la réalité chinoise Il rappellait que la pensée de Marx, Engels, etc. doit être adaptée au changement des conditions historiques (7). Un chercheur américain, R.A. Manning, reconnaît que la Chine a obtenu de grands succès au cours des 22 ans qui ont suivi l’application des réformes et de la politique d’ouverture « libérant de la misère 250 millions de personnes et plus que quintuplant le niveau moyen des ressources des familles Mais Manning ajoutait : « Chaque pas en avant dans ces transformations a engendré de nouvelles séries de problèmes Il est convaincu que c’est dans l’avenir que ces changements pourront se réaliser, car « on est à peine passé d’une tradition de « guanxi » où réussite et promotion dépendent de relations et de contacts personnels à un régime fondé sur la loi Le même spécialiste ajoutait encore : « La profondeur des problèmes internes qui se posent a été confirmée par un rapport particulièrement éloquent publié le mois dernier par un groupe dépendant du Comité central du Parti communiste. On y expose que les « protestations collectives et les fâcheux incidents de groupe » (qui ont été vérifiés) sont en nombre croissant ». Le rapport cite la corruption comme « l’étincelle qui exaspère davantage les conflits entre les masses et les milieux officiels » (8).
La « Longue marche » vers une société nouvelle
Il ne fait aucun doute que l’envahissante corruption détruit inexorablement la crédibilité du système politique chinois. Certains cas sensationnels comme la condamnation à mort du maire adjoint Ma Xiangdong (à Shenyang, capitale de la province de Liaoning) montrent bien que, pour les dirigeants, c’est là leur plus grande préoccupation et quelle proportion a pris le mal. Dans le scandale de Shenyang ont été aussi inculpés le maire, le procureur général et le vice-président du tribunal civil, en tout dix personnes haut placées dont l’activité se rapportait à la criminalité organisée et aux jeux de hasard de Macao. Un autre cas qui a fait grand bruit en Chine, c’est celui de l’arrestation de Huang Zhengxian, chef en second de la police, dans une ville de la province du Guanxi ; il avait été accusé d’être à la tête de la mafia locale et d’avoir eu des rapports avec les fameuses Triades. Et, ces jours derniers, s’est répandue la nouvelle de la condamnation à mort d’un ex-ministre de la police, Li Jizhou, lequel, ayant été chargé de promouvoir une campagne nationale contre la contrebande, avait en réalité, partie liée avec une bande criminelle de Xiamen, en Chine méridionale. De plus, pour les observateurs occidentaux attentifs, comment ne pas mettre en lumière les lourdes complicités de certains gouvernements locaux dans l’immigration illégale qui provient des provinces du Fujian et Zhejiang vers l’Europe et l’Amérique ? Comment également ne pas s’interroger sur les voie qu’empruntent pour sortir du pays les stupéfiants qui sont produits dans les régions frontalières de la Birmanie (9). Comme l’affirmait la délégation chinoise à la dixième session de la Conférence internationale contre la corruption qui a lieu à Prague, le gouvernement chinois est déterminé non seulement à sanctionner les cas de corruption, mais aussi, pour les prévenir, à procéder à des changements dans les institutions.
Alors qu’on attend l’entrée définitive de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le gouvernement s’efforce d’accélérer l’« aggiornamento » des diverses dispositions administratives. Ainsi, ont été abolis 71 règlements, tandis que 80 autres subiront le même sort. Dans la même ligne, « le gouvernement chinois adresse un vigoureux appel à toutes les autorités locales : la transparence sur le plan légal ne peut rester lettre morte Dans la course à l’économie de marché, le gouvernement central avait, à la fin de 2000, réformé 756 règlements et, plus récemment, les autorités locales avaient produit plus de 7 000 documents législatifs. « A l’accroissement des lois, observe-t-on, s’accroît aussi la confusion pour l’interprétation de dispositions qui apparaissent souvent contradictoires (.). C’est une tâche difficile pour le gouvernement, tâche difficile mais nécessaire d’élaborer des règles politiques transparentes qui seraient en même temps fermes et mises en application » (10).
