Eglises d'Asie

Un responsable politique relativement haut placé préconise un changement de politique religieuse et l’ouverture du Parti communiste aux croyants

Publié le 18/03/2010




Pan Yue, directeur adjoint du Bureau du Conseil d’Etat pour la Restructuration des systèmes économiques, a publié au mois de décembre dernier un article, paru dans deux journaux différents, préconisant un changement de politique religieuse. Intitulé « Quel type de perspective devrions-nous avoir sur la religion : le point de vue marxiste sur la religion doit évoluer avec le temps », l’article propose que le Parti communiste chinois adopte une politique de plus grande tolérance en matière religieuse et va jusqu’à préconiser l’entrée en son sein de croyants – l’appartenance au Parti ayant toujours eu, jusqu’à ce jour, pour corollaire la profession de l’athéisme.

L’administration dont Pan Yue est le directeur adjoint fonctionne à la manière d’un think tank et fournit au gouvernement chinois des recommandations sur les réformes économiques à mener. Pan Yue, âgé de 42 ans, est le gendre du général Liu Huaqing, aujourd’hui à la retraite. Membre de la Ligue des jeunesses communistes, il a été dans ses fonctions précédentes rédacteur en chef de Stratégie et Management, magazine contrôlé par l’Armée populaire de libération et représentatif d’un mouvement tout à la fois réformiste et néo-autoritaire. Selon des spécialistes de la scène politique chinoise, certaines des propositions avancées par le passé par Pan ont déjà été adoptées par le Parti, en particulier l’idée d’ouvrir le Parti aux entrepreneurs privés, idée reprise publiquement par le président Jiang Zemin en juillet dernier à l’occasion du 80e anniversaire du Parti communiste chinois (PCC).

Pan Yue débute son article par une remise en question de la définition de la religion comme « opium du peuple ». Il souligne que le PCC a fait de cette définition la pierre angulaire de sa politique envers les religions, ce qui a « conduit à une politique religieuse un temps dévoyée » et dont le Parti « a payé le prix », références sans doute aux campagnes anti-droitières des années 1950 et à la Révolution culturelle (1966-1976). Aujourd’hui, poursuit Pan, le Parti doit « réévaluer le rôle de la religion et aborder cette question rationnellement afin de résoudre les problèmes des relations entre les Eglises et l’Etat ». Les dimensions spirituelle et morale de la religion peuvent servir le socialisme car elles poussent les gens à être meilleurs ; les fonctions caritatives et culturelles de la religion ne sont pas contraires aux buts poursuivis par l’administration. Enfin, analyse encore Pan, la religion n’adhère pas à un système social en particulier, que ce soit le féodalisme, le capitalisme ou le socialisme, mais crée pour elle-même les possibilités d’une adaptation à une société socialiste. « Nous devons réformer nos concepts traditionnels en matière de management des religions afin de trouver un mode de relation entre la religion et l’Etat qui soit raisonnable et scientifique », conclut-il.

A Hongkong et parmi les spécialistes des religions en Chine, l’article de Pan Yue n’est pas passé inaperçu. Pour Sœur Béatrice Leung Kit-fun, religieuse catholique et professeur associée au département de politique et de sociologie de l’université Lingnan à Hongkong, ce texte doit être compris comme la poursuite de la politique d’ouverture énoncée par le président Jiang Zemin en juillet dernier (1). Lors de la réunion des plus hauts dirigeants chinois à Pékin les 10, 11 et 12 décembre derniers, « Jiang a défini une orientation nouvelle et positive en matière de politique religieuse, introduisant plus de flexibilité et de marge de manœuvre », a-t-elle déclaré, soulignant toutefois qu’il était trop tôt pour juger de la façon dont les milieux religieux vont percevoir ces changements et comment cette nouvelle approche en matière de liberté religieuse sera concrètement appliquée.

Selon un observateur de l’Eglise catholique en Chine, qui a tenu à conserver l’anonymat, l’article de Pan peut effectivement refléter l’opinion de certains dirigeants hauts placés mais « les responsables des affaires religieuses n’accepteront pas les vues [de Pan] et continueront à insister pour le maintien d’un contrôle étroit sur les religions ». Un tel article peut donner l’impression à des personnes extérieures à la Chine qu’une atmosphère plus libérale s’installe désormais en Chine mais, dans la réalité, les religions sont toujours fortement contrôlées. Pour sa part, Anthony Lam Sui-ki, chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit, du diocèse de Hongkong, fait remarquer que l’article de Pan est paru les 15 et 16 décembre 2001 dans deux publications relativement périphériques, le Huaxia Shibao et le Journal de la Zone économique spéciale de Shenzhen, et ne refléterait donc que la seule opinion de son auteur. Si l’article était paru dans le très officiel Quotidien du peuple, l’affaire aurait eu une toute autre dimension, commente-t-il. Pour l’heure, poursuit-il, si le recrutement par le PCC de croyants n’est pas en soi une mauvaise chose, le Parti n’a pas fondamentalement renoncé à contrôler les religions, niant à la fois l’autonomie propre et la dimension transcendantale de ces dernières.