Dans cette absence de valeurs qui a donné lieu à la course sauvage à l’enrichissement, la lutte contre la criminalité risque d’échouer, en dépit de la nouvelle impulsion que lui a donnée le président Jiang Zemin, décidant de « frapper dur En une année, les exécutions capitales ont été en Chine plus nombreuses que dans tous les pays réunis du reste du monde (11).
Politique et droits de l’homme, le défi du futur
A côté du discours économique, le discours politique ne peut être évité. Le professeur Jürgen Habernas, bien connu à Francfort, n’hésite pas à dire : « Après que Pékin a libéré l’économie, il n’existe plus, à l’heure d’Internet, aucune possibilité de contrôler les esprits. A supposer même que la classe dirigeante le voulut, elle pourrait difficilement s’opposer au débat des intellectuels sur les droits de l’homme, la démocratie et l’ouverture politique » (12). Toujours d’après Habernas : « Les Chinois ne disent pas : nous ne voulons pas les droits de l’homme Mais ils disent « nous voulons les interpréter autrement qu’en Occident La Chine veut garantir tout d’abord les droits sociaux qui devraient être obtenus par les masses ; les droits politiques ne viendraient qu’après. « Les défenseurs « des droits asiatiques » font remarquer avec insistance que, selon la tradition chinoise, les devoirs des citoyens priment sur leurs droits Et si, en ce moment, la classe dirigeante veut demeurer au pouvoir, c’est parce qu’elle n’admet ni la liberté de la presse, ni la participation à la politique, ni le pluralisme idéologique. On peut seulement espérer que les élites politiques arrivent à se convaincre que les blessures portées au nouveau capitalisme ne pourront être guéries que par une démocratie quelque peu efficace, « par le dialogue, par la défense de l’individu. Ce qui suppose que l’on confronte dialectiquement la vision de la Chine et celle, si différente, de l’Occident – qui ne se présenterait pas sous un style colonial. Nous devons les considérer comme les héritiers d’une culture qui, pendant bien longtemps, a été supérieure à la culture européenne. Il faut les respecter en tant que tel Pour échapper au danger d’un isolement politique de dimensions mondiales, « on doit travailler avec eux avec loyauté, sur la base d’un respect réciproque. L’Europe y est impliquée avec un grand espoir La République populaire de Chine a été désignée pour organiser les Jeux olympiques de 2008. Il faut y voir un signe de confiance et une volonté d’effort constructif. Cet événement portera les yeux du monde entier sur la scène chinoise – mais constitue aussi un défi adressé au gouvernement du pays à presser le pas afin de résoudre la quantité de problèmes encore non résolus.
Quand, il y a déjà longtemps, le politologue de l’université de Harvard Samuel Huntington formulait, comme un péril probable, l’hypothèse du choc des civilisations, il pensait alors à un Occident destiné à entrer en collision avec le monde musulman ou avec d’autres grandes cultures. La tragédie du 11 septembre a rendu dramatiquement inquiétante la première de ces hypothèses. Toutefois s’engage un effort continu de l’Occident et de l’Orient (même musulman) pour concentrer la lutte désormais inévitable, sur le terrorisme international et non sur l’islam en tant que tel. Les diverses situations des autres grandes civilisations (et tout particulièrement dans tout l’espace où se pratique le confucianisme, dans l’Asie orientale) ne doivent pas représenter un état de lutte entre les civilisations, mais bien plutôt une invitation à examiner dans un esprit de loyale confrontation et de respect réciproque (à l’exemple de Matteo Ricci) les nombreux problèmes qui se présentent, aboutissant à une synthèse bénéfique à toute l’humanité.
La difficile recherche d’un langage commun
A la suite des fortes pressions de Pékin pour que fussent adoptées de sévères mesures contre la « secte maléfique » Falungong (13), un intéressant débat a eu lieu à Hongkong, réunissant un groupes de parlementaires locaux désireux de discuter avec des représentants des diverses religions sur la délicate question de la liberté religieuse. Au cours de cette discussion s’est imposé le fait qu’à ce sujet il y a des définitions largement acceptées dans le monde international, mais certains autres pays en donnent une interprétation particulière (comme l’Arabie Saoudite où la loi interdit aux chrétiens d’exprimer leur foi, de quelque façon que ce soit). Quant à la République populaire chinoise, elle déclare que la liberté religieuse est protégée par la loi. Cependant, elle considère comme illégaux les actes de culte qui n’ont pas lieu dans les centres qui n’ont pas reçu l’approbation spéciale de l’autorité. En général, les représentants des religions contestent le droit et la compétence des gouvernements à définir ce qu’est une religion et réprouvent qu’on porte un jugement moral sur l’une ou l’autre croyance (14).
Les autorités chinoises se préoccupent d’atténuer l’impression défavorable qu’a donné la canonisation des 120 martyrs et l’opposition qu’ont suscitée dans le monde entier les mesures prises contre le Falungong, ce qui explique l’initiative prise, l’an dernier, par le Bureau de liaison du gouvernement central de Hongkong d’inviter à Pékin et à Shanghai une importante délégation de représentants des principales religions existant dans l’ex-colonie britannique, y compris les disciples de Confucius. Et, dans la capitale, les responsables des questions religieuses ont affirmé, entre autres choses, que la polémique sur les canonisations devait être considérée comme « une affaire du passé » et, ainsi que le directeur du Bureau des Affaires religieuses (BAR) Ye Xiaowen l’a répété à un représentant catholique, la Chine est toujours prête à « négocier » avec le Vatican (15). D’autre part, suite aux prétendues révélations de la Far Eastern Economic Review sur d’imminentes négociations avec le Vatican, le porte-parole du ministre chinois des Affaires étrangères rappelait ce qui n’avait pas changé, c’est-à-dire que « le Vatican ne doit pas intervenir dans les affaires intérieures de la Chine, et surtout en prenant prétexte la religion » (16).
D’après le Livre blanc sur la liberté religieuse publié l’an dernier par le gouvernement de Pékin, la situation, en Chine sur la liberté religieuse n’a jamais été aussi favorable qu’à présent. Et pourtant, il faut reconnaître que le premier obstacle à un vrai dialogue vient de la signification différente qu’on donne aux paroles, ce qui fait qu’on n’attribue pas le même sens à une même réalité.
A ce propos, il faut lire avec attention la longue étude faite sur l’activité religieuse en Chine au début du siècle, par le déjà cité Ye Xiaowen, directeur du Bureau des Affaires religieuses – étude parue dans le prestigieux quotidien Guang Ming Ribao, le 17 mai 2000 (17). Il y présente, en ce contexte, la formule marxiste classique : « La religion est un processus de croissance, de développement et de disparition Il affirme ensuite que la religion est destinée à disparaître, « même si elle existera pendant longtemps dans la société capitaliste Notre parti, dit-il, a relié le concept marxiste de la religion à la question religieuse telle qu’elle existait en Chine pendant cette première étape du socialisme. L’un des dix points de son exposé sur le programme du parti en ce domaine consiste à « développer l’éducation des masses, particulièrement chez les jeunes, et à leur inculquer une vision scientifique du matérialisme dialectique et historique (y compris l’athéisme) de sorte à élever le niveau du savoir scientifique et de l’éthique Ye Xiaowen résume son activité en trois paroles-clef suggérées déjà en 1993 par le président Jiang Zemin : « réaliser la politique de Pékin, renforcer le contrôle sur les activités religieuses conformes à la loi, orienter la religion pour qu’elle s’adapte à une société socialiste Ainsi, on en est resté à la vieille conception marxiste du phénomène religieux, même si, à partir d’analyse bien documentées de lettrés chinois, on ne répète plus ce vieux slogan que « la religion est l’opium du peuple Mais la praxis ne semble avoir guère changé. Ainsi, l’interdiction d’enseigner la religion aux jeunes de moins de 18 ans est-elle toujours officiellement en vigueur – appliquée arbitrairement par les fonctionnaires locaux. Les familles et les communautés chrétiennes, pour remédier à cet état des choses, ont-elles organisé, pendant l’été, des cours et des sessions récréatives pour les plus jeunes enfants. Autre conséquence de cette mentalité est l’exclusion des publications religieuses des librairies. Il s’agit là, évidemment de littérature « polluante Comme l’explique le chercheur, Anthony Lam, du Holy Spirit Study Center de Hongkong (18), l’article de Ye Xiaowen met l’accent sur la politique et demande de renforcer le contrôle de la religion afin d’en « promouvoir l’adaptation » au socialisme. Ce qui signifie que « la religion doit radicalement changer Le parti veut la transformer, par la sécularisation, en un utile instrument politique (19). Anthony Lam observe que « le système qui gère les affaires religieuses et qui continue à contrôler le personnel religieux reste puissant et donne un grand pouvoir à ceux qui le dirigent Il commente ainsi amèrement : « A cette époque de l’histoire, où le mouvement de réformes de la Chine fonctionne à plein régime, où chacun, dans les divers secteurs de la société chinoise, s’efforce de se conformer aux « standards » internationaux, l’obstination de ceux qui dirigent les affaires religieuses est réellement frustrante et déconcertante
En conséquence, ils sont peu nombreux, en Chine, à penser que puisse évoluer en mieux le système adopté par rapport à la religion. Trop d’intérêt y sont impliqués. Une courageuse décision des autorités suprêmes s’impose pour conformer la position de l’Etat aux standards internationaux en matière de religion, en dépassant la tentation de manipuler la religion à des fins politiques.
A la recherche d’un Etat de droit
Une des conquêtes pour lesquelles la Chine a lutté, c’est l’adoption d’une législation moderne qui aide à s’opposer aux décisions de l’arbitraire. Mais il y a une équivoque en ce qui concerne les lois relatives à la religion, lois auxquelles tous les citoyens sont tenus de se conformer. Comme on le sait, après la désastreuse Révolution culturelle, il ne restait plus aucune possibilité de liberté religieuse. Mais une ligne idéologique et pratique, pour encadrer la nouvelle phase d’affirmation de la liberté, fut tracé par le Comité central du Parti, s’appuyant sur le document 19, bien connu, émis le 31 mars 1982 – auquel s’inspire aussi l’article déjà cité de Ye Xiaowen. Toutefois, plutôt qu’élaborer une loi-cadre dont on a parlé longuement au début des années 1980, on en est venu à multiplier les règlements pratiques, jusqu’au niveau provincial et local. Et plus de 50 documents et règlements ont été émis de 1981 à nos jours, destinés, disait-on, à répondre à un besoin de contrôle plus efficace des activités religieuses (20). Face à cette forêt de dispositions administratives qui laisse les croyants sans défense, à la merci des fonctionnaires du secteur, il est facile d’imaginer jusqu’où peuvent aller les procédés arbitraires (21). Divers observateurs étrangers se demandent si aujourd’hui les leaders chinois sont véritablement marxistes. Beaucoup, sans doute, ne le sont plus, mais il ne manque pas, certainement, de théoriciens et de nostalgiques de l’orthodoxie marxiste. C’est aujourd’hui le pragmatisme qui domine. Et la politique de liberté religieuse se réduit à assurer, à travers surtout les associations patriotiques, un efficace contrôle, que ne soutiennent pas les expressions spontanées de la base (comme l’exprime le Livre Blanc) mais bien plutôt les structures de dépendance du Parti.
En avril, 1982 fut approuvée une nouvelle Constitution de la République populaire de Chine qui contient un article consacré à la liberté religieuse. On y dit, entre autres choses, que personne ne peut contraindre un citoyen à croire ou ne pas croire à une religion donnée – et on ne peut établir une discrimination entre les citoyens qui croient ou ne croient pas à une certaine religion. Mais n’est-elle pas une discrimination par la violence, par des arrestations arbitraires et de graves condamnations, d’avec les catholiques (prêtres, évêques ou laïcs) qui « s’obstinent » à exprimer leur pleine union au Souverain Pontife pour ne pas trahir leur conscience ? N’y a t-il pas discrimination à l’égard de qui professe une religion bien spécifique, en contradiction déclarée avec l’article 36 de la Constitution ? Et toute cette pression (non seulement théorique) pour faire plier les religions (et par conséquent l’Eglise catholique) aux exigences du socialisme ne va-t-elle pas contre le droit constitutionnel des citoyens de pouvoir garder intacte la foi qui leur est propre ?
Ils sont donc peu nombreux, en Chine, à s’attendre à ce que le système pratiqué à l’égard des religions puisse évoluer en mieux. Trop d’intérêts sont en jeu. Une courageuse décision de l’autorité suprême serait nécessaire pour conformer l’attitude de l’Etat aux standards en matière de politique officiellement reconnus dans le monde entier. Mais, pour cela, il faudrait repousser la tentation de manipuler la religion à des fins politiques. On affirme, en Chine, que la religion ne doit pas être contrôlée de l’extérieur, comme le déclare l’article 36 de la Constitution, tout en assurant une volonté de dialogue avec le Vatican (considéré comme une entité historico-politique), mais on n’acceptera jamais des « interférences étrangères » dans l’exercice de la foi catholique à l’intérieur du Parti. Cela, au nom du patriotisme et de la souveraineté nationale. Mais, dans toutes les nations du monde, le pape n’a-t-il pas seulement reconnu l’exercice de sa juridiction spirituelle et renoncé à sa propre souveraineté ? Qu’il arrive le temps où cette même Chine, si préoccupée de « défendre la religion » de contrôles extérieurs, découvre la valeur de la laïcité de l’Etat et de la formule : « L’Eglise libre dans l’Etat libre » dont tant de nations ont déjà fait l’expérience dans la pratique.
Dans le message qu’il a adressé aux participants du Congrès international de Rome, Jean-Paul II s’est fait l’écho de ce qu’avait écrit Matteo Ricci, il y a quatre siècle : « L’Eglise catholique d’aujourd’hui ne demande à la Chine et à ses autorités politiques, aucun privilège – mais uniquement de pouvoir reprendre le dialogue, afin d’arriver à établir un rapport fait de respect réciproque et d’une étude approfondie Et il ajoute : « Qu’on le sache, en Chine, l’Eglise catholique a le très vif désir d’offrir, une fois de plus, un service humble et désintéressé, pour le bien des catholiques chinois et de tous les habitants du pays La communauté catholique de Chine, issue de l’épopée missionnaire d’il y a 400 ans, reste une infime minorité. Mais elle se sent appelée (le levain dans la pâte) à la croissance spirituelle d’un peuple immense. A l’aube du troisième millénaire c’est là un dessein exaltant – et qui concerne aussi l’avenir de toute la famille humaine.
Notes
(1)Curieusement, à la même date, avait lieu à Hongkong, un autre congrès, de caractère plus laïque, organisé par la cité universitaire de Hongkong, en collaboration avec l’université de Pékin pour rappeler le souvenir de Matteo Ricci, en tant que précurseur du dialogue entre la Chine et l’Occident.
(2)Cf. Avvenire, pour le discours du pape.
(3)Far Eastern Economic Review, 4 octobre 2001, p. 34
(4)Avvenire, 13 octobre 2001
(5)China Daily, 22 octobre 2001, p.4
(6)Piero Ostellino, éditorialiste bien connu, observe qu’« un parti communiste inter-classique ne peut se concilier avec la recommandation marxiste d’union des prolétaires entre eux », Corriere della Sera, 11 septembre 2001
(7)La Republica, 11août 2001
(8)R.A. Manning, International Herald Tribune, 18 juillet 2001
(9)F. Scici, La Stampa, décembre 2001
(10)China Daily, 21 octobre 2001
(11)Cf. Mondo e Missione, avril 2001
(12)Corriere della Sera, 7 mai 2001
(13)Asia News, avril 2000 ; Mondo e Missione, octobre 2000
(14)Sunday Examiner, 4 mars 2001
(15)Sunday Examiner, 30 septembre 2001
(16)South China Morning Post, 28 septembre 2001
(17)Asia News, mai 2001, p. 21-29
(18)Cf. dossier de Asia News, p. 28 et suivantes
(19)Cette intention s’exprime dans la transformation de l’antique église St Joseph (Dong Tang, à l’est de la Cité interdite) sur la célèbre avenue Wang Fujing, transformant l’espace où se réunissent les chrétiens en une place éclatante de lumière et ouverte à tous, curieux et touristes.
(20)A ce propos, qu’on prenne connaissance de ce même dossier News.
(21)Hu Changquing, ex-directeur du Bureau des Affaires religieuses puis d’une administration provinciale, a été exécuté pour corruption en l’an 2000.